12 décembre 1995
Document de travail
Je dois vous dire que je suis le premier surpris d’être à cette place ce soir, puisque j’ai dit à certains d’entre vous qu’au cours de ces deux dernières journées, il me semblait bien que Madame Faladé devait assurer son séminaire ce soir.
Alors, j’ai appris cet après-midi que les choses devaient se dérouler autrement. Et la preuve est là, vous êtes nombreux à vous être déplacés, quelquefois de loin, il nous a semblé que cette rencontre devait avoir lieu. Et je dois dire que je n’ai eu le temps de rien préparer, alors ce que je pense pouvoir faire, ce soir, c’est de continuer à parler de ce qui est au travail pour moi ces derniers temps et dont j’essaie de témoigner dans le groupe « Les psychoses ». Il est probable que, pour ceux qui le fréquentent, il n’y aura pas trop d’étrangeté ce soir, mais il me semblait tout de même préférable d’avancer ainsi, quitte à ce que ce soit aussi l’occasion d’un échange, de discussions entre nous, puis peut-être aussi je pense qu’il y a certains impératifs de retour pour quelques uns d’entre nous et nous essayerons de ne pas terminer ce groupe trop tard.
Alors, ce que j’avais l’intention d’aborder encore ce soir, c’est cette question dont madame Faladé nous parlait dans son dernier séminaire, de ce rapport du sujet au signifiant et de sa responsabilité à l’encontre de cette rencontre avec le signifiant, de sa responsabilité à l’endroit de la jouissance.
Ici, ce soir, nous essayerons de prendre en compte justement ce cheminement du sujet psychotique, de certains de ces cheminements du sujet psychotique, à l’endroit du signifiant et cela, en référence à la question du corps. En ce sens, il me semblait, puisque là il m’a quand même fallu une minute qui précédait pour que je sache comment m’orienter, il me semblait que c’était une façon aussi de renouer avec certains d’entre vous qui étaient présents au moment de Vaucresson où… au moment auquel j’ai essayé de reprendre l’apport de Freud sur le langage d’organe, sur ce rapport justement du signifiant au corps, à la trace dans le champ du corps [64].
Je commencerai ce soir par quelque chose que j’ai évoqué aussi à certains moments mais que je reprends actuellement, c’est une façon de resituer cette question du signifiant en la reprenant au niveau même du transfert puisque je vous ai inscrit les patronymes des deux protagonistes du transfert paranoïaque que sont Flechsig et Schreber. J’ai voulu le reprendre pour travailler ces questions, en tout cas commencer à les travailler en les mettant bien au niveau de la lettre, au niveau de cette érotomanie de la langue impliquée dans la rencontre transférentielle de Flechsig et de Schreber. A propos de ce que je reprends là, ce ne sont que des éléments présents dans le texte des « Mémoires d’un névropathe [65] ». Il m’a semblé qu’il était important de resituer ce qui se révèle au moment de la décompensation psychotique de Schreber, alors il faut rappeler que Schreber indique sans cesse que c’est le corps, c’est son corps qui fait preuve, en fait, cette preuve, c’est une preuve qui va être toujours différée mais il n’empêche que c’est dans ce registre là, dans ce champ du registre du corps qu’il va questionner la signifiance et les effets de cette signifiance. Dans ce sens, je crois que ça n’est pas s’éloigner de ce que Freud dégage dans son texte de 1915 avec le « langage d’organe [66] ».
Là, pour Schreber, il est question à certains moments de certains organes, c’est une question qu’il se pose : « est-ce qu’il y aurait des organes, des organes mis en position d’exception ? » et, là encore, c’est quelque chose qui revient très souvent pour nous dans le travail sur le groupe des psychoses, c’est ce problème de logique de la position d’exception dans les psychoses. Eh bien, est-ce qu’il y aurait donc un des organes mis en position d’exception et qui rendrait compte de cette jouissance qui est celle de La femme [67] ? En l’occurrence, dans ce texte, et là il n’y a que, il faut le texte allemand, je ne vais pas vous faire un cours d’allemand, il faut les signifiants qui sont épinglés par Schreber à propos de cette perception possible, perception à la pression, perception possible de l’incorporation des signifiants de la féminité.
Et là, je dis bien que, pour Schreber, il est question de signifiants de la féminité dont il y aurait une écriture, une empreinte de ces signifiants du pousse à la femme dans le corps même de ce sujet, et il indique que ses organes peuvent être pris dans leur littéralité, ce sont les nerfs, ce fameux langage que parlent les nerfs, mais les autres organes qui pourraient être impliqués quand il est question de ça, c’est une nomination qu’il questionne. Il indique bien quel est le nom, est-ce qu’il pourrait y avoir un autre nom qui serait à donner à cet organe ou à ces organes mis en position d’exception ?
Il y a ces Nerve qui sont l’objet du savoir du neurologue Flechsig, il y a, sinon, les Sehne, ce sont les tendons. Or, ce terme de tendon, en fait, il y a un autre signifiant et c’est celui qui n’est pas indiqué par Schreber mais qui est proposé, eh bien c’est Flechse, Flechse ça signifie : tendon. On est donc là avec cette question, je crois que j’en avais déjà parlé mais peut-être d’une façon un petit peu différente, on est là à la question de l’incorporation d’un signifiant qui est le patronyme de l’objet du transfert, c’est-à-dire Flechsig. Cette incorporation a valeur là où ce signifiant du Nom-du-Père est forclos, dans ce temps de décompensation précis, cette empreinte, ce Flechsig correspond à l’empreinte du pousse à la femme, mais ce pousse à la femme, c’est ça que j’essaie de travailler, ce pousse à la femme qui est un pousse à la femme de nature persécutive, eh bien il est inscrit, la paranoïa, elle est inscrite dans le littéral du patronyme même de l’objet du transfert c’est-à-dire que ça nous permet de retravailler, si l’on veut, la question du transfert dans la psychose à partir d’éléments de cet ordre là. Ce Flechse, eh bien, cette incorporation, incorporation qui ne peut pas s’appuyer sur une articulation au S2, au signifiant du Nom-du-Père, cette incorporation elle est productrice d’un effet particulier qui est la Seligkeit, la béatitude.
On ne peut pas là ne pas, ce sont des choses dont je vous avais déjà parlé il y a quelques années, on ne peut pas là ne pas y repérer les anagrammes, le jeu littéral, les anagrammes du patronyme Flechsig.
Je ne fais là, j’en ai parlé aussi il n’y a pas très longtemps je crois, reprenant les choses ainsi et en mettant en rapport la béatitude, la Seligkeit avec la jouissance des âmes Seelenwollust. Je ne fais que reprendre ce qu’indique Lacan dans « Une question préliminaire [68] » où il insiste sur l’importance de l’homophonie entre Seele, le Sel de Selig et celui des âmes Seelen. Donc, on est en train, on est confronté à ces empreintes et à cette contrainte subie par le sujet au niveau du corps, signifiants, des signifiants présents dans le Réel, qui insistent dans le Réel. On peut tout à fait noter aussi la proximité du signifiant Sehne avec celui de Seelen, ce que je veux indiquer surtout c’est cette persécution, on va dire persécution corporelle qui se donne, dont la preuve se donne dans le champ du corps, au niveau du corps et qui est liée encore une fois aux lettres mêmes des patronymes, mais pas seulement.
Alors, c’est quelque chose cela que nous avons, que nous sommes en train de travailler chez « Schreber » puisque nous reprenions il y a peu de temps une phrase célèbre qui est ce : « Je suis le premier cadavre lépreux qui mène un cadavre lépreux ». Cette question-là, j’ai essayé de parler à partir de la langue justement car je crois qu’on risque à la lecture de cette phrase, on risque trop de se porter du côté du corps, immédiatement du côté du corps et bon, Lacan, à l’époque du séminaire sur Les psychoses [69], y repérait là cette perception quasi divinatoire qu’a le sujet dans ce temps, à savoir celui de son rapport au Moi Idéal.
En fait là, ce sera un apport du même Lacan dans les moments où il aura théorisé son objet a. En fait, c’est de la condition du sujet réduit à l’identification à l’objet a dont il est question, et d’un objet a qui est le cadavre. Cadavre corporel, ce morceau de corps dont un sujet ne peut pas se séparer, là, dans le cas de la psychose, c’est-à-dire ce qui vient faire écran, ce qui vient faire écran à ce détachable qui confronte au rien de la mort. Là, ce cadavre vient faire suture, obstacle à cette confrontation au rien et ce que l’on peut dire c’est que il nous confronte à une impossible perte du corps mais ça va bien plus loin, c’est pour cela que je le reprends, ce soir, c’est que ça confronte à ce qu’on sait aussi par ailleurs, mais c’est intéressant de voir comment Schreber nous y rend attentifs. Eh bien, ça confronte à l’impossible perte au niveau du langage lui-même, c’est-à-dire que mot et corps sont, pour un sujet psychotique, impossibles à perdre, ne peuvent pas être soumis au processus d’un deuil, deuil de langue, deuil de corps et sachant que le deuil d’un corps, c’est toujours par la voie signifiante que l’on peut aborder cette question, mais ce que je voudrais indiquer là, ce qui m’avait semblé intéressant à prendre en compte, toujours à propos des statuts de la langue, de cette langue, à certains moments, pour laquelle j’ai indiqué son caractère érotomaniaque dans la psychose et là ce qui me semble important et intéressant, c’est de percevoir, oui de percevoir, de prendre en compte un statut de la langue qui serait celui de son cadavre, mais un cadavre qui ne peut pas être perdu. Je me répète mais ça, je crois que c’est tout à fait important.
Alors à quel titre ? Bon, d’abord que ce cadavre de la langue ne puisse pas être perdu et que ce statut-là vient contraindre ce sujet à n’être que cela, un cadavre, mais un cadavre qui ne se perdra pas et ce qu’on avait noté, c’est que cette impossible perte qui vient tout de même modifier tout à fait le fonctionnement de la signifiance, eh bien cette impossible perte vient conditionner, d’abord le sujet n’est pas un cadavre, il est le premier cadavre, il vient se mettre, il vient là encore réclamer son statut de sujet d’exception, même si c’est à partir de cette identification à ce déchet qu’est son cadavre, et on peut indiquer aussi ce qu’on peut prendre en compte, c’est que de cette impossibilité de cette perte, de cette mort, je crois que c’est le mot que l’on peut utiliser, l’impossibilité d’une mort, d’une immortalité, ça les confronte à une immortalité de la langue et une immortalité du corps. Ce que j’ai noté aussi, mais ce n’est peut-être pas très intéressant pour nous ce soir, c’est que ça vient conditionner aussi, probablement, le lien social pour le sujet psychotique, car la référence phonique est absente et il est pris, même enchaîné, dans un rapport à un autre cadavre et ce qu’il nous avait semblé pouvoir être questionné, c’est un appel à la notion de série mais qui ne peut pas s’inscrire et aussi un appel à la question du successeur. C’est quelque chose dont j’avais parlé aussi à Vaucresson cette année, je ne vais pas poursuivre là-dessus.
Ce que je voulais seulement prendre en compte, c’est cette impossible confrontation à du manque, à du rien sinon au travers d’inscription dans le Réel, dans le Réel du corps, qui sont des effets du signifiant. Bien, ces inscriptions du manque dans le Réel, qui ne peuvent pas être corrélées à celle de la castration, elles doivent, elles peuvent, elles doivent être envisagées comme étant du registre de la privation. Cette privation, elle va s’exercer au niveau du corps, c’est quelque chose qui est dans quelques pages du chapitre VII [70] que nous sommes en train de travailler.
Cette impossible castration et ces inscriptions du manque dans le Réel, ça va être au niveau du corps même et après le cadavre lépreux, c’est de l’inscription d’un signifiant qui est la lèpre et l’inscription qui est qualifiée de différentes façons que je ne vais pas, dont je ne vais pas… enfin, si je n’en parle pas, c’est que je suis en train d’en parler, donc une lèpre qui est qualifiée, qui est définie au travers des couleurs et d’odeurs, ce que je pense être une forme de traduction de la dégradation du statut du signifiant justement au travers de l’olfactif, du scopique, ce sont des références par exemple sur l’olfactif et sur le signifiant, c’est quelque chose que l’on trouve justement dans le séminaire sur L’identification [71] chez Lacan.
On avait parlé, je crois, de ces choses-là à un certain moment. Bon, ce sur quoi je voudrais venir, c’est avec cette lèpre, ce signifiant de la lèpre avec ses différentes couleurs, odeurs, ça vient contraindre le sujet à une…, d’abord on considère qu’il s’agit là de la « maladie sacrée », et ce à quoi ça le confronte c’est à la question de la mort, c’est lui qui en parle précisément ainsi, mais une mort qui est impossible, qui est toujours différée. Et il en rend compte au travers de l’affrontement contradictoire entre deux catégories de rayons, des rayons qui émanent de Dieu, des nerfs de Dieu, pour lesquels là aussi, mais euh... je... assez rapidement, je peux vous indiquer dans le texte français, il s’agit de rayons qui endommagent, qui détruisent, je crois que c’est ça, et puis d’autres rayons qui sont des rayons salvateurs.
En fait, ce qui m’a semblé là encore important avec la question de la langue, c’est que, en Allemand, il s’agit de certains qui sont, qui ont la qualité de segnende [72] et d’autres d’être serhende [73]. Alors, on avait essayé de travailler un peu là-dessus, là aussi parce qu’il nous avait semblé qu’on trouvait encore cette contamination par la jouissance sonore et puis une position quasi homophonique entre les signifiants, et puis, et c’est de ça dont j’essaie de parler ce soir, c’est que, au-delà de la question de la lettre, du son de la lettre et du sens - parce qu’on ne parle que de ça - remarquons ces petits jeux de lettres qui font que, à cela près, un signifiant prend ou prendrait un sens absolument contraire et donc, c’est sur ce jeu de la littéralité et sur ce contrage à l’endroit de la lettre persécutrice que la jouissance pourrait se moduler et le sens pourrait être questionné autrement.
Alors, Schreber pose les questions de façon très précise, là encore. C’est que ce que sont - ses termes sont mis entre guillemets - ce qui signifie chez lui qu’ils appartiennent à la Grundssprache, c’est-à-dire la langue de fond, la langue de nerfs. Or, s’ils sont, s’ils ont des effets contraires entre ces deux signifiants, à quelques lettres près, et sachant que, en plus, la fin de ces deux signifiants indique justement, signifie la fin, la Ende et la question de la mort. Ces signifiants mis entre guillemets, véhiculant la langue fondamentale, sont, ont valeur de message autonyme mais ce que je veux indiquer surtout, c’est que on est avec le problème du sens chez le psychotique avec ces questions, avec ces questions de ces contraires entre ces deux signifiants tels qu’ils sont produits mais, ce qu’on sait, c’est que les signifiants qui sont mis entre guillemets quand ils appartiennent à la langue fondamentale, en fait, sont du registre de l’euphémisme, c’est-à-dire que là où un signifiant sehrende est supposé avoir le sens de détruire, mais comme il appartient à la langue fondamentale et au registre des euphémismes, on peut envisager que Schreber se pose la question de la négation, la question du contraire et de la négation, c’est de ça dont j’essaie peut-être de parler ce soir.
Comment à partir de scansions, de mises en place d’inverses, de contraires, ça ce sont des mots qui reviennent sans cesse dans son texte, comment ce sujet tente d’inscrire la question de la Verneinung [74], de cette Verneinung impossible dans la psychose.
Je continue avec mon exemple, il y en a d’autres comme ça mais celui-là tout de même semblait assez exemplaire comme réalité. Ce sehrende puisqu’il appartient au registre de l’euphémisme, eh bien, il peut avoir absolument le sens contraire de celui qui est indiqué, c’est-à-dire d’endommager, c’est-à-dire qu’il peut au contraire reconstruire. Et l’autre, le segnende peut être traité de la même façon avec ses antagonistes liés à la notion d’euphémisme. Mais si vous vous reportez au texte même de Schreber, il y a une petite note - la 48 - eh bien vous verrez que il traite aussi de la différence entre la langue fondamentale et le langage symbolique et, pour cela, il va indiquer, enfin ce qu’il repère, c’est que les signifiants ne seront pas soumis à la mort, c’est ce qu’il dit. Donc, ça reprend ce dont on peut parler à certains moments, et ce que je disais tout à l’heure, cette impossible perte, cette impossible mortalité du signifiant et, de plus, il remarque cela aussi, c’est que un même signifiant passant du registre du Réel, la langue fondamentale, à la langue moderne, symbolique, c’est comme ça qu’il en parle, eh bien prend absolument son sens contraire ce qui fait qu’on est sans cesse avec Schreber à travailler la question de la fonction du contraire ou de son antagoniste, parlons comme ça.
Encore une fois, c’est une forme de la négation de dire cela comme ça, mais où s’inscrit-elle ? En quoi ne parvient-elle pas, et toutes les suppléances mises en place par Schreber du moins dans le champ du langage ont trait à cela, eh bien, toutes ces suppléances vont être, vont consister en une quête de cette inscription d’une négation dans le registre Symbolique, c’est-à-dire de cette fameuse Verneinung dont je parlais tout à l’heure et dont j’ai parlé à d’autres moments.
Alors comment, comment aussi, pourquoi, pourquoi est-ce que les choses sont aussi difficiles pour un tel sujet ? Pourquoi est-ce que, confronté à sa Bejahung, à son oui à un signifiant, pourquoi est-ce que ce signifiant lui fait autant problème ? Pourquoi ce qu’il en est de cette Bejahung fait, est confronté à la difficulté de l’inscription du sens lié au S2, et comment ça vient perturber le fonctionnement du signifiant ? C’est de ça qu’il nous rend compte là, et c’est de cela qu’il va rendre compte aussi quand il parle de la fameuse Entmannung, l’éviration, cette éviration c’est le signifiant qui vient inscrire dans le corps une, un manque, on peut dire tout de même, c’est pour ça que j’ai repris les choses à partir du transfert, on peut dire que ce patronyme par exemple de Fleschig est tout de même, impliqué en tant que signifiant mais en tant que signifiant qui vient désigner l’organe de la féminité, de la féminité non barrée. Je ne fais que reprendre l’enseignement de Schreber.
Alors, avec un signifiant, pour tout S1, qu’est-ce qui fait problème ? Comment se pose le problème en tout cas une partie du problème, dans la mesure où du S2 n’est pas inscrit dans le registre symbolique, dans la mesure où il n’y a pas cette articulation langagière ? Bien, ce que je crois que Schreber nous indique sans cesse, c’est qu’un signifiant dans le Réel vient s’imposer, et s’imposer en Allemand puisqu’il fallait continuer tout de même, c’est vorschreiben et Schreber, ça je vous l’ai indiqué aussi, c’est cette contamination homophonique, le patronyme même de Schreber, sa condition d’être celui qui est soumis à l’imposition d’une écriture de la féminité, et c’est à propos de la féminité, je vous le disais tout à l’heure, c’est comme ça que ça se passait et, à partir de là, et je crois qu’on est confronté à la question de l’identification au symptôme, eh bien, il dit qu’à un certain moment, après tout ce temps de révolte à l’égard de l’Entmannung, de l’éviration, de cette inscription, de cette privation dans le réel de sa virilité, en soi ne constitue pas immédiatement une position féminine. Mais c’est lui qui, du fait de sa structure, rencontre cette question de l’éviration ainsi.
Eh bien, que je ne me trompe pas, à partir de, après ce temps de révolte contre les atteintes à sa virilité, il dit devenir le héros de la féminité et d’inscrire, d’écrire même sur ses étendards, c’est son expression, il utilise schreiben pour ça, écrire sur ses étendards le triomphe de la féminité. Bien sûr, c’est aussi dans cela que se trouvent pris toutes les oppositions et les antagonismes entre les deux systèmes. C’est cela, je ne suis pas certain qu’on parle assez souvent de cela, quand on nous parle d’Aufschreibesystem chez Schreber on en parle comme d’un système d’écriture qui serait le sien, un point c’est tout. En fait c’est plus compliqué que ça, il y a deux systèmes d’Aufschreibesystem, deux systèmes d’écriture qui eux aussi posent la question de leur antagonisme, et d’une modalité de traitement du signifiant lié à ces antagonismes, eh bien ce sont ceux des deux dieux qui sont Ahriman et Ormuzd. On reparlera de ça un jour, de toutes façons il y a des exemples très très précis là concernant la découpe de la langue, la découpe des signifiants du fait de ces systèmes mis en place par les dieux et auxquels Schreber adhère, les Aufschreibesystem, c’est-à-dire là où il devient lui même identifié disons à la fonction du nom, véhiculée par le nom, induite, imposée par le nom, par le patronyme.
Je ne vais pas traiter de la question du statut du nom propre dans la langue tel que Schreber le fait, parce que j’en ai parlé quelques fois, mais ce que je voudrais - je m’arrêterai assez vite pour qu’on puisse discuter un petit peu - c’est qu’avec cette Bejahung, cette persécution du signifiant à l’endroit du corps avec l’Entmannung, à l’endroit du corps aussi puisqu’il devient, il est considéré - on voyait ça récemment dans le groupe des psychoses - il devient bon à jeter, c’est-à-dire le fameux liegenlassen, c’est-à-dire qu’on le laisse tomber, qu’on l’abandonne, il est traité comme un déchet, ce fameux statut d’objet a, eh bien là aussi il est traité comme une putain, c’est ce qu’il nous indique. De la même façon, il met sur le même plan la mort physique mise en place au travers de la lèpre ou de la peste, mais aussi ce qu’il évoque c’est le risque pour lui, une autre forme d’inscription du manque. Pour la mort physique, on sait de quoi il s’agit - enfin on sait de quoi il s’agit, justement pour lui c’est, c’est tout le problème - comment, qu’est-ce que c’est que ces affaires-là ? Comment est-ce que on peut rendre compte de la notion de mort, quelque soit le domaine où elle aurait à s’exercer ? Mais il est question enfin justement d’une autre forme de mort, qui serait celle de la destruction de son intellect. A ce propos de la destruction de son entendement, de sa compréhension, c’est-à-dire quelque chose qui vient toucher au sens, au Sinn, c’est contenu dans le signifiant qu’il utilise, Sinn c’est le sens, et cette inscription d’un manque dans le… dans… elle vient toucher, autant au niveau de la compréhension et de l’intelligence, je crois qu’elle vient toucher au niveau, elle vient rendre compte du défaut d’articulation des S1, S2, mais aussi elle vient aussi probablement toucher à la question même de la destruction de chaque S1, de chaque signifiant. Alors, ce qui confronte, parce que c’est quelque chose qui vient confronter Schreber à une autre question très importante chez lui qui est celle de l’impossibilité de ne penser, l’impossibilité du penser, ne penser à rien [75]. Ce manque au niveau de l’enchaînement des signifiants, eh bien il est impossible et c’est, c’est une forme, c’est un équivalent de mort pour ce sujet, c’est-à-dire que, je me répète, là, ce catalogue que l’on vient de faire, de l’identification à l’objet a, c’est celui d’un sujet qui est soumis à la paranoïa de la langue, à la paranoïa intrusive de la langue qui est celle de la jouissance de l’Autre, du grand Autre et ce que je crois être en cause dans cela, c’est que tous ces éléments là rendent compte de l’intrusion, des germes comme dit Schreber, des germes de jouissance de l’Autre, à l’endroit du sujet d’où sa quête d’ailleurs d’une extraction de cette jouissance sans la négativer, puisque ça c’est justement ce qui lui est impossible, cette négativation mais comme on l’avait vu, ces suppléances rendent compte des modulations possibles entre sujet et grand Autre, notamment à travers la position d’exception, d’exception possible de l’écriture.
Mais, pour continuer avec cette question de cette trace de signifiant persécuteur fait trace soit dans le corps, soit dans la pensée du sujet, disons ça comme ça, et cette trace, pour le sujet, elle ne peut pas être perdue en même temps, elle est intrusive, elle est persécutrice mais elle ne peut pas être perdue et il me semblait que dans cette impossibilité de la perte qui est une impossibilité de perte de la jouissance, de négativation de la jouissance, c’était cela aussi, ça intervient comme élément entravant l’effacement de la trace, là on retrouve un petit peu ce que dit Freud, pas un petit peu je crois, on retrouve ce que Freud a trouvé, a travaillé dès 1915 dans son article à la fin de « L’inconscient [76] », son article sur « le langage d’organe ». Cette impossibilité d’effacement de la trace, eh bien c’est ce qui rend compte de l’impossibilité du meurtre de la chose, ce meurtre de la chose qui est nécessaire au statut plein, j’ai envie de dire, du signifiant et parce que l’effacement de la trace, là aussi pour un sujet psychotique, ce serait le confronter à un manque. Il y a donc tentative d’effacement, mais chaque tentative d’effacement est annulée, ce qui nous permet de rendre compte du : pourquoi l’éviration ne sera jamais obtenue de façon définitive. La mort physique non plus, la débilité, la crétinisation non plus. Je dois en oublier, l’éviration je l’ai dit. Donc toutes ces inscriptions sur un mode privatif du manque et de la mort, tout cela est rendu impossible du fait de l’impossibilité de l’effacement et quand je parle ainsi, c’est reprendre ce que nous indique Lacan à l’époque du séminaire sur L’identification lorsqu’il travaille la question du signifiant avec le traces de pas et le pas de trace. Cet impossible passage de la trace à son effacement, à la négative, ce qui rend impossible cet effacement, c’est le maintien nécessaire de la jouissance. L’odeur, la couleur, les signifiants de la lèpre dont je parlais tout à l’heure, mais c’est à propos de tout. La contamination sonore des homophonies entre les patronymes et les mots, les noms communs, on peut dire ça comme ça, toutes ces choses, tous ces éléments là interviennent c’est-à-dire toutes les modalités de jouissance, toutes ces modalités qui sont des façons d’effacer, dont parlait Lacan, là encore dans D’un Autre à l’autre [77], je crois que c’est ça. Voilà ! Voilà je crois comment à partir de cette question de l’impossibilité d’effacement de la trace, on reprend, on retrouve la nécessité pour Schreber de mettre en place des antagonismes, des contraires, même les dieux Ariman, Ormuzd, etc. Toutes ces duplications, ces passages, parce que une Bejahung pour laquelle il n’y a pas eu négativation, eh bien qu’est-ce que peut être le contraire d’un tel signifiant si l’autre, si le contraire lui-même n’est pas soumis, ne peut pas être soumis à la négativation ? C’est-à-dire ce que j’ai indiqué pour les sehrende et les segnende mais c’est aussi ce qu’on va retrouver. Donc restons avec ça, cette mise en place d’un antagonisme pour traiter de la question du sens qui est entravé du fait de l’impossibilité de la négativation de la jouissance, eh bien c’est reporté, c’est reporté à un autre appel dans le Réel puisque ce n’est pas avec ces deux signifiants-là qu’on va traiter de la question du sens, ça ne peut pas marcher.
Donc une fois qu’on a un sujet en rapport avec ses S1, quand on a du sujet Schreber, il va être obligé de mettre en place son « Ariman » à un moment, mais son « Ariman » ne va pas suffire pour traiter de ces questions-là, donc il est obligé de trouver un antagonisme à son « Ariman » avec « Ormuzd ». Et il va être obligé de trouver sans cesse d’autres questions, d’autres antagonismes c’est-à-dire que la question de la négativation elle est portée de façon asymptotique, c’est ce qu’indique Lacan, et je crois que c’est une façon d’aborder ce problème que de bien prendre en compte l’intrusion de jouissance de l’Autre et l’impossibilité de son effacement complet. Je m’arrête là parce que… S’il y a des questions…
Questions
Marguerite Bonnet-Bidaud :
Comment vous traduisez l’Aufschreibesystem, là ?
Bernard Mary :
C’est un système d’écriture
Marguerite Bonnet-Bidaud :
« Auf » tout seul ? « Auf » : au-dessus, sur ?
Bernard Mary :
Au-dessus, sur, c’est-à-dire que ça vient, ça on en parlera aussi, c’est la façon dont… ça sert de système d’arrimage, hein, l’écriture.
Elisabeth Boisson :
Au-dessus, au-dessus de quoi ?
Bernard Mary :
Justement je pense que c’est au-dessus de cette signifiance-là, au-dessus de ce qui fait défaut au sujet, puisque vous savez il y a tout de même un système de prise de notes qui évolue et qui évolue tout de même vers une écriture aussi. Ça, on en a déjà parlé quand même beaucoup.
Elisabeth Boisson :
C’est le « Auf » qui me posait des questions.
Bernard Mary :
Oui, mais on n’en est pas là, mais je crois que c’est de cette question-là, du rapport de l’écrit au signifiant. Oui, peut-être aussi parce qu’il est sans cesse question de topologie aussi. Parce que, à propos du contraire, il y a aussi une question que se pose Schreber c’est la question de la limite que permet un signifiant, un signifiant, ça fait coupure et ça fait limite à ce qu’il dit, mais il se pose la question à un moment : « qu’est-ce que c’est que le contraire d’une limite ? » Et on retombe sur une question qui revient sans cesse chez Schreber c’est : « qu’est-ce que c’est une substance ? » Par exemple : « qu’est-ce que l’infini ? »
Elisabeth Boisson :
J’avais entendu qu’il y avait un deuxième système de… ?
Bernard Mary :
Oui il y a deux systèmes, oui, tout à fait, il y a un système Ormuzd et un système Ariman par exemple, j’ai ça dans les parages, on en avait parlé, c’est assez étonnant comment chaque…, les affrontements entre signifiants, c’est-à-dire qu’il y a un signifiant qui surgit, chaque dieu essaie de détourner le signifiant du côté de l’autre dieu et contraint le sujet à travailler sur la découpe des signifiants… J’en ai parlé, je ne sais pas si c’est sur les histoires des forces colossales… de…
Elisabeth Boisson :
C’est en rapport avec les deux dieux ?
Bernard Mary :
Mais oui, tout à fait et c’est pour ça que je le disais tout à l’heure, quand on lit le texte en général on voit, on ne repère pas qu’il y a deux systèmes d’écriture. Et il y a deux systèmes d’écriture divins, je dis comme ça plutôt, et le sujet fonde son écriture à partir, au travers de cet affrontement entre les écritures divines, enfin on y reviendra... Je crois qu’il y a à un moment une histoire de convoi, une histoire de chemin de fer, ça vous rappellera quelque chose et bon, il y a un dieu qui induit ce signifiant-là, et l’autre va contrer ça en parlant de chemin de terre. Au moins ça a une fonction, ça fait suite aux problèmes de l’homophonie quand il est question des « Santiago Karthago », ça permet au moins d’individualiser le signifiant et de l’extraire du galimatias, pour reprendre les expressions Schreberiennes, du galimatias signifiant imposé c’est-à-dire qu’il introduit des coupures et il prend dans la langue, il retrouve une autre présence à l’endroit de la jouissance qui est incluse dans ces signifiants. Et dans ce cas là, je ne suis pas revenu là dessus, dans la langue, dans le cadavre de la langue ce qu’il y a c’est la jouissance. Je l’ai dit mais pas suffisamment puisque c’est aussi à partir de là qu’il aurait pu être question d’une hypocondrie de la langue. Je m’arrête là.
Question :
Une question qui m’intéresse… enfin tout cela m’intéresse beaucoup mais je me demande si le fait que les enclaves de jouissance ont condensé cette jouissance de l’Autre, il se trouve au niveau de la lettre renvoyée au patronyme, je me dis : est-ce que ça c’est une particularité de l’histoire de Schreber, il se trouve que chez Schreber ça fonctionne comme ça ou bien est-ce que il y a quelque chose d’autre, alors... qui ferait que ce ne serait pas par hasard que cette jouissance qui fait retour comme ça dans le corps, précisément parce que quelque chose de la division… du Nom-du-père est forclos. Est-ce qu’on pourrait dire qu’elle implique précisément le nom du patronyme, c’est-à-dire la lettre ? Est-ce que ce serait un point plus universel… enfin de structure… Je ne sais pas si ma question… ?
Bernard Mary :
Si, si, parce que je crois que c’est, c’est une question qui est présente depuis longtemps pour moi en tout cas je ne peux pas en faire l’économie puisque ma rencontre même avec la psychose, elle est liée à mon patronyme. Je veux dire que j’ai été immédiatement saisi avant même d’avoir à l’ouvrir. Le simple fait que quelqu’un m’ait présenté dans un lieu par mon nom et dit mon nom ça a suscité chez quelqu’un d’autre qui était psychotique des comportements dont j’ai eu à me débrouiller et je n’étais pas en train de fréquenter la psychiatrie, un petit peu, ça commençait mais ça s’arrêtait là et après…, de ces contraintes des patronymes dans les destinées de certains, oui, oh combien ! Puisque je n’ai fait que retrouver la façon dont j’avais terminé mon mémoire de psychiatrie, j’avais travaillé là-dessus… Je crois qu’on ne peut pas passer à côté de ça. Maintenant je me méfie un peu parce que c’est vrai qu’avec Flechsig et Schreber c’est presque du gâteau, mais ça vient tout de même poser, ça vient poser ces questions. Effectivement, quand vous dites retour dans le corps, moi voilà c’est de ça aussi d’une part… j’ai envie d’être très prudent, c’est un retour dans le corps mais du fait du retour du signifiant dans le Réel. Un corps est interpellé dans ce retour dont tu parles, du signifiant dans le Réel ça ne se passe pas comme ça, il faut bien tout de même rendre compte justement de cette articulation, de ces modalités d’articulations entre signifiant et corps, entre mot et corps si on veut aussi parler comme ça. C’est d’ailleurs de ça dont parle Freud dans le langage d’organe, c’est tout de même ça, il saisit ce truc là de façon très précise.
Question :
Oui, je suis d’accord, d’ailleurs, retour de la jouissance, ce n’est peut-être pas juste de dire ça comme ça, parce que ce qui fait retour dans le Réel, c’est le signifiant !
Bernard Mary :
Oui. Et lui Schreber quand il parle de son corps comme preuve, la question de la preuve du corps où il est à cette place là, c’est du signifiant, de l’influence du signifiant sur le Réel du corps qui tente de faire preuve de la signifiance, du rapport aux autres signifiants. Comment replacer la question du patronyme ? J’ai essayé de montrer comment et puis il y en a quelques autres, quelques situations, quelques vies qui en témoignent, quelques vies qui en ont témoigné.
Question :
Alors, quand vous dites que, avec les contraires, il y a une quête comme ça, une tentative d’inscription de la négation, bon, parce que cette négation est tellement mise à mal enfin forclose, est-ce qu’on peut dire qu’il y a quête d’une inscription de ce qui n’est jamais advenu et de la même façon est-ce que par rapport au patronyme, si les lettres justement du patronyme sont concernées comme ça par ce truc-là, est-ce que, comment dire ça, là où justement le nom pour le psychotique ne supporte pas les fonctions symboliques réelles, enfin je veux dire le père qui nomme, enfin la nomination symbolique, la nomination dans le Réel, etc. Ça c’est précisément forclos dans la psychose, mais c’est quand même au lieu de la lettre du patronyme que c’est supporté par la structure.
Bernard Mary :
C’est un des lieux, probablement un des lieux privilégiés dans la mesure où le nom propre a pour fonction d’être référé à la question de l’Idéal du Moi. Or, cet Idéal du Moi ne pouvant pas s’inscrire dans le Symbolique, il n’empêche qu’il est opératoire, mais il est opératoire probablement dans cette contrainte dans le Réel. C’est aussi une façon de reprendre l’observation dont avait parlé madame Faladé à Vaucresson et la dernière fois, justement avec ce fait qu’elle était conduite à désormais utiliser l’équivalent patronymique autrement mais parce que il y a l’enjeu, un enjeu pour ce sujet qui est articulé, il y a quelque chose qui s’impose là en référence au patronyme.
Les histoires d’antagonismes, c’est-à-dire, je l’ai dit tout à l’heure, il y a des modalités diverses de la négation dans la psychose, mais ça ne fera pas justement, ça ne fait que suppléance, mais c’est tout de même très intéressant de voir ce jeu sur les antagonismes, sur les contraires, et puis ça a intérêt, c’est ce qu’on avait fait à un moment, ça a intérêt de reprendre aussi le texte de Freud sur les sens.
Question :
Sur les mots primitifs.
Bernard Mary :
Oui, c’est ça sur les mots primitifs. Il en parle aussi dans les séminaires sur Les psychoses [78] mais à un autre moment de ce texte de Freud qui s’appuyait beaucoup plus sur les apports de Abel du linguiste allemand.
Marguerite Bonnet-Bidaud :
Moi j’avais envie de dire, quelle délicatesse pour utiliser ce jeu sur la lettre avec les mots primitifs ?
Bernard Mary :
C’est-à-dire qu’on n’a pas à jouer, on n’a pas le droit d’y toucher, on a seulement le droit d’être enseigné, c’est-à-dire qu’on a le droit d’essayer de lever un peu le manque privatif au niveau d’une théorisation.
Thérèse Delafontaine :
Mais si je disais ça c’est parce que on entend assez facilement des exemples où ça peut se faire et c’est terrifiant.
Bernard Mary :
Oui, mais c’est la dernière chose à faire, oui je sais. On laisse ça dans les cours d’école et d’autres lieux aussi où ça n’engage que celui qui le pratique et d’ailleurs peut louper son engagement quelquefois, sur la fonction de l’écriture par exemple, et ça c’est une autre question, ça n’a rien à voir. Enfin… Vous avez tout à fait raison d’insister sur le fait qu’on n’a pas à toucher… par exemple que Schreber travaille sur cela, ça lui permet de mettre en place justement certaines suppléances, ça oui, mais ce sont ses chemins. On n’a pas, en rien, à intervenir à ce niveau-là, surtout pas.
Question :
Je suis un peu embarrassée sur la question du pousse à la femme, si j’ai bien compris, fait retour par ce signifiant de la féminité qui est Flechse, c’est spécifique à Schreber ?
Bernard Mary :
Oui, tout à fait.
Question :
Pour les autres, à ce moment-là, le pousse à la femme ?
Bernard Mary :
Oui, il y a toujours un pousse à la femme dans la mesure où il y a forclusion du Nom-du-Père, dans toutes les psychoses, mais, chez Schreber, on peut dire qu’il a épinglé dans sa décompensation, il a épinglé l’objet de son transfert dans son délire, et le patronyme de l’objet de son transfert s’est trouvé pris dans cela. Je crois que c’est important de le signaler et que ce pousse à la femme, qu’on retrouve dans toute structure psychotique, que ce pousse à la femme vienne épingler à chaque fois le patronyme, ça certainement pas, je ne dirai pas ça. Mais ça arrive tout de même de façon assez fréquente pour qu’on en tienne compte et qu’on se pose les questions du statut du patronyme par exemple, comme l’a rappelé aussi madame Faladé, qui n’a rien à voir avec le signifiant du Nom-du-Père mais qui est un élément de la langue et un élément particulier qui se trouve questionné au titre de sa particularité justement en fonction de la structure dans certains cas.
Question :
Le prénom ne joue jamais un rôle ?
Bernard Mary :
Ah, si, si ! Mais il y a un élément à propos de ce que Schreber appelle le meurtre d’âme, c’est dans les premiers chapitres des Mémoires d’un névropathe il est question, il y a une forme de délire de filiation c’est-à-dire que les lignées, les lignées Flechsig et Schreber, ça va tout à fait dans le sens d’ailleurs de ce que je travaille, les lignées se télescopent, les nominations se télescopent et on se retrouve, il y a même un cas à la fin du chapitre, je terminerai là dessus je crois, à propos de la jouissance intrusive de l’Autre, Schreber indique que ceux qui étaient dans la bande à Flechsig, eh bien ils portent, ils ont des nerfs qui ont une influence particulière et ces nerfs portent des noms. Or les noms qu’ils portent sont des patronymes des gens, c’est-à-dire qu’il y a absolument identification entre les nerfs persécuteurs qui sont des nerfs langagiers, c’est la langue qui s’infiltre et les patronymes et les nominations et, entre autres, il y a plusieurs noms je crois il y a trois ou quatre personnes qui sont des ennemies mais il y en a une, qui s’appelle je crois, c’est Julius Emil Haase. Emil, c’est un des prénoms de Flechsig Paul, c’est le prénom de la mère de Schreber et ça va même au delà son nom de jeune fille, c’est Haase, et sur les exemples que je donnais tout à l’heure sur le délire de filiation chez Schreber, ce télescopage et ce meurtre d’âme, ce télescopage des lignées, eh bien il est sans cesse question de cela et il faut qu’on situe ça, si je me souviens bien, comme ayant eu lieu dans une antériorité, c’est-à-dire un ou deux siècles avant et ce qui signifie qu’il demande à ce qu’on travaille la question de la psychose au travers des générations, ce qui est loin d’être une mauvaise théorisation. Bien voilà, je crois que je vous ai répondu. Il y a d’autres façons de prendre le choix des prénoms. Là disons que je réponds quant à l’influence de ces prénoms, de rendre l’activité délirante dans la structuration du délire et de l’interprétation chez Schreber.
Question :
Mais quelle serait la particularité au niveau du patronyme ?
Bernard Mary :
D’être questionné d’abord au niveau de son sens comme n’importe quel mot, ce qui est déjà, cela arrive en d’autres circonstances mais c’est tout de même à prendre en compte dans la mesure où la question du sens elle est particulièrement prégnante chez un sujet psychotique. Ce que j’essaie de prendre en compte ce sont justement les particularités qu’il peut y avoir pour arriver à s’en sortir, pour trouver certaines clés et puis c’est tout de même, c’est ce que j’ai répondu tout à l’heure, je crois que c’est une façon de faire appel, même si c’est pas du signifiant du Nom-du-Père, c’est une façon de faire appel à un Idéal du Moi dans le champ du Symbolique, mais ça reste un appel dans le Réel, d’où la nécessité de porter, de porter la… alors là on tombe sur d’autres questions parce que ce n’est certainement pas du trait unaire dont il est question mais il y a des moments, mais après tout… il peut-être question chez Schreber, mais je pense à quelqu’un, il n’y a pas très longtemps, où c’est de l’érotomanie à l’endroit du père, pour certains sujets psychotiques, il faut, on ne peut pas dire qu’ils soient indifférents à ce qui concerne tel ou tel, enfin tel ou tel aspect du père, mais ce qu’ils portent à cette occasion là ce n’est pas le père symbolique, ils sont habités des duplications de ce père réel, et si je dis ça à propos de Schreber c’est tout de même, Schreber s’est décompensé je vous en avais parlé mais je l’avais travaillé comme ça avec l’hypocondrie chez Schreber, il s’est tout de même décompensé, bien sûr parce qu’il est confronté au signifiant du Nom-du-Père, bien sûr parce qu’il s’attendait à être élu, à être député, je ne sais plus quoi, il se casse la figure, il échoue aux élections etc. mais aussi il se décompense au domicile de la mère et à la date anniversaire de la mort du père et, qu’on le veuille ou non, quand on parle de la fameuse amélioration de novembre 1895 chez Schreber, bien sûr il faut parler de tout le travail qui s’est fait au niveau de, justement des mises en place de ces antagonismes, de la mise en place de la métaphore délirante, toutes ces choses-là, mais aussi novembre 1895, c’est la date anniversaire de la mort du père mais aussi c’est le moment où ce sujet peut se débarrasser, moi je pense que ça, ça tient, il se débarrasse de cette contrainte du Réel de cette mort qui ne peut pas être subjectivée donc il est habité par ce père, pas au titre du trait unaire encore une fois mais de quelque chose de cet évidement d’un père réel qui est nécessaire pour la traversée de l’érotomanie, de ce père primordial, pour reprendre le père de la horde primitive et Schreber en novembre 1895 après la date anniversaire de la mort du père, mais surtout la date, l’année qui correspondent à l’âge où son père est mort. Je ne sais plus si c’est 53 ans ou un truc comme ça mais, à partir de ce moment-là, il y a quelque chose qui s’améliore mais qui est aussi pris dans des histoires signifiantes. Là encore, il faut travailler ces notions-là avec la langue.
Question :
Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il y a un évidemment ?
Bernard Mary :
Évidemment, je veux dire qu’il faut pouvoir l’expulser ce père réel, celui qui reste complètement soumis à ça, qui ne peut pas s’appuyer sur le père, sur l’inscription... Eh bien, il jouit du père réel.
Question :
Qu’est-ce qui vous fait dire que Schreber s’est débarrassé ?
Bernard Mary :
Ah mais je ne dis pas qu’il s’est débarrassé ! Je dis qu’il n’est plus soumis à la contrainte dans le Réel qui est tout simplement la question de l’âge par exemple, tant qu’il n’a pas dépassé les 53 balais, il risque, il est probablement sous influence. Cette influence se modifie, j’irai pas dire que ça y est il n’y a plus d’identification d’érotomanie à l’encontre du père réel et qu’il est passé, qu’il a pu inscrire, rencontrer une inscription du père symbolique, ça non, je ne parlerai pas comme ça... Mais il n’est pas dans la même contrainte, il y a tout de même ces modulations-là, mais je crois que c’est important parce que il est vraiment des sujets qui vivent des drôles de vies à cause de ça.
Bon, bonsoir. Merci.
[64] Ce séminaire renvoie aux travaux de Bernard Mary présentés aux Journées de Vaucresson et parus dans différents bulletins de l’Ecole Freudienne ; à propos du langage d’organe, on peut se reporter plus spécifiquement à l’article de B. Mary paru dans « Savoir de la psychose » , essai collectif publié par l’Ecole Freudienne en 1999 aux éditions De Boeck, Collection Oxalis.
[65] Schreber D.P. Mémoires d’un névropathe. Seuil. 1975.
[66] Freud S. « L’inconscient » in : Métapsychologie, 1915, Gallimard. 1969. Page 113.
[67] Lacan J. Encore. Seuil. 1975. Pages 61 à 71.
[68] Lacan J. « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » in Écrits, pages 531 à 583, Seuil.
[69] Lacan J. Séminaire Les psychoses. 1955 - 1956, Seuil. 1981.
[70] Schreber D.P. Mémoires d’un névropathe. Seuil. 1975.
[71] Lacan J. Séminaire L’identification. 1961-1962.
[72] « Salvateur »
[73] « Endommageant »
[74] Freud S. « La dénégation ». Sur les traces du savoir insu. Traduction de S. Faladé, C. Chambon et M. Lohner-Weiss. Document de l’École Freudienne.
[75] « Nichts denken ». Ecrits. Seuil.
[76] Freud S. Op. Cité. Note n° 4.
[77] Lacan J. Séminaire : D’un Autre à l’autre. 1968-1969.
[78] Lacan J. Op. Cité. Note n°7.