Accueil / Espace membres / Archives / Solange Faladé / La responsabilité du sujet 1995 - 1996 / La responsabilité du sujet VI

La responsabilité du sujet VI

23 janvier 1996
Document de travail

Nous allons tenter de faire un pas de plus sur le sujet et sa responsabilité. On peut dire que lorsqu’il est question d’Elisabeth von R [91], et qu’il nous est dit autour de cette soirée passée avec ce jeune homme qui lui plaisait et à qui elle plaisait, lorsqu’il nous est dit qu’elle décide de ne plus sortir, de s’occuper de son père parce que pendant son absence, on n’a pas bien fait ses pansements, lorsqu’elle décide ceci, elle consent à l’obscure décision de son père la concernant mais elle ne le fait pas de façon consciente. Si je dis ceci, c’est pour insister sur ce point que le sujet qui nous intéresse, c’est le sujet de l’inconscient, ce sujet qui est effet du signifiant, d’un signifiant qui le représentera. Donc, elle, Elisabeth, et nous verrons plus tard, tout à l’heure, elle prend cette décision, ce faisant elle consent à la décision ignorée d’elle, d’ailleurs et de son père, enfin ignorée on ne peut pas dire ça, obscure de ce père, mais ce n’est pas d’une façon consciente. Alors, ce qui nous a arrêtés la dernière fois, c’est le sujet de la psychose et le fait que tout comme sujet humain, il est aussi responsable. La clinique est là pour nous aider à comprendre. Vous savez que Lacan a insisté sur ce point, que Aimée [92] lui a appris une chose, c’est que elle, Aimée savait, elle avait un rapport particulier au savoir, elle savait que quelque part ça se savait, ça se sait. Il y a un savoir quelque part et vous aurez l’occasion, déjà beaucoup d’entre vous ont pu le savoir, en avoir connaissance, il arrive que des sujets psychotiques s’adressent en des lieux où ils pensent qu’il y a un certain savoir, un certain savoir qui peut les aider, quel que soit l’intitulé de ces lieux, de ces endroits, ils se disent que là peut-être aide pourra leur être apportée parce qu’il y a quelque chose qui à un moment de leur vie vient de basculer et, bien souvent, ils viennent et ils disent qu’ils ont fait quelque chose de grave, qu’ils ont fait quelque chose de mal et depuis ils ne se sentent pas bien, ils ne sont pas bien. Le fait même que ces sujets, ces personnes viennent consulter, s’adressent en ces lieux, en disant qu’ils, qu’elles viennent de faire connaître quelque chose de grave, de mal, ça veut dire que là, de leur responsabilité, je veux dire qu’ils en ont en quelque sorte conscience.

Je vais reprendre cette observation, cette observation que nous disons maintenant être de « René des deux cours » [93]. Les premières fois lorsque je vous en ai parlé, j’ai mis l’accent sur ce point, c’est d’ailleurs ainsi que la présentation a été faite, c’était d’abord pour nous faire, pour nous sensibiliser à ceci, que ce sujet se présente, se présente non plus avec son patronyme, il était « René des deux cours », il était incapable de dire quel était son nom, le nom de son père, son patronyme, et contrairement à une autre observation qui nous avait été donnée dans la même période, il ne pouvait même pas dire qu’il était le fils de… Il y avait ce point, après ce qui s’est passé, et ce qui s’est passé, je vais y revenir dans un instant. Il était devenu « René des deux cours ». Et il reprochait à sa mère, de n’avoir pas fait ce qu’elle aurait dû faire, intervenir, lui interdire ce qu’il dit, lui René avoir commis.

Il s’est adressé à la fille, fort jeune, des voisins et, nous dit-il, il lui a demandé une fellation. L’a-t-il fait ? Nous ne savons pas. Est-ce que ça a été effectif ? Nous ne le savons pas. Mais, peu importe, il nous le dit, et c’est avec ce dit que nous avons à faire, c’est avec cela que nous faisons, c’est ce mot qui fait qu’on a à prendre en compte ce que René nous dit. Alors, détaillons les choses, détaillons les choses, lui, René dit donc, qu’il a demandé cela, et il faut dire qu’il y a quelque chose d’une pulsion.

$ ◊ D s’faire sucer, chier, etc.

J’ai écrit là-haut ce que Lacan nous propose pour la pulsion $ ◊ D. Il demande une fellation, c’est-à-dire se faire sucer, le s’faire, c’est là le sujet et c’est autour de la sphère que Lacan a proposé ceci, je ne m’y arrêterai pas ce soir. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a là du sujet, et du sujet qui est en connexion avec une demande et que cette demande c’est le être sucé. A partir du moment où cet homme nous dit que voilà ce qui l’a amené, ce qui l’a poussé vers cette jeune fille, cette petite fille et que les choses ont commencé à basculer pour lui, je pense que si on l’entend, et si on est dans la psychanalyse, on est bien obligé de reconnaître qu’il y a là du sujet. Et, donc, c’est à partir de ce moment que lui nous dit, nous dit qu’il a fait quelque chose de grave et il reproche à sa mère de n’avoir pas joué son rôle et c’est à cet instant que ça bascule pour lui et que il a vécu une vie plutôt impossible avec tout ce qui pouvait là le persécuter autour de ce nom qui était le sien : « des deux cours ». Je n’y insisterai pas, j’ai eu l’occasion de donner cette présentation beaucoup plus en détails. Ce qui nous intéresse ce soir, c’est d’essayer de comprendre que ce psychotique, ce sujet qui, à ce moment-là, va entrer dans la psychose c’est en tant que sujet, et sujet responsable car il demande, il s’adresse, il s’adresse à l’Autre et il s’adresse pour quelque chose qui a à voir avec la pulsion et qui a à voir avec du sexuel, c’est un incident sexuel qui est là en jeu.

Lorsqu’il faisait ses présentations, puisqu’il s’agit là d’une présentation de Lacan, il y a eu toute une période, parce que les choses se passaient comme cela, pas vraiment par périodes, enfin il voulait nous rendre sensibles à certaines pathologies et, pendant quelques présentations, nous avons eu connaissance de délires, d’affabulations. je n’en donnerai pas d’exemples ce soir mais ce qui nous intéresse ce soir, c’est que Lacan nous faisait comprendre qu’il y avait à prendre au mot qu’il y avait à tenir compte du dit de ces sujets malgré tout ce qui pourrait y avoir là d’affabulation. On avait parfois du mal à saisir si ça c’était vraiment passé comme ça ou pas vraiment passé. Ce qui importait, ce qui comptait, c’est que lui se présentait comme ayant fait tout ce qu’il nous disait. Je crois que si nous ne tenions pas compte de ces faits, et si nous ne comprenons pas que ce ne sont pas des élucubrations mais que c’est vraiment la clinique qui impose ces conclusions, alors, on peut toujours discuter ! Il n’a pas décidé de façon consciente d’être psychotique, mais n’empêche que sa responsabilité, lui, sait que c’est engagé.

Donc, « René des deux cours », c’est, après ce qui s’est passé là que l’on peut dire que le sujet « René des deux cours » consent à ce qui est sa structure. C’est là ce qu’on peut savoir qu’il a dit oui au signifiant, qu’il a dit oui à sa structure tout comme elle, Elisabeth von R, c’est au moment où elle décide de ne plus s’intéresser à ce jeune homme que elle dit oui.

Elle nous fait savoir plus exactement, ce n’est pas à ce moment-là que le oui a été dit, les choses sont mal, je l’énonce mal le sujet fait savoir que oui a été dit au signifiant qui consent à sa structure. Elisabeth, c’est après ce oui à sa structure, ce fait qu’elle ne s’intéresse plus qu’au pied malade de son père, c’est après cela, et après la mort de cet homme que ce qui est de son désir, elle peut, hystérique, en saisir quelque chose en s’identifiant au désir de sa sœur. Si on relit cette observation, on peut avancer que quelque chose lui échappait de ce désir de ce qui l’aurait poussée vers ce jeune homme, et qu’il a fallu que sa symptomatologie se mette véritablement en place pour que, en tant qu’hystérique, elle s’identifie au désir de sa sœur et, à ce moment-là, s’intéresse au mari de sa sœur, à un homme qui est l’homme désiré par sa sœur.

Revenons à « René des deux cours » : c’est à ce moment où il sombre dans la psychose, où il délire, qu’il consent à ce qui est sa structure et, dans ce qu’on en sait, enfin dans ce que je peux en dire ce soir, il y a bien là quelque chose qui, semble-t-il, dans le discours de la mère, n’a pas fait place à ce père et, fait intéressant, dans cette observation, alors qu’il est question d’abord de la mère, il est question de la sœur mariée chez qui il va se réfugier, puisqu’il quitte sa maison enfin la maison de ses parents, va se réfugier chez sa sœur et puis, ensuite, les choses se compliquent. Je ne rentrerai pas dans tous ces détails. Il parlera de son frère, jamais, dans ce qu’il nous dit, il ne sera question du père. Oui au signifiant, c’est consentir à la structure qui est déjà-là, consentir à ce qui fait que notre place dans la structure symbolique sera ou du côté de la névrose ou du côté de la psychose. Ce point du choix, de la responsabilité, il faut dire que c’est, dès le départ, que ça a été le souci de Freud. Freud, vous savez que c’était un anatomo-physiologiste qui travaillait dans les laboratoires, s’intéressait aux neurones, les disséquait, essayait de voir, enfin de comprendre et ce qui était de l’influx nerveux et de comment ces neurones s’articulaient. C’est avec le même esprit qu’il s’est intéressé à l’inconscient qu’il venait de découvrir, il essayait de voir comment les choses se passaient chez ces sujets, ces personnes, ces individus, chez les hommes, et tout comme pour ces neurones, il s’est efforcé de prouver, de mettre en évidence comment les choses pouvaient marcher, comment au niveau de l’inconscient les choses pouvaient se passer et, très vite, la question qu’il se posait lui, Freud, est la suivante, on peut dire les choses comme ça : « Qu’est-ce qui fait, qu’est-ce qui cause, qu’est-ce qui fait qu’un individu deviendra paranoïaque, deviendra hystérique, ou deviendra obsessionnel ? ». Très vite, si l’on prend les textes de Freud, que ce soit « Les psychonévroses de défense », le premier qu’on a de 1894 [94], c’est-à-dire avant même qu’il ait découvert l’inconscient ou si l’on se réfère aux premières lettres qu’il adresse à Fliess [95], c’est là son interrogation, son souci de savoir ce qui faisait que tel choisira d’être névrosé, hystérique ou obsessionnel ou d’être psychotique et vous savez que c’était la paranoïa qui l’intéressait, c’était là son souci. Alors, dans ses premières lettres, ce sont des lettres que nous avons travaillées, certaines personnes s’en souviennent sûrement. J’y reviendrai plus en détail mais, ce soir, ce sont des généralités que je veux apporter pour bien montrer que le sujet psychotique est responsable puisqu’il est sujet de la parole.

Donc Freud, dans ses premières lettres, il fait des schémas, vous pourrez les retrouver dans le tome La naissance de la psychanalyse [96]. En particulier la lettre 46 et aussi les manuscrits K, H, il pense, prenons la paranoïa puisque c’est ce qui nous intéresse plus particulièrement ce soir, il se dit que, vraisemblablement, c’est autour de huit, douze ans que quelque chose a dû se passer, quelque chose qui a à voir avec le sexuel, un incident sexuel et que c’est ce qui peut expliquer que la paranoïa va éclore. Le sujet sera du côté de la paranoïa parce qu’autour de ses huit, douze ans, quelque chose s’est passé, un incident sexuel.

C’est beaucoup plus tôt pour la névrose que ce soit hystérique ou obsessionnel. Alors, on peut comprendre que, dans ce temps de sa recherche, Freud mette sur cet âge le début, enfin ce qui fait que une paranoïa peut éclore. En effet, rares sont les psychoses de l’enfance, Lacan ne cessait de le répéter, d’y insister puisque, dans les différents lieux où on s’occupe des enfants, on avait vite fait de les étiqueter psychotiques parce que, soi-disant, enfin, certains avaient un regard qui n’accrochait pas tout de suite le regard de l’adulte, on regardait un peu au plafond et alors là, allons-y pour la psychose. Alors, vraiment, il y a eu tout un temps où Lacan a bagarré pour dire que les psychoses de l’enfant, c’était rare, et que c’était beaucoup plus au moment de la puberté, lorsqu’on devenait grand adolescent ou adulte que si paranoïa, si psychose, il devait y avoir, c’est à ce moment-là que ça pouvait éclater, qu’on pouvait en savoir quelque chose. Avant non. Donc, ce n’était pas la peine d’embarquer certains enfants et croyez-moi, ça a pu faire des drames parfois, dans des choses, pour le coup, qu’on peut dire folles.

Alors, on peut comprendre que Freud puisse mettre autour de ces âges - huit, douze ans et plus - le temps ou le moment où il faut qu’il y ait un incident sexuel pour qu’il y ait paranoïa. Chemin faisant, dans son travail, dans sa recherche, dans ses observations lorsqu’il pouvait comme ça noter, il dit qu’en fait, c’est sûrement beaucoup plus tôt. Il faut que quelque chose se soit passé beaucoup plus tôt, même bien avant ce qui fait que quelqu’un peut devenir hystérique ou obsessionnel. Et ce qui l’amène à ce mouvement, à ce changement, c’est qu’il vient de faire une part, une place à l’auto-érotisme et il note que la relation du paranoïaque, puisque c’est essentiellement du paranoïaque qu’il s’agit, enfin disons du psychotique, l’Autre ne l’intéresse pas, mais quelque chose qui fait qu’il se ferme sur lui-même. Donc, la relation à l’Autre n’est pas ce qu’il pensait jusque-là.

Il y a quelque chose qui est du côté de l’auto-érotisme et encore là, on peut comprendre puisque un des points que Lacan a soulevés plus tard, c’est ce rapport du psychotique avec l’Autre, avec le grand Autre. Donc là, Freud, essaie, essaie véritablement de trouver la cause, de trouver ce qui fait que quelqu’un devient psychotique ou névrosé et, si vous vous souvenez d’une observation qui nous a beaucoup intéressés dans les premiers temps, de cette paranoïa qui ne répond pas à la théorie [97], texte important, il faudra qu’on y revienne sûrement puisque là, Freud reprend ce qu’il a noté autour du fantasme, l’entr’aperçu, l’entr’entendu, c’est pour vous dire qu’il y a là des textes de Freud qui nous montrent son souci, sa recherche, sa quête pour savoir qu’est-ce qui fait que quelqu’un devient psychotique ou ne l’est pas, névrosé ou ne l’est pas et, pour ce qui est du choix, du choix, vous savez que, dans son travail sur Schreber, il y insiste beaucoup. Tout ceci pour vous dire que cette question du choix, de la décision, c’est bien là quelque chose qui, dès le départ, a soucié Freud et que, avec ce qui étaient ses points de vue, son souci de rapprocher la psychanalyse de la science de lui connue, la biologie, l’anatomo-physiologie, il se demande si, là aussi, il n’y aurait pas quelque cause qui expliquerait l’éclosion de telles pathologies tout comme ce que l’on peut trouver dans la pathologie organique.

Le souci de Lacan n’est pas le même au départ, le souci de Lacan n’est pas le même au départ, parce que…, dans la psychiatrie, Freud connaissait quelque chose à la psychiatrie mais enfin, même s’il s’est intéressé aux philosophes, Lacan, quand on connaît un peu plus les travaux qui étaient les siens, les personnes qu’il fréquentait, enfin ce qui était ses soucis et puis aussi ce que la clinique telle que c’était abordé lui apportait comme élément, Lacan fait d’emblée la relation à l’Autre, qui est ce qui le retient et, ce faisant, s’est essayé de trouver le sens qui différencie tel, ce qui fait que tel est dans la psychose et tel autre dans la névrose. Freud lui veut trouver la cause, il y a une raison. Quelle est la cause ? Qu’est-ce qui, dans le développement du sujet, s’est passé qui fait que, à tel âge, alors que, peut-être, il aurait pu échapper, la névrose hystérique ou obsessionnelle ou encore la psychose ou la paranoïa va éclore ?

C’est important pour nous de ne pas oublier tout ce temps de la psychanalyse, toute cette démarche parce que Freud, dans son temps, espérait bien que, si il y avait une cause et si on pouvait faire supprimer, faire en sorte que l’enfant n’ait pas à subir cette cause, il espérait bien qu’on guérirait la terre des névroses et des psychoses. D’ailleurs, vous savez qu’il a eu des adeptes ou, plus exactement, certains n’ont pas continué à suivre son travail et ont pensé que dans, vous savez, les premières colonies juives qui se sont établies en Israël sont parties avec les idées de Freud, ils ont espéré qu’on pourrait, si tout ce qui était de la sexualité était présenté à l’enfant au bon moment, on pourrait faire en sorte qu’on ait des sociétés sans névrose, sans psychose mais ils n’ont pas continué à suivre la recherche de Freud. Donc, Freud : la cause, Lacan, c’est le sens. Et, parce que c’est la relation à l’Autre, c’est le sens qu’il met en premier, vous comprenez que, tout en accordant sa place à la sexualité, il s’intéresse à ce qui est présenté à un enfant, il s’intéresse à ce qui est cette structure déjà-là, comme il nous dit, même s’il ne le dit pas comme ça au départ et donc, ce n’est pas tellement l’incident traumatique qu’il va chercher, qu’il va essayer de mettre en avant au cours du développement - ce que Freud s’est efforcé de faire et on comprend puisqu’ils ne sont pas partis du même point - c’est ce qui est proposé à l’enfant, quelle est la structure qui lui est proposée. C’est ce qui se dit de lui et là, il a pu montrer, proposer des observations, des présentations où, véritablement, c’était ce qui s’était dit avant qui avait une incidence telle sur le sujet à venir, et que ce sujet là, le oui qu’il disait, c’était à telle structure, mais ça n’enlevait rien à sa responsabilité.

C’est pourquoi Lacan, après avoir essayé de rendre compte de ce que la clinique lui apportait, a essayé de voir avec l’apport de De Saussure [98], de mettre l’accent sur la relation qu’il y a entre deux personnes en tant que sujets. Lacan va proposer ce qu’il…, ce que nous appelons maintenant la métaphore paternelle, c’est-à-dire que ce n’est pas rechercher l’incident sexuel traumatique qui pourrait expliquer pourquoi névrose ou psychose, mais voir dans la structure qui est celle qui est proposée à des enfants, c’est à partir de cette structure que l’on pourra saisir ce qui fait qu’un sujet, lorsqu’il devient sujet humain, lorsqu’il parle, il dira oui au signifiant et ça, c’est dans Freud. Il est freudien, Lacan nous fait savoir qu’il est freudien. Cette Bejahung, c’est chez Freud. Cette Verwerfung, c’est chez Freud. Mais…, mais ce que Lacan comprend et la clinique est là pour dire que aller dans cette voie, c’est aller dans la voie de Freud et, en même temps, pouvoir répondre à certaines choses qui étaient impasses pour Freud, et Freud lui-même a dit qu’il espérait que ceux qui viendraient après lui pourraient les lever, c’est en partant de ce oui au signifiant, de cette Bejahung, en s’efforçant de reprendre et ça, dès le début de son enseignement.

Prenez la Verneinung, ce qu’il en dit après le commentaire de Jean Hyppolite [99], comment celui-là qui a dit oui au signifiant va ensuite se comporter, parce que cette Bejahung, dire oui au signifiant, vu les progrès de la linguistique, ce que les linguistes ont apporté et Freud faisait avec sans le dégager, de dire oui à un signifiant veut forcément dire qu’il faut qu’il y ait un autre signifiant. Et, c’est pourquoi Freud essaie de faire dans un premier temps avec l’Autre, avec ce qui se joue au moment de la puberté et puis, ensuite, il ne s’intéresse plus à la puberté mais au départ à l’autoérotisme, et puis il y a cet autre signifiant, ce grand A, il va seulement l’appréhender beaucoup plus tardivement, Freud, lorsqu’il parle du Surmoi. Mais je ne veux pas trop mêler les choses ce soir, c’est ce que je suis en train de faire et ça peut rendre tout ceci difficile à comprendre, mais ce sur quoi je veux insister, c’est que Freud et puis Lacan ont été confrontés avec ceci, c’est qu’il y a un choix, le sujet fait un choix, un choix de la névrose, un choix de la psychose et, ce faisant, il est responsable.

Les choses ne sont pas imposées contrairement à ce que l’on pourrait croire puisqu’il peut ne pas répondre à la parole, il peut ne pas répondre au signifiant, soit que ce signifiant lui soit proposé, soit que cela ne lui soit pas proposé, peu importe il peut ne pas dire oui au signifiant mais, s’il dit oui au signifiant, il faut s’intéresser au deuxième signifiant pour que l’on puisse dire qu’il y a du signifiant. Alors, à partir de ce moment-là, Lacan s’intéresse au deuxième signifiant. Quand il a dit oui au premier signifiant, qu’est-ce qui va se passer avec le deuxième signifiant ? Et c’est à ce moment-là qu’il y aura ou névrose ou psychose.

Freud, dans L’Homme aux loups [100], et vous savez la difficulté qu’il a avec l’Homme aux loups, dit ceci que la Verneinung, le refoulement, n’a rien à voir avec la Verwerfung, n’a rien à voir avec le rejet, et c’est avec ces deux choses que Lacan s’est efforcé de nous faire comprendre comment un sujet qui a dit oui au signifiant va se comporter : soit, il sera du côté du refoulement, il sera du côté de ce qui se joue avec la Verneinung, soit il sera du côté de ce qui après avoir dit oui au signifiant va rejeter le deuxième signifiant, mais on est de toute façon dans la parole, on est dans ce qui fait que le sujet est responsable et c’est la clinique qui nous oblige à le savoir, que le sujet est responsable. Et ce « René des deux cours », lorsqu’on écoute ce qu’il veut dire, on sait que lui ne discute pas un instant de la chose. Il est responsable, il peut en vouloir à sa mère, il peut lui reprocher ceci ou cela, mais il se sent responsable, responsable d’être allé vers cette petite fille. L’a-t-il fait, peut-être pas, ce qui compte, c’est qu’il ait pensé l’avoir fait, ce qui compte, c’est que là, au moment où il y a eu ce mouvement vers cette jeune personne, lui, s’est-il masturbé ? A-t-il éjaculé ? Nous ne savons pas, nous ne le saurons pas, ça n’a pas d’importance, ce qui est à peu près certain dans ce qu’il nous raconte, c’est qu’il y a eu jouissance au moment où il nous en parle, et si je parle de cela, et si je reviens sur ce point, si je parle de ce point de la jouissance, ce que je n’ai pas fait lorsque j’ai parlé de cette observation, c’est à cause de la réflexion, d’une réflexion qui m’avait été faite à Vaucresson et des discussions que nous avons eues samedi autour de la jouissance [101]. Avec cette masturbation, revenons, il y a eu jouissance, mais une jouissance telle que quelque chose de l’Unheimlich [102] était là. Il était effectivement dans ce qui était heim, familier et, en même temps, dans ce qui faisait qu’il n’était plus le même. Et ceci à a voir avec la conscience qu’il a eue de quelque chose qu’il faisait et qu’il ne devait pas faire.

La jouissance dont on a parlé la dernière fois, samedi, je reviens à ce $ ◊ D. Vous savez que, bien souvent, je fais à côté ce schéma du montage de Lacan, à propos de la pulsion, le fait que ça tourne autour d’un vide, et que dans ce vide peut se loger le reste de jouissance. Donc, quand on jouit, la pulsion, quand on se fait tout ce que vous voulez autrement, ça ne veut pas dire qu’on est confronté comme l’a été ce « René des deux cours » par cette jouissance qui fait qu’il y a quelque chose d’Unheimlich. Au contraire, on ne fait qu’avec des restes de jouissance qu’avec l’objet petit a et c’est là toute la différence.

La discussion de samedi je ne suis pas beaucoup intervenue parce que je pense le faire une autre fois. Mais ce que je veux ce soir dire, c’est essayer de montrer ce qui fait que le psychotique lui, se sent responsable, ce qui fait que le psychotique vient et dit « J’ai fait quelque chose de grave, j’ai fait quelque chose de mal », ce qui fait que le psychotique, ça a toujours à voir, je crois, avec la jouissance, la sexualité, mais cette jouissance qui est du côté de l’Unheimlich, ce qui est à la fois familier et étrange. Ça, c’est ce qui fait que lui, parce qu’il vient de vivre ça, il vient de vivre ça dans une tentative de séduction, se sent responsable. Et, c’est à ce moment-là qu’on peut dire qu’il consent à la structure qui était déjà-là.

Je ne suis pas claire ce soir, je ne suis pas claire parce que c’est pas facile à dire d’une part, et d’autre part, c’est toujours difficile quand on ne peut pas donner une observation dans son entièreté. Pour finir je vais quand même parler de ce schéma.

Je crois que je ne l’ai pas souvent employé. Lacan l’avait fait une fois justement pour nous montrer la différence avec le psychotique et les autres. Pour ce qui est de la pulsion avec l’observation que je vous ai proposée ce soir enfin qui est un fait réel, ce n’est pas une invention cette pulsion qui l’a mené vers cette petite fille. Bien sûr, la pulsion chez le psychotique, on en discute souvent, est-ce que l’on peut dire qu’il y a pulsion ou pas ? Il y a des tas d’observations qui peuvent nous dire que oui, même si on prend Schreber, on a qu’à voir le s’faire chier et toute sa relation à la miction et à la défécation …changement de cassette…

Le deuxième signifiant fait défaut chez le psychotique, alors le signifiant du manque dans l’Autre, lui, le psychotique ne peut pas l’appréhender et, puisqu’il ne peut pas l’appréhender, pour que cette ligne se marque, il faudrait que le S() puisse s’écrire, ce n’est qu’à partir de là que ça peut s’écrire.

Donc, s’il y a quelque chose de l’ordre de la pulsion chez le psychotique, ça ne veut pas dire que cette deuxième ligne du haut existe chez le psychotique puisque il ne peut pas y avoir de S(), ce deuxième signifiant, ce qui fait que il pourrait avoir la même place dans la structure symbolique que le névrosé S1S2, il ne peut pas l’avoir ce deuxième signifiant, il l’appelle mais il ne peut pas l’avoir. C’est pourquoi la ligne du haut ne peut pas s’écrire chez le psychotique mais ça ne veut pas dire que la pulsion n’est pas à considérer chez le psychotique et l’observation de « René des deux cours » était là pour nous le faire comprendre, car c’est véritablement ça, c’était de l’ordre de la pulsion, c’était le rapport de ce sujet, sujet psychotique certes, mais sujet, effet de signifiant, sujet barré par le signifiant et en relation avec une demande qui est de l’ordre de l’oralité, même si la réponse est à mettre du côté sexuel.

En fait, il faut savoir et la clinique, c’est à ce moment-là qu’on peut le savoir, c’est au moment où la symptomatologie clinique pathologique se met en place que l’on peut se dire, que l’on peut savoir que le sujet a consenti à la décision de l’Autre, l’insondable décision de l’Autre, c’est à ce moment-là qu’on peut le savoir, et le psychotique par rapport au névrosé si on prend l’observation de Dora et même celle d’Elisabeth von R, le psychotique bien souvent vient dire qu’il a fait quelque chose de mal, quelque chose de grave. Lui-même nous fait savoir qu’il est responsable de ce qu’il pense qu’il a fait mal pour l’autre. Alors que, si on prend Dora, Dora ne se sent pas responsable. Il a fallu que Freud lui dise : « Vous vous plaignez, vous y êtes pour quelque chose dans tout ce qui vous arrive », même Elisabeth qui vient demander au professeur Breuer et puis ensuite à Freud, le pourquoi de ses difficultés à se déplacer. Il faut tout le travail de Freud pour que sa relation à ce père et ce qui s’est joué pour elle par rapport au désir puisse se mettre en évidence. C’est-à-dire que se sentir responsable, se dire qu’on est cause de ce qui arrive, on l’entend beaucoup plus souvent chez le psychotique que chez le névrosé et pourtant c’est le psychotique qui nous pose plus question. On se dit : « mais, qu’est-ce qui fait qu’il a choisi ? » Mais ce qui fait qu’il a choisi, c’est qu’il y a une structure déjà-là et qu’il n’a pas dit non à cette structure déjà-là.

Bien. Je ne sais pas si ceci vous permet de comprendre, tout du moins de mieux appréhender ce qui fait qu’on doit dire, et le psychotique lui-même nous le dit qu’il est responsable, qu’il est en tant que sujet de la parole effet de signifiant. Il est responsable de sa structure.


Questions

Hélène Boursinhac :
Comment peut-il dire non à cette structure qui est déjà-là ?

Solange Faladé :
Il peut dire non à cette structure qui est déjà-là, parce qu’il peut ne pas parler et on le voit. Alors, quelles sont les raisons qui font qu’il ne parle pas ? Ça, c’est aussi… il y a de l’insondable, du mystère si vous voulez. Il peut aussi ne pas parler, et, à partir du moment où il parle, il est responsable de ce qui sera sa structure. C’est parce que, lorsque vous pensez cela, vous pensez qu’il est conscient, parce que je crois que c’est ça, vous vous dîtes : « il est conscient », alors que c’est au niveau de l’inconscient que les choses se jouent, et il peut ne pas parler. Parce qu’à ce moment-là, personne n’est responsable. On devrait dire comme Dora « se plaindre de tout ce qui vous arrive » et pourtant, si on y regarde de près et si on veut être au clair avec soi-même, on sait très bien qu’on est responsable de ce qui fait que notre vie est ce qu’elle est, le psychotique aussi.

Marguerite Bonnet Bidaud :
Alors, si on pousse ce trait-là enfin moi, je serais plutôt pour nuancer un peu, parce que il faut différencier, en tout cas, le fait de consentir à la structure et d’en être responsable. Il semble que c’est pas tout à fait pareil parce qu’à ce moment-là, je poserai une question.

Solange Faladé :
Posez-la !

Marguerite Bonnet Bidaud :
Pour le psychotique, autant j’entends qu’on puisse le dire responsable en tant que sujet, en tant que sujet, en tant que sujet non divisé, responsable…

Solange Faladé :
Responsable, pourquoi ? C’est le divisé ? C’est le fait que le deuxième signifiant, il disparaît là-dessous ? Hein ? C’est pour ça ? Oui, bon, allez jusqu’au bout de votre phrase !

Marguerite Bonnet Bidaud :
Autant j’entendrais… au niveau du sujet, quel qu’il soit, mais, en ce qui concerne la structure, comment alors à ce moment-là, comment éclairer le fait que le sujet de la psychose soit l’effet d’une forclusion, de la forclusion du Nom-du-Père ?

Solange Faladé :
Écoutez, lorsqu’on a affaire à des psychotiques ou à des enfants qui recouvrent la parole, on voit que, dans ce qui nous est apporté, il y a tous ces signifiants dans le Réel. Freud dit : « ce qui n’a pas été symbolisé va revenir dans le Réel » il y a des signifiants dans le Réel, il faut bien que, quelque part, cela ait une existence pour lui parce que on ne lui souffle pas ces signifiants-là.

Question :
Oui, existence certainement, mais il en est pas la cause, de ces signifiants qui lui sont transmis…

Solange Faladé :
Pas plus que nous nous sommes cause des signifiants qui nous sont transmis mais nous faisons avec puisque nous parlons. Nous ne sommes pas cause des signifiants qui nous sont transmis, mais nous faisons avec, nous parlons, nous ne sommes pas cause des signifiants qui nous sont transmis mais nous faisons avec, nous parlons, le psychotique aussi.

Question :
C’est pour ça… le sujet consent à la structure qui est déjà-là, ça me paraît être différent de dire consent, différent de dire consentir à la structure que d’être responsable, dans le sens… la distinction…

Solange Faladé :
Il est responsable à partir du moment où il a dit oui, à partir du moment où il y a Bejahung, à partir du moment où il a dit oui. C’est à partir de ce moment-là qu’il est responsable et, responsable, il va consentir à la structure qui est déjà-là parce que il peut ne pas dire oui, c’est cela qu’on ne peut pas comprendre.

Question :
Ça veut dire quand vous entendez responsabilité où il y a à répondre…

Solange Faladé :
Mais vous savez, on a parfois, il arrive qu’on soit confronté à des parents, des parents qui pensent faire tout ce qu’il y a à faire, et bien faire, et l’enfant ne parle pas. Ce sont des choses que j’ai pu connaître parce que vous pensez que, automatiquement, on parle. Non, on peut refuser la parole. A partir du moment où on parle, où on a accepté de parler, la responsabilité du sujet est engagée. Je pense à des cas précis là, avec tout ce que de drames, ça peut représenter. Un enfant peut refuser de parler.

Jacqueline Darbord :
Mais, est-ce qu’il peut refuser de parler après avoir dit oui au signifiant, est-ce que c’est du mutisme ? Ou alors, est-ce qu’il refuse de parler avant d’avoir dit oui ?

Solange Faladé :
Je ne parle pas de mutisme. Le mutique en général entend, comprend, ne vous répond pas, c’est pas la même chose.

Jacqueline Darbord :
Mais, quand il refuse de parler, c’est après avoir dit oui au signifiant...

Solange Faladé :
Non ! Ah non ! c’est avant ! Non, non et non ! Oui, il n’y a pas la Bejahung, il n’a pas dit oui. C’est pas le mutique, le mutique a parlé, comprend, entend, refuse de vous répondre, c’est pas la même chose.

Jacqueline Darbord :
Non, non, je croyais que c’était qu’il avait dit oui, mais qu’il pouvait refuser de parler après, ne pas consentir à sa structure en quelque sorte...

Solange Faladé :
Il y a des enfants qui ne parlent pas et on se demande pourquoi, et les parents font apparemment tout ce qu’il faut pour.

Jacqueline Darbord :
C’est parce qu’il n’y a pas eu ce premier oui ?

Solange Faladé :
Bien oui ! Mais, pourquoi il n’y a pas eu ce premier oui, qu’est-ce qui a fait que l’enfant refuse, que l’enfant n’a pas dit oui, c’est bien là le mystère, c’est bien là du côté de l’insondable !

Hélène Boursinhac :
Ça je le comprend mais ce que je saisis moins bien c’est que quand il a dit oui, qu’il fait appel au deuxième signifiant, où est sa responsabilité si le deuxième signifiant lui est dérobé, ne répond pas parce que la mère s’y oppose ?

Solange Faladé :
Sa responsabilité est déjà d’avoir dit oui, et d’avoir dit oui dans ce qui lui est proposé, dans la structure, c’est autant la responsabilité du névrosé. Dora est responsable. Elle est responsable ou pas ? Elle est responsable ou pas ?

Hélène Boursinhac :
Non, non, pas ça…

Solange Faladé :
Non, mais si vous dîtes que Dora est responsable avec la structure qui est celle qui lui est proposée, pourquoi d’autres ne seraient-ils pas responsables ?

Hélène Boursinhac :
Mais, parce que ce n’est pas rien de ne pas avoir de deuxième signifiant !

Solange Faladé :
Et, d’avoir un deuxième signifiant qui fait qu’on a eu une vie coincée comme celle qui a été celle de la vie de Dora, c’est pas rien aussi ! Parce que la vie de Dora, on la connaît maintenant, d’ailleurs, il a tout fait pour que… C’est pas rien aussi ! Parce que vous pensez… il y a des névroses très graves et c’est aussi grave que des psychoses, sauf que… Vous comprenez ? Pourquoi, c’est… vous avez ce qui vous est proposé, si vous l’acceptez, votre responsabilité est engagée. « René des deux cours », il ne vivait pas mal, vous savez, jusqu’à ce qui lui est arrivé. Et il y a d’autres observations, des adolescents… et puis, au moment de la puberté, seize, dix-sept, dix-huit ans alors, on les voit, et puis il y a une odeur et c’est insupportable. C’est un naufrage, c’est vrai, mais ce qui est proposé aussi à qui va devenir névrosé, c’est aussi grave, si vous voulez.

Hélène Boursinhac :
Mais, c’est pas le même naufrage quand même !

Solange Faladé :
Je ne sais pas si on peut parler de naufrage.

Hélène Boursinhac :
Le schizophrène par exemple, lorsqu’il éclate au moment de la puberté, c’est la même épreuve par laquelle va passer le névrosé, il va y avoir le refoulement, il va y avoir le symptôme mais il va s’en sortir plus ou moins, il va pouvoir vivre tandis que le schizophrène qui éclate en morceaux…

Solange Faladé :
Il va pouvoir vivre mais ça dépend de la gravité de la névrose. Je crois que c’est parce que vous voulez… il est difficile d’accepter que… Il y a là quelque chose d’un insondable et que on fait avec ça ! Mais, quand même, il y a une responsabilité à partir du moment où l’on a dit oui… La chance, ce serait que quelqu’un puisse s’occuper très tôt, enfin…, et encore, on n’y réussit pas toujours !

Marguerite Bonnet Bidaud :
Mais, pour un esprit scientifique, c’est difficile de faire entrer en ligne de compte la notion d’insondable.

Solange Faladé :
Bien, écoutez, justement, il y a le paradoxe. Dès qu’on a à faire à l’inconscient, il y a du paradoxe et c’est bien parce que il était face à ce paradoxe que Freud a dû, au cours de sa quête, se dire que ce n’était pas en étant du côté du scientifique qu’il pourrait rendre compte de tout ce qu’il pouvait. Freud a voulu mettre la psychanalyse du côté du scientifique, un esprit scientifique mais je crois que les esprits scientifiques n’ont jamais pu trouver l’inconscient et que ce paradoxal, ce paradoxe de l’inconscient, ils ne l’acceptaient pas, et ça se voit encore aujourd’hui, c’est pas… Un esprit scientifique, c’est quoi ? Qu’est-ce que c’est pour vous, un esprit scientifique ?

Marguerite Bonnet Bidaud :
Ah ! ça exclut… On peut pas y répondre comme ça facilement.

Jean Triol :
Avec cette responsabilité, vous laissez ouvert un sujet qui serait normal, c’est-à-dire ni névrosé, ni psychotique qui, voyant la structure qui l’attend, se débrouillerait pour vivre sans l’accepter…

Solange Faladé :
C’est-à-dire qu’à la fin, les dernières représentations qu’il nous faisait, Lacan se demandait si, après tout, le normal, c’était pas le psychotique ! Parce qu’il posait la question : Pourquoi ce que nous ruminons, nous ne le faisons pas connaître comme le psychotique le fait connaître ? La normalité, il s’est demandé, il se posait la question : après tout, qui dit que ce n’est pas le psychotique qui est du côté de la normalité car on pourrait tous avoir tous ces signes que l’on dit être des psychotiques. Je voulais, j’ai cherché, je n’ai pas pu mettre la main dessus le travail qu’il avait fait justement avec l’a-normalité etc. et il posait la question car après tout, tout ce que l’on trouve chez le psychotique, le névrosé aussi le porte en lui et pourquoi on ne se met pas à se parler… enfin il reprend ça parce que le normal, justement c’est quoi le normal ? Vous faites bien de me poser la question.

Question :
Existe-t-il des sujets qui ne consentent pas à la structure ? Ou bien : quelle est la structure de ceux qui ne consentent pas à parler ?

Solange Faladé :
Pour le moment, il y a des travaux qui se font autour de ça. Est-ce que ces enfants-là et on a parfois du mal à trouver quelque chose dans le couple parental qui permette de saisir, de comprendre qu’est-ce qui fait que leur enfant ne parle pas, et il n’est pas mutique !

Question :
Vous aviez dit une fois qu’il semblait qu’il n’avait pas été parlé de l’enfant avant sa naissance. Je me souviens…

Solange Faladé :
Il y a des cas très nets où il n’a pas été parlé de l’enfant, où l’enfant a été porté comme cela sans que on le voit comme ceci, il y a des cas comme cela, on voudrait qu’il soit comme cela, on pense qu’il sera comme le grand-père, espérons qu’il ne sera pas comme la grand-mère… , mais alors, ce n’est pas toujours ça…

Elisabeth Boisson :
Je voudrais revenir à cette fameuse Bejahung parce que tout vient de là. C’est pas si limpide cette affaire, même la Verneinung, on ne peut pas dire…, il dit quand même que c’est un temps mythique, on ne peut pas dire qu’il y a un moment précis où l’enfant quand il se met à parler… il se met à parler, mais quant à dire qu’il ait la responsabilité de dire oui ou pas dire oui…

Solange Faladé :
Il n’y a aucun temps précis si vous voulez, mais n’empêche que ce temps-là existe, mythique ou pas mythique.

Elisabeth Boisson :
Mais enfin, si on prend un âge, les problèmes de normalité, statistiquement, s’il y a un temps où l’enfant se met à parler…, s’il consent à parler, il se met à parler…

Solange Faladé :
Mais il va parler avant qu’il ne fasse l’apprentissage du langage, il y a tout ce temps du babil, des mouvements glottaux, et Lacan a dû en tenir compte dans son séminaire D’un Autre à l’autre avec le savoir perdu, il fait toute une équation avec ce savoir perdu, il y a ce temps, alors ce temps mythique, ça existe, ça existe avec tout un savoir que le nourrisson porte avec lui et qui sera un savoir perdu. Mais il a existé en tant que savoir, en tant que suite de signifiants et il s’en sert. C’est pas parce qu’on dit que c’est un temps mythique que ça n’a pas existé.

Elisabeth Boisson :
C’est Lacan qui le dit.

Solange Faladé :
Oui, mais c’est pas parce qu’on dit que c’est un temps mythique que ça n’a pas existé.

Elisabeth Boisson :
Ah ! mais je ne dis pas ça, mais on ne peut pas le fixer, le dater.

Solange Faladé :
Je dis justement que Freud a essayé et que lui-même a dû à différents moments, changer, se dire, il voulait que à tel moment ça soit ça et puis il s’est rendu compte que non, et Lacan reprenant ça est parti avec ce qui fait sens avec ce qui ne fait pas sens, on est dans la structure symbolique, donc le signifiant. Un signifiant, pour qu’il soit signifiant, pour qu’il puisse répondre à sa définition de signifiant, il faut qu’il y ait un autre signifiant et c’est parce qu’il y a cet autre signifiant qu’il y a structure symbolique or cet autre signifiant, on peut l’inscrire dans sa structure comme on peut ne pas l’inscrire.

Elisabeth Boisson :
Alors, est-ce qu’on en revient, parce que ça pose quand même le problème de la forclusion, est-ce que ce n’est qu’un mécanisme ? Est-ce que tout est déjà joué auparavant ou est-ce que il faut s’en tenir à ce que dit Lacan à la fin de « La question préliminaire… », qui est le rejet de la question paternelle. Où situe-t-on ça et à quel moment ? Et il y a aussi le problème de la responsabilité…

Solange Faladé :
Oui, d’accord mais on le saura ce rejet de…, que quand la clinique se sera présentée.

Elisabeth Boisson :
Il parle de cela à propos de Schreber, comment peut-on concilier…

Solange Faladé :
On le saura, ce rejet de l’imposture… c’est parce que vous voudriez qu’il y ait un tiroir, on met tout dedans, on n’y est pour rien et on tire…

Elisabeth Boisson :
Ah non ! Le S2…

Solange Faladé :
Le S2 ne va pas s’inscrire dans la chaîne mais il sera… du moment qu’il parle ou alors on n’est pas dans une structure symbolique, on n’est pas dans une structure où il y a articulation langagière, le S2 ne sera pas inscrit dans la structure de tel sujet, c’est ce qui fait que la question du sens se pose et c’est au niveau de la question du sens que Lacan fait la différence parce que rien ne permet que sens soit donné au premier signifiant, le psychotique il va dans tous les sens, c’est avec la question du sens que Lacan…

Elisabeth Boisson :
Oui, ça ne répond pas à ma question.

Solange Faladé :
Quelle est votre question, peut-être que je ne la comprends pas ?

Elisabeth Boisson :
J’en reviens au problème de la responsabilité, au moment de dire oui, le problème de dire oui, la Bejahung et la Verneinung, quelle est la responsabilité là-dedans ?

Solange Faladé :
Écoutez, on peut refuser de parler, qu’est-ce que vous voulez, on peut refuser de parler et ce n’est pas du mutisme !

Marguerite Bonnet Bidaud :
De quelle structure s’agit-il à ce moment-là, si on refuse ?

Solange Faladé :
On n’est pas dans la parole. On est bien dans le champ du langage mais on n’est pas dans la parole.

Marguerite Bonnet Bidaud :
On sera dans quelle structure ?

Solange Faladé :
On sera dans une structure qui ne sera pas langagière. La structure, ça veut dire que c’est une structure langagière. Si on ne parle pas, on n’est pas dans une structure langagière.

Jacqueline Darbord :
Alors, c’est l’autisme, ça ?

Solange Faladé :
Je ne sais pas si je dirais aussi rapidement que c’est l’autisme.

Jacqueline Darbord :
Eh bien oui, je pose la question : est-ce que c’est ça l’autisme finalement ? Quand vous dites que ce n’est pas une structure langagière, ça ne renvoie ni à la névrose, ni à la psychose ?

Solange Faladé :
Absolument, oui.

Jacqueline Darbord :
Ça ne renvoie pas à ce qu’on connaît en tant que structure ?

Solange Faladé :
Ce qu’on connaît en tant que structure symbolique, dans une structure symbolique, et structure langagière…

Jacqueline Darbord :
Donc, ça renverrait à quelque chose qu’on ne connaît pas ?

Solange Faladé :
Sur lequel on ne peut pas dire grand-chose. Pour le moment, on a tendance à dire : c’est l’autisme, mais est-ce que on a répondu à tout quand on a dit : c’est l’autisme ?

Jacqueline Darbord :
L’enfant sauvage ?

Solange Faladé :
L’enfant sauvage, c’est encore autre chose. Là, je ne vous parle pas de l’enfant sauvage.

Jacqueline Darbord :
Il a été élevé par les loups, il n’a pas beaucoup entendu parler les humains…

Solange Faladé :
Oui, là, je ne vous parle pas de l’enfant sauvage, je ne vous parle pas d’enfant, en tout cas, ce n’est pas dans une structure langagière, quant à dire que c’est l’enfant sauvage, je ne sais pas si on peut dire ça aussi rapidement que ça que c’est l’enfant sauvage.


[91] Freud S. Le cas Elisabeth von R. in : Études sur l’hystérie. PUF

[92] Lacan J. Le cas Aimée, in : De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, page 153. 1975 Seuil.

[93] Lacan J. Présentation de malades à Sainte Anne

[94] Freud S. Les psychonévroses de défense, 1894, PUF.

[95] Freud S. La naissance de la psychanalyse. P.U.F. et « Sur les traces du savoir insu ». Document de l’École Freudienne.

[96] Freud S. Op. cité.

[97] Freud S. Communication d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique (1915), in Névrose, psychose et perversion, P.U.F., 1973 et trad. coll. in Œuvres complètes, XIII, P.U.F., 1988.

[98] De Saussure F. Essais de Linguistique générale.

[99] Hyppolite J. Le commentaire de Jean Hyppolite par Lacan : « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », in Écrits. Seuil.

[100] Freud S. « L’Homme aux loups » in Cinq psychanalyses. Seuil.

[101] Troisième samedi de janvier 1996.

[102] Freud S. L’inquiétante étrangeté.