3 mai 1985
Document de travail
"Je remercie le Professeur Sureau de l’accueil qu’il a bien voulu me réserver, mettant à ma disposition l’amphithéâtre de la Maternité Baudelocque, car il m’a permis de poursuivre un enseignement sur la sexualité féminine, enseignement commencé dans un autre lieu et dans un autre cadre.
Je le remercie également de me donner la parole cet après-midi pour débattre d’un sujet, ô combien brûlant, disons, d’actualité. Devant ce qui se présente et semble être une révolution, il est bon que la psychanalyse puisse dire son mot.
Lors d’un récent colloque sur la contraception et l’avortement, le Professeur Sureau introduisit les débats par ces mots, "La maîtrise de la fécondité, aspiration à priori légitime pour des individus conscients et responsables".
C’est avec ces mêmes mots que je vais introduire le propos de ce soir, car demander à avoir un enfant est une aspiration à priori légitime pour des individus conscients et responsables ; n’est-ce pas, là, la traduction naturelle d’un désir, le désir sexuel qui assure le maintien de l’espèce ? Mais peut-on toujours soutenir qu’il en est ainsi ? Non, puisque ce soir je suis interrogée sur un enfant pour qui, pour quoi ?
Dans la Bible, au livre de la Genèse, à propos de la Création, on lit ceci : "Le Seigneur Dieu fit tomber un sommeil profond sur Adam, prit une de ses côtes, après avoir refermé les chairs, il façonna la côte qu’il avait retirée, créa un nouvel être que Adam appela : Femme"
Jusqu’à ce jour le rôle du médecin accoucheur était, et continue d’être pour la plupart d’entre eux, de constater qu’une nouvelle gestation est en cours, de surveiller la grossesse, de l’aider à atteindre son terme, si besoin est, et d’accueillir un enfant. Aujourd’hui, les progrès de la science et de la technique obstétricale mettent certains d’entre eux en position de créateurs. Il est maintenant en leur pouvoir de prélever un élément du corps de la femme, et un élément des plus intime, l’ovocyte, de le façonner afin qu’il puisse rencontrer hors de son habitacle normal, un élément le spermatozoïde, en vue d’une fécondation qui se fera in vitro, hors de l’organisme maternel. C’est prodigieux !
De par cette méthode, ces praticiens se trouvent être véritablement au départ d’une vie. C’est par leurs oeuvres qu’une vie nouvelle vag germer, ils sont au service de la vie, ils sont les servants de la vie de même que ceux-là qui viennent faire une demande d’enfant.
Servants de la vie, ceci veut dire que la souveraineté est du côté de la vie, mais est-ce à dire pour autant que la vie est un souverain bien ? Non. Nous, médecins savons qu’il n’en est rien, que de vies malvenues nous avons eu à connaître. La vie n’est pas un souverain bien, c’est un Bien. Et c’est un bien qu’on ne peut transmettre n’importe comment à n’importe quel prix, puisque il s’agit d’une vie humaine.
Un enfant pour quoi ? Un enfant pour la vie. Mais pourquoi un enfant ? Qu’est-ce qui pousse à se mettre au service de la vie ? Je laisserai ceci en suspens.
Un enfant pour qui ? Doit-on et peut-on répondre que c’est pour des individus conscients et responsables ? Quand on sait que la demande chez l’être parlant, la demande, il y a toujours un écart entre elle et ce qui la sous-tend, que cette demande ne peut pas être reçue comme étant l’équivalent d’un besoin, un besoin à satisfaire. Et à cause des paradoxes de la demande chez l’être parlant, à cause de ces paradoxes, nous assistons à des phénomènes paradoxaux, phénomènes paradoxaux dont la traduction clinique vous est bien connue. Ce peut être l’éclosion d’un délire. Nous savons qu’il arrive qu’une implantation de grossesse, où le seul espoir de la rendre effective, fait basculer telle femme, voire son conjoint, dans une psychose - véritable naufrage de l’individu, de tout individu - et dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de bouffées délirantes réversibles.
Vous avouerez, que c’est là un résultat paradoxal : cette grossesse qui est apportée en vue de la santé, apporte en fait quelque chose qui est loin d’être la santé. Donc, ça ne peut pas être toujours au nom d’un droit à la santé que l’on peut répondre à une demande d’enfant ; il y a d’autres considérations à tenir.
Ce peuvent être parfois des conduites paradoxales et dans ces cas la demande est à prendre au mot. Ce sont souvent des personnes, des femmes qui réclament sans cesse une grossesse, qui ne ménagent pas leur peine en vue de cet enfant à venir, qui sont prêtes à tous les sacrifices, mais lorsqu’on les écoute, il arrive parfois qu’on entende ceci : "il est impossible que je tombe enceinte". Si on a la chance d’entendre ce : "il est impossible", il faudrait pouvoir s’assurer de la personnalité de cette demanderesse en s’efforçant de, peut-être, l’écouter avant, avant de prendre une décision en vue d’une grossesse.
Ce sont ces personnes, souvent, qui ont toujours un obstacle qui fait que, le jour voulu, l’heure possible, quelque chose empêche que puisse se faire une rencontre entre l’ovule et le spermatozoïde.
Ces cas, on pourrait les étiqueter de blocage à la conception, en me référant à ce qu’on a pu dire de certains couples, de certains couples qui cherchaient à adopter un enfant ; couples qui sont reconnus aptes à adopter un enfant, mais qui, pour des raisons qui leur échappent totalement, ne peuvent jamais trouver d’enfant à adopter, et ces cas on les a appelés : blocage à l’adoption.
Donc, blocage à la conception et s’il arrive que pour une raison quelconque ces personnes se trouvent enceintes, alors - et ceci est bien connu- c’est la panique, ce sont des manifestations d’angoisse d’une intensité telle que parfois on peut, ou qu’on doit envisager une interruption de la grossesse. Si ces personnes ont pu conduire cette grossesse jusqu’à terme, alors on assiste à quelque chose, qui souvent déroute, c’est une dépression ; je m’empresse de dire que toutes les dépressions post-partum n’ont pas toujours cette cause. C’est une dépression, un désintérêt total pour cet enfant, pour cet enfant si ardemment voulu, si ardemment demandé et bien souvent on se demande pourquoi l’instinct maternel ne vient pas à la rescousse.
Alors, au sujet de l’instinct maternel, je m’arrête un instant et pour dire que l’instinct maternel comme tout instinct chez l’être parlant, chez l’Homme, l’instinct maternel est au service de l’individu. L’instinct qui est un savoir, un savoir déjà là et qui sert à la survie de l’individu, chez l’Homme - et ceci les démographes l’ont souvent remarqué - chez l’Homme, l’instinct est au service du groupe et non pas de l’espèce.
Alors, pour l’instinct maternel c’est une chose bien connue maintenant, les démographes qui ont eu à étudier ce qui se passait dans des régions qui commençaient à s’industrialiser au 16ème, 17ème siècles, et en particulier les études qui ont été faites auprès des ouvriers de la soie, ces démographes ont remarqué que l’instinct était au service du groupe, c’est-à-dire que les femmes, car je ne pense pas qu’on puisse dire de toute accouchée qu’elle est mère, les accouchées portaient leur enfant en nourrice et ces mises en nourrice revenaient à de véritables abandons car elles savaient que la plupart du temps, elles ne pourraient pas revoir leur enfant. Dans les classes modestes, les nourrices devaient s’occuper de tellement, d’enfants parce que mal payées, qu’il arrivait que la plupart de ces enfants mouraient. Si bien que l’instinct ne servait pas, là, l’enfant, l’instinct servait la mère qui pouvait immédiatement, reprendre son travail auprès de son compagnon et ainsi assurer la survie du groupe, du couple qu’ils formaient.
Je pense que cette question de l’instinct a une importance car ce n’est pas l’instinct qui fait que la mère aura les gestes qu’il faut pour son enfant, de même que l’instinct ne portera pas l’enfant près du sein de la mère, vu sa prématuration ; ce n’est pas l’instinct, c’est l’amour maternel et c’est d’un autre ordre que l’instinct maternel. L’amour maternel c’est ce qui va lier la mère à cet être, cet étranger ; cet étranger chez qui elle va reconnaître quelque chose, un trait, un trait qui la lie à cet enfant.
Et je pense que les questions qui se posent actuellement autour de ces femmes, que l’on dit "mères porteuses" - on se demande pourquoi les appeler "mères"- cette question qui se pose autour de ces femmes qui donnent l’enfant qu’elles ont porté, si on a à l’esprit que l’instinct maternel ne peut pas jouer, que c’est l’amour et on s’est rendu compte que lorsque l’étincelle d’amour jaillissait entre cette femme – mère, alors, et l’enfant qu’elle venait de porter, alors elle ne voulait plus s’en séparer et nous avons eu récemment à connaître d’un cas où la mère, aimant cet enfant qu’elle venait de mettre, au monde, a refusé de donner l’enfant ; elle n’a plus tenu compte du contrat. A ce moment-là, le contrat ne compte plus, l’amour est tel qu’elle ne veut pas se séparer de l’objet aimé.
Donc, là, paradoxe chez l’être humain, c’est l’amour, qui lie la mère à son enfant et ce n’est pas l’instinct maternel. L’instinct dit "maternel" est au service de la mère.
Démarche singulière, démarche dite singulière autour de cette demande, de cette demande d’enfant, démarche souvent paradoxale parce que la demande est portée par un désir, un désir d’enfant et on a toujours à se demander si ce désir d’enfant, c’est le désir qu’enfant on a eu d’avoir un enfant et si c’est ce désir qui persiste sous cette forme, si c’est un désir infantile. alors bien souvent on va au devant d’échecs car comme tout ce qui est infantile, c’est tout de suite que l’on veut avoir l’objet : on ne souffre pas qu’il ne puisse pas être là, on se désintéresse de ce qui contrarie la venue de l’enfant et je pense que toutes les expériences que l’on peut faire et qui sont parfois déroutantes et qui font qu’on n’arrive pas toujours à saisir pourquoi, dans ce cas particulier, le résultat n’est pas positif, c’est souvent lorsqu’on a à parler avec ces femmes qui se découragent si rapidement, c’est souvent parce que le désir qui porte à avoir un enfant est un désir infantile et comme tout désir infantile est marqué de cette immaturité.
Alors, un enfant pour qui ? Il importe, je crois, avant de pouvoir répondre à cette question, de se demander : un enfant pour quel "en-je", car c’est là le véritable enjeu, et je me permets là, le jeu de not de Lacan : le premier enjeu s’écrivant "en-je", alors que le deuxième s’écrit comme nous avons l’habitude de l’écrire : e.n.j.e.u. En effet, c’est bien là la question. Cet enfant pour quel "en-je" ? C’est-à-dire est-ce que cette vie qui va lui être donnée de cette façon, est-ce que cette vie, il pourra la prendre en son non propre ? Est-ce que, quand il parlera, il en parlera en disant : je ? Je crois qu’il y a à s’interroger. Il y a à s’interroger pour la raison suivante - et il y en a sûrement d’autres - parce que la force de la répétition, chez l’être humain est telle que ce qui a marqué et ce qui a marqué dans ce temps premier où on est appelé à la vie, ce qui a marqué l’être humain parce que parlant, il le répète.
Je citerai par exemple Jean-Jacques Rousseau. J.J. Rousseau, auteur de l’Emi1e, J.J. Rousseau philosophe qui a su parler si bien de ce qui était nécessaire pour l’éducation des enfants, J.J. Rousseau enfant abandonné, n’a pu rien faire d’autre que d’abandonner à son tour tous ses enfants.
Nous avons un certain nombre d’exemples concernant les enfants adoptés. Leurs difficultés dans la vie nous sont de mieux en mieux connues et il arrive que beaucoup d’entre eux devenus adolescents, et en particulier les adolescentes, ou les jeunes femmes, n’envisagent pas de procréer. Elles pensent que les enfants dont elles veulent s’occuper, les enfants qu’elles veulent avoir, ne peuvent être que des enfants adoptés comme elles et par elles.
Dans d’autres cas, il arrive que certaines, et lorsqu’elles en font la découverte elles en sont tout à fait consternées, désirent, veulent mettre des enfants au monde et elles nous disent et on ne le leur fait pas dire, que c’est, à leur tour, pour les abandonner.
C’est important, parce que la marque première qui a été la leur, celle qu’elles ont eue avec la vie, donnée par la mère qui va les abandonner, n’ayant pu être effacée par ce qui a suivi dans leur vie d’enfants adoptées, cette marque première les pousse à abandonner, à vouloir abandonner à leur tour l’enfant mis au monde.
C’est pourquoi on a à s’interroger et à se demander quel, impact ces méthodes actuelles de mise au monde, de conception de l’enfant, auront sur les enfants ; est-ce que nous préparons des femmes, des filles qui ne concevront de conception que par fivette ? Je pense que nous avons à nous interroger sur ce point guidés par les expériences recueillies auprès de gens dont rien ne nous permet de penser qu’ils ne sont pas équilibrés, seraient-ils même déséquilibrés que nous savons bien que le dysfonctionnement a souvent permis de connaître ce que doit être le bon fonctionnement.
Donc, un enfant pour quel "en-jeu" ? Un enfant parce que cette marque énigmatique, reçue de l’Autre au départ de la vie cette marque, l’enfant la reçoit à son insu. Ceci échappe toujours, et l’enfant devenu adulte voudra reproduire ce qui l’a marqué.
Un enfant pour qui ? Pour un couple, lui, homme, elle femme, tous deux confrontés avec leur problème de stérilité de couple. Deux êtres, qui ont dépassé leur rivalité sexuelle, qui s’acceptent différents de par le sexe et qui vont se poser dans cette demande d’enfant différemment. En général, c’est la femme qui porte la demande.
Alors, ce qui importe, c’est que chez ces deux êtres, chez l’homme comme chez la femme, le désir d’enfant, le désir d’avoir un enfant ne soit plus un désir infantile. Tout à l’heure j’ai oublié de dire que chez l’homme aussi, il y a cet infantilisme dans le désir, car enfant, tout petit garçon a désiré avoir un jour un enfant. Mais ceci sous le mode infantile. Donc, j’y reviens, chez ces deux êtres, le désir d’enfant ne doit plus être infantile. L’un et l’autre doivent avoir renoncé à l’infantilisme de leur désir, ce qui veut dire que dans cet espace qu’ils ont préparé, un enfant peut venir si Dieu le veut, c’est-à-dire si vous, obstétriciens, pouvez y aider. Un enfant peut y venir, si Dieu le veut, ou ne pas y venir s’il ne peut pas en être autrement. La demande d’enfant dans ces cas se fera avec sérénité ; Les futurs parents sauront attendre le temps de l’enfant, je veux dire qu’aucune précipitation ne sera portée à la réalisation de ce désir : avoir un enfant.
Donc, un couple, un couple qui forme un espace, un espace dans lequel la place de l’homme, la place de la femme se trouvent marquées, c’est important, car pour qu’une identification sexuée puisse se faire, il faut que dès ce temps-là, et la place de l’homme, et la place de la femme soient marquées. Ce n’est pas de rencontrer plus tard une image d’homme ou de femme, de voir cette image qui permettra à un enfant de se nommer, de se savoir fille ou garçon. Je reprends le passage de la Bible, à propos de la Création où après avoir créé tous les êtres vivants, Dieu les présenta à Adam, lui demanda de les nommer, ce qu’Adam fit très facilement, mais arrivé à lui-même il se trouva embarrassé, il ne put dire mot et le Seigneur Dieu, nous dit-on, devant cet embarras d’Adam créa pour lui un nouvel être, être qu’Adam nomma, Femme ; pouvant dire qu’elle était la chair de sa chair, l’os de ses os, il put se dire homme, puisque la place de la femme avait été marquée.
Ceci est important : l’expérience nous permet, de vérifier que ce n’est pas une vue de l’esprit. Il faut que dans l’espace où l’enfant est appelé à venir, l’homme et la femme soient marqués. Dans ces méthodes actuelles où il arrive que les fécondations soient obtenues à partir d’un sperme autre que celui de l’homme du couple, il est nécessaire que dans le désir de la femme qui demande un enfant, soit marqué le désir de cet homme, afin que ce sperme ne reste plus un sperme "X", que ce sperme soit endossé par cet homme, pour que, dans cet espace réservé à l’enfant à venir, s’il y vient, nomination de père puisse se faire. Et c’est une chose tout à fait capitale pour l’être humain.
Alors la question se pose : peut-on accéder à une demande de personnes qui n’offriraient pas cet espace à un enfant à venir, cet espace où la place de l’homme et de la femme serait marquée ? Cet espace où ne serait marquée, que la place de la femme seule, parce que, n’ayant pas dépassé sa rivalité sexuelle, elle refuse ce qui pourrait venir de l’autre sexe, sauf ce sperme "X" qui va lui apporter un enfant ; elle n’accepte donc de l’homme que cette trace, c’est-à-dire que de l’homme, elle n’acceptera que cette trace, trace puisque enfant il y a, mais cet espace où il serait possible que Nom du Père advienne, ne sera pas proposé à l’enfant.
Peut-on de façon délibérée, faire que s’écrive une "Histoire sans nom" ? J’emprunte cette expression au titre d’une nouvelle de Barbey, d’Aurevilly : dans cette nouvelle, l’héroïne, somnambule, qui va finir par mourir des conséquences de sa grossesse, se trouve devenir grosse d’un sperme qui pour elle, ne porte pas de nom. Et ce sperme, c’est le Père Capucin qui avait été reçu, lors des prêches du Carême, qui a laissé ce cadeau de lui mais s’est sauvé sans permettre à cette jeune fille de mettre un nom sur ce sperme. Une "Histoire sans nom" dite par B. d’Aurevilly, une histoire sans Nom de Père et c’est dans ce sens qu’il faut entendre ce que Lacan apporte autour de ce Nom du Père, il ne s’agit nullement de patronyme ou de matronyme, il s’agit de faire en sorte que dans l’espace où l’enfant est appelé au monde, il puisse y avoir nomination de père.
Je rapprocherai ceci de ce qui se passe lorsqu’on accepte que des hommes seuls adoptent des enfants ; lorsqu’il s’agit d’hommes, qui, eux aussi, n’ayant pas dépassé leur rivalité sexuelle, ne veulent rien savoir de l’autre sexe et ne veulent considérer la femme que comme réceptacle pouvant porter l’enfant : dans l’espace proposé à l’enfant, il n’est donc pas marqué de place de femme, c’est là aussi une difficulté pour l’enfant. Et l’expérience clinique est là pour en témoigner. Donc, est-ce que c’est au nom de ce qu’on appelle le droit à la maternité que l’on peut accepter que viennent au monde des enfants pour qui l’espace qui sera le leur, qui va les marquer à tout jamais, ne comporte de place que pour l’un des deux sexes ?
Un enfant pour qui ? Pour un couple, un couple confronté à son problème de stérilité, un couple dont on aimerait qualifier le désir d’adulte, un couple qui a pensé pouvoir faire l’effort exigé par ces nouvelles méthodes de procréation, et vous savez combien c’est éprouvant de s’y soumettre ; mais la mise en oeuvre des techniques modernes ne suffit pas à elle seule, puisque des difficultés d’un autre ordre - psychologiques, notamment - peuvent, empêcher la réalisation du projet ou son succès final. Vous, obstétriciens, savez qu’il peut arriver qu’à l’insu de ces demanderesses un non-dit fasse échouer un projet avoué.
Alors, il faut se demander ce que l’avenir réserve à ces enfants. On est bien obligé de se poser la question. Est-ce que comme je l’ai évoqué plus haut, ils pourront parler en disant : "je", en leur nom propre, de la vie qui leur est donnée de cette façon, ou alors est-ce que ce sera un poids tel que, de cette vie, ils ne voudront pas ? Ces enfants ainsi conçus n’auront-ils pas, qu’on le veuille ou non, une étiquette, comme celle déjà usitée, de "bébés éprouvette" ? Même si un silence vient entourer le mode particulier de leur conception, ils n’en resteront pas moins marqués d’une origine qui n’est pas naturelle ; la main de l’homme de laboratoire sera ce qui les aura fait venir au monde.
C’est pourquoi, me semble-t-il, ce ne peut être une équipe anonyme qui soit responsable de cette conception. L’image de celui - ou de celle - qui s’occupera d’une fécondation in vitro ne devrait pas varier, ou en tout cas l’image d’un des membres de l’équipe doit pouvoir être retrouvée, tout le long de ce processus. C’est-à-dire que dans ce qui se met en place, dans ce qui ensuite comptera après la naissance, vous, obstétriciens, avez une place tout à fait particulière et ce qui se tissera entre cet enfant et cette mère, dépend de vous également puisque nous nous trouvons être dans un autre cadre que celui connu où c’est du rapport de l’homme avec sa femme et de ce que ce rapport a pu apporter de plus ou moins grande jouissance, et ressentie comme telle par la mère, que cet enfant sera marqué au départ de sa vie. Vous jouez un rôle important et c’est, pour moi, le moment de le dire.
Nous nous posons des questions, nous autres psychanalystes. Nous nous demandons pour ces enfants conçus de cette façon comment, comment ils pourront mettre en place ce qui, structuralement parlant, est important, ce que l’on appelle scène primitive, roman familial, tout ce qui est lié au complexe d’Oedipe, enfin quelles ressources ces enfants auront pour mettre en place tout ce qui fait le bon équilibre d’un être humain, puisque leur départ dans la vie, qu’on le veuille ou non, diffère du schéma classique. C’est pourquoi, j’ai parlé de révolution. Peut-être une révolution.
En tout cas ce qui se fait oblige à se poser la question : un enfant pour qui, pour quoi ? Pourquoi cet enfant ? Les démographes pensent que ce n’est pas la solution au problème de natalité qui se pose aux pays à technologie avancée, à niveau de vie élevé ; d’ailleurs je pense que ces questions ne pourraient se poser ainsi : un enfant pour qui, pour quoi ? Dans les pays dits en voie de développement, même s’il se trouve que certains ressortissants de ces pays demandent à bénéficier des progrès de la science obstétricale.
Donc, pourquoi cet enfant ? Pourquoi cet enfant, qui vient au monde marqué de ce qui risque d’être un nouveau "malaise de la civilisation" pour reprendre une expression de Freud ?"