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La responsabilité du sujet IX

12 mars 1996
Document de travail

La dernière fois, j’ai parlé de ce qui peut se produire à la fin d’une analyse qui a été menée à son terme, terme d’une analyse menée à sa fin, j’ai parlé de cette destitution subjective. Destitution subjective qui fait que le fantasme pourra s’ouvrir, se disjoindre et le sujet saura quel est cet objet qui est son être, qui est son étoffe, sa doublure et, nous dit Lacan, « pas son envers ». Donc cette destitution subjective nous mène à cela et la question du sujet s’est posée à certains d’entre vous puisque la pulsion, la pulsion demeure même si cette pulsion est vécue d’une façon autre par le sujet, puisque sa relation à l’objet sera forcément autre.

Que devient le sujet ?

Avant de répondre à cette question, peut-être que ce ne sera pas ce soir qu’il y sera répondu, je voudrais reprendre tout ce qui s’est dit depuis que nous nous intéressons à la subjectivation. Je vais reprendre à partir de cette phrase que je vous ai citée, cette phrase de Lacan que vous pourrez trouver au bas de la page 655, 656 des Écrits dans « la Remarque faite au rapport de Daniel Lagache », Lacan dit que « le sujet a à surgir de la donnée des signifiants qui le recouvrent dans un Autre qui est leur lieu transcendantal » [126].

Donc pour qu’il puisse y avoir du sujet, il faut que, à partir de cette demande faite à l’Autre, et vous savez que dès qu’il y a demande, le cri est parole, il faut que, à partir de cette demande faite à l’Autre, un des signifiants qui recouvrent le sujet, et qui se trouve dans ce lieu transcendantal au sujet, il faut que un de ces signifiants puisse venir trouer ce Réel du sujet. Ce qui fait qu’il y a du sujet barré et il aura dans son sillage cet objet petit a, c’est-à-dire que pour qu’il y ait du sujet, il faut qu’il y ait ce S1, ce signifiant qui le recouvre dans ce lieu du grand Autre et, en même temps, parce qu’il y a trou dans le Réel, l’objet petit a choit, l’objet petit a qui sera dans son sillage.

Mais ce sujet, il faut qu’un signifiant le représente, le représente « pour », le représente pour un autre signifiant et c’est à partir de ce moment-là que se met en place la structure. Il faut que puisse s’écrire ce S1 - S2, c’est-à-dire qu’il puisse y avoir un signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant. Il y a le cas où, vu ce qui se passe en ce lieu du grand Autre, il ne peut pas y avoir de signifiant qui permette au premier signifiant de représenter le sujet.

C’est ce que sous une autre forme Lacan nous dit, c’est qu’après cette demande, cette première demande qui fait qu’un signifiant va permettre que du sujet puisse être, il n’y aura pas de deuxième signifiant, le sujet ne trouvera pas un deuxième signifiant. C’est ce que, dans « La subjectivation » [127] dans son Séminaire XI, Lacan dit que c’est ce deuxième appel qui ne fera pas que du S2 puisse là venir s’inscrire. Il le dit aussi, autrement, dans ce Séminaire XI, il dit et nous l’avons longuement travaillé lorsqu’on a essayé, non seulement de s’intéresser à la psychose, mais également à la psychosomatique, eh bien il ne pourra pas y avoir une écriture possible de ce S1 - S2 puisque il va y avoir collapse, il y aura collapse et il n’y aura pas cet espace libre entre ce signifiant un et l’autre signifiant auprès duquel le sujet pourra être représenté.

Autrement, et, ça peut se dire également autrement, ça veut dire que dans cette chaîne symbolique il y aura un signifiant 2 qui ne pourra pas s’inscrire, il y aura dans cette chaîne un retranchement du signifiant 2, donc dans cette chaîne symbolique il y aura ce retranchement du signifiant 2, il y aura rejet, rejet de ce qui permet que du signifiant 2 puisse être trouvé chez l’Autre, c’est-à-dire rejet du Nom-du-Père. Cette Verwerfung [128], pour reprendre le terme allemand où la dernière traduction que Lacan lui donne, cette forclusion du Nom-du-Père, fait que, il y a collapse, il y a ce S2 qui ne peut pas s’inscrire et il y aura un retour, dans le Réel, ce que Freud d’abord ensuite Lacan nous dit, ce qui n’a pas pu être symbolisé, revient dans le Réel. Si bien que, dans le Réel, lorsqu’il y a ce collapse, lorsqu’il ne peut pas y avoir ce deuxième signifiant qui vient là s’inscrire, dans le Réel il y aura retour de ces signifiants de la chaîne symbolique. Dans le Réel, dans le Réel du sujet, il y a des signifiants et il y aura aussi cet objet petit a qui sera ou du regard, ou de la voix, ou tout autre objet petit a dans ce Réel.

Donc, pour approcher ce problème du sujet, Lacan a pris différentes voies, différentes voies qui nous ramènent à ceci que il ne peut pas y avoir d’espace possible entre le S1 et le S2, c’est collapse, holophrase nous dit-il, ou retour dans le Réel de ces signifiants qui ne peuvent pas être symbolisés, donc Verwerfung qui vient modifier la Bejahung, le oui dit au signifiant. Le oui dit au signifiant, signifiant qui a surgi des données des signifiants qui recouvrent le sujet en ce lieu Autre, lieu transcendantal. C’est une première possibilité, il y en a une autre. Le signifiant qui permet au sujet de surgir, c’est donc ce S1, et, lorsqu’il y a deuxième appel, deuxième appel au grand Autre, un autre signifiant, un signifiant S2 va pouvoir s’inscrire, va pouvoir s’inscrire, non pas que ce sera un signifiant qui se trouve en ce lieu, mais possibilité de prélever sur le corps de l’organisme, sur l’être de l’organisme, un signifiant, un signifiant qui vient faire savoir qu’au coeur de l’Autre, il y a manque d’un signifiant et c’est ce que Lacan inscrit ici, ce S(), si bien que là il n’y aura pas collapse, il y aura S1 espace S2 et le sujet qui est représenté par ce signifiant pour cet autre signifiant, cet autre signifiant qui peut être marqué sur le graphe par le S(), c’est-à-dire que au coeur de l’Autre a pu être repéré qu’il y a un manque, manque d’un signifiant.

Donc là, nous nous trouvons dans la structure de la névrose, nous ne sommes pas dans la psychose et donc il y aura, du fait de ce deuxième appel, il y aura ce que Lacan a appelé ce fading du sujet, ce sujet qui pourra, être, s’éclipser et être représenté à certains moments par différents signifiants S1 toujours pour un autre signifiant S2 et à ce moment-là le petit a choit, ce petit a qui est dans son sillage, mais ce petit a qui, parce que dans son sillage, va le suivre.

Alors, la difficulté, c’est ce qui se passe au cours d’une cure analytique, la difficulté, c’est ce que j’ai longuement détaillé l’année dernière, et peut-être celle qui a précédé, et qui est que ces signifiants S1 qui représentent le sujet, ces signifiants S1 ont à voir avec cette identification primordiale, avec ce qui, de la matrice de l’Idéal du Moi, sera Idéal du Moi, c’est-à-dire ce qui va venir marquer, remarquer le sujet, renforcer ce qui est cette fente du sujet, et qui vient là marquer l’aliénation du sujet, l’aliénation du sujet au grand Autre et au cours de la cure analytique ces signifiants qui viennent là marquer l’aliénation du sujet vont choir. Ces signifiants qui viennent marquer l’aliénation du sujet, sont là aussi pour ne pas permettre au sujet de savoir quel est son objet, quel est son être, cet objet qui est sa doublure et que tous ces signifiants viennent masquer. Ce qui fait, que chemin faisant, la cure avançant, ces signifiants vont choir.

Mais je vais m’arrêter un instant et vous rappeler ce que de l’obsessionnel je vous ai dit et que nous avions trouvé dans le séminaire D’un Autre à l’autre [129] où Lacan nous dit que l’obsessionnel refuse de se prendre pour un maître. C’est-à-dire que ce qui est là, ce S1 - S2, ce qui vient marquer le sujet, représenté par un signifiant pour un autre, avec la production du petit a et qui est le discours du maître mais également, nous dit Lacan, le discours de l’inconscient, si l’obsessionnel ne refusait pas de se prendre pour un maître, ça pourrait être ce qui inscrit son discours.

L’obsessionnel, nous l’avons vu, parce qu’il se refuse de se prendre pour un maître, fait, et c’est un travail permanent, s’efforce de faire que le deuxième signifiant puisse devenir le même, puisse être réduit au S1, c’est-à-dire l’obsessionnel s’efforce de faire en sorte qu’il n’y ait pas cet espace entre le S1 et le S2. C’est tout un travail et c’est ce qui permet dans bon nombre de cas, en tout cas dans les premiers temps de la clinique psychiatrique, de parler de la folie de l’obsessionnel car l’obsessionnel s’efforce d’écrire ce que nous avons vu tout à l’heure concernant le psychotique, qu’il n’y ait pas d’espace entre le S1 et le S2, tout son travail c’est de faire en sorte, de faire qu’il y ait toujours du même et il a fallu Freud pour faire savoir que ce que l’on appelait cette folie, folie du doute, folie de l’obsessionnel, en fait ça n’avait rien à voir avec ce qui se passe chez le psychotique.

Tout le travail de l’obsessionnel, c’est de faire en sorte que cet espace entre le S1 et le S2 puisse être réduit. Nous l’avons vu, nous l’avons développé pendant un certain temps, vous le retrouverez dans les séminaires de Lacan et en particulier dans le séminaire D’un Autre à l’autre, celui du 11 juin et celui du 18 juin, et vous savez que le travail de l’obsessionnel c’est de faire en sorte que cet objet petit a, cette production, ce qui a à voir avec ce reste de jouissance, soit porté au coeur de l’Autre et ce sera un travail incessant puisque en fait il ne pourra jamais boucher ce manque dans l’Autre mais ce qui vient là caractériser l’obsessionnel, c’est de faire que ne puisse pas s’écrire ce sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Avec ce qui vient là choir, au cours de ce travail c’est cet objet petit a, c’est un effort mais il n’y arrive pas. Il s’efforce, mais, enfin même, il n’y arrive pas !

Alors qu’est-ce qui ce passe au cours d’une cure et à la fin d’une cure ?

J’ai pris l’obsessionnel d’abord parce que nous parlons beaucoup de l’hystérique, j’ai pris l’obsessionnel parce qu’il y avait là quelque chose, me semble-t-il, qui nous permet de mieux saisir ce qui se joue au cours d’une cure, et puis Lacan lui même, à la fin de son enseignement, nous y invite en nous disant que l’obsessionnel sera celui qui pourra le plus nous instruire sur les questions que nous nous posons. L’obsessionnel, à la fin d’une cure, se débarrassant de ce qui l’aliène donc de ce qu’il veut maintenir de ce même, qu’il veut coûte que coûte maintenir, forcément, il y aura aussi chute de ses signifiants S1 et on peut dire que, cet espace, qu’il s’efforce de réduire entre le S1 et le S2 va pouvoir s’instituer. Ce signifiant qui est le signifiant du sujet, débarrassé de ce qui l’aliène, pourra, pourra le représenter pour l’autre signifiant, mais dans le même temps parce qu’il y a chute de ce qui l’aliénait, l’obsessionnel saura quel est l’objet qui fait son être.

Reportez-vous à ce que Lacan nous dit dans « Subversion du sujet » [130], je crois que c’est autour des pages 816, 817 je n’ai pas pu aller vérifier mais enfin c’est à peu près à cet endroit là, ce qui fait que, cette structure de base, va pouvoir se faire connaître, être acceptée par l’obsessionnel et en même temps ce qui est son être sera connu de lui, de même que l’hystérique, l’hystérique qui met l’objet petit a caché en position , l’hystérique aussi, au bout du compte, il saura quelle est cette vérité dont il ne veut rien savoir, ce qui est son être. Et donc, à la fin d’une cure, le sujet, le sujet sait, le sujet sait quel est, ce qui permet ou ne permet pas, prenons l’obsessionnel que la page blanche puisse ou ne puisse pas être remplie.

Le sujet, hein ! Puisque c’est ça la question, la question qui m’a été posée et qui pose difficulté pour bon nombre d’entre nous, c’est de savoir ce qu’il en est de ce sujet, quel est ce nouveau rapport avec cet objet qui est son être et qu’il ne peut plus, il ne peut plus se voiler que c’est là qu’est son objet qui est son être. Alors comment va-t-il faire pour ce qui est de la pulsion ? Lorsque cette année j’ai repris le travail, j’ai immédiatement marqué à côté de ce $ ◊ D, qui est la formule que Lacan nous propose pour la pulsion et la pulsion, il y a bien là quelque chose d’une demande qui insiste auprès du sujet jusqu’à ce que satisfaction puisse être donnée. Cette satisfaction a à voir avec ce trajet, ce trajet autour du petit a et donc si ce petit a, ce qu’il est pour chaque sujet n’est plus masqué à ce sujet, forcément le rapport sera autre mais ce rapport aura toujours, intéressera toujours tout ce qui est cette demande pulsionnelle, que ce soit du côté de l’oral, que ce soit du côté du regard, que ce soit du côté de l’entendement, que ce soit du côté de l’excrément ce sera, la relation sera autre c’est-à-dire que le sujet, ce sujet qui sait à quoi il a affaire pour ce qui est de son être, aura un autre rapport au fait de satisfaire ce qui est de son oralité, ce qui est du regard, enfin tout cela en accord avec ce qui est son être.

Pour ce qui est de la pulsion Lacan dit quelque part que le sujet est acéphale et on peut comprendre que là, débarrassé de tout ce qui l’aliène il aura, il sera, il aura une autre relation avec l’objet qui est son objet. Alors, pour ce qui... le deuxième point qui continue à déranger c’est ce qui est du choix. Je voulais inscrire au tableau les formules de la sexuation, bon, peu importe, je ne vais pas les inscrire ce soir, vous les connaissez ! Que nous disent ces formules de la sexuation, que nous dit la découverte freudienne et tout ce problème de la sexualité ?

Eh bien, il nous dit qu’il y a un choix. Ce n’est pas parce qu’on est homme que l’on va s’inscrire du côté homme. On peut très bien s’inscrire du côté femme !

Lacan, dans son séminaire Encore [131], nous donne l’exemple de Saint Jean de la Croix, un homme qui s’inscrit de ce côté-là, du côté femme, parce que il a un rapport particulier au vide, au rien, un rapport avec ce qui est du manque de l’Autre, en l’Autre et il fait de lui un mystique. De même, il y a des femmes qui refusent de s’accepter femme et qui s’inscrivent de l’autre côté. J’ai longuement parlé de cette homosexualité avec l’écriture, l’orthographe que Lacan nous donne, une femme qui en aime une autre, une femme qui se refuse à s’inscrire du côté femme est hommosexuelle, mais avec ceci que le fait d’aimer l’autre sexe fait que l’homosexualité se présentera différemment, bien qu’on soit du côté de la perversion, parce que il ne faut pas confondre ce qui se joue chez l’hystérique qui pose la question de qu’est-ce être une femme ?. C’est et ça sera différent de l’homosexualité de l’homme qui ne veut rien savoir de l’autre sexe, l’autre sexe étant toujours le sexe féminin. Si je rappelle ces problèmes de la sexualité, de la sexuation, c’est quand même pour vous rendre sensibles à ce qui en est du choix. Puisque ce choix reste question pour bon nombre d’entre nous, c’est dans le choix du sujet, le fait que le sujet ait dit oui au signifiant et qu’il va faire, certes, avec ce que il trouve au champ de l’Autre, mais avec quand même quelque chose de l’ordre d’un choix et on peut le savoir. On peut le savoir lorsqu’il arrive que, ceux qui sont autistes dans certains cas ils parlent, ils parlent, mais il y a, dans cette parole qu’ils acceptent à un moment, et que souvent ils continuent à garder, il y a quelque chose qui vient faire savoir que l’espace S1-S2 ne s’inscrit pas, il y a collapse, il y a cette holophrase, il y a là quelque chose qui du Nom-du-Père ne vient pas s’inscrire, il y a, je ne sais pas si la question de la liberté est à mettre en route, peut-être qu’il ne vaut mieux pas, mais enfin il y a bien là acceptation à partir d’un refus net pour l’autiste. Quand on a affaire à des autistes on peut savoir qu’il y a refus, et quand, je ne sais pas si on peut dire par chance, une parole vient, cette parole vient avec ceci que ce qui pourrait faire que elle ne soit pas folle, c’est-à-dire que le Nom-du-Père puisse là venir marquer de sa voix, on ne trouve pas !

Cela doit nous faire réfléchir. Cela doit nous faire réfléchir sur ce qui est du choix, sur ce qui est de la responsabilité du sujet. Peut-être qu’en réfléchissant sur le problème de la sexuation, un pas pourra se faire plus aisément.

Voilà, je n’en dirai pas plus ce soir, j’ai voulu reprendre… tout ce qu’on avait pu développer de la subjectivation vient marquer que du sujet, celui qui nous intéresse, il peut y avoir que si un signifiant qui se trouve en ce lieu de l’Autre vient trouer ce Réel, c’est-à-dire faire en sorte que il y ait prise en compte du cri qui devient parole, avec ce trou dans le Réel et cet objet qui choit, et que c’est à partir de là que de ce signifiant et de ce qui vient qui sera dans le sillage du sujet, cet objet petit a, et nous devons essayer de considérer ce que la clinique nous apporte quotidiennement.

Voilà. Je vois que beaucoup sont en vacances et pourquoi ne pas marquer ici aussi ce temps en résumant, en reprenant, je l’espère, en éclairant ces questions qui se posaient à vous.


Questions

Claudia Boddin :
J’ai une question. Est-ce qu’on pourrait dire que l’analyste se met à la place du grand Autre ?

Solange Faladé :
Ah, non ! L’analyste peut être mis à cette place du grand Autre mais, de toute façon, il va choir et donc c’est en tant que objet petit a, objet qui n’a pas de reflet, que l’analyste doit être en place, en position d’analyste.

Claudia Boddin :
Parce que quand vous dites qu’il a la place du grand Autre, le sujet marque une aliénation, une fois que l’analysant met l’analyste à la place du grand Autre il va être aliéné dans ce transfert ?

Solange Faladé :
Mais l’analyste doit s’efforcer de ne pas y rester. Tout le travail dans ce développement que j’avais essayé d’apporter, l’analysant s’efforce de prélever chez son analyste un trait qui va permettre que soit masqué cet objet qu’il est mais l’analyste doit y être en tant que n’ayant pas d’image et n’ayant pas de reflet, donc de ne pas rester à cette place de grand Autre. L’analysant le met à cette place d’Idéal du Moi mais l’analyste doit s’efforcer dans la conduite de la cure de permettre à son analysant de ne pas prêter un trait, de ne trouver aucun trait identificatoire. C’était l’une des discussions avec des personnes comme Balint, Lacan, dans des échanges qu’il y a eus dans les années 1950, s’est efforcé de montrer qu’une fin d’analyse ne peut pas être une identification à son analyste, ni à son Moi. L’analyste doit y être en tant que petit a, le petit a n’a pas d’image, n’a pas de reflet. Donc au terme, à la fin des fins, l’analysant ne doit pas pouvoir masquer à nouveau l’objet qui est son être en prélevant un trait chez son analyste. C’est pas toujours facile à saisir mais enfin les choses ne peuvent pas être autrement et les plaisanteries qu’il y avait entre nous d’essayer de savoir de quelle lignée on était. Bon, c’étaient des plaisanteries ! Bien sûr, il peut y avoir là une certaine marque du style d’un analyste mais pas identification, ce n’est pas la même chose.

Claude Lecoq :
Ce n’est pas la même chose mais, en même temps, c’est difficile à repérer, ce qu’il en est de, en effet, du style et de ce qu’on emprunte, de ce qui serait un trait identificatoire.

Solange Faladé :
Mais c’est-à-dire que le style de son analyste, en fait, vous en ferez une critique, vous en ferez une critique si, à votre tour, vous venez à cette place-là, vous n’imiterez pas votre analyste si, effectivement, vous êtes arrivé à ce point où vous assumez l’être que vous êtes, l’objet qui est votre être mais ce ne sera pas de l’imitation. Même si vous… il vous arrive de scander les séances plus ou moins comme lui, ce sera que plus ou moins ! Enfin ça ne peut pas être de l’imitation, l’expérience vient là montrer que ça ne peut pas être de l’imitation.

Claude Lecoq :
Et c’est souvent dans l’après coup d’une interprétation ou d’une scansion que l’on repère ce qui peut être quelque chose qui renvoie au style de son propre analyste. Dans l’après coup on essaie de s’en départir mais il y a quand même quelque chose qui revient souvent.

Solange Faladé :
Mais qui peut être analysé et qui doit l’être. Dans un contrôle, il y a l’analyse de l’inconscient, l’analyste en contrôle, il y a ce qui lui est apporté du savoir-faire du contrôleur, de l’analyste contrôleur, mais ce que l’analyste contrôlé en fera aura sa marque, si effectivement il y a eu analyse de son inconscient, c’est-à-dire de son problème transférentiel autour du patient qu’il a en charge et qu’il vient faire contrôler. C’est pas facile mais, croyez-moi, il ne peut pas y avoir d’imitation. On ne peut qu’assumer sa façon de conduire une cure.

Claudia Boddin :
D’après ce que vous venez de dire si, après, l’analyste se rend compte qu’il répète des choses de ce qu’il en est de son analyste, lui-même, ça veut dire qu’il est aliéné à son propre analyste encore ?

Solange Faladé :
Il doit en faire l’analyse et pouvoir s’en débarrasser. Ah, oui, oui, oui… !

Claude Lecoq :
Ce n’est pas tant ce qu’il emprunte comme ça, de façon précise, que quelque chose qui a à voir avec un style.

Solange Faladé :
Ah oui, avec un style, c’est vrai ! Bon, qu’est-ce que je pourrais vous dire sans... il y a un style et en même temps on ne fait pas comme son analyste, puisque le style, votre style, c’est ce qui est à vous. Et si effectivement on a pu aller jusqu’au bout c’est-à-dire à dégager ce qui est notre être, cet objet, ce qui sera du regard, du… enfin il y a tout… beaucoup de choses qui font que… je ne sais pas si jamais quelqu’un a pu confondre les analysants de Lacan et les prendre pour Lacan !

Question :
Mais ça, c’est trop global…

Solange Faladé :
Ah oui parce que non, non, je sais c’est caricatural…

Question :
On dit bien le style des lacaniens.

Solange Faladé :
Oui mais le style des lacaniens, c’est pas le style des lacaniens ! C’est ce que, de l’enseignement de Lacan, on a pu saisir de ce qui fait la force vive d’une psychanalyse, c’est autre chose. Et dans cela, il y a aussi du freudien sinon ce n’est plus de la psychanalyse ! Donc, je parle de Lacan parce que c’est ce que d’une façon caricaturale on essaie de nous faire croire, mais ça n’a rien à voir ! Je ne vois pas qui, je ne sais pas qui analyse comme Lacan !

Je ne sais comment dire, c’est pourquoi j’ai parlé de style… mais en même temps, croyez-moi, c’est parce que forcément, ça va être passé au crible de son analyse si un contrôle mérite ce nom de contrôle, ce qui est de l’inconscient donc du problème transférentiel de l’analyste qui vient en contrôle doit être analysé. Quand on allait voir Lacan pour un contrôle, il nous disait - à ce moment-là, on parlait toujours de contre-transfert et, dans certains cas, il en parlait - c’est tout ce qui peut nous empêcher d’entendre or, à partir du moment où vous entendez, on se demande pourquoi vous allez imiter ce que votre analyste fait, puisque c’est vous qui l’entendez ! Vous l’entendez, c’est pas votre analyste ! Je ne sais pas si j’arrive à me faire comprendre…

Question :
Ça me parait un peu idéal, ce que vous nous dites mais…

Solange Faladé :
Mais parce que vous ne pouvez pas imiter votre analyste, ce n’est pas possible. Vous n’arrêterez pas au même moment que lui, par exemple, il y a déjà-là tout…, il y a déjà-là beaucoup de choses qui séparent, c’est-à-dire que vous vous levez à partir du moment où vous ne pouvez écouter. Parce que c’est ça ! Si on ne peut plus écouter, il faut avoir l’honnêteté de se lever, or ce ne sera pas forcément au même moment que votre analyste ! Je prends ça parce que c’est massif, mais c’est ça ! En définitive, qu’est-ce que nous a appris Lacan ? Lacan nous a appris à ne pas faire semblant d’écouter quand on ne peut plus écouter, et qu’il vaut mieux se lever et faire savoir que, ou quelque chose a été entendu, ou on n’est plus en mesure d’écouter. Cela ne se produit pas au même moment pour tous ! La « momie » qu’on est ne se réveille pas forcément au même moment. Parce qu’en fait c’est ça, on doit y être en temps que momie, momie d’Égypte dit-il quelque part, l’attention flottante de Freud, pour reprendre parce que c’est cela ! Ça va pas se faire de la même façon, il y a là quelque chose qui vient marquer que l’analyste qui est là n’est pas le même que celui… mais enfin vous aurez l’occasion d’y réfléchir, d’en faire l’analyse.

C’est sûr qu’on est marqué par le style de son analyste mais ça ne veut pas dire qu’on est aliéné à ce style, cela veut dire que, après tout, il y a quand même quelque chose que Lacan nous a appris c’est cette liberté, être libre dans ses mouvements, chacun fait ça différemment. Je ne sais plus à quel moment de « La direction de la cure » [132] il en parle mais sans se…, même si on s’y reporte pas, le travail qui se fait au cours d’un contrôle, c’est quand même pour permettre à l’analyste d’avoir une liberté de mouvement, ça ne se vit pas de la même façon.

Bien à dans quinze jours.


[126] Lacan J. « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache ; Psychanalyse et structure de la personnalité » in Écrits. Seuil. 1966. Page 647.

[127] Lacan J. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. (1963 - 1964). Seuil. 1973. Page 188.

[128] Lacan J. « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », in Écrits. Pages 531 à 583. Seuil. Et Séminaire Les psychoses. (1955 - 1956). Seuil.

[129] Lacan J. Séminaire XVI. D’un Autre à l’autre. 1968 - 1969.

[130] Lacan J. « Subversion du sujet et dialectique du désir » in Écrits. Seuil. Pages 793 à 827.

[131] Lacan J. Séminaire Encore. (1972 - 1973). Seuil. 1975. Pages 73 à 82.

[132] Lacan J. « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » in Écrits. Seuil. Pages 585 à 645.