Accueil / Espace membres / Archives / Solange Faladé / Le fantasme fondamental

Le fantasme fondamental

Une transcription de l’intervention de Solange Faladé le 02 juin 1990

02 juin 1990
Document de travail

"Cette séance est la dernière de l’année, mais cela ne peut pas être la dernière concernant ce que nous avons à dire sur le fantasme. En effet, le fantasme a une place telle dans la clinique psychanalytique qu’il n’est pas possible d’en parler en quelques séances comme nous avons tenté de le faire cette année. Le fantasme je vous le rappelle, a été une découverte de la pratique, il faut y insister, nous l’avons fait au début de l’année. Nous avons montré commet Freud a eu du mal à accepter le fantasme, si je puis dire. Nous en avons le témoignage par les lettres à Fliess, qui nous ont été lues et ces lettres sont précieuses en ce sens qu’elles n’étaient pas faites pour être publiées. Freud dit à son ami Fliess combien il lui est difficile de ne plus compter avec la séduction, la séduction par le père, séduction effective, pensait-il, à l’origine du trauma ; ceci pouvait expliquer la névrose, mais malheureusement pour lui, si je puis dire, toutes ses patientes avaient été séduites par le père. Devant cette séduction massive par tous les pères, Freud a dû se demander si effectivement les choses se sont passées ainsi. Il a dû, à ce moment là, se dire qu’autre chose pouvait expliquer ces dits de ses patients et cette autre chose c’est le fantasme.


I

l. Dans un premier temps, et ceci est toujours un rappel, Freud a pensé que le fantasme était rarement d’emblée inconscient, qu’il était d’abord conscient et qu’ensuite il était refoulé, devenait inconscient et formait le symptôme. Ceci nous l’avons étudié dans l’article de Freud : « Sur les fantasmes hystériques dans leur rapport avec la bisexualité ». Si j’y reviens c’est pour dire, une fois de plus que, déjà à cette époque-là, en 1908, Freud, même s’il emploie encore ce mot de bisexualité, avait effectivement rompu avec Fliess, c’est-à-dire que, pour lui, la bisexualité n’avait pas une base biologique comme Fliess l’envisageait. Nous en avons pour preuve l’article qui suit immédiatement : « Considérations générales sur l’attaque hystérique ». Vous savez que dans cet article, à propos de cette attaque, la patiente présente un double mouvement, elle s’offre et elle se dérobe. On lui arrache sa robe d’un côté, et de l’autre côté, elle se voile. Cette position à la fois masculine et féminine, c’est cela la bisexualité. Lacan, commentant les textes de Freud sur l’hystérie, et en particulier Dora, met l’accent sur ce point : l’hystérique s’identifie à l’homme. Dora s’identifie à Monsieur K., pour soutenir son désir, mais son désir, le désir de Dora, est intéressé par Madame K., Madame K. qui lui permet de poser sa question d’hystérique : « c’est quoi être une femme ? ». Donc, l’hystérique s’identifie à l’homme, Lacan dira plus tard « fait l’homme ». Par ce « faire l’homme » il y a du sujet. Nous y reviendrons.

Donc, ce premier article de Freud où il nous parle du fantasme à partir du fantasme hystérique. Cet article, nous l’avons étudié dans le courant de l’année. Mais il y a un point qui n’a pas été étudié, c’est ce qui concerne les fantasmes, disons, réalisés par ces potentats romains. (cf. deuxième partie des fantasmes hystériques dans leur rapport avec la bisexualité). L’année prochaine, puisque nous continuons à étudier le fantasme, il nous faudra nous y arrêter car on aura à se poser la question de ce qu’est le fantasme chez le psychotique. Avec ces fantasmes réalisés par ces potentats romains, ces empereurs au temps de la déchéance de Rome, tout laisse à penser qu’on a affaire à des mégalomanes, peut-être des paranoïaques.

Pour ce qui est de la bisexualité, j’y reviens parce que lorsque Freud nous donnera son article « un enfant est battu » qui est, vous le savez, le texte du fantasme fondamental, ce texte où il nous dit que le fantasme, ce qui est véritablement le fantasme, est inconscient, dans cet article, Freud, rompant avec d’autres auteurs et en particulier son ami Fliess, nous dit que s’il s’en était tenu à la bisexualité, telle que Fliess l’envisageait, alors il serait passé à côté de cette découverte du fantasme, puisqu’il est obligé, lui, de reconnaître que chez le garçon comme chez la fille, le fantasme, le fantasme inconscient, le fantasme fondamental, à la même traduction : je suis battu(e) par mon père. C’est important de bien noter où en est Freud à ce moment de sa découverte et cette découverte, Freud y insiste tout au long de son article, c’est l’expérience analytique, ses travaux cliniques, plus exactement les psychanalyses de ses patients et patientes qui l’ont amené à comprendre, à saisir ce qu’est le fantasme.

2. Souvenez vous lorsqu’il commence à nous parier de ce fantasme, la partie consciente, celle qui se dit, c’est : « un enfant est battu ». Et, nous dit Freud, pour que il puisse en savoir plus long, il a fallu que par le travail analytique fait auprès de mes patients, je puisse savoir que cet enfant battu, c’est un enfant autre que l’auteur du fantasme. Battu par qui ? Par un adulte. Mais avant que Freud puisse saisir, savoir que cet adulte, est en fait le père, il lui a fallu, là aussi, presser de questions les patients et les patientes. C’est important de souligner une fois de plus que c’est véritablement à partir des dits de ses patients que Freud est arrivé à mettre en place cette théorie fondamentale, (c’est le cas de le dire, puisqu’il s’agit du fantasme fondamental), théorie fondamentale pour ce qui est de l’émergence du sujet.

Le premier temps de ce fantasme : un enfant est battu, c’est donc « un enfant autre que moi, un enfant que je hais, est battu par mon père ». Ce temps peut être parlé. Il va être suivi d’un deuxième temps qui ne pourra pas être parlé, mais qui se fera connaître, c’est un mot je crois qu’il nous faut garder comme tel. Il n’y a pas remémoration, ça ne peut pas se parler, mais ça peut se faire connaître. Ça peut se faire connaître, d’une part, nous dit Freud, parce qu’il y a eu cette jouissance, cette satisfaction auto-érotique qui se reconnaît, et d’autre part, Lacan reprenant ce travail à partir de son expérience et donc de sa pratique, nous dit qu’il y a là quelque chose de l’angoisse qui peut s’entendre. L’angoisse nous dit Lacan, c’est plus qu’un signal, comme le dit Freud, c’est bien quelque chose qui vient là manifester le sujet. Donc, fantasme inconscient, fantasme qui n’a pas pu être remémoré, mais qui a été construit par Freud, et tout laisse penser que Freud a soumis à ses patients là où il en était arrivé de ses conclusions. Ce que je veux pour le moment vous faire remarquer, c’est la forme sous laquelle ce fantasme fondamental a été énoncé (deuxième temps) : « un enfant - un enfant qui est moi - est battu par mon père, et là c’est important, - est battu par mon père parce qu’il m’aime - …

Le troisième temps c’est ensuite cette phase : « un enfant est battu ». Un enfant est battu par qui ? Un adulte peut-être, nous ne le savons pas : Freud n’est pas arrivé à le savoir. Un enfant est battu mais où est le sujet, l’auteur du fantasme ? Freud nous dit « tout ce que l’ai pu réussir à savoir c’est ceci : le patient dit (en l’occurrence une patiente puisqu’il s’agit du fantasme de la fille) : « Je regardais... »

Si je reprends ces points que vous connaissez, c’est par rapport à ce que dans un premier temps, Lacan nous a apporté sur ce fantasme et qui je crois est important de rappeler. C’était l’époque où Lacan travaillait particulièrement signifiant et signifié, non pas qu’il venait de découvrir, mais dont il voyait l’importance par rapport à la clinique. Dans ce que Freud vient là de découvrir, il met l’accent sur ceci : tout comme ce qui avait pu se dire sur le rêve, le mot d’esprit, là aussi, le signifiant est en jeu, signifiant pur avec ses différents signifiés. Le signifiant : un enfant est battu, dans le premier temps, a pour contenu « mon père bat un enfant, un enfant autre que moi, parce qu’il le hait », et pour la fille en général il s’agit d’un enfant du sexe opposé. Dans ce premier temps, le signifié c’est, nous dit Lacan, « parce qu’il le hait ». Ce qui veut dire : parce qu’en fait, il m’aime moi. Mais ceci ne peut pas non plus se dire, ne peut pas se dire autrement que « parce qu’il le hait ». Dans le deuxième temps, deuxième temps qui est essentiel, l’enfant qui est l’auteur du fantasme est battu, mais sur fond d’amour. Le signifiant c’est toujours un enfant est battu, mais cette foic-ci, le signifié sous ce signifiant, ce n’est plus « parce que il le hait » mais, c’est « parce qu’il m’aime ». Et lorsque nous arrivons au troisième temps : un enfant est battu, (qu’on peut aussi traduire par : on bat un enfant), l’adulte n’est pas représenté, les enfants sont démultipliés. Ce troisième temps, c’est un pur signifiant, sans signifié.

3. Ce fantasme fondamental un enfant est battu va de pair, nous dit Freud. avec le refoulement originaire. Effectivement, ça ne peut pas revenir, ça a existé, il y a une trace, c’est le refoulement originaire. Lacan, revenant sur le sous-titre de Freud : genèse des perversions, met l’accent sur ce deuxième temps qui, aussi, a son importance, c’est le masochisme, un trait de masochisme, mais Lacan nous apprend qu’il n ‘y a pas à en faire une symétrie avec le sadisme comme Freud a tenté de le faire dans un temps de son parcours. Souvenez-vous, lorsque nous avons travaillé la pulsion, il y avait ce retournement sadisme-masochisme. On a ça aussi dans ce fantasme. On peut penser que dans le premier temps il y a là quelque sadisme à prendre plaisir à voir battre un enfant autre que soi. Dans le deuxième temps, il y a ce trait de masochisme, mais il n’y a pas cette symétrie, ce va et vient, nous aurons l’occasion de le développer l’année prochaine, puisque nous continuerons à travailler le fantasme. Ce qui nous intéresse tout de suite, l’important, c’est ce qui touche ce trait de masochisme, qui a à voir avec ce qui est le thème de notre année, j’entends d’une façon générale (pas forcément ce que nous faisons uniquement dans ce groupe) qui est l’émergence du sujet. Cette émergence du sujet, c’est-à-dire, cet enfant battu, va toujours de pair avec l’objet, et dans ce temps où Lacan n’avait pas encore individualisé l’objet a, c’est, nous dit-il, le sujet qui, dans ce temps, est un rien du tout, un rien du tout sous la férule, sous le fouet du père qui tape. Ce rien du tout, vous savez que ce sera l’objet a, objet qui va choir, et qui va toujours de pair avec l’émergence du sujet. C’est ce que sous ce deuxième temps, Lacan s’est efforcé de nous faire saisir par la suite tout au long de son enseignement. Le sujet ne peut venir au jour, ne peut émerger comme sujet de l’inconscient, effet du signifiant et du signifiant « un enfant est battu » - ne peut émerger, s’inscrire sous ce signifiant, que s’il y a cette opération qui fait que dans le même temps il devient ce rien du tout. C’est-à-dire où il y a cet objet dont il va se séparer. Ceci nous ramène tout droit à l’écriture du fantasme que Lacan nous a donné, $, le sujet de l’inconscient, le sujet de ce deuxième temps, de l’article de Freud, émerge pour disparaître sous ce signifiant et ceci, il ne peut le faire qu’en devenant en même temps, ce rien du tout, cet objet perdu, cet objet a. C’est dans cette relation du sujet barré, avec cet objet a que naît le fantasme : $ ◊ a.

Dans ce texte donc, Freud met, si je puis dire, en place le fantasme qu’il a dû accepter à cause des dits de ses patients qui l’ont obligé à reconnaître qu’il y avait là quelque chose d’essentiel dans ce qui se jouait au cours de leur travail analytique.


II

1. Ce fantasme « un enfant est battu », plus exactement « je suis battu(e) par mon père » qui est le deuxième temps, cette phrase sera autant la phrase dite par le garçon que par la fille. Ceci ne peut se mettre en place que parce que lors de l’émergence du sujet, de ce qui va permettre que du sujet naît, comme il nous a été dit les dernières fois, le sujet rencontre le point de manque dans l’Autre. J’ai refait le graphe comme habituellement : le sujet, la rencontre avec le grand Autre, mais j’ai différé quelque chose de ce graphe.

À partir du point de manque dans A, que Lacan écrit, à partir de ce point ce manque dans A, va se mettre en place le fantasme. C’est parce que, dans A, est reconnu, appréhendé, lorsque le sujet vient à émerger, ceci, qu’il y a au sein de l’Autre quelque chose qui manque, des places évidées, où il n’y a pas de jouissance, puisque A ne jouit pas, qu’il est un désert de jouissance. À partir de ce point de manque appréhende par le sujet se met en place le $ ◊ a, c’est-à-dire le fantasme qui se dit « je suis battu(e) par mon père ». Plus exactement qui ne pourra jamais se dire, mais cette phrase qui est là, c’est en fait ce S( ), qui nous a embarrassés pendant un certain temps, car pour beaucoup, il était difficile d’accepter qu’il s’agissait là d’un signifiant c’est-à-dire de quelque chose qui avait à voir effectivement avec la parole. Cette phrase, cet axiome, qui est le fantasme fondamental, « Je suis battu(e) par mon père » qui ne peut pas se dire, c’est quand même une phrase ; c’est pourquoi on peut se dire que c’est ce signifiant qui vient signifier qu’au sein de A il y a un point de manque.

2. Je vous rappelle ces choses que vous connaissez, je vous les redis sous une autre forme, parce que dans notre travail l’année prochaine, nous considérerons ce qu’il en est des fantasmes, si je puis dire, dans les autres structures.

Là je m’arrête un instant. Freud, et Lacan après lui, nous dit que le fantasme fondamental se rencontre dans toutes les structures. Freud y insiste, il nous dit qu’il a eu affaire à des obsessionnels, à des hystériques et il y a ce trait de perversion qui est là noté par lui, sous forme de genèse. La question pour nous est de savoir comment dans certaines structures on peut expliquer que ceci soit le fantasme fondamental. Si nous nous en tenons à ce que Freud nous dit, le fantasme, c’est un trait qui se retrouve dans toutes les cliniques, alors qu’il n’en est pas de même pour le symptôme. Comment expliquer sa façon de traduire ce fantasme fondamental dans les différentes cliniques ? Ceci nous arrêtera l’année prochaine, et en particulier, pour ce qui est de la perversion, il nous faudra bien partir de ce fantasme fondamental « je suis battu(e) par mon père », pour expliquer ce qu’il en est du fantasme chez le pervers. Est-ce que c’est compatible avec ce que Freud nous apporte ? Nous pouvons déjà tout de suite dire oui. Mais comment est-ce compatible ? C’est ce que nous aurons à détailler. Mais déjà, il est important de rappeler que dans les premiers temps de l’enseignement de Lacan autour des années 57-58-59, c’est-à-dire les séminaires : La Relation d’Objet, Les Formations de l’Inconscient, Le Désir et son Interprétation, Lacan, lorsqu’il commente ce texte un enfant est battu, met, comme Freud, l’accent sur le père. Il nous fait remarquer que au-delà du père, il y a à considérer le Nom du Père. Dans cet article, Freud, là où il en est de son parcours, de sa compréhension de ce que ses patients lui ont apporté, en fait c’est le problème de l’Oedipe qui est sous-jacent. Cet au-delà du père, ce Nom du Père, que Lacan formulera dans ces années 58-60, c’est bien de cela qu’il s’agit, mais Freud, à cette époque, en est à la genèse et Lacan, avec ce qu’il a apporté autour de l’objet a, nous fait saisir qu’on ne peut pas en rester à cette phénoménologie.

D’ailleurs, lui-même Freud, pour nous faire comprendre ce temps inconscient, qui a à voir avec le refoulement originaire, nous dit que c’est la logique, (c’est dans son texte) c’est la logique qui l’a obligé à tenir compte de ce qui différenciait le premier temps qui s’entend, du troisième temps qui s’entend également et de ce qui différencie ces deux temps, qui s’entendent, de l’autre temps, le temps essentiel, le temps fondamental qui a à voir avec l’inconscient et ce refoulement originaire. Donc, il y a un au-delà de l’Oedipe, le Nom du Père, mais aussi le Surmoi, et c’est à partir de ce Surmoi, que, pour ce qui est du pervers, nous pourrons saisir ce qu’est son fantasme.

Prenons le sadique. Le sadique, avec son fouet, qu’est ce qu’il s’efforce d’obtenir ? Sade, Sade et ses désirs ? Sade et ses délits, Sade fouettant ses partenaires ou des prostituées de Marseille, qu’est ce qu’il fait ? C’est bien là quand même ce qui a à voir avec ce fantasme. Il se met là avec ce fouet, ce fouet en mains, et il veut marquer de son fouet ses victimes, ce qui a tout à fait à voir avec le fantasme un enfant est battu. Ce faisant, il provoque quelque chose de la déchéance de ses victimes. C’est-à-dire que ce fantasme que Freud a trouvé chez le névrosé et dont il nous dit que c’est la genèse des perversions. Sade, nous montre qu’il essaie de le mettre en acte. Mais ce qui va en faire toute la différence c’est la position des sujets.

3. Partons de ce que Lacan dans « Subversion du sujet » nous dit de ce qui permet de construire le fantasme, la division du sujet. Il faut une division du sujet du signifiant lorsque il est aux prises avec la parole.

L’infans qui va devenir sujet névrosé, du fait de la rencontre avec le S1, il y aura du sujet, mais nous dit Lacan, et l’article de Freud est là pour nous permettre de bien le saisir, un sujet en projet, aux prises, parce que il parle, avec le phallus. Il sera aux prises avec la castration, c’est aussi cela que nous avons étudié lorsque nous avons, tout au long de l’année, travaillé le fantasme et en particulier un enfant est battu. Si cette phrase ne peut pas se dire c’est qu’il y a là la castration sous-jacente, castration qui ne peut pas être connue. Dès qu’il y a du sujet, dès que l’enfant reçoit le langage et qu’il s’y engouffre, il va être aux prises avec le phallus, le phallus sous forme négativée, - phi. C’est parce qu’il est en proie à la castration, qu’il rencontre le phallus, qu’il va devoir mettre en place le fantasme qui permet justement de ne rien savoir de la castration.

Je dis les choses rapidement parce que je voudrais en venir à ce qui fait que l’on peut parler du fantasme c’est-à-dire, à cette construction nécessaire pour le fantasme. Sujet divisé, du fait de la parole, parce qu’il parle. Et parce qu’en proie à la castration, parce qu’il rencontre ce - phi, il y aura cet objet, ce rien du tout nécessaire, qui a à voir avec sa propre jouissance. Du fait de la castration, le sujet divisé va devenir ce rien du tout, aura comme équivalent cet objet qui va choir. Pour qu’il y ait fantasme, il faut 1) qu’il y ait sujet divisé, 2) qu’il y ait un objet qui choit, comme reste de cette division. Un objet avec cette caractéristique de déchet et de brillance.
Partons du névrosé. Le névrosé nous avons à faire à lui tous les jours, nous en sommes, heureusement pour nous. Pour le névrosé nous comprenons facilement le fantasme : le névrosé est divisé, (la clinique nous fournit l’occasion de saisir son inconscient par quoi il est divisé) et il est en rapport avec cet objet, cet objet qui dans l’article de Freud est le regard. En effet dans le troisième temps, où il n’y a plus que du signifiant (signifiant pur sans signifié) et que Freud demande à l’auteur du fantasme, c’est-à-dire au patient qui lui rapporte ceci, « mais où est-ce que vous êtes, vous ? », le patient dit : « je regarde ». L’objet c’est ce regard. Donc, une division qui touche le sujet de l’inconscient et un objet qui est l’équivalent de ce sujet de l’inconscient. Nous avons vu tout à l’heure dans cette phrase : « je suis battu(e) par mon père », phrase qui ne peut pas se dire, suivant Lacan, que dans ce trait de perversion, ce trait de masochisme que Freud a saisi, peut se traduire par un rien du tout, c’est-à-dire ce sujet devient, et, à ce moment-là, un rien du tout sous le fouet du père, moyennant quoi il en tire une jouissance puisque par là, il va pouvoir se dire aimé du père. Donc, sujet divisé + objet qui a à voir avec ces objets qui peuvent choir : c’est bien ce que pour les autres structures nous devons trouver.

Pour le pervers, nous avons vu avec l’exemple de Sade (le sadisme) que Sade va se mettre dans la position de celui qui prend le fouet, masquant ainsi, lui Sade, ce qui est de sa division de sujet puisqu’il se met à cette place, disons du Père de celui qui prend le fouet. Celui qui a le fouet c’est le S1, c’est le signifiant maître, je ne l’ai pas rappelé tout à l’heure, je le dis maintenant et ce qu’il va obtenir de la victime, de ses partenaires, c’est que ses partenaires choient, mais en même temps soient divisés. Il cause leur jouissance, qui va se traduire sous forme de souffrance, qui va diviser le partenaire qui choit, qui devient cet objet sous le fouet de Sade et l’on peut dire la même chose pour toutes les autres perversions. L’exhibitionniste provoque aussi la division chez la victime innocente, comme dit Lacan, il provoque sa jouissance. Le pervers vit donc son fantasme différemment que le névrosé. Il vit son fantasme en pensant (c’est un mot rapide qui ne traduit pas véritablement ce qu’il y aura de déployé autour de ce fantasme) qu’il est en quelque sorte maître de son fantasme qu’il peut conduire l’autre, le partenaire dans ce qui est de sa jouissance et de sa souffrance. Mais Lacan nous dit qu’en fait, il n’est pas plus avancé que le névrosé car il y aura toujours quelque chose qui lui échappe : c’est son désir, désir inconscient. Ceci nous amène à l’autre aspect du fantasme, aspect tout à fait important. qui est la relation, du sujet avec le désir de l’Autre.

Lorsque le sujet vient à émerger, lorsque l’enfant reçoit le langage et l’accepte, lorsque il parle, il est aux prises, il a à appréhender, non seulement ce manque dans l’Autre, mais son désir. C’est bien parce qu’il y a ce désir de l’Autre, qu’en fait, lui, peut venir au jour, sujet de la parole. C’est bien ce désir de l’Autre qui fait que lui, qui était infans, va devenir sujet de la parole, sujet parlant. Et il n’est sujet de la parole que parce qu’il y a ce désir de l’Autre. Mais, nous dit Lacan, ce que le sujet ne sait pas c’est qu’il n’est rien d’autre que le désir de l’Autre. C’est-à-dire que ce qui nous fait venir au jour de la parole, qui fait que nous sommes sujets de la parole, que nous sommes parlêtres et que, si je puis dire, nous allons et venons avec ce qui nous soutient dans la vie et qui fait que nous avons envie de vivre, c’est le désir de l’Autre. Et de ça pour ce qui est de ne pas savoir qu’on est rien d’autre que ce désir de l’Autre, le pervers est exactement à la même enseigne que nous, névrosés. Il pense jouer de son fantasme. Mais ce qui lui échappe, à lui comme au névrosé, c’est que son désir, ce désir inconscient, n’est rien d’autre que le désir de l’Autre. Et c’est pour ça que le sujet, sujet de la parole, quelle que soit sa structure, met en place le fantasme, qui lui permet de ne rien savoir 1) de sa castration nous l’avons vu avec phi 2) de ce qu’il n’est rien d’autre que ce désir de l’Autre. Le fantasme est là pour faire écran. Avec la parole, avec le fait de devenir sujet de l’inconscient, se met donc en place le fantasme qui permet l’homme disons d’aller-venir, de ne rien saisir de sa castration, de ne pas savoir qu’il est ce désir qui est le sien. Ce sont des points importants à prendre en compte l’année prochaine dans l’étude du fantasme dans les structures autres que la névrose encore que, il nous faudra faire la différence entre le névrosé hystérique et le névrosé obsessionnel.


III

Puisque je parle des différentes structures, je ne peux pas ne pas parler du psychotique, parce que lui aussi, nous dit Lacan, est sujet du signifiant, sujet barré par le signifiant. Il parle, même s’il est parlé, même s’il est habité par le langage. Alors on a à se poser la question pour ce qui est de son fantasme, vous savez, et l’ai soutenu, très nettement, ici même, l’année dernière, lorsque nous avons repris notre travail, que pour moi, et m’appuyant sur ce que Lacan nous dit dans son commentaire du président Schreber, et sur ce que, semble-t-il, la clinique peut apporter, je ne pense pas que cette phrase que Schreber dit au début à un moment de son endormissement « qu’il est beau d’être une femme subissant l’accouplement… » je ne pense pas qu’on puisse s’arrêter à ceci, pour dire qu’il y a là fantasme de Schreber. Nous aurons, bien sûr, à y revenir, à y regarder de plus près. C’est vrai que dans certains passages, Lacan dit, mais je crois que cette façon de dire de Lacan doit justement nous arrêter, il dit à propos de cette phrase, après avoir commenté Ida Macalpine il nous dit : ce pont aux ânes de la littérature schréberienne (Écrits page 566).

Ça laisse penser qu’il n’est pas tout à fait d’accord. Naturellement, il ne nous a pas dit ce qu’est le fantasme de Schreber, et si il y a fantasme chez Schreber, parce que, pour qu’il y ait fantasme, il faut que cette question de la castration soit là posée. Or, nous savons que chez le psychotique, cette castration, bien qu’il soit, lui aussi, sujet de la parole, cette castration n’est pas inscrite. Le sujet psychotique n’est pas confronté à la castration puisque cet au-delà du Père, ce Nom du Père, ne s’est pas pour lui inscrit, n’a pas pris réalité, (et pourquoi ne pas dire les choses ainsi : Lacan le dit à un moment de son enseignement, ça peut éclairer et permet je crois de saisir ce qu’il veut dire du Nom du Père).

Prenons Schreber, c’est un cas bien connu de nous maintenant, sa lignée a été étudiée par certains de nous. En tout cas pour ce qui est de son père, il est connu par la postérité avec sa méthode de gymnastique, ses jardins pour enfin mieux se porter. Ce père, il existe le père de Schreber, il existe bel et bien, il a une importance dans la vie de Schreber, on ne peut pas dire qu’il y a là un père absent, pas du tout. Il existe si bien que nous avons tout ce qu’il a pu mettre en place pour, non seulement l’éducation de ses propres enfants, mais l’éducation des autres. Mais les choses ne sont que torchées à la 6, 4, 2, « il n’a fait que des ombres d’hommes torchés à la 6, 4, 2 » nous dit Schreber dans son délire et ce n’est pas nous qui lui faisons dire, c’est lui même Schreber qui nous le dit. C’est-à-dire que ce Père est là, bel et bien là, mais il n’y a pas cet au-delà du père qui fait que la castration sera inscrite pour son fils, qui fait que de faille il n’y aura pas.

Nous avons tout à l’heure très rapidement parlé du désir de l’Autre. Ce que le sujet ne sait pas c’est qu’il n’est rien d’autre que le désir de l’Autre. Mais l’Autre, son désir c’est une chose qui nous a, certains des névrosés que nous sommes, bien arrêtés. Or ce désir de l’Autre, chez le psychotique, on ne peut pas dire qu’il y ait quelque chose qui soit de l’ordre du désir de l’Autre. Pour le psychotique, l’Autre, et le père de Schreber est bien là pour nous le faire une fois de plus saisir, l’Autre est là sans que quoique ce soit de ce qui pourrait être manque puisse apparaître. Le père de Schreber il y est avec une certaine entièreté et la faille, le désir de l’Autre, ne peut pas être appréhendé par son fils. Il y a un vouloir de l’Autre. C’est cela chez le père de Schreber, un vouloir. Mais pour ce qui est du désir, si le désir est la définition que nous en donnons avec ceci de la fai1le qui marque le sujet, on ne saisit pas chez Schreber quelque chose qui serait de l’ordre du désir. Alors la question du fantasme se pose une fois de plus. Que viendrait bien masquer le fantasme chez le psychotique ? Pour ce sujet de la parole qu’est le psychotique, sujet certes barré par le signifiant ; mais sujet qui n’a pas été aux prises avec la castration ni avec le désir de l’Autre, quel peut être le fantasme ? Y a-t-il fantasme ? Pouvons-nous trouver dans son délire : 1) un objet ? oui on peut le trouver, il le dit, il est cet objet laissé en plan, lui, le président Schreber. Il nous dit aussi quelque part qu’il est cet excrément de Dieu pour reprendre la façon de dire de Luther, chiure de Dieu. 2) une division ? la trouve-t-on dans les deux Dieux, un Dieu inférieur et un Dieu supérieur, ces royaumes célestes, est-ce que c’est autour de ces deux sortes de Dieu, qu’on trouve une division chez Schreber ? Est-ce que c’est autour de ceci qu’il y aura à penser quelque chose du fantasme ?

Je pense que c’est autant de questions que nous aurons à nous poser et nous essaierons d’y répondre. Non seulement nous aurons ce texte de Schreber, nous aurons nos propres expériences cliniques, les présentations de Lacan, les notes qu’on peut en avoir pourront nous servir. Bernard Mary a fait un travail tout à fait intéressant sur une des présentations de Lacan, dont Lacan lui même nous parle dans un de ses séminaires, le 17 février 1976, à partir de cet homme qui avait des paroles imposées. Peut-être que nous pourrons essayer de serrer au plus près cette question du fantasme chez le psychotique ?

Le fantasme qui est tout à fait capital dans la clinique, car c’est le fantasme qui permet à la clinique psychanalytique de se différencier de la clinique psychiatrique. Car, si nous nous en tenons uniquement à la trame des névroses, à l’articulation signifiante, et pour ce qui est de cette trame des névroses, ceci a été souligné la dernière fois, dans son article « un enfant est battu », Freud dit que le fantasme est en dehors de cette trame des névroses, de l’articulation signifiante (page 223). Si nous nous en tenons uniquement à l’articulation signifiante, alors la clinique psychanalytique est la même que la clinique psychiatrique. Ce qui va différencier la clinique psychanalytique, c’est le fantasme, c’est-à-dire cet objet a - qui est nécessaire pour qu’il y ait du sujet de l’inconscient.


IV

1. Un mot enfin sur ce que j’ai marqué, pensant pouvoir le développer mais je ne le ferai pas. C’est autour de φ et de l’écriture du fantasme $ ◊ a. C’est un passage entre autre de « Subversion du sujet » que je voulais (commenter, c’est trop dire) mais introduire autrement dans ce que j’apporte cette après-midi. La castration – φ, donne au fantasme sa raison, et Lacan nous dit que φ peut avoir une relation une position différente dans le fantasme. Tantôt, il peut se glisser sous le $. s tantôt être inclus dans le a/- φ, inclus dans le a, mon expression n’est pas bonne, puisqu’une inclusion ce n’est pas ainsi qu’il faudrait l’écrire. Inclure le a nous dit Lacan, c’est la position du désir pur, du pur désirant et il nous donne comme exemple : Alcibiade. Alcibiade, dans le Banquet de Platon, se montre désirant, désirant de ce qu’il n’a pas vu et que Socrate possède. Lacan, traduisant Platon dans sa littéralité, nous dit que ce que Alcibiade demande, ce qu’il n’a pas vu, et qu’il désire, chez ce laideron qu’est Socrate, c’est la queue de Socrate. Alcibiade : pur désirant. Ce n’est pas ça uniquement qui vient montrer qu’Alcibiade est pur désirant. Dans son séminaire sur le transfert, Lacan voulant caractériser Alcibiade, nous dit que c’est celui qui va droit au but, rien ne l’arrête pour ce qui est de l’objet. Alcibiade arrive chez je ne sais plus quel roi de Grèce. Sa femme lui plait. Alcibiade va droit au but et la séduit. Rien ne l’arrête, c’est le pur désirant. C’est-à-dire que, lui Alcibiade, ne se met pas du tout dans la position de poète courtois, de celui qui tient des discours à son objet aimé et désiré, de celui qui a le temps de faire toute une poésie, parce que l’objet, qui est aimé et désiré est mis à cette place de la jouissance, à cette place de la Chose, nous dit Lacan à cette place où justement, on ne peut pas y aller parce qu’interdite. Alcibiade, c’est le contraire de celui qui sublime. L’objet n’est jamais mis à cette position de la Chose, ne vient jamais à la dignité de la Chose. On n’a pas le temps d’être un poète courtois quand on est pur désirant.

Quand – phi glisse sous le sujet, $/- φ alors nous dit Lacan, c’est du côté du névrosé et, vous le verrez (je vous dis ce qui est dans « Subversion du sujet » page 826), c’est le Moi fort. Le Moi fort, parce que le névrosé, dès le départ, a à voir avec la castration imaginaire. Souvenez-vous, je crois que c’est l’année dernière que j’en ai parlé. Lorsque le sujet est aux prises avec le langage, il est en proie au signifiant phallus. Ce qui va se jouer à ce moment-là, c’est cette substitution qui fait que le a va pouvoir venir, plus exactement, le signifiant S1 va lui être substitué, et dans cette opération, il y aura l’objet a et φ, c’est-à-dire qu’il y aura quelque chose de la castration imaginaire. Soit l’écriture $/- φ. C’est parce que nous dit Lacan, dans « Subversion du sujet » page 126, c’est parce qu’il a subi cette castration imaginaire dès qu’il parle, que le Moi fort est de son côté, avec cette conséquence, que pour ce qui est de la cure analytique, il vaut mieux ne pas y toucher nous dit Lacan.

Freud nous dit dans un enfant est battu en 1919 que le fantasme résiste à l’analyse. C’est un point à ne pas oublier. Il le redit encore en 1937 dans un de ses derniers écrits : « Analyse finie et Analyse infinie ». Jusqu’au bout le fantasme se montre à nous comme ce qui peut toujours résister à l’analyse, ce qui peut faire que l’analyse peut ne pas arriver à atteindre son but, et mettre ce but dans le vague. Ce qui fait qu’il peut ne pas y avoir de fin pour une analyse, c’est le fantasme qui résiste. En 1919 Freud a déjà derrière lui un certain nombre d’années d’expérience et vingt ans après il le dira encore : c’est ce qui résiste. Et c’est bien à partir de ce qui résiste, de ce fantasme, que Lacan, parce que certains ont pu en l’expérience avec lui, il le dit en 64, Lacan a pu faire saisir que, effectivement, pour pouvoir aller jusqu’à ce point, (qu’il ne lit pas de fin mais de finitude) que quelque chose pourra être levé, l’analyse aura pu atteindre une fin, il faut que ce fantasme puisse être traversé, que ce masque qu’est le fantasme, masque qui est mis sur la castration, masque qui est mis sur le désir de l’Autre, il faut que par le travail analytique, ce masque puisse être levé. C’est-à-dire que ce qui est de la signification de la castration et j’en ai parlé il n’y a pas très longtemps, peut-être pas ici, ce qui est le sens de la castration et que le fantasme masque, c’est « il n’y a pas de rapport sexuel ». Le sujet l’éprouve. J’en parlerai plus en détail, le prochain mardi, mais tout de suite, je vous dis ce que j’avais apporté aux obstétriciens de Baudelocque lorsque je les ai rencontrés une deuxième fois. C’est l’exemple du coquelet. Dans la basse-cour, à l’instant même où il devient coq, si une poule passe à sa portée, il sait tout à fait ce qu’il faut faire, il n’est pas du tout embarrassé. Il y a rapport sexuel, il sait comment se comporter. Il n’en est pas ainsi pour le petit d’homme, qui ne sait pas lui, comment se comporter, et nous en avons trace dans la littérature psychanalytique, déjà dans ce que Freud a pu noter, sur les théories sexuelles infantiles qu’il a recueillies de la bouche de ses patients et sur les aberrations sexuelles. C’est cela le « il n’y a pas de rapport sexuel ». Le fantasme masque cette signification de la castration et permet à l’homme de ne pas être aux prises avec ce vrai sens de la castration. Le fantasme est aussi, nous l’avons vu, ce qui permet de ne rien d’autre que le désir de l’Autre, de ne pas savoir l’objet a qu’on est, un rien du tout, objet de déchet et de brillance. De cela on ne peut rien savoir parce que la conjonction de l’objet avec le sujet fait que le fantasme se met en place."