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Et Ruth se demandait ce que Dieu voulait d’elle

Une transcription de l’intervention de Solange Faladé à Vaucresson le 3 juillet 1993

3 juillet 1993
Document de travail

"Bien, oui, j’ai demandé que ce titre soit apporté à ce que je pensais dire ce matin. Ce titre j’ai cru, et ceci depuis très longtemps, que cette phrase était de Victor Hugo. Je l’ai cru jusqu’à lundi. J’en étais sûre. Et lundi une des personnes présentes ce matin, m’a dit que en fait, Victor Hugo n’a pas dit cela. Ce qu’il a dit, c’est que : « Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle. » Enfin, j’étais tellement sûre de cette phrase que j’avais insisté pour que on n’oublie pas les guillemets, sûre que ça venait de Victor Hugo. Cette erreur (1) m’a fait réfléchir et m’a peut-être amenée à penser, repenser ce que je voulais ce matin apporter autour de cette question qui m’avait été posée au début de l’année qui s’achève, par le groupe de psychanalyse de Nantes : « Que veut une femme ? »(2)

Je vais quand même brièvement dire pourquoi je pensais conclure ce travail autour de ce que veut une femme, par ce « Ruth se demandait ce que Dieu voulait d’elle ». Il m’avait semblé et je continue toujours à le penser que Ruth représentait une de ces figures de femme que Lacan a apporté dans le séminaire sur le transfert, et je sais que certains d’entre nous actuellement travaillent ce séminaire tout particulièrement, il nous en sera dit quelque chose tout à l’heure, une de ces figures de femme que l’on trouve dans ce séminaire, à un chapitre où Lacan s’efforce déjà de nous parler de — La Femme —, même si le — La — n’est pas encore barré. Et déjà là, il fait savoir que il y a des femmes, mais pas quelque chose qui serait de l’ordre d’une totalité, qui serait — La Femme —.

Et parmi les figures de femme dont il nous a parlé au cours de ce séminaire, il y a ce livre de Léon Bloy La Femme pauvre (3). Et Ruth m’a semblé être une de ces figures bibliques qui représente une femme pauvre, et femme parce que pauvre. Pauvre elle se trouve venir d’un pays où la famine règne. Elle se trouve surtout être sans époux. Elle l’a perdu, son mari est mort. Elle se trouve être sans enfants, elle se trouve tout simplement être pauvre. C’est cette pauvre glaneuse qui va travailler dans les champs de Booz.

Bref, c’était m’avait-il semblé, une de ces figures de ce que peut être une femme, ce que peut définir une femme, et je l’avais choisie pour cela. Et je l’avais choisie parce que Victor Hugo en a parlé, et que, arrivée à un moment de ce travail où j’ai voulu mettre un point, peut-être pas final, mais en tout cas un point pour cette première tranche, je suis arrivée à ceci : Lacan dit que, en fait, c’est le poète qui peut le mieux interpréter, qui a ce qu’il faut, l’instrument qui permet d’interpréter, et j’étais tout heureuse de voir que Victor Hugo s’en était chargé. Mais là, je n’ai pas bien saisi ce que lui Victor Hugo a bien compris, c’est qu’en fait, c’est au niveau du savoir, c’est au niveau de ce qui fait que, elle n’est pas "toute" sujet de l’inconscient, que lui, Victor Hugo a pointé Ruth. Ce poème de Victor Hugo m’a toujours... Je l’ai toujours aimé, depuis très très longtemps, et je l’avais retenu, toujours autour de ce travail, parce qu’il y avait d’un côté Booz, que Victor Hugo nous présentait dans son âge avancé puisqu’il fait mettre dans sa bouche : « le chiffre de mes ans a passé 80 », et à cause de cela il interroge le Seigneur qui lui a fait savoir en songe qu’une race allait naître de lui. Il lui dit : « Comment de moi ceci peut venir ? » Et son rêve, ce songe, c’est ce chêne qui sort de son ventre, et de ce chêne il y a en bas un roi qui chante, c’est David, en haut un Dieu qui meurt, c’est Jésus. Et puis il y aura cette rencontre avec Ruth et tout cet engendrement qui mènera jusqu’à Jésus.

D’un côté il y a cet homme qui biologiquement, fait savoir Victor Hugo, ne peut plus penser être à l’origine d’un enfant, et pourtant c’est lui le créateur. Et c’est ce que dans un de ces derniers séminaires je crois que celui sur : L’une - bévue, l’Insu-que-sait... c’est l’amour (4), jeu de mots que Lacan fait autour de l’inconscient, de l’Unbewusste, Lacan nous dit que c’est l’homme qui est créateur, et du côté de la femme il y a cet engendrement, cet engendrement qui est du coté de ce qui peut être dénombré, puisque là, il n’y aura pas de totalité. Je vais y revenir, sur ce point.

Alors, ce poème m’avait toujours intéressée à cause de cela. Nous partions donc de Ruth, de cette femme pauvre et nous arrivions à Marie, mère de Jésus. Et nous avions là deux figures, deux figures qui valent à cause de ce qu’elles sont objets de..., objets divins. C’est bien parce que elle s’interroge, elle ne sait pas ce que Dieu veut d’elle, que Ruth prend cette place, que Ruth a cette figure. Et c’est bien parce que Marie nous fait savoir que Dieu a fait en elle de grandes choses qu’elle va prendre aussi cette place. Ce rapport d’une femme avec ce bon vieux Dieu, comme dit Lacan, et ceci à cause de son rapport tout à fait particulier à ce S(A) barré qui a à voir avec le vide. Il m’a semblé que c’était un point qui méritait d’être souligné.

Objets divins, répondant à je ne sais quel appel, répondant à ce qui donne sens au rapport avec le vide, nous avons au départ Ruth, nous avons Marie, Marie qui certes a enfanté d’une façon qui mériterait que ce soit discuté, mais c’est pas notre objet autour de ce travail. Marie ne nous intéresse que parce que, au pied de cette croix où son enfant est en train d’agoniser, au pied de cette croix où elle attend que lui soit remis, que lui soit donné à nouveau ce corps, ce corps gisant, ce corps qui lui sera tout abandonné, Marie nous intéresse pour cela, et tout le monde ou presque, a remarqué cette jouissance que l’on note lorsque est représenté le Christ mort dans les bras de sa mère, sa mère en jouit (5). Et les choses se passent d’une façon telle, et là je crois qu’il n’y a pas à s’arrêter à quelque vérité révélée, vous savez, en tout cas ceux qui ont commencé à travailler ici depuis quelques années, la place que nous faisons à la vérité révélée, c’est-à-dire que ce n’est pas ce qui nous intéresse, puisque la psychanalyse n’est pas un dogme, mais si c’est écrit de la main de l’homme c’est que il y a là quelque chose de l’inconscient qui se fait savoir.

Donc Marie va recueillir cet enfant mort, cet enfant qui lui est tout abandonné et elle en jouit. Les choses se passent d’une façon telle que, le soir tombe, c’est le sabbat, elle ne peut pas rester plus longtemps avec lui, on dépose ce corps mort dans un lieu vide, ce tombeau, et lorsqu’elle revient avec celles qu’on appelle les saintes femmes, le lieu est vide. Et c’est pourquoi je me suis arrêtée à la mère des douleurs, cette mère qui jouit de ce qu’elle souffre, et qui, parce que être parlant, ne peut pas être plus longtemps avec cet objet, cet objet qui en fait, réveille une jouissance maligne. Elle ne peut que retrouver le vide. Et ce qui nous est dit de la vie de Marie : elle s’en va avec ses compagnes et sa vie, après tout, aura une certaine sérénité jusqu’à ce qu’elle disparaisse.

Enfin, je voulais essentiellement parler de ce rapport avec le vide, de ce rapport qu’une femme peut avoir avec ce vide et comment elle peut en jouir.

Cette erreur (6) m’a fait modifier ce que je voulais dire, et je pense que ça peut être aussi bien de reprendre l’ensemble de ce qui a pu se dire, puisque j’ai déjà eu l’occasion de faire part de mon travail autour de cette question : Que veut une femme ? J’ai pensé que je pouvais reprendre l’ensemble de ce que j’ai pu dire, et reprendre dès le début, si je puis dire, c’est-à-dire ce temps où ne parlant pas encore, mais étant déjà vivant, celui qui va devenir sujet sera confronté avec ce qui lui permet d’entrer dans la parole, c’est-à-dire un objet qui répond à une demande, mais qui n’est pas encore une demande, qui est tout simplement une manifestation, disons d’une tension, d’une souffrance, bref quelque chose qui fait que l’objet est présenté, l’objet nous dit Freud dans « l’Esquisse », puisque nous revenons à cette « Esquisse », c’est ce retour à Freud dont nous parle Lacan, l’objet est présenté, l’objet sera perdu, l’objet ne peut pas rester.

Et c’est parce qu’il ne reste pas que se met en place tout ce qui est de cet appareil psychique, c’est-à-dire ces traces de mémoire, ces traces mnésiques, ce qui met en place, et la mémoire, ce qui met en place le penser, et je crois que pour ce qui est du penser on n’y attache pas assez d’importance. Freud dans « les études sur l’hystérie » à propos d’Elisabeth Von R., il fait remarquer et vous le retrouverez, que ce n’est pas tant l’examen que lui, fait, le fait d’exciter certains points de son corps, ce n’est pas tant cela qui la fait réagir, mais le fait que l’excitation va susciter en elle des pensées, et elle lui en fera part plus tard, et ses pensées concernent ce qu’elle a vécu avec son père, avec ce père malade.

Donc, ce temps premier, ce temps qui fait que, celui-là qui va devenir être parlant, ce temps qui va permettre qu’il y ait cette spécificité qui fait la différence d’avec l’animal, ce temps premier ne peut exister que parce que l’objet est perdu. C’est parce que l’objet est perdu qu’à nouveau on essaiera de l’avoir. C’est parce que l’objet est perdu que on va s’efforcer d’en retrouver la mémoire, c’est parce que l’objet est perdu que devant un nouvel objet on va s’efforcer de retrouver le même, c’est-à-dire tout ce qui est de l’identité se met en place. C’est ce rapport à la perte, donc au vide, qui marque celui-là qui va devenir sujet de l’inconscient, qui deviendra sujet de l’inconscient lorsque il sera sujet de la parole. Et c’est à partir de ce vide, de cette perte que le sujet, le sujet de l’inconscient va exister. Et il existera d’une façon différente s’il est garçon ou s’il est fille. Je ne vais pas reprendre tout ce temps premier sur lequel j’ai beaucoup insisté lorsque j’ai commencé à parler de ce travail : que veut une femme ?

Pour le petit garçon, parce qu’il aura à assurer, nous dit Lacan, sa propre métaphore, c’est-à-dire que celui-là vers qui il se tourne, le père celui de qui il va prélever un trait, ce trait unaire, c’est la traduction que Lacan donne de l’« einziger Zug », ce trait unaire c’est ce qui fait que il y aura la marque, si je puis dire, du sujet parlant, disons les choses comme cela, de ce que l’inconscient totalement pourra fonctionner. Pour lui, le garçon, parce que il a à être ce que son père est, et qu’il n’y a pas là de différence de sexe, quelque soit l’endroit où il s’inscrira, le garçon va pouvoir être autre, différent, disons différent de ce que sera la fille.

La fille, pourquoi elle ne peut que être autre que ce qu’est le garçon ? C’est d’abord, elle a affaire à un vide, c’est vrai. Elle a affaire au désir de la mère c’est vrai, mais avec ce désir de la mère elle saisit que la mère comme elle, est confrontée au vide, que la mère ne peut pas lui donner une réponse quant à ce qu’elle est, que là où elle est renvoyée, l’instance qui pourrait lui donner cette réponse, c’est-à-dire ce lieu où le père répond, il y aura certes tous les signifiants, mais sauf le signifiant qui lui permettrait de savoir qui elle est, elle, fille. Et ceci, elle ne peut saisir que ce signifiant manque, que parce que elle aura été confrontée avec ce qui donne sens au désir de la mère, avec le phallus.

Alors, Lacan a essayé de rassembler ça sur ce tableau, tableau de la sexuation. D’un côté nous avons ce qui caractérise l’homme, de l’autre côté, une fille. L’homme c’est du côté de ce qui peut être totalité, car tous sont marqués par la castration. Du côté fille les choses se passent différemment, car pour ce qui est de la castration, même si de par le phallus, elle y a un pied, elle n’est pas toute définie par cette castration. Je dis les choses rapidement, je ne peux pas rentrer dans le détail. Je suppose que pour beaucoup d’entre vous c’est connu. Pour ceux qui ne sont pas encore familiarisés avec ce point de l’enseignement de Lacan, nous aurons l’occasion d’y revenir mainte et mainte fois, et c’est pourquoi je ne m’étends pas pour donner plus d’explications.

Donc, du côté fille, une chose est notée par Lacan, c’est que de ce côté-là, il ne peut pas y avoir une totalité, car ce n’est pas la castration uniquement qui va définir une fille. Mais malgré cela, ce qu’il a mis tout à fait en haut où il est dit que : il n’existe pas un X. qui puisse dire non à la fonction phallique, peut se lire comme : nul n’échappe à la castration. C’est-à-dire que, elle, la fille, bien que n’étant pas "toute" définie par cette castration, castration du fait du phallus, elle fait quand même savoir que nul n’échappe à la castration. Et c’est à partir de ce point que je vais essayer très rapidement de faire, de dire deux, trois choses sur ce que veut une femme.

C’est l’occasion pour moi de dire pourquoi j’ai accepté ce travail que m’ont proposé nos collègues de Nantes, je l’ai accepté parce que cette année-ci nous travaillons, nous étudions plus particulièrement l’hystérie et il m’a été possible chemin faisant de faire saisir que contrairement à ce que l’on peut penser, la réponse hystérique ne peut pas être ce qui permet de savoir ce que veut une femme. Lacan nous dit, reprenant… vous savez il a ces mots qui sont là pour nous frapper : « L’hystérique elle ne s’inscrit pas du coté femme, de ce côté-ci, l’hystérique fait l’homme, et l’hystérique ne répond pas à être une femme, l’hystérique s’inscrit hors-sexe. » Cette formule il l’a employée dans son séminaire — Encore —. Donc j’ai pensé qu’en acceptant ce travail, et, nous intéressant tout particulièrement à l’hystérique, il nous sera possible de mieux saisir, et c’est ce que je me suis efforcée de faire, chemin faisant cette année, qu’en fait la réponse hystérique n’est pas cette réponse qui permet de saisir ce que veut une femme.

Alors, très rapidement essayons de voir ce que veut une femme.

Tout d’abord, il n’y a pas La femme, nous dit Lacan, il y a des femmes, et donc ça ne peut pas être sous un chapitre unique, que l’on peut trouver ce que peut vouloir une femme. Et déjà dans ce séminaire sur — Le transfert —, il nous le fait savoir en mettant en avant différentes femmes, que ce soit Isée, qu’il met du côté d’une femme, cette héroïne de Claudel, que ce soit la femme pauvre de Léon Bloy, déjà là, il nous montre que on ne peut comprendre ce qui est du coté femme, que si on considère qu’il y a des femmes et non pas La femme.

Alors tout d’abord, prenons cet objet petit a, cet objet petit a que Lacan met du côté de ce qui est Femme(7), cet objet petit a qui est en relation avec le sujet barré, le sujet de l’inconscient, qui est du côté Homme. Cet objet petit a, la femme, une femme, se fait objet afin de soutenir le fantasme de l’homme. Alors, arrêtons-nous un instant, à cause de ce qu’il a pu y avoir comme discussions dans le milieu analytique, concernant le masochisme, puisque Freud a même été jusqu’à parler de masochisme féminin, mais insistant bien sur le fait que c’est pas ça qui vient caractériser une femme. C’est ce qui est du côté de l’homme, et de l’homme pervers. Mais enfin, on peut se demander et des analystes se sont posé cette question, et pas des moindres, Hélène Deutsch par exemple, et d’autres, si en fait, une femme n’est pas vraiment femme que si elle se vit dans cette douleur, dans ce masochisme. Lacan aide à mieux saisir ce que Freud nous dit parce que si c’était en tant que masochiste que la femme, une femme se fait objet, objet pour soutenir le fantasme de l’homme, qu’est-ce qui se passerait ? Il devrait se passer ceci, c’est que tout comme le masochiste, elle devrait réveiller le point d’angoisse que le masochiste réveille chez l’autre.

Et je m’explique mieux. Lacan nous dit que le masochiste, le pervers d’une façon générale, pas uniquement le masochiste, mais le pervers d’une façon générale, s’adresse à l’Autre, grand A, comme n’étant pas divisé, et que ce que cherche le pervers dans sa relation à l’Autre, c’est de provoquer sa division. Prenons l’exhibitionniste, l’exhibitionniste qui suscite la jouissance chez l’Autre, ne peut y arriver qu’en provoquant la division chez l’Autre. Et bien le masochiste aussi, d’une façon beaucoup plus camouflée, d’une façon plus insidieuse, puisque dans un premier temps, c’est pour réparer ce qui pourrait être division chez l’Autre, mais dans un deuxième temps, il soulève le point d’angoisse chez l’Autre. Rappelez-vous le rapport de Wanda et de Masoch (8), Wanda qui pensait pouvoir tenir cette place, mais devant la réalité des choses, le fouet en main, elle n’a pas pu, ça l’a beaucoup étonné, elle n’a pas pu. Le masochiste soulève ce point d’angoisse et va plus loin, soulève aussi ce quelque chose qui peut être caché, qui est de l’ordre de cette jouissance maligne que l’autre peut receler en soi. Mais je n’insisterai pas, ce n’est pas du masochiste que je veux parler.

Je veux simplement montrer la différence entre, être dans cette position d’objet pour soutenir le désir du partenaire, faire en sorte que sur sa personne puisse être mis en éveil le fantasme, et être à cette place d’objet, puisque c’est ce que fait le masochiste, en se faisant, tout du moins en s’efforçant d’y être comme pour être une femme à cette place, mais en fait ce qu’il soulève ce n’est pas tant ce fantasme qu’un point d’angoisse et ce qui retient le sujet et qui a à voir avec sa jouissance, maligne nous dit Lacan, ce que en son intérieur il peut receler de jouissance maligne.

Puisque nous parlons de cette position d’objet petit a, que une femme, si elle s’accepte femme, prend pour le fantasme de l’autre, que le masochiste s’efforce de prendre pour soulever l’angoisse chez l’autre, je vous signale que l’analyste aussi se met à cette place d’objet petit a pour permettre que le sujet puisse causer de ce qui le barre.

Il y a là, trois façons d’être semblant autour de cet objet petit a. Et puisque je viens à parler de l’analyste, je tiens à dire rapidement que, c’est parce que il a à être ce semblant d’objet petit a, il n’est nullement masochiste, il n’est pas pour autant femme dans tous les cas, mais c’est peut-être pour ça que Lacan dit que une femme peut tenir cette place parfois plus aisément qu’un homme. L’analyse ne peut qu’intéresser que cas par cas. Ce n’est jamais du côté d’une totalité que l’analyste a à considérer ce qu’il a à faire. C’est toujours un, et un, et un, mais ça ne fait jamais totalité. C’est du coté du dénombrable comme pour les femmes. C’est une parenthèse que je referme très vite puisque on ne peut pas développer ceci très longtemps.

Donc une femme parce que elle sait que nul n’échappe à la castration, pas elle, non plus celui qui est son partenaire, elle s’offre en tant qu’objet qui peut lui permettre de fantasmer mais en se sachant châtrée et en sachant aussi que ce qu’elle va recevoir ne sera pas de l’ordre du phallus puisque de ce côté-là aussi il est châtré. Elle recevra le pénis, c’est pas le phallus, et pour ce faire, elle se fait objet, mais se faisant objet, il ne faut quand même pas penser qu’elle fait fi de ce qui peut la rendre aimable. Elle peut permettre à l’autre de fantasmer, il peut y avoir tout ce que vous pouvez imaginer au cours des ébats amoureux, mais ce n’est pas pour autant qu’elle devient objet de déchet, c’est-à-dire qu’elle ne fait pas fi de ce qui peut la rendre aimable et c’est là que cette question de la mascarade se pose. Ce point que j’ai oublié, alors que je l’avais annoncé, que j’ai oublié de développer lorsque je me suis trouvée à Nantes, mais je crois que le temps aussi avait fait défaut. Elle ne fait pas fi de ce qui peut la rendre aimable et désirable et là aussi, la question, ce point est à comparer avec ce que le pervers nous permet de saisir.

Et vous savez qu’il y en a un que Lacan a pointé et qui moi, m’a toujours beaucoup intéressé, c’est ce fameux abbé de Choisy qui écrit ses mémoires (9), l’abbé de Choisy habillé en femme, et qui permet de mieux faire comprendre ce qu’est la féminité. Comme il dit c’est un masque ! C’est ce que Joan Rivière reprendra en parlant de mascarade (10). La féminité ne peut qu’être un masque, ne peut qu’être ce quelque chose dont on s’affuble pour être aimable. Dès lors il n’y a que ça qui soit aimable, et l’abbé de Choisy le sait si bien que il donne le change, lui-même le dit qu’il donne le change. Et pourquoi donne-t-il le change, c’est qu’en fait, il y est avec ce qui manque à la femme, il y est avec son sexe, avec ce qu’il a de phallus. Et une femme, alors, c’est là que le travail de Joan Rivière serait intéressant mais on peut pas s’y arrêter ce matin, le temps nous fait défaut, ça nous demanderait trop de développement, c’est là que le travail de Joan Rivière peut nous éclairer, certaines femmes font cette mascarade, mais pour cacher, masquer le fait qu’elles sont châtrées, ou tout du moins pour aussi donner le change, faire en sorte qu’on les prenne pour femme, alors que ce qu’elles désirent c’est en fait être de ce côté où on s’inscrit comme homme.

Donc la question de la mascarade, il faut savoir la prendre, et ne pas en faire quelque chose qui serait à condamner puisque pour être une femme, on ne peut l’être qu’avec ce masque qui fait qu’on est aimable et désirable, mais à condition de ne pas vouloir comme l’abbé de Choisy donner le change, à condition de se vivre châtré, et donc d’avoir une relation telle, au partenaire, que il n’a pas à tomber, je dirai, sur un bec, et quel bec !

Donc, que veut une femme ? Elle peut vouloir être à cette place d’objet, et pour être à cette place d’objet, elle assurera d’être aimable et désirable, et pour cela la question d’être aimée se pose, d’être aimée, et Lacan nous dit que c’est pas uniquement ce qui est du côté de l’identique, du narcissique, qui est à considérer, mais ce qui fait que, parce que elle manque de ce signifiant au niveau de l’inconscient, et parce qu’elle en manque, elle ne peut pas être « toute » sujet, sujet barré, par le biais de l’amour elle va pouvoir être, elle aussi, sujet de l’inconscient, c’est-à-dire, c’est tout à fait un autre cheminement que le cheminement hystérique, puisque l’hystérique, souvenez-vous nous l’avons vu à différentes reprises, dans différents exemples de Freud, l’hystérique refuse, elle, d’être cet objet. Elle veut être aimée pour elle-même. Mais ça veut dire quoi ? L’hystérique s’inscrit du côté homme, et c’est par ce biais qu’elle a pu permettre à l’analyste de mieux connaître ce qu’est le sujet de l’inconscient. C’est comme dit Lacan — âmusant — que ce soit par le biais de l’hystérique femme, nous en avons parlé, je ne vais pas y insister ce matin. Donc l’amour, l’amour certes, parce qu’il y a ce (mysticisme), mais aussi c’est ce qui permet qu’il y ait une certaine égalité parce que identité par le biais de qui vous aime.

Alors donc, être une femme c’est accepter d’être cet objet. C’est aussi être ce qui est aimable. Mais tout ceci se fait par le biais du phallus. La femme à un pied dans le phallus, si je puis dire, et là Lacan insiste sur le point que ce n’est pas ce qui peut vous rendre aimable uniquement. C’est en fait un signifiant et ce qui a à voir avec la parole et être aimé c’est aussi demander que l’on vous parle. Et ce signifiant du phallus importe, non pas uniquement à cause de l’instrument que l’homme apporte à la femme, mais parce que échange il y aura. Et vous savez que pour certaines femmes ça compte énormément que avec les ébats il puisse y avoir ce qui accompagne, c’est-à-dire le parler, et dans certains cas quand ça n’existe pas, les femmes se refusent à l’amour.

Alors, tout ceci concerne ce que Lacan appelle ce qui a à voir avec le — hors corps — puisque c’est par le biais du signifiant phallus que ça s’est mis en place.

Il y a l’autre branche qui est propre à la femme, aux femmes, c’est ce S(A) barré et, c’est par ce biais de ce qu’elle peut ressentir au niveau de son corps qu’elle a à voir avec ce bon vieux Dieu, nous dit Lacan. Et ce qui est intéressant lorsqu’on reprend l’enseignement de Lacan, c’est de voir que très tôt au cours de son enseignement, c’est-à-dire dès son « Intervention sur le transfert » (11) en 51, la date importe puisqu’il n’y avait pas encore eu la première scission, il y avait une unité dans le mouvement psychanalytique. Lacan dans cette intervention qui a été tout à fait privée, on peut en avoir des témoignages, Lacan déjà, parle de ce rapport de la femme avec Dieu... la femme comme objet divin, c’est-à-dire de ce rapport particulier qu’une femme peut avoir avec Dieu, mais qui n’est pas ni le Dieu des chrétiens, ni de qui vous voulez, c’est tout à fait autre chose, et ce tout à fait autre chose c’est ce que Ruth, d’un côté nous fait savoir : Elle ne sait pas ce que Dieu veut d’elle. C’est-à-dire que cet appel qui a à voir avec le divin, ou si vous vous souvenez de ce qui nous a été dit de Marie d’Égypte (12), ce n’est pas tellement l’appel de l’homme, pour qui a lu ce livre, de cet homme aux yeux bleus, enfin, qui était du côté des mystiques, qui l’a fait véritablement bouger et devenir autre, c’est ce qu’elle a attribué à Dieu, c’est ce qu’elle a entendu quand elle était à Jérusalem, c’est ce qui a fait qu’elle a tourné le dos au monde, elle est allée vers ce désert, ce rien, ce point qui est tout à fait particulier à la femme. En fait, là aussi on ne peut en connaître quelque chose que parce qu’il y a les mystiques.

Alors d’un côté il y a eu le pervers, que ce soit masochiste ou comme l’abbé de Choisy, travesti, maintenant nous avons à faire au mystique et c’est par ce que le mystique peut dire de sa relation à ce vide, à cet abîme, à ce qui peut venir habiter cet abîme et qui fait que en son corps il vit ces transports, que l’on peut aussi savoir ce qu’une femme peut vivre de sa relation au vide, c’est-à-dire que, parce que cette relation au vide est supportée par un signifiant qui manque, qui fait que au niveau de l’inconscient tout n’est pas inscrit puisque un signifiant manque, une femme peut très bien ne pas pouvoir dire ce que au niveau de son corps elle ressent d’autre que ce qu’un homme peut ressentir. D’ailleurs les hommes ne s’y trompent pas. Ils disent à propos des femmes, en tout cas beaucoup le disent : « elles jouissent autrement ».

Et bien c’est autour de cet « autrement » que Lacan a fait cette jouissance Autre qui caractérise la femme, et qui fait que celui qui s’y inscrit de ce coté femme, peut aussi faire l’expérience de cette jouissance Autre, et celui-là est du coté du mystique. C’est ce rapport particulier au vide, et pour en savoir quelque chose, on ne peut le savoir que parce qu’il y a la relation au signifiant phallus, mais non pas en tant que c’est l’instrument phallique, mais en tant que c’est le signifiant qui permet que cela soit parlé.

Alors, si ce que veut l’hystérique c’est d’en connaître un peu plus sur l’inconscient, c’est ce que Freud s’est efforcé de lui apporter comme solution avec la méthode analytique, ce que veut une femme, peut être, de pouvoir être cet objet petit a qui soutient le fantasme de l’homme, mais tout en restant aimable, désirable, et sans pour autant vouloir donner le change. Ça peut être de pouvoir faire reconnaître cette expérience de la jouissance autre, qu’elle éprouve, avec tout ce qu’il y a de propre à la femme dans son rapport avec le vide, mais enfin, ceci je n’en parlerai pas ce matin parce que je ne sais pourquoi, j’ai toujours pensé que ce que Victor Hugo disait c’était que « Ruth ne savait pas ce qu’elle demandait ». Je n’irai pas plus loin pour cela ce matin.

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Questions

Michèle Aquien :
Au tout début de votre exposé vous avez dit que, Lacan dit que c’est le poète qui a l’instrument qui peut permettre d’interpréter. Est-ce que vous pouvez me dire dans quel texte ?

Solange Faladé :
Il commence déjà à en parler dans — Encore —, il dit et il continue dans les séminaires qui vont suivre en disant qu’il n’est pas poète assez (13) pour pouvoir parler de tout ça autrement. C’est le poète qui peut le mieux dire ce qui se joue là au niveau de l’inconscient. Il faut quand même bien dire que Victor Hugo, qui campe ce Booz, alors qu’on le trouve pas forcément dans la (Bible), ce Booz qui a quatre-vingts ans, qui lui-même se demande comment il pourrait procréer, c’est quand même souligner ce qui fait la différence entre l’homme et une femme. Là, c’est l’homme qui est créateur, la femme peut engendrer, mais pour ce qui est de créer, ce n’est pas de son côté. Alors, il aurait fallu pouvoir parler de la sublimation, de toute cette... mais enfin, la matinée n’y aurait pas suffi.

Michèle Aquien :
Mais justement pour rester dans la logique de ce poème, vous avez intitulé : Et Ruth se demandait ce que Dieu voulait d’elle, en tout cas Dieu apporte une réponse à celui qui ne demande rien, c’est-à-dire Booz, en lui apportant un songe, et à Ruth, rien, si ce n’est justement de se coucher à côté de Booz et apporter la réponse a Booz aussi.

Solange Faladé :
C’est à dire qu’à Booz, effectivement il lui signifie ce qu’il porte en lui, véritablement, puisque c’est de son ventre qu’il voit sortir ce chêne qui est ce fameux arbre de Jessé, alors qu’on aurait pu s’attendre que ce soit du ventre de Ruth qui va mettre au monde tout ce...

Michèle Aquien :
Il y a un vers qui indique cette continuité justement, chez l’homme, de la création, je crois que c’est « car le jeune homme est beau mais le vieillard est grand ».

Solange Faladé :
C’est ça oui, puisque Booz s’interroge toujours sur ce qui fait qu’il pourrait attirer, mais là, il est beaucoup plus près de ce que l’on peut lire dans la Bible, puisque dans la Bible on nous dit que Booz lui-même dit à Ruth s’intéressant peut-être plus aux jeunes, mais en même temps il fait ce qu’il faut pour être choisi.

Michèle Aquien :
Vous n’avez pas du tout parlé de l’enfant, sauf pour Marie.

Solange Faladé :
Non, j’ai absolument pas parlé de l’enfant, car dans ce qui m’intéressait, c’est ce rapport particulier à ce qui apporte cette jouissance qu’une femme porte en elle et qui se révèle dans sa relation avec son enfant mort, qui est là, à elle tout abandonné. Il ne semble pas que ce soit tellement l’enfant qu’elle a pu mettre au monde Ruth, très bien, que ce qui va venir... C’est quand même pas rien que Victor Hugo pointe ce Dieu : « En haut mourait un Dieu si en bas il y a ce chantre qui est David ». Et puis, ne voulant pas parler, enfin, je ne voulais prendre que ce qui était du coté de l’engendrement. Du coté de l’engendrement, je pense qu’il n’y a pas à s’arrêter à un enfant, il n’y a pas à s’arrêter à un enfant parce qu’il m’aurait fallu alors parler de ce que c’est qu’une mère. Or une mère n’est pas forcément qui a mis un enfant au monde.

Mais enfin ce chapitre je ne voulais pas l’ouvrir puisque je voulais parler d’une femme et je crois que c’est important de ne pas penser qu’une mère est forcément une femme, et que si on n’est pas mère on n’est pas femme, ce n’est pas la même chose.

Michèle Aquien :
Je voulais vous l’entendre dire.

Solange Faladé :
C’est fait.

Annie Biton :
Cette question qui vient d’être posée marque tout de même quelque chose de particulier. Est-ce que vous pensez que dire les choses de cette manière, parce que moi, je me questionne sur ce rapport particulier de la femme avec Dieu. Peut-on dire que la femme a un rapport particulier à la mort ?

Solange Faladé :
À ce moment-là on pourrait faire le jeu de mots avec — amor —.

Annie Biton :
Oui

Marie-Lise Lauth :
Oui parce que vous avez dit qu’elle allait chercher le désert, le rien mais vous n’avez pas insisté qu’elle y trouve la mort, Marie d’Égypte.

Solange Faladé :
Oui mais de toute façon elle ne peut pas revenir en arrière puisque ce désert qui en principe devait être rien pour elle, elle l’a peuplé, et de sa jouissance, elle l’a peuplé de tout ce qui était ses murmures, ses prières, enfin, et elle s’est coupée du monde des vivants, de la carte des vivants. Je voulais parler de ce rapport d’une femme avec ce vide, mais j’ai décidé de ne pas le faire, à cause de cette chose entre autres, pas uniquement, mais entre autres, qui fait que depuis des années, enfin le Booz m’a intéressé non pas parce que Lacan en a parlé, mais m’a intéressé depuis bien plus longtemps, et je crois que j’ai toujours, toujours, dit cette phrase comme cela, si bien que je n’ai même pas cherché à vérifier. Donc j’avais sûrement à penser à certaines choses et j’ai préféré ne pas le faire, de même que à Nantes, ça a été aussi autour de ce qui fait que on n’est pas « toute » sujet de l’inconscient, qu’une femme... Donc c’est volontairement que je n’en ai pas parlé. On aura l’occasion une autre fois d’en parler puisque de toute façon ce thème est tellement vaste.

Elisabeth Boisson :
Quand vous dites que par le biais de l’amour elle va pouvoir, elle aussi, être sujet de l’inconscient ?

Solange Faladé :
Oui parce que c’est quand même un des points que Lacan dans — Encore — a apporté. À ce moment là ce n’est pas uniquement la réciprocité nous fait savoir Lacan.

Elisabeth Boisson :
Vous l’abordez sur le fait de ce qu’apporte l’amour dans cette affaire, mais ça voudrait dire qu’autrement une femme n’est pas sujet de l’inconscient.

Solange Faladé :
Ah non, elle n’est pas « toute » sujet de l’inconscient. J’ai dit qu’elle serait sujet de l’inconscient, c’est-à-dire, alors là il faudrait soulever ce que Lacan soulève. Si Freud soulève la question du surmoi chez une femme, Lacan soulève la question de l’inconscient, mais en même temps il dit que, puisque c’est un signifiant qui vient marquer ce manque, et que de toute façon l’inconscient ne peut pas tout dire, la femme, de par son rapport au vide, à cet abîme, à ce vide premier, enfin, j’aurais voulu insister un peu plus sur ce départ avec la perte de l’objet, ce vide, cet abîme, c’est quand même ça que vient, si je puis dire, tapisser tous les signifiants qui viendront après, à condition qu’il y ait un signifiant mis de côté. Mais la femme, parce que elle a ce rapport particulier à ce signifiant qui manque, parce que ce qui sera prélevé chez le père ne lui permettra pas qu’il y ait comme pour le garçon métaphore, aura cette relation particulière à l’inconscient. C’est que, ce qui va la spécifier, c’est pas tant ce qui est de l’inconscient que ce qui est du signifiant qui manque. Et le signifiant qui manque fait que au niveau de l’inconscient, quelque chose ne sera pas, ne pourra jamais être.

Elisabeth Boisson :
Si elle est sujet parlant, elle est aussi sujet de l’inconscient.

Solange Faladé :
Je dis qu’elle le sera, par ce biais, oui, parce que c’est là toute la différence avec le sujet hystérique. C’est là toute la différence avec le sujet hystérique. Le sujet hystérique s’inscrit délibérément du coté de l’inconscient. Elle refuse d’être cet objet. Bien sûr qu’elle est être parlant aussi, mais pour ce qui est de l’inconscient, ça dans — Encore — vous avez pu le voir d’une part, et d’autre part, dans ce qui nous intéresse dans la pathologie, puisque ce n’est pas uniquement réciter ni Freud ni Lacan que nous nous efforçons de faire, il y a bien à ce niveau là chez une femme, on peut arriver à saisir ce manque.

Elisabeth Boisson :
Oui, mais saisir ce manque et dire qu’elle n’est pas sujet de l’inconscient !

Solange Faladé :
J’ai dit que oui, elle n’est plus sujet de l’inconscient. Elle peut tenir sur ses pieds, si je puis dire, parce que du coté homme elle trouve cette possibilité d’être sujet de l’inconscient. Je sais bien, c’est une discussion sans fin. Mais c’est quand même

Elisabeth Boisson :
Alors s’il n’y a pas d’amour elle n’y est pas du tout

Solange Faladé :
Comment elle s’en débrouille ? Mais elle s’en débrouille, par aussi, autre chose. Ne serait-ce que, parce que, elle a ce pied dans le signifiant phallus, et que ce signifiant phallus c’est quand même ce qui vient marquer ce manque dans l’inconscient. Ce S(A) barré c’est quand même par le biais de ce qui fait qu’on parle. C’est aussi par ce biais que de l’inconscient elle peut faire connaître.

Elisabeth Boisson :
Oui, mais qu’elle ait un rapport particulier au vide, bien sûr. Il est difficile d’en rendre compte. Mais quand on dit « par le biais de l’amour, elle va pouvoir être sujet de l’inconscient, il y a quelque chose ».

Solange Faladé :
Elle pourra là, ou alors il faut reprendre tout ce qui d’une femme peut être connu. Il faudrait voir ce que, avec cette mascarade, Joan Rivière nous dit.

Elle est, par le biais de l’amour, parce qu’il n’y a pas que le narcissisme, il n’y a pas que l’identité. Mais écoutez, prenons Lucie R. (14) ce qu’elle demande à son maître et patron : d’être aimé. Mais aussi c’est ce qui fait que de l’inconscient elle pourra en saisir quelque chose puisque tout ce savoir elle ne peut rien en faire. Reprenez le dialogue avec Freud. C’est Lucie R. qui m’a fait comprendre ce que le fait d’aimer, d’être aimé peut apporter au niveau du sujet de l’inconscient, au niveau de cet inconscient qui manque, et c’est quand même bien ce que Freud lui dit. Freud lui dit : « mais enfin, comment vous ne dites pas telle chose ? » Et elle dit : « mais jusqu’à ce que vous me l’ayez dit, je ne savais pas ». Or Freud fait office de quoi ? Fait office de qui est aimé et aime. Il y est en tant que sujet supposé savoir. Il y est en tant que celui qui aime. Le transfert c’est quand même de l’amour qui est apporté.

Elisabeth Boisson :
Et Lucie R., elle aime mais elle n’est pas aimée.

Solange Faladé :
Attendez, je prends bien soin de vous dire que par le biais du transfert, de ce que Freud lui apporte, le transfert est amour, il n’y a pas de doute quand on lit cette observation, Freud l’aime cette femme, mais par le biais de cet amour qu’elle perçoit, l’intérêt que Freud a pour elle, va au-delà de l’intérêt professionnel et c’est quand même ce qui lui donne, si je puis dire, un peu plus d’inconscient, ce qui fait qu’elle est plus sujet de l’inconscient, puisque ce savoir, c’est très beau ce passage de Freud, à propos de ce savoir qui lui vient à cette femme. Et lui-même, il y a cette petite note où il dit qu’il n’a jamais trouvé quelque chose d’aussi parlant que cet échange.

Marguerite Bonnet-Bidaud :
Vous avez dit, le sujet hystérique ne peut pas accéder à ce statut d’être une femme, mais alors qu’est-ce qu’une femme ? Elle est de quelle structure ?

Solange Faladé :
Elle peut au départ avoir une structure hystérique et accepter sa castration. À ce moment-là, l’hystérie pathologique n’est pas. C’est-à-dire que pour s’inscrire de ce coté femme, il faut s’accepter pouvant être objet qui soutient le désir de l’homme en tant que objet qui fait que il y a fantasme, mais tant qu’on le refuse, on est, comme dit Lacan, hors sexe, lorsqu’on est hystérique.

Annie Biton :
Est-ce que la fonction de la haine ne peut pas rejoindre quelque part la fonction de l’amour ?

Solange Faladé :
Si si.

Annie Biton :
Donc de toute façon il y a amour — haine les deux. Dans leur fonction qui est de permettre justement que quelque chose puisse être dit et que la femme puisse néanmoins devenir sujet de l’inconscient, elle aussi, et parler, ça peut être supporté par de la haine.

Solange Faladé :
Oui, c’est pour ça que Lacan fait ce jeu de mots de « hainamoration » et que Freud déjà dans — les pulsions — fait de haine et d’amour quelque chose qui se trouve sur la même pièce, si vous voulez, si la haine est d’abord ce qui est primitif. N’empêche que de l’autre côté il y aura l’amour, ne serait-ce que parce que c’est pas toujours facile à supporter la haine. Dans « pulsions et destins » (15), enfin, Freud, à propos du moi — plaisir purifié, enfin j’avais signalé le passage mais je n’y suis pas allée jusqu’au bout, fait savoir que ce qui est vécu comme méchanceté en soi va être rejeté pour qu’il y ait ce — Lust Ich —, enfin ce moi purifié, ce moi plaisir purifié. C’est-à-dire que c’est ce qui est de mauvais en soi, de méchanceté dans sa jouissance, qui est difficile à vivre, et donc haine — amour vont se trouver sur la même pièce, l’envers et l’endroit.

Claude Lecoq :
... Transfert et amour... Une patiente qu’on n’aimerait pas... ?

Solange Faladé :
C’est-à-dire que vraisemblablement ce serait quelqu’un qu’on ne garderait pas. Le transfert c’est aimer, alors, ou alors il faudrait avoir fait un tel travail sur soi que magnanime, quelqu’un qu’on aime pas, vous savez je ne vois pas comment. Le transfert, il faut pas essayer de se raconter des histoires, c’est aimer.

Alain Jamain :
Cet amour la, non plus, ne se commande pas...

Solange Faladé :
Eh bien oui. Je pense. Il y avait eu une réunion avec les Strasbourgeois et Lacan, à une question de Ritter avez dit que, vous savez en définitive on ne peut faire du travail analytique qu’avec les personnes qu’on aime. On ne voit pas comment il pourrait en être autrement, et il faut le savoir au départ pour que les limites à mettre puissent être mises quand il y a à le faire. C’est sûr que Freud aimait cette Lucie R., relisez l’observation.

Jacqueline Darbord :
Alors, cette jouissance autre, la femme, elle devient sujet du fait de l’amour ?

Solange Faladé :
Et bien c’est-à-dire que elle peut avoir le tout à la fois et savoir qu’elle jouit d’une façon autre, qu’elle a cette jouissance phallique du fait de l’organe que lui apporte l’homme, et que satisfaisant à ce qui permet au partenaire de fantasmer, elle-même en tire jouissance. Alors elle peut avoir les trois.

Jacqueline Darbord :
...Je voulais parler du transfert, justement dans cette jouissance autre et dans le fait que l’analysante vient et que finalement elle a aussi cette jouissance autre du fait qu’elle est aimée, qu’elle va devenir sujet, c’est l’analyste qui va...

Solange Faladé :
Alors, devenir sujet, elle l’est forcément puisqu’elle parle, mais elle n’est pas,

Attendez, alors Lacan apporte, enfin, cerne un peu plus les choses en disant que c’est de ce qui la clive, elle, femme, que elle pourra du fait de ce travail, saisir ce qu’il en est de cette division, puisque c’est d’abord ce qui la clive comme femme qui fait qu’elle vient.

Jacqueline Darbord :
Parce que ce qui la clive comme femme n’est pas la même chose que ce qui clive l’homme en tant qu’homme, mais elle a pourtant dit oui à la Bejahung ?

Solange Faladé :
Oui bien sûr elle a dit oui à la Bejahung. Mais l’homme parce que c’est un petit garçon au départ, et que il prend un trait d’identification chez le père qui est le même, sera par rapport à ce signifiant phallique de la parole, sera pas du même côté qu’une fille.

Jacqueline Darbord :
Parce que la femme hystérique, l’hystérique c’est tout de même quelqu’un qui aime son père, et qui va essayer de prendre elle aussi...,

Solange Faladé :
Oui, non mais elle aime son père mais elle met le doigt sur ceci qu’il est impuissant à lui fournir le signifiant qui pourrait lui permettre de savoir qui elle est. Et elle lui en veut. Elle l’aime et en même temps il y a cette ambivalence. Regardez Dora, lorsqu’elle ne peut plus se soutenir sur Monsieur K. à cause de la défaillance de son père, elle lui en veut, elle est prête à lui faire tout le mal possible, puisque son frère est obligé de la calmer, de lui dire : « écoute, quand même papa a... etc. » enfin reprenez ce passage.

Jacqueline Darbord :
... Parler de la jouissance Autre, c’est la jouissance qu’on a tout de même en tant qu’analysant du fait qu’on parle quand on va en analyse. Il y a tout de même une jouissance que l’analysant a.

Solange Faladé :
Qui a à voir avec le phallus !

Jacqueline Darbord :
Alors ça c’est une jouissance phallique ?

Solange Faladé :
Du fait que ce soit par la parole, oui. La jouissance autre c’est avec le corps mais on ne peut en rendre compte que parce qu’on parle. C’est une jouissance du corps et toutes les femmes ne peuvent pas forcément en parler puisque cette jouissance du corps a à voir avec ce signifiant qui manque au niveau de l’inconscient, mais c’est en tant que signifiant qui manque.

Jacqueline Darbord :
C’est le S(A) barré

Solange Faladé :
Oui c’est ça, mais c’est en tant que signifiant, c’est-à-dire, c’est d’ailleurs pour ça que Lacan met beaucoup plus la femme du côté de la censure que du coté du refoulement, Elisabeth ?

Elisabeth Boisson :
Mais qu’est-ce que ça

Solange Faladé :
Mais ça a à voir que pour être du côté du refoulement il faut avoir un rapport particulier à l’inconscient.

Enfin, il y a eu toute une discussion, mais si nous partons dans cette discussion entre ce qui est du côté du refoulement et ce qui est du côté de la censure ça pourrait faire l’objet d’une discussion d’une demi-journée. Ça peut valoir la peine de faire ça une fois.

Annie Biton :
Oui parce que tout de même je me posais la question de ce qu’il en est chez l’homme qui est lui aussi confronté avec cette jouissance du corps qui ne peut que se dire, mais

Solange Faladé :
Chez l’homme, cette jouissance du corps passe par son organe et uniquement par cet organe, ce qui fait la différence. Je crois que le langage populaire, il faut en tenir compte, ça dit vrai. Quand les hommes disent que les femmes jouissent autrement, ça veut dire qu’ils sentent bien qu’elles jouissent pas comme eux jouissent ! Ça, le langage populaire rend bien compte des choses.

Alain Jamain :
Il s’agit bien du corps, mais c’est peut-être qu’il y a là quelque chose... dissocié, c’est pas forcément le corps en tant que structure.

Solange Faladé :
Oui mais je pense que la recherche du pervers justement c’est de pouvoir retrouver ce corps morcelé dont vous parlez, parce que il semble que la détumescence arrête quelque chose chez l’homme, cet organe qui jouit et qui n’est plus en tant que jouissance arrête quelque chose chez l’homme. Et je pense que c’est pour ça que certaines structures veulent en savoir quelque chose et c’est ce qu’on trouve chez le pervers qui a à voir avec le corps morcelé comme vous nous le dites très justement.

Marie-Lise Lauth :
Ce que vous dites du langage populaire, ça me fait penser à : « elle fume pas, elle boit pas, mais elle cause. »

Solange Faladé :
Oui... Et c’est important de (causer)...

Le modérateur :
Est-ce qu’il y a encore des questions ?

Solange Faladé :
... On va en rester là ces choses sont allées peut-être un peu rapidement, dans la mesure où je ne suis pas revenue sur ce que j’avais pu dire beaucoup plus en détail les deux premières fois mais bon.

Marguerite Bonnet-Bidaud :
Il y a aussi une question qui n’a pas été reprise et que Annie avait posé et qui me paraît assez riche de travailler c’est le rapport avec la mort.

Solange Faladé :
Oui bien sûr j’ai fait ce qu’on pourrait appeler une pirouette en jouant sur le, en prenant le mot latin ou italien, mais enfin on peut pas non plus répondre à tout et puis peut-être je ne suis pas en mesure d’y répondre. Bon.

Annie Biton :
Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est aussi une piste de travail."


(1) « Booz ne savait point qu’une femme était là,

Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle. » Victor Hugo. La légende des siècles II .

(2) « Clinique des névroses » deuxième partie chapitre 9.

(3) collection folio numéro 1194.

(4) « L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre » Séminaire 1976 — 1977. Ornicar 17 — 18.

(5) Bartolomé Esteban Murillo : Cathédrale de Séville

(6)« se demandait » au lieu de « ne savait pas »

(7) Encore Page 73.

(8) Gilles Deleuze. Présentation de Sacher Masoch. 10.18 numéro 571.

(9) Abbé de Choisy. « Mémoire pour servir l’histoire de Louis XIV. » Mercure de France. 1983. Cité dans Clinique des névroses page 53

(10) Joan Rivière. « La féminité en tant que mascarade ». 1929 in « La psychanalyse » nº 7.

(11) Lacan. Ecrits. Page 215.

(12) Jacques Lacarrière. Marie d’Égypte. Jean-Claude Lattès. 1983.

(13) L’une bévue. Séminaire du 17 mai 1977. « pas — poâte — assez ».

(14) Freud. Études sur l’hystérie. P.U.F. 1967, Page 91.

(15) Freud. Métapsychologie. Gallimard. 1968. Page 11.

Ou voir traduction de Solange Faladé, G.Bortzmeyer, M.Wague in Documentation psychanalytique.« De la pulsion et de ses tribulations ».