Janvier 1995
Document de travail
J’ai intitulé mon propos « Lacan et la découverte freudienne ». J’aurais pu y mettre quelques points de suspension, car, en fait, l’essentiel de l’enseignement de Lacan fut de nous expliquer pourquoi le retour à Freud et le sens qu’il donne à ce retour.
En juillet 1895, Sigmund Freud déchiffre un rêve, le sien, le rêve que depuis l’on appelle l’« injection à Irma », et il découvre, ainsi, qu’il y a là tout un texte, un texte qu’il porte en lui, un véritable texte. Je vous rappelle quelques phrases de ce rêve : « Un grand hall, ma femme et moi nous recevons ; dans l’embrasure de la fenêtre, il y a Irma, sa gorge ouverte. »
Freud déchiffre ce rêve, en trouve le sens, et, avec cette découverte, il peut dire qu’il vient de mettre là, au jour, un savoir, un savoir qui ne se sait pas et qu’il a appelé das Unbewuste, « l’insu ». Ce savoir qui ne se sait pas lui permet d’affirmer que le rêve, chaque rêve, a une signification et que ceci n’a rien à voir avec la clef des songes. C’est un point important. En affirmant ceci - c’est une rupture qu’il vient d’opérer -, il accomplit une véritable rupture épistémologique. L’inconscient est donc un savoir et un savoir qui ne se sait pas. Freud, dans le même temps où il met en place, où il découvre cet inconscient, rédige à l’intention de son ami Fliess - le docteur Fliess avec qui il dialogue -, ce qu’il a appelé « l’Esquisse pour une psychologie scientifique ». Il a voulu expliquer à Fliess quels étaient les soubassements de ce que porte l’individu et de ce qui fait l’inconscient. C’est cette jouissance première que le petit d’homme a à connaître, jouissance telle que celui-ci cherchera à nouveau à retrouver ce qu’il a éprouvé. Mais il va faire une cruelle découverte, même s’il ne peut pas encore l’exprimer en mots. C’est que, ce qui lui a apporté cette jouissance, il ne pourra jamais plus le retrouver. L’objet qui a apporté la jouissance première au petit d’homme est perdu, et perdu dès qu’il en a joui. Et toute sa quête sera de pouvoir à nouveau retrouver cette jouissance. La faim l’y poussera. Mais ce qu’il aura, ce qu’il trouvera, ne sera plus jamais ce qu’il a connu. Ce qu’il sera obligé de saisir, c’est qu’il y aura pour lui quelque chose d’interdit, d’interdit à tout jamais, et qui fera que l’objet, l’objet premier de sa satisfaction, l’objet premier qui lui a apporté la jouissance, est perdu. Donc Freud, dans cette foulée de la découverte de l’inconscient, de cet « insu », met en place ce qu’il va appeler une « psychologie scientifique », il envoie une lettre à son ami Fliess qui ne lui répond pas. Et Freud ne parlera plus jamais de ce dont il vient de faire part à son ami. Il découvre peu après l’inconscient, il découvre que, en lui-même - puisqu’il continue à faire sa propre analyse -, il y a un désir, un désir, dit-il, pour matrem, un désir pour sa mère. Il sait qu’il porte en lui ce qu’il appellera l’« Œdipe ». Cet « Œdipe » - Freud insiste sur ce point -, c’est quelque chose d’universel, qui caractérise tout être parlant. Je crois que nous pouvons nous y arrêter un instant.
Pour rendre compte de ce qu’il vient de découvrir, pour rendre compte plus exactement de ce qu’il vit, Freud a choisi un mythe, un mythe grec. Mais cela ne veut pas dire que l’« Œdipe » ne peut se trouver que chez certains individus d’une certaine société. Ce que nous savons, maintenant, c’est que, dans toutes les sociétés, il y a chez le petit d’homme ce désir qui le pousse vers matrem. Mais la traduction, la façon d’en parier sera autre, ce sera un autre mythe. J’insiste là-dessus parce que, vous le savez bien, la question que l’on a toujours posée c’est de savoir si, pour nous, pour nous population noire, cette découverte de Freud nous intéresse ; c’est de savoir si cette découverte de Freud est aussi nôtre. Cette découverte est telle que, dans un temps qui suivra, reprenant ce qui est là de l’universalité de la psychanalyse, Lacan parlera du désir de l’analyste et montrera que ce désir de l’analyste, apuré, ce désir de l’analyste, débarrassé, chez chacun qui le porte, de tout ce qui fait particularité, pourra permettre que l’on entende tout être parlant à condition d’être habité par ce désir et de ne tenir compte d’aucune idée préconçue. Découverte de Freud donc, telle, que Lacan la dit « prométhéenne ». Et, avec cette découverte, Freud va s’efforcer de mettre en place quelque chose, une méthode d’investigation, la méthode psychanalytique. C’est là son invention. La découverte de l’inconscient, ce n’est pas son invention. C’est une découverte, c’est quelque chose qui habite chaque homme même si jusque-là on n’avait pas pu le cerner. Mais l’invention de Freud c’est la méthode psychanalytique : c’est comment faire des investigations qui permettent de déchiffrer, chez les autres, cet inconscient.
Freud était un positiviste. Il était important pour lui que la psychanalyse soit rangée parmi les sciences, parmi les sciences de la nature. Freud portait un intérêt particulier aux sciences de la nature et. à cause de ceci, les traductions qu’il a pu donner dans un premier temps ne répondaient pas exactement à ce qui était. Prenons le cas de l’ « Œdipe », cet « Œdipe » universel. Dans ses premiers écrits et, en particulier, dans son analyse de Dora, lorsqu’il nous parle de l’« Œdipe », Freud établit une dissymétrie entre la fille et le garçon. La fille est portée vers le « père », le garçon vers la « mère ». Freud, pendant tout un temps, ne va pas tenir compte de ce qu’il a appelé son « Esquisse pour une psychologie scientifique » et ne donnera pas toute l’importance qu’il y a à donner à cette jouissance qui doit être barrée. Donc, parce qu’il voulait que la psychanalyse soit une science, Freud va, dans un premier temps, rendre compte ainsi de l’« Œdipe ». Mais l’amour de la vérité qui habitait Freud l’a obligé, chemin faisant, à reconsidérer sa position initiale. Freud a fait savoir que, là, quelque chose lui avait échappé, quelque chose qui concerne l’« Œdipe » de la fille et que, pour la fille, les choses diffèrent de ce qui se passe pour le garçon. Pour le garçon, c’est simple, son premier objet c’est la « mère » et c’est encore vers la « mère » que tend son désir. Pour la fille, les choses sont plus compliquées. Pour la fille comme pour le garçon le premier objet c’est la « mère ». Mais la fille - parce qu’elle est la fille, c’est-à-dire, parce que privée de ce pénis qu’a le garçon - la fille, à un moment, découvrant que sa « mère », elle aussi, en est privée, a pour elle un mouvement tel qu’elle se détourne de cette « mère » qui est l’objet premier de son amour et de son désir et se tourne vers le « père ». Si bien que l’« Œdipe » de la fille est quelque chose de complexuel : de complexuel, du fait, disons, de la « différence des sexes ». C’est le mot que Freud emploie. Et Il y aura tout un trajet qu’une fille aura à faire, parce qu’elle est fille, pour pouvoir résoudre ce qui est de ce désir premier vers la « mère » qu’elle est obligée d’abandonner pour se tourner vers le « père ». Et, à la fin de sa vie, dans les années 1930, Freud revient sur ce qu’il a dit car les cures, les investigations qu’il a menées l’ont contraint à reconnaître que, là, il avait tiré une conclusion qui ne rendait pas compte des faits.
Freud était un scientifique, Freud avait un amour de la vérité et il n’a jamais hésité à rectifier les conclusions qu’il pouvait donner au cours de ses élaborations théoriques. Un autre point important de cette découverte freudienne ou, plus exactement, de la démarche de Freud, concerne ce que, dans un premier temps, on appelle la « première topique », celle qu’il a mise en place pour expliquer ce qui se passe au coeur de l’inconscient. C’est sur cette première topique - l’inconscient, le préconscient, le conscient qu’il a essayé de faire saisir ce qu’il découvrait dans les paroles de ses patients. Mais il y a un point capital : c’est que Freud a pensé que l’être parlant, le sujet, procédait à une régulation grâce à laquelle la vie était possible. C’est ce qu’il a appelé le principe de plaisir. C’est vrai, il y a cette « homéostasie » qui fait que, lorsqu’il souffre - enfin cette jouissance qui est aussi souffrance, elle est là, présente -, l’être humain va s’efforcer de la réduire à une tension telle que cela puisse être supportable.
Donc, c’est sur ce principe de plaisir que, dans ce premier temps de son travail, Freud a essayé d’expliquer ce qu’il recueillait au lit de ses patients. Mais il a dit et c’était le titre d’un de ses articles, l’un des plus importants, autour des années 1920 -, il a dû reconnaître qu’il y avait quelque chose « au-delà du principe de plaisir ». C’est le titre de l’article. Et ce quelque chose qui est au-delà du principe de plaisir a à voir avec cette jouissance et cette jouissance qui est aussi masochisme.
L’exemple qu’il retient est fourni par l’un de ses petits-fils. Ce petit-fils invente un jeu, alors qu’il est encore tout petit, pour se consoler du départ de sa mère, cette mère qui a souvent à faire hors de la maison. Avec une bobine, il invente un jeu. Il envoie la bobine au loin : c’est le « fort », c’est ce qui le fait souffrir, c’est la « mère » qui s’en va. Et puis, à un moment donné, il ramène cette bobine : c’est une certaine joie qui se manifeste sur le visage de cet enfant. Mais, ce qui étonne le plus Freud, c’est que ce n’est pas ce temps où l’enfant se réjouit du retour de sa mère, dans ce jeu qu’il a mis en place, ce n’est pas ce temps qui est le temps qui le retient le plus longtemps : c’est le temps qui le fait souffrir, c’est ce « fort », c’est le départ de la « mère », c’est sur ce temps-là que l’enfant insiste. Donc, ce n’est pas tant le principe de plaisir, ce n’est pas ce qui fait qu’une certaine « homéostasie » peut être maintenue et que la jouissance ne puisse pas être souffrance, qui est l’essentiel. Il y a cet « au-delà du principe de plaisir » et cet « au-delà du principe de plaisir » auquel dans ses cures, Freud est obligé d’accorder une part importante. Il y a une jouissance telle, dans le symptôme que présente le sujet, une jouissance telle que le sujet tient à son symptôme, une jouissance telle que, bien souvent, le traitement est difficile. Et alors que le traitement avance, alors que les choses se déchiffrent, pour ce sujet en cure, il y a un moment que Freud a appelé la « réaction thérapeutique négative » : le sujet préfère rester avec ce qui ne lui procure aucun plaisir, ce qui fait qu’il demeure inchangé, là dans sa souffrance. Je ne peux pas rentrer dans tout le détail de ce qui est la démarche freudienne, de tout ce que, au cours de ces années de travail, il avait, semaine après semaine, jour après jour, mois après mois puisque Freud, très régulièrement, notait chaque jour - ce qu’il avait pu recueillir. Mais ce que je voudrais dire, c’est que Freud, à la fin de sa vie, se posant un certain nombre de questions qu’il n’avait pas pu résoudre, a fait savoir que ceux qui viendraient après lui auraient à s’en occuper. Et, au moment où la plume allait lui tomber des mains, pour reprendre cette expression de Lacan, au moment où il était à la fin de sa vie, il écrit un texte : Ichspaltung. C’est cette division du « moi », qui fait que le sujet humain n’est pas quelque chose d’uniment poussé vers tel ou tel de ses désirs. Il est sujet déchiré et Lacan dira sujet « divisé ». C’est sur cet article, cet article qui a une importance capitale pour la psychanalyse, que œuvre de Freud va s’arrêter.
Alors, j’ai dit Lacan et la découverte freudienne. La découverte freudienne, je vous l’ai dit, c’est essentiellement l’inconscient. Et j’ai dit ce qui de la jouissance, de cette jouissance qui marque le petit d’homme, ce qui de la jouissance va être perdu et devra être perdu s’il veut devenir « être parlant ».
Donc, Lacan reprend la découverte freudienne et va s’intéresser aux commentaires que Freud nous a laissés. Les dix premières années de l’enseignement de Lacan concernent les commentaires sur les textes de Freud. Alors ? La découverte freudienne ? Il dit que c’est le dire de Freud. Les linguistes, ici, saisiront pourquoi il fait cette différence entre ce qu’est dire de Freud et ce que sont les dits de Freud. […]
C’est l’amour de la vérité qui a obligé Freud à nous faire connaître les points sur lesquels il a achoppé. Lacan reprend ce travail. C’est ça le retour que Lacan fait à Freud. Il reprend les textes de Freud. il s’efforce, avec son expérience, puisque lui-même est psychanalyste, lui-même entend des passions. il remet en place, au départ, ce qui a été noté par Freud sur ce qui divise le sujet. il va faire du sujet de l’inconscient un sujet divisé et un sujet barré. Arrêtons-nous, un instant, sur ce sujet barré et divisé, sujet qui, pour être sujet, doit renoncer à sa jouissance première.
Il faut que cette jouissance première soit barrée, jouissance qu’il a eue avec cet objet à tout jamais perdu, cet objet qui, dans le texte de Freud le texte de cette « Esquisse pour une psychologie scientifique » , cet objet qui est appelé das Ding, « la chose » - cet objet qui est, en fait, un vide, puisque ce que le sujet, ce avec quoi il aura à faire, c’est avec ce vide. Il aura à faire avec ce vide, et ce vide ne le laissera pas tranquille. Il lui faut, absolument mettre « une barre » sur cette jouissance. Ce qui est le premier pour le petit d’homme, c’est cette jouissance reçue. Mais, pour qu’il puisse devenir être parlant, pour que du « signifiant » puisse se mettre en place, il lui faut barrer cette jouissance. Et, barrant cette jouissance, le sujet qu’il va devenir sera un sujet évidé, un sujet vide. Et en ceci, Lacan rejoint Sartre. Le sujet de l’inconscient n’est pas un sujet, si je puis dire, plein, c’est un sujet évidé, un sujet divisé. Et c’est à partir de cela que Lacan reprend ce que Freud s’est efforcé d’apporter. Il reprend ce que Freud s’est efforcé d’apporter en s’appuyant sur les sciences, les sciences de son temps, mais non pas pour faire de la psychanalyse une science. Lacan pose la question : la psychanalyse est-elle une science ? Il montre que les sciences qui existent peuvent éclairer la psychanalyse. Pour cela il s’adresse aux linguistes. Il s’adresse aux linguistes non pas pour faire de la linguistique qui serait une linguistique psychanalytique. Mais pour faire ce qu’il a appelé une linguisterie. Il reprend ce que Saussure a apporté du signifié et du signifiant. Mais Lacan s’aperçoit que, ce qui est premier, pour le sujet parlant, c’est le signifiant et que, en fait, le signifié c’est le symptôme.
Dans la définition du signifiant, telle que Lacan nous l’a donnée, ce qui fait qu’un signifiant doit avoir un autre signifiant est maintenu. Mais l’essentiel de ce qui définit le signifiant pour le psychanalyste, ce qui permet de rendre compte du sujet de l’inconscient, c’est que le signifiant sera ce qui représente ce sujet, sujet divisé, sujet barré, sujet évidé qui représente le signifiant pour un autre signifiant. Et, point important, essentiel. pour ce qui est de l’inconscient, la matrice signifiante qui intéresse le psychanalyste ne sera pas la matrice signifiante du linguiste. Et pourquoi ? Parce qu’il y a ce que Freud a trouvé et qu’il a appelé « le refoulement originaire ». Il y a un savoir, qui, dans ce savoir qui ne se sait pas, c’est-à-dire, dans cet inconscient, un savoir qui ne sera jamais su. C’est le refoulement originaire. Et, pour pouvoir l’écrire, Lacan va désigner cette articulation langagière, ce qu’il a appelé un signifiant pour un autre signifiant. Il faut un signifiant pour que le sens de celui-ci puisse être connu mais il n’y aura aucun signifiant pour ce second, car ce second est là pour montrer que quelque chose du savoir ne sera jamais su. Ce S2 d’ailleurs, Lacan finira par dire que c’est le savoir. Mais, très vite, dans son parcours, justement à cause de cette jouissance qui doit être barrée, Lacan s’aperçoit que ce ne sont pas tous les signifiants qui sont au coeur de l’inconscient. Si je puis dire, ce ne sont pas tous les signifiants qui représentent le sujet. Lacan s’aperçoit que, parmi ces signifiants, il y a des signifiants qu’il va appeler la « lettre », qui ont à voir avec la jouissance et qui ont à voir avec ce qui de la jouissance est perdu et perdu à tout jamais et que, lui, Lacan appelle « Objet petit a » puisqu’il y aura toujours un reste de cette jouissance perdue. C’est, en fait, le discours de l’inconscient. Un signifiant (S1) que Lacan appelle le « signifiant maître », un signifiant qui est articulé à un deuxième signifiant que Lacan appelle le « savoir » : c’est ce savoir qui travaille. Et, ce savoir qui a à voir avec l’inconscient, Lacan en fait l’équivalent de l’esclave. Il travaille, il travaille pour le maître L’inconscient ne cesse de travailler tout comme l’esclave. Tout comme l’esclave antique ne cesse de travailler pour le maître. Le discours de l’inconscient, en fait, se rapproche du discours du maître et ce qui est produit ce sont ces restes de jouissance et c’est avec ces restes de jouissance que, de l’inconscient, quelque chose qui a à voir avec le pulsionnel sera connu chez le maître. C’est avec ces restes de jouissance que l’esclave apporte au maître de quoi faire sa jouissance quotidienne.
Donc, Lacan, reprenant Freud, et s’efforçant de rendre compte de ses dits, sans déformer si possible ce qu’est du dire de la découverte freudienne, va se servir des sciences de son temps, tout comme Freud a essayé de faire. Et, en particulier, il va s’efforcer, comme on a pu le dire, de mathématiser. Mais, enfin, il ne fait rien de mathématique, Lacan. Il s’est inspiré de ce que les mathématiciens, les logiciens en particulier, ont pu apporter. C’est cela que je vais essayer d’illustrer, sans pouvoir m’étendre, avec ce qu’il a mis en place à propos du sujet divisé. Vous savez que Freud en était resté là dans son dernier article. Alors que dit Lacan, pour essayer de nous faire comprendre comment le sujet peut en venir à émerger - puisque le petit d’homme, ce petit qui a à faire avec cette jouissance primordiale, puisque le petit d’homme doit à un moment donné, rentrer dans la parole ? C’est un point que l’on doit bien cerner. Pour rentrer dans la parole, il lui faut barrer la jouissance, Et vous savez - puisque l’on s’intéresse de plus en plus à l’autisme - si cette jouissance n’est pas barrée, c’est-à-dire, si aucun signifiant n’est présenté à l’enfant, de façon telle qu’il puisse rentrer dans la parole, eh bien, ce sera l’autisme. On s’en rend compte de plus en plus, c’est une jouissance qui, au départ, n’a pas pu être barrée parce qu’aucun signifiant n’a été apporté d’une façon telle qu’il y ait négativation de la jouissance. Donc, il faut, tout d’abord, que la jouissance soit négativée, et ceci ne peut être que le fait du signifiant qui sera apporté au sujet, signifiant qui sera apporté au sujet, forcément, par ce qui fait son entourage, ce que Lacan a appelé ce « Grand Autre », et ce « Grand Autre », avec son propre discours, avec ce qui est son inconscient. Ce Grand Autre c’est, en fait, les parents, pour ce petit d’homme : c’est-à-dire les grands-parents et tout ce qui fait l’entourage. Alors Lacan dit : c’est le discours qui préexiste avant même qu’il ne naisse. C’est ce qu’on pourra dire sur tel enfant, qu’il viendra ou qu’il ne viendra pas, Donc, ce qui est important, c’est comment ce discours va lui être apporté, à lui, l’enfant. Cet enfant et le mot doit être écrit en pointillé parce qu’il est infans, il ne parle pas , ce sujet - mais il n’est pas encore sujet, ce petit d’homme qui ne parle pas -, ce petit d’homme va, parce que c’est un être vivant, pousser un cri, faire savoir qu’il est là, qu’il est dans le besoin. Et son entourage, c’est-à-dire ceux qui viennent du champ de ce Grand Autre, lui apportera une réponse. Et, dans cette réponse, forcément, il y aura de la jouissance. Il va en jouir. Mais la façon dont la réponse sera apportée va différer selon ce qu’est l’Autre. L’Autre n’est pas le même pour chacun de ces petits d’homme. Et, ce qu’il va recevoir, ici, Lacan en fait un jeu de mots, avec le sein. Il dit que c’est le seing, le sceau qui va faire la matrice de ce qui est l’idéal du Moi, c’est-à-dire la matrice de ce qui, un jour, va devenir ce S1, la matrice de ce qui va être, pour lui, identification et identification qui aura le sceau de ce Grand Autre.
Je voudrais finir en parlant de l’émergence du sujet. Ce discours qui préexiste au petit d’homme, Lacan dit que c’est autant de chaînes de S1. Et, c’est la façon dont ce S1 sera présenté à l’enfant qui décide de la suite. Il y aura du sujet barré ou pas, c’est-à-dire que celui-ci restera infans, ne parlera pas, tandis que celui-là, au contraire, parlera. Si ce signifiant lui est présenté d’une façon telle que cette jouissance première puisse être barrée, alors, il va y avoir un signifiant qui pourra le représenter. Le cri qui n’était pas encore parole, devient parole. Lacan a appelé ce cri a-signifiant, pour dire qu’il n’y avait aucun signifiant dans ce cri. Lorsque ce cri devient parole, ici, parce que quelque chose s’est présenté à lui d’une façon telle que la jouissance a été barrée, il s’adresse au Grand Autre et du sujet barré est formé. Sujet barré parce que, c’est un signifiant qui va représenter ce sujet. Mais, pour qu’il puisse y avoir l’articulation langagière que j’ai décrite tout à l’heure, il faut qu’il y ait un deuxième signifiant. Et le sujet qui vient d’émerger ne peut trouver ce deuxième signifiant qu’en le prélevant sur ce que Lacan a appelé le « corps de l’organe » et en le prélevant d’une façon telle qu’un signifiant pourra venir s’inscrire ici. Et c’est ce signifiant, ce S2, qui fait qu’il va rentrer dans la chaîne des sujets parlants. Sujet barré mais sujet qui pourra, selon le symptôme qui est le sien, se présenter avec, disons, une névrose ou sans névrose. Mais ce serait aller beaucoup trop loin que de vouloir faire en un raccourci. Ce qui est important, c’est de savoir que, dans toute cette opération, il va y avoir quelque chose de cette jouissance première qui a été barrée parce que du signifiant a été apporté de façon telle que du sujet va naître. Il va toujours rester quelque chose de cette jouissance barrée, perdue. Et c’est avec ces restes que Lacan va s’efforcer de reprendre ce qu’il a appelé l’objet de la psychanalyse. Car l’« objet de la psychanalyse » est essentiellement intéressé.
C’est essentiellement l’objet a qui concerne cet objet de la psychanalyse. C’est à dire que, dans ce temps premier où il s’efforçait de voir ce que les linguistes pouvaient apporter comme éclairage à la psychanalyse - plus exactement, à ce que du lit du patient, au chevet du patient, on pouvait recueillir, Lacan met l’accent sur cette jouissance première. Mais pour ce qui est de l’objet de la psychanalyse, c’est avec ces restes de jouissance qui intéressent le sein, qui intéressent les excréments, qui intéressent le regard, qui intéressent l’ouïe, c’est avec cela que Lacan reprend tout ce qui est de la psychanalyse, pour s’efforcer de faire en sorte qu’il soit remédié à ce qui a été difficulté pour Freud, du fait de sa position, de sa position de scientiste voulant absolument que la psychanalyse soit une science de la nature. Ce qui a arrêté Freud, Lacan s’efforce de le reprendre, de le reprendre en donnant toute son importance à ce que Freud dans ses débuts avait découvert avec son « Esquisse pour une psychologie scientifique », à ce qu’il avait découvert autour de la jouissance et qu’il a arrêté. Ce qu’il avait découvert, Freud ne s’en est pas servi pleinement. Lacan reprend ceci et s’efforce, à ce moment-là, de mener plus loin ce qui est de cette théorisation de la psychanalyse. il va s’aider de ce que la logique mathématique apporte. Il va s’aider - parce que, là aussi, il y aura quelque chose qui ne trouvera pas réponse -, il va s’aider, à ce moment-là, de ces nœuds, pour pouvoir rendre compte de ce qu’est la découverte freudienne, de cet inconscient, de ce savoir qui ne se sait pas. C’est ce refoulement originaire, cette découverte qui a affaire avec la jouissance première qui marque le petit d’homme d’une façon telle qu’il deviendra être parlant ou pas.