Accueil / Espace membres / Archives / Solange Faladé / Pratique psychanalytique et théorie Lacanienne

Pratique psychanalytique et théorie Lacanienne

Une transcription de l’intervention de Solange Faladé à Vaucresson le 04 juillet 1992

4 juillet 1992
Document de travail

L’École de Freud ; La Chose ; l’Homme aux rats ;Pratique psychanalytique et théorie Lacanienne

"Cette année ci je n’ai pas de texte, aussi je (souhaite) simplement vous faire part de quelques réflexions, de ce que pour le moment j’ai sur le métier.

Je vais reparler de l’Ecole, l’Ecole Freudienne, non pas comme je l’ai fait, il y a deux ans où j’avais essayé de montrer pourquoi Ecole et pourquoi Freudienne, c’est à dire ce qui avait poussé Lacan à proposer pour le regroupement des analystes autre chose qu’une société, puisque vous savez que s’il y a eu société et s’il y a toujours société pour les groupes d’analystes, c’est parce que Freud craignait que sa découverte ne puisse pas être maintenue, Pourtant, malgré son expérience, et ce qu’il a apporté sur la psychologie des masses, Freud, pour conserver sa découverte n’a pas tenu compte des ces effets de groupe qu’il avait si bien analysés. C’est pourquoi devant la faillite, nous sommes obligés de le dire, des sociétés psychanalytiques, et ce que cette faillite produit dans le mouvement psychanalytique Lacan a pensé, a réfléchi, a repris ces problèmes de psychologie de groupe, de psychologie des masses.. II a pensé que c’était une école qui pouvait permettre que ce regroupement se fasse, en tenant compte de ce fait : qu’un nouveau lien social peut s’établir. ; nouveau lien social, pourquoi ? Parce que la castration est là. La castration “ a fait sujet ” dit Lacan “ à la fin d’une analyse. ” Et si la castration “ a fait sujet ”, ça veut dire que là, il n’y a pas de rapport sexuel. C’est cela qui, à la fin d’une analyse peut être saisi. A partir de cela, la groupe qui va se mettre en place, forcement aura à vivre ce qu’est cette castration.

Alors, je vais très rapidement reprendre un certain nombre de points.

L’analyste, celui qui est analyste, c’est qui ? C’est celui qui, au bout de x années, peu importe le nombre d’années, ce n’est pas cela qui compte si je puis dire, même si par ailleurs, ça compte, c’est celui qui, semaine après semaine, va faire ce travail. Ce travail fait qu’il sera confronté à ce signifiant qui le représente pour un autre signifiant. Mais vous savez que le drame de celui la qui est en analyse, c’est qu’au cours de sa cure, au cours de ce traitement, il va, par le pouvoir de la parole, se désaliéner du S1 qui le représente. Mais ce S1 qui le représente n’est pas forcément un seul S1, et lorsqu’il s’est désaliéné d’un premier S1, disons les choses comme cela, il sera confronté, avec ce qui est l’équivalent du sujet qu’il est, c’est à dire l’objet petit a. Et là dans un mouvement qui ne peut pas, dans un premier temps, être évité, le sujet en analyse va faire avec un autre signifiant, un signifiant qui le représente, et ainsi de suite pendant un certain temps, jusqu’à, nous dit Lacan, qu’il ait épuisé tous ces signifiants S1 qui le représentent. A ce moment là qui pourrait être le terme, le sujet va, si l’analyste ne tient pas sa place d’analyste, le sujet va s’efforcer de prélever sur son analyste, un trait d’identification qui va lui permettre d’éviter cette confrontation avec la castration, c’est à dire, va faire qu’à nouveau un signifiant, un signifiant va pouvoir le représenter, un signifiant qui va le mettre à l’abri de cette confrontation avec cet objet de déchet, ce petit a qui est l’équivalent du sujet qu’il est.

C’est pourquoi Lacan s’est dans un premier temps élevé contre ce risque qui guette l’analyse, qui est qu’au terme de ce qui devrait être l’analyse, au terme de son parcours, l’analysant ne s’abrite derrière quelque identification avec son analyste.

C’est pourquoi il est important que l’analyste tienne sa place, d’une façon telle qu’il puisse être délogé de cette position d’idéal, de cette position d’idéal du moi où le sujet en analyse le place, pour qu’il puisse y avoir effectivement la chute des identifications et que le sujet soit confronté avec cet objet petit a, et que de cette horreur qui le porte, qui est horreur du savoir, il puisse accepter cette vérité qu’il n’y a pas de rapport sexuel.

Ceci se fait, peut se faire, si il n’y a pas eu cette identification, si le sujet confronté à la castration peut franchir le fantasme, c’est à dire ce S barré poinçon petit a ; S’il y a cette disjonction du petit a et du sujet, du grand S barré, si ce franchissement a pu se faire, Lacan dit, en s’appuyant sur l’expérience de l’analyse donc ce n’est pas vitupération, dit que là forcément il y a de l’analyste. Et c’est parce qu’arrivé à ce point à ce terme de ce parcours, parce que là, ce franchissement a pu se faire, qu’il y a de l’analyste. Lacan dit tout haut que là le psychanalyste s’autorise de lui-même. Le psychanalyste ça veut dire l’analysant qui est arrivé jusqu’à ce point de franchissement où il est confronté avec ce qui est l’objet, l’équivalent du sujet qu’il est. L’analyste à ce moment là peut vivre avec cet objet a.

Ça veut dire quoi qu’il y a de l’analyste ? Ça veut dire que celui la qui vient de franchir ce fantasme, celui là, s’il décide de prendre cette position d’analyste à son tour, il sait être le rebut. Et c’est un point qui mérite d’être étudié.

J’avais été interpellée par une personne, en septembre, sur ce passage de la lettre que Lacan avait envoyé aux Italiens où il dit que l’analyste c’est – “ être de rebut ” – ; cette personne m’avait posé la question par rapport à la structure perverse. Cette personne n’est pas là aujourd’hui. Elle est intéressée par le mondial des psychanalystes, qui doit se tenir à la fin de ce mois. Enfin, ce sont des choses qui font rire. Il vaut mieux vite fermer la parenthèse et ne pas s’y attarder. Cette personne n’est pas là. Je ne vais pas m’appesantir sur ce que Lacan veut dire.

Mais l’essentiel c’est que savoir être le rebut pour celui là qui devient analyste, ça veut dire savoir qu’il est objet petit a. Il sait qu’il est cet objet petit a, et que c’est en tant qu’objet de rebut qu’il prend cette position. Le sachant, il devient, dit Lacan - sujet pur clivage – c’est à dire qu’il n’est pas là en tant qu’objet qui va masquer sa division de sujet. Au contraire, ayant mis au travail cette division, c’est avec cette division aussi qu’il est dans cette position d’analyste.

Ce qui change tout à fait par rapport à la structure perverse puisque le pervers, lui, lorsqu’il est objet petit a, lorsqu’il est regard ou lorsqu’il est voix, le sujet pervers, ce n’est pas en tant que le sachant, qu’il l’est. Il fait l’objet petit a. Il fait l’objet petit a pour masquer sa division. Ce qu’il ne veut pas savoir c’est qu’il est sujet divisé. Et c’est ce qu’il refoule. Donc on ne peut pas absolument dire qu’il y a là quelque chose qui a avoir avec le sujet pervers.

Alors donc, lorsqu’on est arrivé à ce point de franchissement, à ce point où il peut y avoir de l’analyste, un regroupement peut se faire avec ceux - la qui ont pu faire ce parcours, puisqu’il y a eu cette chute des identifications comme je l’ai expliqué très longuement il y a deux ans, je crois. Et puis surtout, il n’y aura rien d’un pouvoir qui viendra s’étayer sur quelque savoir. Ceci Lacan le dit très tôt dans son enseignement,en particulier dès 1955 dans les variantes de la cure type. Il faut se rappeler que ces variantes de la cure type, lorsque cet article a été produit par Lacan pour l’encyclopédie, c’était pour répondre à l’article de Bouvet qui était la cure type.

Dans ses variantes de la cure type, Lacan dit que le savoir que l’analyste vient là d’acquérir ne confère aucun pouvoir. Et c’est bien ça qu’il faut essayer dans un groupe d’analystes, de réaliser : un groupe où de la castration, on a fait l’épreuve. La castration dont il s’agit, castration symbolique, n’a rien à voir avec quoi que ce soit qui serait, nous dit Lacan d’avoir ses génitoires entre ses mains et de devoir aller face à soi vers l’Occident vers le couchant. C’est tout à fait autre chose. Lorsqu’ils ont été confrontés avec ce qui est leur castration, alors, entre ceux de ce groupe, peut s’échanger un lien, un lien social. Il sera tel que, bien que, ni savoir ni pouvoir ne se dégage, la loi de la castration fera qu’il n’y aura pas quelque chose de l’ordre de l’anarchie ; chacun se soumettra à cette loi qui est la loi de la castration. C’est cela qui fait que dans un groupe d’analystes, parce qu’on s’accepte avec ce qui est sa castration, on peut progresser ensemble dans ce qui est le psychanalyse.

C’est une tache difficile, nous le savons. Nous nous efforçons de la réaliser dans ce groupe. Comme tout ce qui est humain, c’est toujours difficile à réaliser surtout lorsqu’on est touché aussi radicalement qu’on l’est dans ce qui est sa castration.

L’Ecole peut être le lieu où la psychanalyse se fait, peut être aussi un lieu ouvert, un lieu qui accepte des correspondants, des invités, c’est à dire des non-analystes, parce que l’échange est possible à condition que soit respectée ce qui est la loi de la castration.

Alors bien sûr, l’Ecole ! Je me souviens que dans les années 81 -82 où se disloquait l’Ecole Freudienne de Paris- je ne vais pas revenir sur ces moments que nous avons vécus - quelqu’un me disait : Je crois savoir que vous, vous êtes du coté de l’Ecole de Freud. Cette personne avait entendu dire qu’avec quelques autres nous essayions de mettre en place l’Ecole Freudienne. Dans cette naïveté qui m’a beaucoup touchée, elle a appelé cette école qui allait se fonder, se créer : l’Ecole de Freud. Effectivement, puisse faire que nous arrivions à faire de notre Ecole Freudienne l’Ecole de Freud !

Un autre point que j’ai sur le métier, dont je voudrais vous parler ce matin rapidement, qui concerne l’apport de Lacan. La tendance actuelle, et elle s’accentue, c’est de faire de Lacan un penseur. Très bien. Merci pour lui ! Mais si on se souvient de ce que Freud avait dit, combien il s’était élevé contre le fait qu’on voulait en faire un penseur comme tous les autres penseurs, il y a peut être à réfléchir sur ce que nous voulons là, faire, réduire de l’apport de Lacan. Freud, dans“ Une difficulté de la psychanalyse ”, avait reconnu, et il ne s’en privait pas, qu’il avait eu des précurseurs et en particulier un, Schopenhauer qui a parlé de l’inconscient. Mais, disait-il, Schopenhauer en fait n’a dérangé personne. Ce que Freud, lui, a apporté, nous dit Lacan, dérange parce que quelque chose du narcissisme de l’homme est là, touché, de penser qu’il n’est pas maître de ses pensées et qu’à son insu il agit. Ceci, dit Freud, dérange beaucoup.

Si Lacan dit que, par le biais de sa découverte par Freud,, l’inconscient, dérange, c’est parce que, à partir de sa pratique de l’exercice de la psychanalyse,il arrive à cette conclusions.

Je pense qu’il ne faut pas oublier que ce que Lacan nous a apporté c’est aussi à partir de l’expérience de la psychanalyse. S’il y a rencontre avec Hegel, Heidegger, et les autres, bon, ce ne sont pas eux qui ont inspiré Lacan, mais sa pratique. S’il est venu à nous parler de la Chose, ce n’est pas parce que Heidegger a produit un travail sur la Chose.

Il se trouve qu’il y a eu là, rencontre. Ce que lui a saisi, par son expérience quotidienne, lui a fait dire que le sujet de la parole, l’être parlant, au moment où il vient à parler à accepter cette parole va f, du fait même qu’il parle, comme le potier, mettre en place quelque chose qui fait barrière, barrage avec cette jouissance dans laquelle il était. Ce faisant il met en place quelque chose autre que l’Autre du langage, et ce quelque chose, Lacan l’appelle la Chose. Ce n’est pas parce que Heidegger a publié quelque chose sur la Chose, mais parce que, dans Freud, il a retrouvé cette différence que fait Freud entre le Das Ding la Chose et le die Sache qui a avoir avec les choses, les activités humaines. Ce n’est pas du tout pareil, die Sache et Das Ding… Ce das Ding, cette Chose, c’est véritablement la pratique de chaque jour qui a amené Lacan à bien préciser ce point. C’est important. Chacun de nous a peut être rencontré tel ou tel malade de la Chose, et croyez moi : savoir qu’il peut y avoir là par rapport à la Chose lorsqu’il y a risque d’effraction de cette barrière il peut y avoir une maladie grave - - et ne pas confondre avec une simple phobie, peut éviter que la cure soit gauchie.

Un point encore, toujours à propos de ce que Lacan a apporté, c’est au sujet de tout ce qu’il a pu nous dire avant qu’il ne parle du sujet divisé.

Je crois qu’il faut y regarder de plus prés. Le sujet de la parole est certes un sujet pas divisé, mais si Lacan a parlé du sujet de la parole, il faut savoir que c’est parce que, dans une cure, on rencontre ce sujet de la parole. Lui-même nous dit que c’est l’expérience de l’analyse qui lui fait nous apporter ce qu’il pouvait dire à cette époque du sujet de la parole. Le sujet de la parole, qui est-il ? C’est celui-là qui répond aux lois de la parole. Les lois de la parole, ce sont les commandements, ces commandements du décalogue, et on trouve dans ces commandements, on trouve le – tu aimeras ton prochain comme toi-même.

A propos du sujet de la parole, lorsqu’en analyse, les personnes se présentent, se présentent (inaudible) avec ce qui intéresse le sujet de la parole, vous savez très bien qu’on commence par parler de ce prochain qu’on est. Chemin faisant, on s’aperçoit de quoi ? On s’aperçoit, mais laissons parler là saint Augustin, on s’aperçoit que ce prochain, c’est cet enfant qui est à ma place, c’est celui là qui est appendu à ce sein qui m’appartenait.

Alors, le mouvement, nous dit saint Augustin, lui qui l’a vécu, c’est la haine, c’est l’envie qui se dessine sur son visage. Et dans le texte qui nous est apporté par saint Augustin, il est dit que l’enfant ne parlait pas. Dans certaines traductions on dit : ne parlait pas encore. Et lorsque j’ai eu à faire un travail pour le professeur Basquin (04 juin 1991) j’ai voulu commencer par la différence entre – fari – qui est du coté de l’infans et – loquor -. Je ne l’ai pas fait parce que les traductions qu’on a mentionnaient : : ne parlait pas encore. En fait Lacan dit : Il présentait cette haine, cette envie bien que ne se servant pas de la parole. C’est à dire que ce n’est pas un infans, ce n’est pas quelqu’un qui ne parle pas encore, c’est bel et bien quelqu’un qui est dans la parole et qui voyant celui-là, à sa place, le haït. Et Freud nous dit qu’avant l’amour, il y a la haine et que l’amour ne vient que doubler la haine.

Alors comment ce sujet de la parole qui vient à nous et qui se présente comme celui la qui est son prochain, comment peut il arriver à saisir qu’en fait, il le hait d’abord, et que dans un deuxième temps peut être il l’aimera ? Eh bien, nous dit Lacan, c’est parce qu’il y a l’inconscient. Lacan dit dans Fonction et champ de la parole : l’inconscient c’est cette partie du discours concret qui manque au sujet pour avoir accès à la continuité de son discours. Cela veut dire que lorsqu’il nous parle du sujet de la parole qui est certes un sujet pas divisé, il y a un complément, Il y a cet inconscient et c’est par le biais de cet inconscient que ce sujet va en fait pouvoir savoir ce qui est véritablement son discours.

Le sujet de la parole, nous avons eu l’occasion de le rencontrer cette année avec l’étude de l’Homme aux rats., Il y a un moment, ce moment où tout va basculer dans sa vie, lorsque le capitaine A, le capitaine cruel, vient lui dire : “Tu rendras au lieutenant A, les couronnes que tu lui dois ” Vous savez que ce capitaine cruel a pris une toute autre dimension dans sa vie : de grand Autre barré n’ayant pas d’existence ni de jouissance, il est véritablement devenu un grand Autre qui jouit avec ses histoires de supplice. Lorsque donc ce capitaine cruel vient lui dire “ tu rendras au lieutenant A, les couronnes que tu lui dois ”, la première réaction de l’Homme aux rats, réaction qu’on pourrait dire sensée, est de se dire : “ Tu ne rendras rien du tout aussi longtemps que les poules n’auront pas des dents ”. Plus exactement il se dit sous une autre que quand son père aura des enfants, (son père mort) et la dame de ses pensées (qui est présentée comme ne pouvant pas avoir d’enfants), auront des enfants, alors il paiera le lieutenant A. Puis il y a un mouvement en lui qui fait que lui-même prend sur lui, ce qui lui vient là de ce grand Autre, et il se dit : “ Je rendrai au lieutenant A cette somme ”. - A partir de ce moment là vous savez ce qu’est devenue la vie de l’Homme aux rats.

Il se présente véritablement comme ce sujet qui se pose la question de son existence mais qui se pose la question de l’ineffable, de la stupidité de son existence. Souvenez vous. Les grandes manoeuvres se terminent ; c’est lui qui doit faire le toast d’adieu. Il ne sait plus quoi faire. Il se pose véritablement la question de son existence. Et il met en place un véritable stratagème qui serait d’un grand ridicule, si on se mettait à juger ce que cet homme met en place. Il sait qu’il ne doit rien au lieutenant A ; le capitaine B lui a dit que selon la dame de la poste, personne n’était venu payer pour son pince nez. Il sait qu’il ne doit rien au lieutenant A, mais il lui faut absolument trouver un moyen pour que cet argent arrive jusque dans les mains du lieutenant A, (qui lui a pourtant déjà dit qu’il ne lui devait rien). pour que celui- ci le lui rende. Il s’adresse alors à celui qui jusque là était vaguemestre, (mais ne l’est plus) qui, peut être, ira à la poste. Il se dit : “ Oui je dois aller à la poste mais je ne sais pas si... ” Enfin bref, reportez vous à cette observation de l’Homme aux rats.

Véritablement, dans ce temps, c’est au sujet de la parole auquel on a à faire, ce sujet qui se soumet au commandement venant de l’Autre : “ Tu rendras au lieutenant A l’argent. ”

A ce moment là, s’il n’y avait pas eu Freud, s’il n’avait pas pu faire ce travail sur son inconscient, il n’aurait jamais pu comprendre pourquoi il lui était impossible, à lui, Homme aux rats, de se rendre à la poste Car il pouvait le faire, d’aller payer sa dette là où il avait à la payer, c’est à dire à cette dame de la poste qui avait avancé l’argent. Il ne pouvait pas le faire justement à cause de ce qui est là, dans son inconscient, dans le discours, reprenons les termes là de Lacan - discours concret - qui est le sien. Ce discours concret a à voir avec la dette de son père. La façon dont son père s’est comporté vis à vis d’une certaine dame, fait que, parce que une question de dette lui a été proposée, il ne sait plus comment faire. Il n’a plus du tout accès à la continuité, reprenons les termes de Lacan dans Fonction et champ de la parole et du langage, à son discours concret. Il faut le travail sur l’inconscient pour qu’il saisisse qu’il ne pouvait pas, parce qu’il était question de dette, aller rendre à cette dame l’argent qu’il devait. Il le pouvait d’autant moins qu’à retourner dans ce lieu il allait être confronté à deux dames : elle, la dame de la poste, et la fille de l’aubergiste qu’il avait trouvée plaisante. Il se trouvait alors dans une situation qui était celle de son père avec une dette à rembourser, avec un choix à faire entre ces deux dames. Parce que ceci lui échappe totalement, lui l’Homme aux rats, va, pendant ces derniers jours des manoeuvres, mener ces choses insensées que nous connaissons, qui vont le mener jusqu’à Freud.

Alors c’est pourquoi je trouve tout à fait dommageable pour l’analyse et pour la pratique de l’analyse d’oublier que ce que Lacan a apporté ce n’est pas fonction de ceci ou de cela, de tel ou tel auteur. C’est l’expérience de l’analyse comme il nous dit dans “ Question préliminaire ”, qui lui fait nous proposer ce qu’il nous propose. Lorsqu’il nous parle du sujet de la parole, il ne faut pas du tout penser que nous n’avons plus à faire à ce sujet de la parole parce que, un peu plus loin, il peut nous dénommer, nous décrire ce qu’est le sujet de l’inconscient, sujet divisé certes parce que l’inconscient est structuré comme un langage. Ce n’est pas parce qu’à un moment de son parcours il peut nous apporter toutes ces précisions que ce qu’il a apporté jusque là est caduc. Ce qu’il a apporté jusque là a sa racine dans son expérience.

Enfin, le temps avance ! Peut être vaut-il mieux que je m’arrête là. J’aurai l’occasion de reprendre une autre fois ce thème, ce thème qui actuellement me tient à cœur parce que si nous ne faisons pas attention dans notre façon d’aborder Lacan, si nous oublions que c’est à partir de l’expérience de la psychanalyse, à partir de sa pratique, qu’il nous propose ce qui est la théorie, on dit maintenant, Lacanienne, mais qui est (simplement) psychanalytique, nous risquons vraiment de faire que la psychanalyse ira à la dérive."