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Sur l’identification - James Grégory (Tu es celui que je suis)

Une transcription de l’intervention de Solange Faladé à Ouistreham le 02 octobre 1989

2 octobre 1989
Document de travail

"J’en ai parlé la première fois, c’était à Besançon, à nos journées, la question m’avait été posée, de comment comprendre l’identification de James Grégory, vu ce qu’il a eu à vivre au cours de sa vie.

Enfant il vivait avec les petits Zoulous il voulait devenir comme eux, en tout cas vivre comme eux. Puis il a du aller à l’école, il ne pouvait pas y échapper. C’était la voie tracée pour un petit blanc. De là, il a eu beaucoup de mal à se faire à la vie du collège. Et il a dû marquer son identité face aux autres petits blancs qui n’avaient pas du tout eu la même vie que lui. Je reviendrai sur ce qu’a été le début de son enfance, enfin j’y reviendrai très rapidement, puisque j’ai eu l’occasion d’en parler très souvent.

Donc pendant sa vie de pensionnaire, il y a eu cet affrontement avec ses camarades de pension, affrontement souvent sanglant, puis, à un moment, il y a eu comme une espèce de volte-face qui survient chez lui, il était devenu grand adolescent, jeune adulte, (toujours vivant,) mais plus au lycée, cette fois ci, mais à l’université. Et c’était la période où il y avait ces mouvements d’indépendance en Afrique, et en particulier en Afrique de l’Est. James Grégory, comme l’a dit tout à l’heure Michèle Aquien, a été le geôlier de Nelson Mandela. Ça veut dire que nous nous trouvons en Afrique du sud, et en Afrique du sud, du temps, encore, de l’apartheid.

Alors donc, ce James Grégory, qui avait eu une vie très agréable au milieu des petits Zoulous de son âge, qui a eu beaucoup de difficultés à vivre avec ses, disons, congénères, les autres petits blancs, qui à l’université devient tout à fait un autre. Il s’en étonnera lui-même plus tard. Il a entendu dire que les Kikuyus, ceux du Kenya, les Mau-Mau, voulaient chasser les blancs de l’Afrique qu’ils voulaient faire régner un état, qui était là, dérivant plus au moins de ce que les communistes avaient pu mettre en place, ailleurs, puisque c’était la guerre entre l’Est et l’Ouest, à cette époque-là. J’entends, pour ce qui est de l’occident. Bref, lui James Grégory prend les armes et devient même celui qui va former d’autres petits blancs. Il prend les armes contre les noirs. Et ceci pendant un temps assez long. Et il quitte cette vie, vient à l’université, et vient à Pretoria, enfin, quitte plutôt l’université, vient à Pretoria. Et donc, il aura l’occasion de rencontrer Mandela, je vais dire comment ça s’est passé. Je sais que certains d’entre vous ont lu ce livre, beaucoup ont déjà entendu parler de James Grégory, par moi. Donc je ne m’étendrai pas sur certains points.

Alors Grégory,… J’avais d’abord pensé parler de l’idéal du moi.

Or, à Vaucresson, je vous ai dit, qu’il était bien difficile de pouvoir savoir, quel trait il a dû prélever, en principe, ou sur son père, ou sur sa mère, en tout cas, chez l’Autre, l’Autre en tant que grand Autre, quel trait a-t-il pu prélever, trait de l’idéal du moi qui vient renforcer la matrice, la marque première, venant de l’Autre. Ce trait, je ne pouvais pas, en lisant ce livre de Grégory, en saisir, en trouver quelque chose. D’autant que, nous savons, que pour ce qui est de ce trait de l’idéal du moi, il est bien difficile de pouvoir en saisir quelque chose sauf pendant la cure analytique, et encore très difficilement.

Alors, c’est en partant de ce trait plus exactement de cette matrice de l’idéal du moi, je rappelle là, que je me réfère au séminaire de Lacan : « Le désir et son interprétation ». C’est là, que pour la première fois, en tout cas à ma connaissance, il fait référence à ce qu’il a appelé ce seing, ce sceau, que l’enfant reçoit du sein, qui lui est apporté. L’enfant, l’infans, va recevoir de l’Autre ce seing, ce sceau, et nous dit-il, c’est là la matrice de l’idéal du moi. Tout laisse penser que ce que Grégory, ce que le petit James a reçu, a reçu comme matrice de l’idéal du moi, ce sceau, ce seing, qui l’a marqué, certes vient, nous pensons, de sa mère, mais tout laisse croire que dans ce champ de l’Autre pour lui, il y a eu aussi ces nounous noires, ces femmes africaines, qui se sont penchés sur lui bébé, et qui ont marqué également de leur désir pour lui, l’affection qui lui était portée. Et ça, ce sont des choses que j’ai eu à connaître dans la relation qui pouvait s’établir entre une famille européenne, et les Africains qui vivaient souvent, servants dans ces familles, qui vivaient donc auprès de jeunes enfants et qui souvent les accueillaient à la naissance. Je pense que cette chose a dû arriver pour James, et que, dans ce qui l’a marqué, dans cette matrice, il y avait aussi quelque chose qui venait de ces femmes Zoulous.

Ce qui nous laisse penser cela, c’est ce qu’il a voulu que soit sa vie d’enfant, sa vie de jeune enfant où très manifestement, et il nous le fait savoir, ce contentement qu’il a eu à vivre avec les petits Zoulous, à vivre comme eux, au point de vouloir être habillé comme eux. Et il avait élu un petit Zoulou entre autres, Bafana, et là, si j’avais le temps, je me référerai à ce que Lacan nous dit lors du miroir, du stade, plus exactement de ce qui se met en place entre l’idéal du moi et le sujet naissant, c’est-à-dire ce qui est du moi idéal. Et, en cela, c’est pour moi l’occasion de rappeler ce que, dans « Pour introduire le narcissisme, » et c’est quand même important de le rappeler ici, Pour introduire le narcissisme, Freud pour la première fois, dit clairement que ce moi idéal, a pour étai, a pour appui, l’idéal du moi.

Donc, avec le moi idéal, du narcissisme aussi est pris en compte. Et on peut dire que pour ce jeune James, ce jeune, qui n’était pas Afrikander, je reviendrai là-dessus, le petit Zoulou Bafana avait, pour ce qui est de son moi idéal, de son narcissisme, quelque chose qui les rapprochait. Il y a eu véritablement élection et il faut croire qu’il a trouvé en Bafana quelque chose qui serait de l’ordre d’une bonne forme, de cette " Gestalt " que Lacan reprend quelque part dans son enseignement justement lorsqu’il met en place ce qui est du moi idéal. Et pendant toute son enfance, jusqu’à ce temps fatidique où, il doit aller à l’école, il va vivre comme les petits Zoulous. Il prend plaisir à jouir de cette terre, à pouvoir prendre tout ce qui était possible de plaisir et de jouissance avec Bafana et les autres petits Zoulous. Et il prend plaisir à leurs danses, à savoir danser comme eux, à passer la journée non seulement, mais également la nuit, avec eux. Bien sûr les parents laissent faire. La mère gronde parfois. Mais enfin lui James, jusqu’à ce temps où il va aller à l’école, prend plaisir, vit, comme un Zoulou un petit Zoulou et il nous raconte tout ce qu’il a pu apprendre avec eux.

Arrive ce temps où il doit partir à l’école, c’est comme ça. Même son ami Bafana, lui dit que oui, il lui faut partir à l’école. Il y part, on peut dire la mort dans l’âme, car il ne se trouve pas bien dans cette partie de sa famille qui est près du collège où il doit aller. Très vite, on doit le mettre en pension. Et c’est là, le dépaysement total, c’est une autre vie, c’est un autre rapport avec ceux-là qui devraient être ses compagnons proches. Et, l’écart se fait grand entre lui et ses parents. Il s’aperçoit, il vit, que ses parents sont très loin de ce qu’il peut vivre, que ses parents ne se rendent pas compte de ce qu’est sa vie dans ce collège. Et il est là, en vain, à attendre leur présence, leur arrivée, tout du moins quelque chose d’une compréhension qui ne vient absolument pas de la part de son père. Et toute sa joie, pendant le temps qu’il doit rester en pension, toute sa joie, c’est d’attendre le moment où il pourra retourner dans ce coin d’Afrique du Sud où il peut retrouver Bafana. Et c’est toujours une grande joie lorsqu’il retrouve Bafana. Que se disent que ces deux garçonnets ? Qu’est-ce qui s’est tissé ? On peut dire que l’amitié a eu une très grande part. Et lorsque j’en ai parlé la toute première fois, j’avais mis l’accent vraiment sur ceci que c’était et vraiment chacun pour l’autre le " Dimidium animae meae ", et c’était vraiment ce qui était la moitié de leur âme, de leur souffle, enfin vraiment ils étaient l’un et l’autre marchants ensemble. Donc il retrouve Bafana quand il revient de pension. Et pour lui c’est la grande joie, c’est ce qu’il attend de semaine en semaine.

Et il revient, une ultime fois, dans ce coin où habitaient ses parents, dans cette ferme. Les parents avaient décidé de vendre. Ils avaient vendu. Les Zoulous qui étaient attachés à cette ferme ont dû partir. Et Bafana n’était plus là. Bafana n’était même pas là pour lui dire au revoir. Est-ce que le jeune James pouvait comprendre que Bafana n’y était pour rien, il l’aimait et que ses parents n’avaient nullement souci de lui, de se dire que peut-être ce serait tellement important pour lui de retrouver Bafana. Toujours est-il, qu’il part, il ne retrouve pas Bafana. Les parents s’installent ailleurs. Certes, dans cette nouvelle ferme, il a de bonnes relations avec les Africains qui y vivent, les jeunes Africains et les plus vieux qui travaillent dans la ferme de ses parents, mais, comme il nous dit, jamais aucun de ces garçons, de ces jeunes gens, jamais personne n’est venu remplacer Bafana. Il avait de bonnes relations, il s’intéressait à beaucoup de choses avec eux, il allait à la pêche. Enfin tout ce qu’il pouvait faire, tout ce qui le faisait jouir de cette terre, il le faisait avec d’autres, avec d’autres jeunes noirs, mais Bafana personne n’avait pu le remplacer.

Lui, Grégory, quand il est arrivé à la pension, on l’a moqué. On s’est moqué de lui car là aussi, on a beau être congénère, mais il y a toujours quelque chose qui fait qu’on n’est pas tout à fait comme l’autre. Une partie de sa famille venait d’Angleterre, l’autre était plus ou moins Afrikander, bref. Il n’était pas comme ceux qu’il rencontrait dans ce collège, et surtout, il avait une autre compréhension de la vie, une autre relation avec ses camarades. Enfin, il aurait voulu établir une autre relation et, aussi avec ceux qui étaient là chargés de son éducation.

Alors, pour ce qui est de l’identification, pour ce qui est de ce qui a marqué le jeune Grégory, si j’insiste sur cette matrice de l’idéal du moi, ce sceau, ce sein, ce qui l’a marqué, et qui sûrement venait aussi de ces femmes Zoulous, c’est parce que j’ai comparé avec le jeune Gide.

Le jeune André Gide, qu’est-ce qui nous est dit. Il nous est dit que, jusqu’à l’âge de 12 ans, lui-même se vivait comme plutôt mal venu, sur cette terre. Il avait des jeux solitaires. Il n’avait pas ce quelque chose que l’on peut retrouver dans ce que nous dit James de sa vie. Lui-même, dans La porte étroite nous rappelle Lacan, il se décrit comme ce petit garçon plutôt mal fait, il se compare à quelques personnages de Gribouille. Bref, il est ce rat. Alors, Lacan dans ce qu’il dit, il est question de rat crevé. Dans ce qui a été repris, il est question de (rat d’eau). C’est vraisemblablement de rat (mort) qu’il s’agit. Enfin, ce quelque chose, cet objet, qui va et qui est au gré des flots, et qui a atterri on ne sait où. Enfin, après tout, moi je retiens ce rat crevé. Donc, on ne voit rien de ce qui peut faire la joie de James dans ce même temps de vie du jeune Gide. Lacan, reprenant sa vie, et je dois dire que lorsque je faisais ce travail, j’ai beaucoup pensé à Leone Papelard, qui avait commencé ici un très gros travail sur Gide et vraiment, si j’avais pu lui demander tel ou tel renseignement, non seulement j’aurais su qu’elle était toujours là, et ce que j’aurai apporté sur Gide, sûrement, en aurais été enrichi.

Donc, je rappelle ici la mémoire de celle qui a été avec nous au début de l’Ecole Freudienne.

Donc je reviens sur la jeunesse, sur le jeune André Gide, et Lacan nous dit que le jeune Gide, le jeune André était in situé, in situé par ce qu’il avait à vivre avec une mère et une gouvernante dont, la sexualité, on ne savait pas trop ce qu’il y avait à en dire, enfin, plutôt quelque chose de pauvre. Je n’ai pas retenu le terme exact qu’il dit concernant ces deux femmes pour ce qui est de leur sexualité. Mais là il nous dit que le jeune Gide était in situé et que même dans sa vie de petit garçon, ses jeux solitaires, dans sa vie, on sait qu’à l’Ecole alsacienne, il n’a pas pu rester. Bref, Lacan insiste sur ce point.

Et là, ce qu’il en est de cette marque de l’idéal du moi, de ce sceau, de ce qui fait qu’un enfant peut se savoir, se vivre désiré, Gide jusqu’à l’âge de douze ans n’avait pas eu de marque. Rien ne lui en avait été signifié. Il a fallu la rencontre avec sa tante. Cette rencontre cette tante, qui s’est montrée désirante à son endroit, qui lui a caressé la nuque, les épaules, le bras, bref, qui lui a fait savoir qu’elle a eu pour lui un désir, et lui Gide a su qu’il pouvait être enfant désiré. C’est à partir de ce moment-là, que quelque chose dans la vie de Gide a basculé, est devenu autre. Certes, ça a pris la forme que nous savons, du fait de sa structure perverse, et que c’était avec d’autres petits garçons, de son âge, plus exactement, de l’âge qu’il avait lorsqu’il a été désiré qu’il réalisait ce qui était de son désir.

Un autre point entre Grégory, entre James le petit James et Gide, c’est, l’unique objet d’amour que l’on trouve dans l’une et l’autre vie. Pour Gide ça a été Madeleine, ça a été sa cousine qu’il a rencontrée pleurant. Bon, je ne veux pas insister sur les détails de cette rencontre. Il l’a rencontré à nouveau dans cette maison où cette tante lui a fait savoir qu’il pouvait être enfant désiré. Donc il décide en la voyant pleurant, il décide qu’elle sera sa femme. Il l’épouse. Et Lacan nous dit qu’elle a été l’unique objet d’amour, l’unique objet d’amour qui est venu à la place de ce vide. C’est pour ça que ce n’est pas toujours la mère qui vient à la place du vide de la Chose. N’importe quel objet petit y venir. Or, il s’est trouvé que Madeleine a été cet unique objet d’amour dans la vie de Gide mais objet non désiré.

Pour Grégory, pour James Grégory, lui-même nous dit que devenu adulte, vivant je crois à Pretoria, enfin dans une de ces capitales ou à Johannesbourg, enfin peu importe, il va rendre visite à sa sœur, qui je crois travaille dans une maison de coiffure, ou est coiffeuse, enfin bref, c’est là qu’il va rencontrer sa femme, Gloria, qui sera aussi l’unique objet d’amour. Mais la relation sera autre que celle que Gide a eue avec Madeleine. Mais enfin, cet objet unique, de part et d’autre, c’est quelque chose qui mérite sûrement que j’y revienne. Je pense qu’un jour, j’y reviendrais pour saisir qu’est-ce qui peut faire que dans une vie d’homme, comme ça, un seul objet, est l’objet d’amour.

Bon, revenons-en à James. Pour ce qui est de son identification, on peut dire, et lui-même le dit, que c’est ce qui s’est joué dans sa plus petite enfance et le début de son adolescence, avec ces petits Zoulous, et en particulier avec Bafana. Lorsqu’il y a eu cette espèce de volte-face dans sa vie, où il s’est mis littéralement à combattre les Africains, il a pris les armes. Il voulait comme les autres les réduire à néant, enfin.

Il lui est arrivé pendant cette vie où il était à l’université, où il est sorti avec des petits camarades de l’université, des petits blancs, il rencontre un pauvre petit nègre dépenaillé et qui portait un uniforme, un vieil uniforme de leur collège, et ses camarades blancs sont tombés dessus, et puis il les a suivis. Et lui-même s’est demandé qu’est-ce qui s’est passé. En tout cas il n’a rien fait pour défendre ce garçon. Je pense que ça, il ne devait pas lui donner l’image de Bafana ce noir qu’ils ont rencontré là dans cet, disons, accoutrement. Mais enfin c’est juste une parenthèse. En tout cas un mouvement identificatoire ne s’est pas produit. Est-ce uniquement parce qu’il était dans ce temps, dans ce temps où il s’est dit qu’il y avait à se défendre, à combattre les noirs ? Peut-être, bon. Lui-même se demande qu’est-ce qui s’est passé, pour qu’il les laisse faire.

Alors, ce temps, où lui James est devenu si je puis dire un autre, tout du moins a une relation tout à fait étonnante avec les Africains au point de prendre les armes pour les combattre et les déloger, s’il avait pu, de ce pays. Je me suis dit que ce n’était pas en se référant à ce que nous connaissons de façon disons presque banale, du surmoi, que ce n’est pas sa relation à son père, ni ce que (reprise de l’enregistrement de ce père il a pu entendre et c’est " tu seras comme ton père, tu dois être comme ton père, tu dois… ", c’est pas quelque chose de cet ordre-là. C’est, m’a-t-il semblé, plutôt du côté du, ce que Lacan nous dit du surmoi - jouis ! - Je l’ai retenu, pour différentes raisons. D’abord, parce qu’à mon étonnement, lorsque j’ai repris ce que Lacan avait pu dire du surmoi, et ce qui était dans Freud, enfin, Lacan à un moment, dans les années 70 je crois, en tout cas avant Ou pire, et avant Encore, donc en 70, oui c’est ça, il dit qu’en fait, du surmoi, il n’a pas traité. Et dans les séminaires qui suivent, du surmoi, il en parle, comme il en a parlé dans L’Ethique, de ce – jouis - et de ce que le sujet rétorque - j’ouis - j apostrophe. Et je me suis dit que c’était à ce niveau-là, que pour James, quelque chose a fonctionné comme surmoi. Car en fait, qu’est-ce qui a fait qu’il a pris les armes. Qu’est-ce qui a fait qu’il a voulu combattre les Africains ? C’est parce qu’il voulait défendre et garder cette terre dont il a joui, et que jouir de ce pays, de ce que, de tout ce que ce pays lui a apporté et apporte encore, c’est à cela qu’il tient. Et c’est ça qu’il risquait de perdre.

Alors, me référant à ce - jouis - du surmoi, et ce qu’il me semble, il a pu entendre, concernant cette jouissance, je me suis reporté, j’ai essayé de saisir ce qui a pu jouer pour lui, dans ce champ du grand Autre. Il y a eu, certes, cette marque, cette marque de l’idéal du moi, avec ce que l’on sait concernant sa vie avec les petits Zoulous. J’ai oublié de dire que, il était particulièrement content lorsqu’il retrouvait ses petits camarades Zoulous, d’entendre les marques d’affections que lui apportaient les mères, les façons d’être appelé comme les petits Zoulous.

Bon, revenons à, pour ce qui est du surmoi, à ce qui a pu se jouer dans ce champ car sa mère, certes, ne se montrait pas très affectueuse, mais elle était attachée malgré tout à son enfant ne serait ce que par ses défenses, par ce qu’elle lui montrait de comment il faudrait vivre. En tout cas il y avait là venant d’elle, quelque chose qui doit nous retenir, et je me suis posé à nouveau, ce que d’elle il a pu entendre, saisir, du manque, de ce qui fait que lui va devenir sujet. Et alors je me suis arrêtée un instant pour me dire, mais est-ce que de cette mère, il y aurait, ce que Lacan dans un temps de son enseignement, lorsqu’il faisait du grand Autre, le grand Autre de la parole, où il s’arrêtait pour dire que ce qui venait de la mère, ne pouvait être que loi de caprice tant que ce n’était pas reporté à l’instance paternelle. Je me suis dit que peut-être c’était pas ça qui pouvait éclairer l’attitude, la volte face de James. Et, c’était certes quelque chose de la loi, mais pas forcément de cette loi de caprice. Car l’instance paternelle a joué même si James s’est rendu compte, de son père peut-être il n’avait pas à attendre grand-chose, mais enfin c’était quand même son père. Il a fait ce qu’il devait faire, sans plus peut-être, mais il l’a fait. Alors, la question de la loi s’est posée. Et je me suis dit, qu’il y avait à en référer à la loi mais tel que Lacan nous a, dans un deuxième temps, apporté autour de ce grand S de grand A barré, de ce qui peut être mis à côté de ce grand S de grand A barré, quand on se sent obligé d’y mettre quelque chose, soit le père, soit la religion. En tout cas de toute façon il y a la loi.

Alors pour ce qui est de la loi, qu’est-ce que dans Freud il nous en a été dit. Qu’est-ce que Lacan en retient de cette loi ? Donc, il part de ce père de la horde, de ce père jouisseur, de ce père qui jouit de toutes les femmes, et d’ailleurs qui fait pas que jouir de toutes les femmes, et qui met aussi à contribution les hommes de sa horde.

Donc, ce père de la horde que les fils vont tuer, certes, donc il y aura ce meurtre du père de la horde, et, c’est avec ce meurtre, que la loi sera instaurée dans la mesure où les fils se rendent compte que c’est de la loi du père, en tant que celui qui défend, qui interdit les mères, c’est cela la loi. Mais à propos de ce père de la horde, Lacan en fait exception. Dans l’article sur L’étourdit pas toujours facile à lire, mais enfin il y a quand même des passages que l’on peut accrocher de-ci de là, et à propos de cette exception, qu’est ce père, lorsqu’il a été tué par ses fils, enfin, ce père orang-outan, c’est-à-dire celui qui jouit de toutes les femmes, et pas que des femmes, il nous dit quand même qu’il y a là quelque chose d’un crime, quelque chose d’une forfaiture. Le crime c’est pas uniquement du côté des fils. Il y a aussi le père.

Mais enfin bref, il y est en tant que ce qui fait l’exception et l’exception qui va mettre en place une certaine loi.

Alors, il y a certes l’interdit de l’inceste, et si on reprend la vie de Grégory, il y a cet ancêtre lointain, on ne sait pas trop. On sait bien d’où il vient. On ne sait pas trop quel crime il a commis. On ne sait pas trop de quelle jouissance il a eu à pâtir. Bref, qu’est-ce qui l’a fait venir de ce lointain pays. Toujours est-il, qu’ on peut considérer que, cet ancêtre a pu jouer l’équivalent de cette exception, de cet x qui fait exception. Et à partir de ce moment-là, la loi qui va être la loi de ces hommes implantés dans ce pays, va être entachée de je ne sais quel crime originaire, de je ne sais quelle forfaiture commise par cet ancêtre venu de loin, puisque dans tous les cas, dont tous ce qui nous est rapporté, ils ont dû fuir. Je ne parle pas des Huguenots qui sont venus s’installer en Afrique du sud, mais enfin leur façon d’être n’a pas été plus exemplaire pour autant. C’est une parenthèse.

Je reviens à Grégory. Je pense que là, il y a cet ancêtre qui fait exception, qui apporte une loi, et une loi entachée de ce qui peut faire comprendre que lui, James Grégory ce qu’il a pu entendre de ce - jouis - de ce surmoi, car c’est véritablement défendre cette terre, cette terre dont il jouit, qui l’a fait avoir ce comportement inexplicable, inexplicable, jusqu’au point où, ne connaissant pas Mandela, mais tout le monde avait entendu parler de lui, le monde entier avait été étonné de la plaidoirie que Mandela, lorsqu’il a été arrêté, enfin, sa plaidoirie qui a fait que les juges qui étaient décidés à le condamner à la peine capitale, n’ont pas pu le faire. Ils l’ont condamné à perpétuité. Enfin il est parti dans son île. Ça a été très mal supporté par les blancs d’Afrique du sud cette décision du tribunal. Et lui Grégory James, lorsqu’il repense à ce plaidoyer de Mandela, il regrette qu’on ne l’ait pas pendu, qu’on n’ait pas été débarrassé de cet homme. Et il décide, il accepte, de devenir gardien de prison dans cette île.

Il faut quand même dire que malgré ce revirement il a gardé quelque chose d’une certaine équité. C’était un homme juste, et il voulait faire la part égale entre blancs et noirs, en tout cas pour ce qui est d’appliquer les règlements. Ceci vaut la peine d’être dit. Dans la mesure où lorsqu’il va arriver à Robben Island là, pour surveiller Mandela, il y a quelque chose qui le précède. On sait que le gardien qui va venir, le nouveau gardien, est un homme juste et équitable avec les noirs, enfin bon. Mais enfin lui, c’était pas du tout dans cet état d’esprit qu’il était venu, il a été venu vraiment, je ne dirais pas pour faire la peau de Mandela, mais en tout cas pour lui rendre la vie suffisamment difficile pour qu’ enfin on soit débarrassé de lui. Et à son grand étonnement, lorsqu’il rencontre Mandela, lorsqu’il est présenté à ce groupe de prisonniers qui étaient ces prisonniers politiques, et qui étaient là pour, pour mourir, à son grand étonnement, lorsqu’il voit ce tableau, lorsqu’il voit cet homme, il s’adresse à lui en Zoulou. Il ne s’y attendait pas lui-même. Il était étonné. Et à partir de ce moment-là, il va y avoir un travail qui se fait en lui, qui se fait avec Mandela. Ce n’est pas du jour au lendemain. Il est quand même resté 24 ans geôlier de Mandela. C’est un bail. C’était une partie de sa vie d’homme, qu’il a passée là-bas.

Ce que je voudrais retenir, c’est que de jour en jour, et de conversation avec Mandela, s’est mis en place pour lui, un discours, je ne dirai pas nouveau, qui a fait qu’il a considéré d’une façon différente, ces hommes qu’il était venu combattre, et en particulier ce Mandela. En fait, de Mandela, qu’est-ce qu’il a entendu. De Mandela, il a entendu : tu peux jouir de cette terre toi blanc. Nous n’avons jamais pensé vous faire partir. Il est allé voir les choses de l’ANC mais enfin ce serait trop long si je devais vous donner tous les détails du livre. Mais enfin, ce qui est important, de Mandela, c’est vrai, il a été pris par cet homme, exceptionnel. Mais ce qu’il a entendu, c’est ce : « tu peux jouir de cette terre. Nous n’avons pas l’intention de t’en faire partir. »

Et en fait, c’est ce même surmoi, qui a fait, qui lui a permis lui James, de surmonter tout ce qu’il va avoir à surmonter maintenant, en étant le geôlier de Mandela, en faisant en sorte que Mandela puisse réussir ce que, ce qui est son projet. Et s’il réussit ce projet, Mandela, ça veut dire que lui James, va pouvoir jouir de cette terre. Donc il me semble que dans ce que, dans ce qui s’est établi, le surmoi aussi a joué et, le surmoi avec ce qui de l’identification était à nouveau possible avec cet homme, avec ce Mandela. Et ce n’est pas pour rien qu’à la fin de la traduction française, (A/B) il est dit dans la bouche de James lui-même en voyant partir Mandela qui allait devenir président de la république d’Afrique du sud, " au revoir Bafana ".

Pour résumer ce que je voulais ce soir apporter très rapidement, j’ai fait mettre au tableau cette phrase que l’on trouve chez Lacan… C’est toujours comme ça… À propos du désir, je voulais vous dire, concernant la marque de l’idéal du moi, ce sceau, ce que Lacan dit dans Le désir et son interprétation, c’est cette dernière phrase qui m’y fait penser, il dit : " ce n’est qu’en comptant dans le désir qu’on peut nous-même nous compter ". Enfin, je le dis très rapidement parce que maintenant ça ne va plus dans le fil de ce que je voulais dire. C’était pour conclure entre Gide enfant, et Grégory James enfant. L’un a pu se compter dès le départ, parce que le désir était marqué, compter dans le désir du grand Autre, c’était pas le cas pour Gide. Bon. Mais enfin, une parenthèse, j’ai oublié.

Je voulais terminer ce que j’ai apporté ce soir, par cette phrase de Lacan que l’on trouve dans je crois le séminaire troisième, à la fin du séminaire : " tu es celui que je suis. "

Lui Grégory, James Grégory, on peut penser que c’est ce qui pourrait se dire par rapport à Mandela : « tu es celui que je suis. » Et je crois que là, toute l’équivocité que permet la langue française peut nous faire saisir ce qui est là, et de l’identification, et du surmoi qui a joué pour James Grégory, et qui, de Mandela, certes, s’il était celui qu’il voulait tuer, en même temps, dans ce discours, dans ce qui patiemment s’est mis en place entre eux deux, il pouvait lui James penser, en pensant à Mandela : " Tu es celui que je suis ".

Avant de laisser la discussion se faire, je voudrais demander à Koerner, mais malheureusement je l’ai peut-être un peu trop rapidement apporté ce soir, si, de ce qui marque la vie de ce James, d’abord avec Bafana, où cette question de l’amitié est là, et ce n’est pas n’importe quelle amitié, ce n’est pas n’importe quel autre moi semblable, et ensuite ce qui va se montrer avec Mandela, si quelque chose de ce que Lacan a essayé de nous apporter autour de la philia, et de ce que Aristote dit, ne pourrait pas être là, mis en place. Qu’en pensez-vous ?.


Questions

Michèle Aquien :
Je me disais, quand vous parliez que finalement, quand James Gregory adresse la parole immédiatement à Mandela en zoulou, il lui parle dans cet orthos logos qui a été cette langue avec Bafana et en quelque sorte, il connaissait déjà Mandela, il l’avait vu en photos, mais c’est quand Mandela se tourne ver lui, en quelque sorte, il reconnaît en lui Bafana et immédiatement, il lui parle zoulou, il ne peut pas lui parler autrement. En fait, tout de suite, il le reconnaît et c’est ensuite que se fera tout le travail de (inaudible)

Solange Faladé :
Oui c’est ça.

Michèle Aquien :
Y a-t-il d’autres questions : oui, Jacqueline ?

Jacqueline Darbord :
Je voudrais dire quelque chose qui rejoint le « jouis « donc, vous avez parlé au niveau du « jouis » de la terre parce qu’il me semble bien que ce grand-père terrible qui était venu d’Ecosse, je crois et qui avait fait un peu les 400 coups. Il avait aidé tout de même le peuple noir à combattre des ennemis et qu’en échange, il avait donné justement aux arrières grands parents de Grégory la terre où ils étaient, et je ne sais pas si la terre où il a vécu au début, c’était pas justement cette terre, autrement dit cet amour de la terre qui avait été donné par le noir, par les noirs finalement. C’était quelque chose qu’il avait en commun avec Mandela.

Le grand père, c’était le père de la mère dans l’histoire et il lui disait « tu vois bien qu’autrefois, on a toujours vécu en sympathie, avec les noirs qui étaient sur notre terre, donc, pourquoi ça ne continuerait pas.

Solange Faladé :
C’est vrai, c’est vrai, il y avait un grand père qui lui disait ça.
Il me semble que ce qui était du surmoi, c’était quelque chose qui est au niveau de l’inconscient du fait que, il se met, à son grand étonnement aussi, à combattre les noirs, et avec quel acharnement. De même qu’il mettra le même acharnement à faire ce qu’il faut pour que Mandela puisse sortir. Il me semble que c’est quand même quelque chose de l’ordre du surmoi. C’est pas uniquement

Jacqueline Darbord :
Oui. Je crois que le père était justement contre les noirs et je crois que c’est la parole du père qui a dû jouer.

Solange Faladé :
Je crois que le père n’était pas vraiment contre les noirs. Il était plutôt je m’en-foutiste le père. Et puis alors, son fils est parti, son fils pouvait souffrir, il ne s’en rendait pas compte. Je ne pense pas que le père était, bon, il était là, il pouvait gagner sa vie mieux. Qu’est-ce que ça peut faire ? Bon, de la part du grand-père, c’était nuancé on s’est toujours entendu. Il y a quand même un qui est venu dont on ne savait pas exactement ce qui a fait qu’il a dû quitter. Il a raconté une histoire, on ne sait pas laquelle. Mais ça a existé. Et donc, de ce quelque chose de la loi, dans" Subversion du sujet", Lacan dit aussi, à propos de cette loi, il amène ce « j’ouis », et cette jouissance et ce jouis, qu’il rapproche du surmoi, c’est pourquoi j’ai fait ce rapprochement. Parce que ça ne suffit pas que le grand-père soit, oui, bon, tu peux. C’est pas le grand-père qui est venu, c’est venu d’avant. Et puis, il n’y avait pas que du côté de ce grand-père là. Il y avait aussi du côté de la mère. Et Dieu sait que du côté de la mère, les femmes n’étaient pas tellement ouvertes aux noirs. On ne peut pas dire ça.
Ce n’est pas exhaustif. Je donne une ligne.
Il me semble pouvoir faire comprendre ce qui est de l’identification chez ce jeune garçon. Ce qui est de ce qu’il a choisi. Du côté Bafana, il y a eu, c’était celui-là. Ce n’était pas un autre petit noir. C’était celui-là.

Michèle Aquien :
C’est réciproque aussi. Pour Bafana, lui, c’est son ami aussi. Il lui sauve la vie de manière absolument extraordinaire, puisqu’il le porte des kilomètres en courant alors qu’il a été piqué par un serpent très venimeux. L’amour est réciproque.

Solange Faladé :
Absolument. Enfin il avait là quelque chose, il me semble, identification et surmoi allaient ensemble dans cette vie. Enfin, même s’il était juste et équitable quand il était le policier, il taxait de la même façon les noirs et les blancs, tous n’étaient pas forcément Bafana. Avec Mandela, il a fallu tout le temps, que l’on pourrait mettre dans une cure analytique. 24 ans, c’est pas tellement...... "

(Rires dans la salle)