Avril 1992
Document de travail
"En hommage à Françoise Dolto, je me suis dit qu’après tout, pourquoi ne pas vous réserver, à vous, la primeur de ce que je dirai demain ? Et la chose ne tombe pas si mal, puisqu’un certain nombre de personnes qui viennent le mardi, autour de la clinique des névroses, n’ont pas compris pourquoi j’ai abondé dans le sens de Freud qui, dans son commentaire sur le petit Hans, disait et écrivait que si lui, Freud, avait été le thérapeute du petit Hans, il aurait apporté un certain nombre de vérités. Il a même dit qu’il n’aurait pas hésité à faire de la pédagogie, et en particulier à faire savoir à cet enfant qu’il existe un vagin.
Alors c’est par là que je vais commencer. C’est pourquoi j’ai inscrit ce que vous pouvez lire au tableau. J’ai inscrit un certain nombre de points de cette observation du petit Hans, et lorsque j’en ai parlé mardi, j’ai fait remarquer que cela constituait en fait le savoir du petit Hans. Le savoir n’a rien à voir avec les connaissances. Il n’y a pas de doute que le petit Hans, qui suivait partout sa mère, avait pu par le regard voir que sa mère n’a pas de pénis.
Mais ce qui va constituer son savoir, c’est ce qui, par les dits de la mère, au cours de son interrogation si je puis dire, va là s’inscrire dans son inconscient. Et ce qui s’inscrit dans son inconscient va aussi dans le sens de ce qui le préserve de la castration. Donc il y a ce savoir qui est là inscrit, et qui n’a rien à voir avec des connaissances. Et si un traitement s’était fait avec le petit Hans, la question de la pédagogie se serait posée, la question de ce que Freud appelle pédagogie. La pédagogie n’a rien à voir avec quelque éducation que ce soit, sexuelle ou pas. Rien du tout. La pédagogie, c’est conduire un enfant quelque part. Eh bien, au petit Hans racontant son histoire, son interrogation - " maman dit qu’elle a un fait-pipi ; je pensais que... " et il ne termine pas - à ce petit Hans, l’analyste, celui qui est en position d’analyste, d’agent, est tout à fait autorisé à dire : " le petit Hans pensait que maman a un tutu, et le petit Hans a raison".
C’est ça la pédagogie, c’est ça, en fait apporter quoi ? Apporter un savoir. Un savoir qui va s’inscrire au lieu de la vérité, et un savoir qui est là marqué de la castration. Parce que dire au petit Hans : oui il a raison de penser que maman a un tutu et non pas un fait-pipi, ça veut dire quoi ? Lorsqu’au cours de cette observation, il nous dit que sa soeur, la petite Anna, a un fait-pipi qui va grandir, ça veut dire que non : pas plus Anna que maman n’aura un fait-pipi qui va grandir. C’est-à-dire que la question de sa propre castration à lui, Hans, que son interrogation sur son fait-pipi va être là barrée.
Et c’est dire au petit Hans qu’il y a, parmi les êtres vivants, ceux qui ont un fait-pipi, et ceux qui ont un tutu. Puisque c’est lui-même, le petit Hans, qui, dans cette observation, lorsque le voyant toucher son fait-pipi, sa mère lui dit : " oh laisse ça, c’est pas beau, c’est sale, on va te le couper ", c’est lui qui n’est nullement dérangé. Il dit simplement : moi, j’aurai maintenant un tutu. C’est-à-dire que pour le petit Hans au départ, qui n’a pas de fait-pipi a un tutu. Mais avec la position de la mère, de la mère qui se fait connaître à lui avec ce qui est son désir, d’avoir cet objet qui lui manque, elle ancre le petit Hans dans ce qui fait que lui-même ne met pas en jeu son propre fait-pipi d’une façon telle que la castration sera marquée.
Apporter la pédagogie c’est apporter du savoir, et du savoir qui va se mettre en position de vérité. C’est-à-dire faire en sorte que puisse commencer à s’écrire, ce qui de la castration va se faire savoir au sujet.
Je continue l’observation du petit Hans. Sa soeur naît et vous savez tout ce qu’on lui a raconté comme histoire, que c’est la cigogne qui a apporté l’enfant... le petit Hans n’est pas tellement dupe. Il fait remarquer que cette nuit-là un monsieur est venu, un monsieur qui est en train de se laver les mains, un monsieur qui a sa trousse. Bref, il fait savoir qu’il n’y croit pas tellement. Mais n’empêche, c’est quand même ce que les parents lui disent. Et il continue autour de cette arrivée des enfants, il continue, il dit : oui mais enfin, Anna était dans une caisse et venait avec nous à Gmunden.
Et d’ailleurs à ce moment-là, qu’est-ce qu’elle mangeait ? Elle mangeait des harengs ; elle mangeait comme nous. Bon il continue, continue toujours autour de cette arrivée de la petite Anna.
Et c’est là qu’il troue la poupée avec pas n’importe quel canif, je crois que c’était le canif de son père. Et c’est à ce propos que Freud dit que l’existence du vagin aurait pu être communiquée à l’enfant.
Ça veut dire que si les parents qui étaient si admiratifs de la découverte freudienne, avaient été dans cette position d’analyste, dans cette position d’analyste où quelque chose de la castration est venu marquer l’analyste, ils auraient pu répondre à leur enfant autre chose que ce qu’ils ont répondu, parce que leur propre castration aurait été en tout cas assumée. Alors, que nous dit Freud ? " Eh bien, moi j’aurais dit qu’il y avait l’existence d’un vagin ".
Et pourquoi ? Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette observation, Freud dit : il y a tout ce qui concerne le " loumf ", c’est-à-dire le caca qui vient d’une certaine façon par ce trou que l’enfant connaît, l’anus. Et là on peut faire référence à la théorie sexuelle des enfants, où on pense que c’est par ce trou-là que vient l’enfant.
C’est dire quoi encore ? C’est dire qu’en lui révélant qu’il y a un trou autre, c’est le mettre aussi en face de la castration. C’est lui dire qu’il y a à renoncer à l’intérêt qu’il peut avoir pour ce qui est de ce trou qu’il connaît et qui est l’anus. Bref, apporter quelque chose de l’ordre de la pédagogie, c’est apporter du savoir, et du savoir qui se met en position de vérité.
Et croyez-moi, ça ne peut pas être quelque chose de l’ordre d’une recette, vous comprenez. Parce que si on n’est pas là en position d’analyste, si on y est en tant que psychothérapeute, terme tellement galvaudé aujourd’hui, mais psychothérapeute ne s’étant pas soumis lui-même à ce qui va être la question de sa castration, qu’est-ce qu’on va répondre à l’enfant ? Vous savez quelque chose du genre de : tu sais le papa a mis la petite graine, etc.... c’est-à-dire qu’on va penser que ce que l’on dit a à voir avec le savoir, le savoir en position de vérité et il n’en sera rien. Et je peux vous dire que bien souvent des psychologues qui viennent me parler de leur travail, des psychologues qui ne se sont pas soumis à un traitement analytique, alors qu’ils pensaient éclairer l’enfant, les mettent bien souvent dans un moment de confusion.
C’est-à-dire que ça ne peut pas être de l’ordre d’une recette et c’est ce qui faisait notre étonnement, l’admiration que nous avions pour Françoise Dolto lorsque dans ses traitements avec les enfants, traitements qu’elle faisait devant nous, elle avait comme cela des paroles fulgurantes de vérité, et qui faisaient qu’une vacillation pouvait être notée dans le traitement en cours avec les enfants. Donc cette question de pédagogie, il faut savoir que ça ne peut pas se faire n’importe comment.
J’en viens maintenant à ce que je pense dire demain autour du travail de Françoise Dolto, ce que moi j’ai retenu, et qui est ce qui me dirige toujours dans le traitement que je fais avec les enfants.
Tout d’abord il y a eu cette chose remarquable, cette chose sur quoi Françoise Dolto a insisté, c’est le travail qui doit se faire dans un temps préliminaire. Et ce travail doit se faire avec beaucoup de soin. Il faut dire que lorsqu’elle parlait de cela, c’était quand même dans les années 50 où toute la théorisation de Lacan ne nous était pas encore connue comme elle l’est maintenant.
Donc ce travail dans ce temps préliminaire se fait avec les parents ; et elle insistait sur ceci : si l’enfant est amené par la mère seule, il faut faire savoir à cette femme que si le père ne donne pas son accord, ne fait pas savoir qu’il veut que ce traitement se fasse, le traitement ne se fera pas. C’était déjà quelque chose de révolutionnaire lorsqu’elle nous en parlait, car ça ne se disait pas du tout comme cela. Cette place qu’elle donnait au père, et son importance pour ce qui devait découler du traitement, selon qu’on acceptait que l’enfant soit amené par la mère seule, ou qu’au contraire la mère acceptait que le père fasse savoir sa décision concernant l’enfant, écoutez, c’était quelque chose qui ne se disait pas du tout.
Donc, dans ce temps préliminaire, dans ce premier contact avec l’enfant et le parent qui amène l’enfant - c’était souvent la mère - il y avait d’abord l’importance de la place donnée au père. Puis le travail préliminaire se mettait en place.
Ce travail préliminaire c’était faire savoir par la bouche des parents, à l’enfant, pourquoi ils avaient décidé, avaient pensé qu’il avait besoin de venir voir un médecin comme nous - enfin c’est ainsi qu’elle parlait - qu’il devait voir un psychanalyste, un psychothérapeute, et c’est un point tout à fait important sur lequel elle s’attardait longuement. Les parents avaient à faire entendre à l’enfant, de leur propre bouche, ce qui pour eux faisait que ça n’allait pas, que ça ne tournait pas rond.
Donc l’enfant entendait, et de la bouche de la mère, et de la bouche du père, ce qui dérangeait les parents et qui faisait qu’on amenait cet enfant. Une fois que ceci avait pu se dire, et se dire aussi explicitement que possible, Françoise Dolto demandait à l’enfant, lui, ce qu’il pensait de ce que ses parents venaient de dire. Et ceci devant les parents. Et c’est un point important que les parents entendent également de la bouche de l’enfant ce que lui, l’enfant, pense, de la position des parents.
Position des parents le concernant et concernant ce qui dans son comportement les dérange.
Au cours de ce temps préliminaire, un certain nombre de renseignements était demandé, dans ce qui se jouait dans la famille ; on demandait le rang de l’enfant, le premier né, comment son arrivée au monde s’était faite, tout cela se parlait ; et puis Françoise Dolto demandait aux deux parents de la laisser seule avec l’enfant. Nous étions là. Et c’est à ce moment-là que Françoise demandait : " bon, tu as entendu ce que tes parents ont dit. Tu leur as dit telle chose. Maintenant toi, dis-moi ce que tu penses. Est-ce que ce que demandent tes parents, ce que disent tes parents, est-ce que toi, ça te dérange ? " Et selon la réponse de l’enfant, la conduite à tenir variera, c’est-à-dire que déjà là, Françoise Dolto prépare cet enfant à prendre en charge ce qui va se faire. Elle va l’aider à dire quelle est sa souffrance, si souffrance il y a, à dire si c’est seulement les parents qui sont dérangés par ces comportements de l’enfant, ou si du côté de l’enfant également il y a souffrance.
Aider l’enfant à exprimer cette souffrance, ce premier temps est toujours très long. Peu importe si cela se fait en une fois, deux fois ou trois fois. Et ensuite, il y a à entendre les deux parents, et puis chaque parent séparément. Et puis, à reprendre, si je puis dire, l’entretien avec ses trois protagonistes, et essayer de faire dire de la part des parents ce qui est propre à chacun d’eux concernant cet enfant et aussi de faire entendre aux parents ce que l’enfant a à dire concernant son mal à vivre.
Ou encore après tout, le parent peut être dérangé mais pas l’enfant, c’est une chose qu’il ne faut pas oublier.
Prenons ce cas où l’enfant n’est pas mal du tout, où ce qui dérange les parents ne le dérange pas. Quelle décision prendre, puisqu’il y a à tenir compte de l’enfant souffrant, et que l’enfant nous dit qu’il ne souffre pas ? Ça ne s’arrête pas là,... ça ne s’arrête pas là du tout.
Et sur ce point je vais insister, car souvent j’ai entendu dire : " eh bien puisque l’enfant dit que ça va, etc.... pourquoi faire un traitement ? " II n’y a peut-être pas de traitement à faire, mais il n’y a sûrement pas à arrêter là la consultation, c’est-à-dire ce travail de débrouillage du premier temps. Il y a à voir avec l’enfant, et j’ai souvent entendu Françoise Dolto le faire, voir avec l’enfant ceci : " toi, tu dis que ça va bien, et tes parents disent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Peut-être qu’on peut essayer ensemble de voir pourquoi eux pensent que ça ne va pas, et ce qui fait que toi, tu trouves que ça va ".
Ça fait partie du travail préliminaire. Au bout de ce temps qui sera plus ou moins long, les parents sont revenus avec l’enfant, et peut-être sera-t-il décidé alors qu’il n’y aura pas de traitement. Qu’il n’y aura pas de traitement, et que c’est avec les parents qu’il y aura quelque chose à faire ; pas forcément les deux parents, peut-être l’un et pas l’autre, peut-être l’un et l’autre également.
Si le travail se fait avec l’enfant, ça ne veut pas forcément dire que rien ne doit se faire avec l’un ou l’autre parent. Mais ceci va se décider et selon ce qui nous est présenté : soit en faisant savoir à l’enfant que lui a besoin d’être traité, mais que peut-être son parent aura besoin aussi de l’être ; ou peut-être en ne faisant pas savoir à l’enfant que tel parent a besoin d’être suivi.
Dans tout ce qui nous était apporté par Françoise Dolto, il y avait ceci qui était important (et qui a été théorisé plus tard par Lacan) dans son interrogatoire, dans cet échange qui se faisait entre parents-enfant, enfant-parents : savoir comment le savoir avait été apporté à l’enfant. C’est-à-dire ce que plus tard Lacan dans son séminaire D’un Autre à l’autre a théorisé. Eh bien, c’est ça que, patiemment, Françoise Dolto s’efforçait de faire dire aux parents, dans un premier temps : comment l’enfant était accueilli, etc.... comment ce savoir inconscient s’était dit chez les parents. Puis par rapport à tout ce qui peut apporter satisfaction à l’enfant, satisfaction aux parents, comment ceux-ci se comportent. C’est ce que Lacan appellera la jouissance. Mais déjà dans le temps de cet entretien, Françoise Dolto avait ce souci.
Alors voyons maintenant l’échange avec chacun des parents : avec chacun des parents, ensemble mais toujours séparément. J’insiste sur ce toujours séparément.
La mère sera entendue, le père sera entendu, et Françoise Dolto va s’efforcer de voir comment ça s’est joué pour eux, ce qu’ils peuvent en dire, ce qu’ils peuvent dire de ce qui s’est passé pour eux, entre eux et leurs propres parents, de ce qui dans leur vie a pu clocher selon eux. Et c’est avec tout cela qu’une décision sera prise.
Alors je crois que c’est important ; c’est important de voir quelle était la démarche de Françoise Dolto, surtout maintenant où on nous parle de cette thérapie familiale. Elle convoquait, c’est vrai, les parents, les deux parents. Elle attendait que les deux parents puissent venir, séparément ou ensemble, selon la famille au moment où l’enfant venait. Elle les convoquait, elle les entendait ensemble, elle entendait les trois séparément. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ça n’a rien à voir avec la thérapie familiale... ce n’est pas par ce qui sera asséné à l’enfant venant de la bouche des parents à tel moment - puisque c’est ainsi que ça se passe - que quoi que ce soit d’un traitement va être mis en place.
En fait, que fait Françoise Dolto ? Françoise Dolto préparait l’enfant, c’est-à-dire celui qui doit être pris en traitement, à pouvoir mettre au travail ce qui l’a fait sujet. Elle avait besoin de savoir, et nous avons besoin de savoir ce qui, comme signifiant, a pu aliéner l’enfant. Ce qui importait, ce n’était pas tellement ce que les parents allaient dire : c’est ce qui a aliéné l’enfant qui peut faire comprendre sa souffrance d’aujourd’hui et son symptôme. Donc ça n’a strictement rien à voir, une fois de plus, avec la thérapie familiale. C’est très exactement ce que plus tard, avec la mise en place du sujet et du symptôme, avec le sujet barré par le signifiant, Lacan nous enseignera.
C’est-à-dire qu’il est important de savoir ce qui, dans le champ du grand Autre, s’est dit de lui avant qu’il ne soit.
Prenons le cas de l’Homme aux rats : qu’est-ce qui s’est dit de lui ou pas de lui avant qu’il ne soit ? Il y a eu la dette du père, la conduite lâche du père. Et ça va marquer ce sujet, Homme aux rats, comme on va le voir plus tard. Donc ça a besoin de se dire, ça a besoin d’être entendu par qui va prendre l’enfant en charge : mais il faut aussi le faire dire aux parents. C’est-à-dire que les parents vont pouvoir prendre conscience (le mot n’est pas bon, mais je n’en ai pas trouvé de meilleur pour l’instant), vont pouvoir se rendre compte, de ce qui peut-être aliène leur enfant, et ce, à son insu : c’est-à-dire là où eux aussi sont responsables.
Donc le travail de Françoise Dolto, c’est de faire en sorte que ce qui a aliéné l’enfant, puisse dans un premier temps être entendu des parents. Pas forcément en présence de l’enfant ; parfois en présence de l’enfant. C’est-à-dire que là il n’y a aucune recette. Ça ne peut pas être automatique. C’est chaque fois le thérapeute qui doit savoir ce qu’il fait. Mais ce qui est pris en compte par Françoise Dolto, c’est ce qui aliène l’enfant, ce sont des signifiants venus du champ de l’Autre qui aliènent l’enfant. Et ce n’est que lorsque ce travail est fait, que l’enfant va pouvoir être mis en position de travail, y être avec ce qui le divise ; car ce temps préliminaire permet aussi à l’enfant de pouvoir être dans ce qui est sa division. Et croyez-moi, ça se sait ; ça se sait, et le moment où cette décision sera prise, est un moment important. L’enfant est pris en traitement. Ce que les parents doivent savoir, ils le savent. Si les parents doivent eux aussi se prendre en charge, ça se décide.
Et à partir de ce moment-là, le travail se fait avec l’enfant, avec ce que du secret, doit être signifié à l’enfant par rapport à ce qui par la suite, sera nécessaire, s’il y avait à suivre les parents.
Alors le travail avec l’enfant : le travail avec l’enfant, c’est aussi un cadre que Françoise Dolto a bien défini. Maintenant on ne s’en rend plus compte, mais il faut bien se dire qu’à l’époque, encore plus que maintenant, on était avec des tas de choses quand on entrait dans la salle de traitement : des coffres de ceci, des boîtes de je ne sais quoi, enfin j’en passe... Françoise Dolto mettait l’accent sur ceci : la règle doit être la même que pour l’adulte. Et la règle pour l’enfant, c’est de dire qu’il est là aussi pour dire tout ce qui vient. Il peut faire un dessin, il peut faire un modelage, et puis on en parle. C’est-à-dire que ce qui est dessiné, on ne sait jamais d’avance ce que c’est. Tant que l’enfant n’a pas mis un nom sur ce qui est dessiné, quel que soit le dessin, même si nous pensons savoir ce qui est sur le dessin, nous ne pouvons le savoir que lorsqu’un enfant nous l’aura dit. Et croyez-moi, on a des surprises !... on pense qu’il y a une telle évidence... quelle que soit l’évidence de ce qui est sur la feuille de papier, on ne sait pas ce que c’est tant que l’enfant ne vous l’a pas dit. Et c’est important.
C’est-à-dire que nous devons faire fi de tout ce que nous savons, de tout ce qui est connaissance de notre côté, et attendre, tout comme pour l’adulte, que l’enfant nous dise ce qui est là présent sur son dessin, nous dise ce qu’il veut faire, ce qu’il va faire de ce dessin.
Alors il y a bien sûr à l’aider à s’exprimer, et arriver à le faire d’une façon neutre, en lui demandant non seulement de dire ce qui est, de donner des noms, de nous dire si une histoire est construite autour des personnages qui sont sur son dessin, si lui-même s’y trouve, où il se trouve, ce qu’il fait. Enfin véritablement : ne rien connaître tant que l’enfant ne nous a rien dit. Il en est de même pour le modelage.
Alors donc, dans cette approche de Françoise Dolto, ce qui est important c’est le point qu’elle met sur ce qui divise l’enfant et sur ce qui l’a aliéné. C’est-à-dire que dans un temps où se mettait en place cette théorisation de Lacan et, dans sa façon de faire, Françoise Dolto tenait compte véritablement de ce qu’est l’Inconscient.
Alors par rapport à la théorie familiale, voici la critique qu’on peut faire : convoquer les parents, oui ; mais savoir que ce qui va permettre que quoi que ce soit puisse être levé, ce n’est pas tant ce qui se dira avec les parents, que ce qu’ensuite l’enfant va pouvoir produire. Il produit ce qui l’a aliéné : toutes ces constructions, toutes ces fantasmagories permettent de saisir ce qui l’a aliéné.
Il y a un autre point : c’est par rapport à la soi disant thérapie systémique. Il y a dans ce que Françoise a mis en place, une critique de ce qu’on prétend être à cette thérapie systémique : puisqu’il y a un système familial, il faudrait faire en sorte que dans le protocole qui est proposé, les choses bougent en faisant bouger tel ou tel membre de ce système.
Or qu’est-ce que Françoise Dolto proposait ? Prendre l’enfant véritablement comme un sujet, un sujet qui peut être mis au travail, un sujet qui de par ce travail analytique va vers une autonomie. Or tandis qu’il va vers cette autonomie de par la production des signifiants qui l’ont aliéné, quelque chose sera modifié dans le système familial. C’est-à-dire que l’enfant se prenant en main, en tant que sujet de la parole, en tant que sujet de l’inconscient (après avoir fait ce travail préliminaire avec les parents bien sûr, mais chacun pour soi, et que ça ait pu conduire à une analyse ou pas chez les parents), eh bien, dans le système familial, quelque chose va bouger. Et c’est bien une chose que nous pouvons observer régulièrement.
C’est-à dire que l’analyste étant véritablement à cette place d’agent - et je crois que ça va très bien ce mot d’agent pour l’analyste d’enfant - doit à la fois être neutre, et à faire en sorte que l’enfant puisse, dans sa division, faire ce travail, produire les signifiants qui l’ont aliéné. Ceci amène l’enfant vers une autonomie certaine, et dans ce même temps, il y aura dans la famille, dans le système familial, quelque chose de nouveau qui va se mettre en place.
Moi je vous parle de ce que Françoise Dolto, dans les premier temps a apporté. Je ne parle pas du tout de ce qu’elle a pu dire par la suite. Je fais avec ce qu’elle m’a enseigné dans les années 50, et qui véritablement répond à la théorie analytique.
C’est-à-dire qu’à cette place, occupant cette place d’agent, et d’agent qui est neutre dans sa façon de dire les choses, mais qui est là, qui permet à l’enfant dans sa division de produire ces signifiants, quelque chose d’autre se met en place dans le système familial. Et c’est important de le savoir. Quelque chose d’autre se met en place dans le système familial, parce que tout à l’heure, je vous ai parlé de ce savoir qui est apporté et qui est apporté d’une façon telle qu’il soit mis en position de vérité.
Croyez-moi, c’était une chose que Françoise Dolto savait faire, savait faire de façon tout à fait géniale, et d’une façon telle, (en tout cas ce que j’ai vu moi,) d’une façon telle qu’il n’y avait là rien de "babyish " et je ne sais trop quoi, qui était dit à l’enfant. C’était véritablement de ces vérités que l’enfant pouvait très bien entendre, et qui faisaient que la question de sa castration était apportée et posée.
L’enfant, va donc acquérir une certaine autonomie, mais celle-ci ne le rend pas pour autant indépendant. Et je m’explique : elle nous disait que, par rapport au paiement, l’enfant devait savoir ce que le parent paie, à l’occasion même le parent pouvait lui confier l’argent si il était suffisamment grand -12 ans, 13 ans, 14 ans (avec le risque qu’il y a parfois que l’on ne soit pas payé, c’est arrivé, en tout cas moi j’ai connu ça et je ne suis pas la seule à l’avoir connu ). C’est-à-dire que la responsabilité du sujet qu’est cet enfant est tout à fait engagée. Il a décidé, il a décidé le traitement : il a été amené par les parents, mais il a décidé le traitement.
Autonomie donc, mais pas indépendance : c’est-à-dire que sa castration est bien là marquée, et ce qui est dû aux parents, c’est-à-dire la question de sa dette vis-à-vis de ses parents, n’est pas du tout escamotée. Plus tard, il pourra faire comme le parent a fait, ou pas comme le parent a fait, mais comme lui-même aura à faire. C’est ce que Lacan a appelé un moment cette assomption du sujet, l’assomption de son sexe : plus tard il s’en servira, ayant été marqué de la castration, il s’en servira. Mais n’empêche que, pour l’instant, il dépend encore de ses parents. Il a à le reconnaître, et il a une dette à payer.
Un autre point important, et qui résulte de ce travail préliminaire ; avant ou pendant le traitement (parce que ne croyez pas qu’au cours de ce traitement il n’y aura plus d’échanges avec le parent ou les parents : c’est parfois nécessaire, c’est souvent nécessaire : mais les choses ont été mises en place d’une façon telle que l’enfant est protégé dans ce qui est en train de se dire, c’est-à-dire qu’il peut avoir toute liberté pour exprimer à l’analyste ce qu’il a à exprimer) il n’y a pas de doute que va être souligné à tel ou tel parent, ce qu’ est cet enfant : que c’est en fait leur symptôme qu’ils ont amené là. Mais ça ne peut pas être comme ça envoyé. Il doit déjà y avoir eu un travail qui permet que ça puisse se faire : ça doit pouvoir se dire au bon moment.
Cet enfant est pour sa mère, ce que Lacan nous dira plus tard, cet objet, qui est dans son fantasme : et je pense que c’est pour ça qu’il est nécessaire dès le départ de faire savoir à la mère qui vient avec son enfant, que rien ne se fera si le père n’est pas dans le coup de ce travail analytique pour l’enfant.
Donc dans tout le bouillonnement de ce que Françoise Dolto nous apportait, on peut très bien aujourd’hui repérer, d’ailleurs déjà on le faisait, ce qui sera théorisé par Lacan, mais cette théorisation vient lui apporter encore plus de force.
Dans ce travail préliminaire, un autre point je crois est négligé ou plus exactement n’est pas respecté, c’est ceci : c’est qu’au cours de ce travail préliminaire et peut être du travail qui, au cours du traitement, se fera à côté avec le parent, quand c’est nécessaire (lorsqu’il y a à revoir un parent, on peut le faire, à condition de dire à l’enfant qu’il est nécessaire d’entendre à nouveau son père ou sa mère, et que de toute façon il est assuré de ce qu’il dit ici) on peut parfois aider le parent à pouvoir dire certaines choses qui sont de l’ordre d’un secret dans une famille.
Et nous avons vu avec l’Homme aux rats, que ce qui s’est dit avant que l’enfant ne soit, a une importance. Lorsque ça peut se dire, il y a un respect à avoir. Il n’y a pas forcément à toujours demander aux parents de le dire à l’enfant.
L’enfant va se débrouiller, et je crois qu’on peut le comprendre, il ne s’agit pas d’asséner des faits. La vérité n’a rien à voir avec l’exactitude ou la véracité des faits, pas du tout. On peut le comprendre, pourquoi ? Parce que ce avec quoi on va faire, c’est avec les signifiants qui ont aliéné l’enfant. Donc il n’y a pas forcément à obliger tel parent à aller révéler tel secret à l’enfant, pas du tout. D’abord ça dépend de l’âge que peut avoir l’enfant, et il y a des choses qu’il faut savoir préserver. Un enfant c’est comme un arbre.
Savoir telle chose quand il a 6 ans, ce n’est pas du tout la même chose que de le savoir lorsqu’il aura dix-huit ans. Le traitement, ce qui va permettre à un enfant de s’assumer comme sujet, ne passe pas forcément par la connaissance de tout ce qui concerne le parent qui l’a mis au monde où les parents qui l’ont mis au monde.
II y a donc un travail à faire auprès des parents, et c’est souvent important que le parent puisse dire tel secret, assuré qu’il est que ça sera gardé par le médecin. Et lorsque je dis le parent, ça veut dire qu’il n’est pas nécessaire que les deux membres du couple soient au courant de ce qui est propre à tel ou telle du couple. Parce qu’on finit actuellement à faire un méli-mélo, à compliquer la vie des gens, à gâcher beaucoup de choses.
Freud nous a bien dit que ce qui intéresse, c’est toujours un. Et c’est ce que Lacan a repris : un par un. C’est l’individu, c’est celui-là qu’on prend charge, et il n’est pas question de faire en sorte que toute la famille baigne dans je ne sais quoi. Ce n’est pas nécessaire. Et croyez-moi je parle véritablement de ces années 50-60, enfin les dix premières années de, on peut dire, la fin de la Société de Paris et de la Société Française de Psychanalyse - Françoise Dolto était très soucieuse de cela.
Maintenant on a le sentiment que beaucoup s’imaginent qu’il faut qu’on baigne dans je ne sais quoi, et qu’enfin, quand on est arrivé à faire dire à tel parent ce qui l’a coincé, il faut absolument que l’enfant, l’autre parent, tout le monde soit au courant. Mais pas du tout, puisque c’est du un par un. Pour chacun, les signifiants qui l’ont aliéné, les signifiants qui viennent de l’Autre et que lui a prélevés, c’est avec eux que le travail analytique se fait. Vous voyez bien que ce n’est pas nécessaire qu’on baigne dans je ne sais quoi.
Que plus tard un enfant, une fois qu’il est devenu ce qu’il a à devenir, c’est-à-dire qu’il est devenu cet arbre qu’il doit devenir, qui a pris l’autonomie nécessaire pour s’assumer et se prendre en charge, vienne à savoir que telle chose s’est passée pour son père ou sa mère, oui ; mais ce n’est pas du tout la même chose qu’un enfant de 6, 8 ou 10 ans, soit véritablement au courant.
II y a- bien des choses qu’un adulte ne saura jamais, et ça ne l’empêche pas de faire son traitement psychanalytique, vous comprenez..
Enfin, voici très rapidement brossé ce que je compte dire demain, peut-être que je l’amènerai un peu différemment, mais je pense que ça va nous permettre quelques échanges, ces premières choses que j’apporte ainsi ; enfin c’est l’essentiel de ce que moi j’ai retenu de l’enseignement de Françoise Dolto concernant la conduite à tenir avec les enfants.
C’est important, parce que quand on nous dit, que l’enfant peut être ce psychanalysant à part entière, etc.... on ne nous dit pas comment il pourra l’être, ce psychanalysant à part entière ; et on ne nous dit pas non plus ce que doit être ce travail préliminaire, ce temps préliminaire essentiel dans la mise en place d’une cure. Et souvent quand ce travail a pu être fait très justement, beaucoup de choses peuvent se dénouer."