24 octobre 1995
Document de travail
La grève des chemins de fer empêche un certain nombre d’entre vous d’être là ce soir, j’ai reçu quelques téléphones me le faisant savoir.
C’est notre première réunion du mardi et, pour cette première réunion, j’ai pensé apporter quelques réponses à des questions qui m’ont été posées à Tours [16] et je vais essayer de parler, je dis la féminité essentiellement de ce qui en est de la mascarade et de ce qui peut pas en être de masochisme.
Pour cela, j’ai mis au tableau les formules de la sexuation que Lacan nous proposait le 13 mars 1973, dans son séminaire Encore [17].
J’avais pensé revenir sur quelques discussions autour de, je ne sais comment l’appeler, concernant ce qui serait de la non continuité entre Freud et Lacan. Je n’en ferai rien. Je dirai seulement ce soir puisque c’est ça qui va nous intéresser, je rappellerai ce que Lacan a martelé tout au long de son enseignement qu’il n’y a pas de rapport sexuel inscriptible dans la structure. Ce il n’y a pas de rapport sexuel, Lacan nous dit que c’est un dire de Freud, j’insiste sur cela, j’y insiste parce que lui-même il le dit et vous savez que, jusqu’à la fin de son enseignement, ce il n’y a pas de rapport sexuel a tenu une grande place et que il s’est efforcé de dégager ce qui pouvait suppléer à ce il n’y a pas de rapport sexuel. Les dires de Freud, nous dit-il, ça veut dire que, effectivement, dans Freud, vous ne trouverez pas cette phrase, mais tout ce que Freud a apporté, tous les dits de Freud, tout ce que, depuis qu’il a découvert l’inconscient, il s’est efforcé d’élaborer, de transmettre, revient, revient à dire le il n’y a pas de rapport sexuel.
Dans ce séminaire, pour ce qui est de ces formules de la sexuation, Lacan s’efforce de montrer comment il y a suppléance par la castration à ce il n’y a pas de rapport sexuel.
S’il peut faire ce pas de plus que Freud, c’est, nous dit-il, parce que il se sert de la logique et de ce qui à ce jour pouvait, lui, l’aider à aller plus loin. Je fais une parenthèse parce que je trouve grave qu’on puisse avancer certaines choses que nous avons entendues à Tours, je trouve ça grave parce que lui-même - et c’est au cours d’un séminaire qu’il a tenu rue d’Ulm - disait qu’il a rendu à César ce qui est à César, et que il a rendu à Freud ce qui est à Freud et ce qu’il en a reçu, et c’est parce qu’il l’a fait qu’il a pu faire le pas suivant, et il nous engageait à faire la même chose et, il disait à ceux-là qui pensent pouvoir faire quelque chose de plus, il leur disait : « Commencez par me rendre ce que vous avez à me rendre et alors après vous pourrez faire le pas suivant ».
Je crois que c’est une chose capitale et je crois que c’est important de bien montrer ce que Lacan de la découverte freudienne s’est efforcé de nous transmettre et de nous transmettre en gardant le tranchant de cette découverte.
Donc, je reviens à ces formules de la sexuation, et si j’ai mis ces formules au tableau c’est pour pouvoir dire quelque chose de la féminité. Je ne ferai pas tous les détails de ce qui intéresse les formules de la sexuation. Je le regrette beaucoup car ce séminaire mériterait d’être lu. Mais, ce que je veux aujourd’hui montrer, c’est comment Lacan, pour dire ce qui peut s’inscrire du côté femme, et il nous dit qu’après tout, il peut y avoir aussi d’autres que femme à s’y inscrire car, pour ce qui est des attributs de la masculinité, on ne sait pas trop comment les cerner. Donc, ce qui s’inscrit de ce côté-ci, du côté de il n’y a pas un x qui dise non à la fonction sexuelle, ce qui fait qu’il ne peut pas y avoir d’universalité, il ne peut pas y avoir de tout, de pour tout, il ne peut y avoir que un pas tout, un pas tout certes, défini par une fonction phallique mais pas uniquement par cette fonction phallique, ce qui est le cas pour qui s’inscrit du côté du pour tout, du côté homme, de ce côté où il y a cette fonction du père, de cette exception, de ce il y en a un qui dit non à la fonction phallique et, nous dit Lacan, c’est parce que cette fonction du père peut s’inscrire que là on peut saisir ce qui de la castration peut suppléer à ce il n’y a pas de rapport sexuel inscriptible dans la structure puisque vous savez que le père, celui qui est l’exception, c’est à la fois celui qui est bien castré, tout à fait castré et, en même temps, celui qui ne peut plus être castré.
Bien, alors, je vais partir de ce qui pose problème, de ce qui est cet objet petit a qui se trouve du côté femme.
Cet objet a pose problème parce que on veut en faire un rebut et rien qu’un rebut, or Lacan, certes, a commencé par nous dire que c’est ce qui choit, ce qui peut être, et effectivement de ce côté de l’abject mais, nous dit-il, ce n’est en tant que semblant et ce n’est pas uniquement rebut, c’est aussi ce qui reste de la jouissance, ce qui est ce plus de jouir et pour essayer de nous faire saisir ce qui se passe là, là où ce petit a tombe, il commence à un moment de ce séminaire - je crois que c’est quelque part à la page 78 de ce séminaire [19] qui a été édité - il nous parle de ce, de ce qui a à voir avec ce vide et il nous dit que de ce côté-là Dieu n’est pas, exit, j’y reviendrai. J’y reviendrai parce que nous y avons insisté lorsque nous avons essayé de voir comment répondre à ce was will das Weib ? que veut une femme, et Lacan dans ce séminaire nous dit que Freud, de façon tout à fait abrupte, a dit que il ne pouvait pas répondre à cette question et s’est intéressé uniquement à la libido masculine, à ce qui était du côté du phallus. Donc, Lacan va s’efforcer de voir comment on peut répondre à ce qui là a arrêté Freud Que veut une femme, was will das Weib ? [20] et, pour y répondre, il nous dit qu’il y a à s’arrêter à quelque chose de plus, quelque chose d’autre, et qui est propre à la jouissance de la femme. Ça ne veut pas dire que seule la femme peut ressentir cette jouissance et qu’il y a certains qui ayant des attributs masculins, il y aurait à le discuter, aussi viennent s’y inscrire. Alors ce, ce vide, cette jouissance Autre, ce qui vient là spécifier la femme, la femme barrée, la femme qui n’existe pas, c’est une chose, ce petit a, c’est tout à fait autre chose et ce petit a, comme vous le voyez, il n’y a aucune flèche qui va de la femme au petit a.
Alors, après nous avoir dit deux mots rapides au début de cette page 78 sur ce, sur ce vide et ce à quoi une femme est confrontée, il nous dit que il s’élève contre les psychologues, les supposés psychologiques, et il nous dit que ceux-là, de l’âme, ils ne veulent rien savoir. Lui se demande pourquoi, lui se demande pourquoi parce qu’après tout, c’est l’âme, c’est ce qui permet à l’être parlant de supporter l’intolérable du monde [21] et c’est ainsi, c’est parce que, en fait, ça a à voir avec le fantasmatique. Et il va faire alors ce jeu de mots à propos de… je le mets là ce petit a, il va mettre un petit chapeau sur le â, il va parler de l’âme, et il va jouer avec cette âme, avec le fait que l’homme ce qu’il asme ce qu’il cherche ce qu’il aime dans une femme, c’est ce qu’elle peut lui présenter d’âme, de petit a, ce qui peut lui permettre à lui, homme, de fantasmer. Alors, il y a tout un jeu que fait Lacan puisque la langue française va lui permettre, on ne va pas s’y arrêter, on ne va pas s’y arrêter mais quand même je voudrais dire ceci que Lacan nous dit que du côté femme, il peut y avoir des âmoureuses [22] nous dit-il, mais il l’écrit avec l’accent sur le â, et son jeu est tel que il met en place et ce qui est de l’hommosexuelle, et ce qui est de l’hystérique, et nous dit que, dans ces conditions-là, elles se mêment [23]. Donc, une femme peut rechercher chez une autre cette âme mais elles se mêment, nous dit Lacan. Enfin venons-en à ce qui nous intéresse, et ce qui nous intéresse, c’est autour de ce petit a, de cette âme, de cette âme que l’on peut faire être, nous dit-il, mais il faut pour ça que, dès l’origine, on la différencie, on la dit femme. Et je crois que ça mérite que je l’écrive, on la dit-femme [24] puisque Lacan se sert de ce que la langue lui permet et dans ce dit-femme forçément, on entend le diffâme. Une femme, c’est celle qui au niveau de l’inconscient se dit-femme avec ce qu’il y a à entendre de ce diffâme.
Pour s’accepter, pour qu’au niveau de l’inconscient une femme se dit-femme, ça veut dire que la castration a été par elle assumée, ça veut dire que ce qui est de sa privation, ce pas de pénis, qui est à l’origine chez elle, et ce pas de pénis, ce n’est pas que dans Freud qu’on le trouve, prenez les Écrits le dernier écrit de Lacan [25] puisqu’il termine avec ce pas de pénis. Alors, ça me fait rire ces personnes qui viennent nous dire qu’il n’y a pas de continuité entre Freud et Lacan alors que ce qu’il y a c’est une avancée théorique, Lacan n’a pas renoncé à ce que Freud a apporté d’essentiel, lui-même nous dit qu’il est freudien, à nous de nous débrouiller pour être lacanien et ça on peut dire que c’est pas si facile d’après ce qu’on en voit.
Donc, une femme qui se dit-femme (diffâme), c’est celle qui peut s’inscrire ici. (Sur le tableau).
Je vous ai parlé de Marie d’Égypte [26]. Vous vous en souvenez je pense, la plupart de ceux qui étaient là, je vous ai parlé de Marie d’Égypte pour essayer d’illustrer ce Was will das Weib ?, ce que veut une femme, ou ce que veut la femme ? puisque c’est ce qu’on peut se demander s’il y a à la barrer ou pas dans ce que Freud avance et ce qui est sa question.
Marie d’Égypte est une personne qui a défrayé la chronique pour sa beauté qui a attiré le regard de beaucoup d’hommes, qui s’est offerte à tous ceux qui passaient à côté d’elle et la désiraient, c’est une… - je ne sais pas si on peut dire une femme - mais, elle semblait être on ne peut plus féminine, elle permettait ce que, quelque part, on trouve dans ce séminaire, elle permettait que des pervers puissent là s’accoupler, elle faisant le trait d’union. Marie d’Égypte découvre un jour, comme ça, dans sa cabane où elle attendait ces flots de marins qui débarquaient dans Alexandrie, un après-midi, seule, elle découvre une jouissance, elle découvre par son chat [27] une jouissance qui n’a pas à voir avec une autre. Je crois que dans ce qui va suivre ceci a beaucoup compté. Vous savez ce que va devenir Alexandrie. Vous savez que on va s’efforcer d’y apporter d’autres religions, Marie d’Égypte rencontre un homme aux yeux bleus qui est frappé par elle, elle va se convertir à la religion de cet homme, il y aura une soirée, une soirée vers la paix comme il est dit dans l’écrit de Lacarrière et, au petit matin, alors que cet homme aux yeux bleus lui a nettement fait savoir qu’elle était pour lui objet de jouissance certes, mais aussi il lui faisait savoir qu’elle pouvait être, qu’elle était objet d’amour, Marie, au sortir d’Alexandrie, hésite un instant, elle était vraiment à la croisée des chemins, elle hésite à suivre cette foule d’hommes et de femmes qui fuient Alexandrie à cause de leur conversion à un autre Dieu, on peut dire Dieu obscur vu ce qui s’est passé pour qu’ils puissent se réunir, Marie d’Égypte ne les suit pas [28], elle va vers le désert vers ce vide vers ce qui là l’attire, vers ce qui a à voir avec ce, et si vous vous souvenez, ce qui lui arrive, c’est qu’en fait Marie n’a plus rien à voir avec une figure féminine.
Pour être du côté femme, il faut accepter d’être une dit-femme et vous sentez, dans ce que Lacan là a fabriqué, combien il peut être difficile pour certaines femmes d’être une dit-femme. Une dit-femme ne veut pas dire qu’il y a à renoncer à ce qui fait qu’on peut être aimable et désirable, mais ceci n’est possible, ceci n’est possible que si la privation a été acceptée, ce pas de pénis, ce qui fait que à son insu elle pourra avoir un pied du côté phallique, du côté de ce grand Φ, de ce qui fait que elle peut être aimable et désirable pour un homme mais en même temps, ça veut dire que il lui faudra être ce petit a, cette âme, ce qui fera qu’il fantasmera, pourra fantasmer et vous voyez toutes les difficultés de ce qui peut permettre à ceux qui s’inscriraient du côté femme d’être une dit-femme puisqu’il y a là quelque chose qui pose toujours question, problème, difficulté, comment s’accepter quand on est une femme, quand on est femme, comment s’accepter être à la fois ce petit a et ne pas renoncer à ce qui est du côté phallique tout en trouvant comment répondre comment trouver cette jouissance Autre ?
Alors je trouve que c’est important de bien saisir ce qui est demandé à une femme, ce qui est demandé à une femme par un homme. Et je crois que c’est autour de cela qu’il y a une discussion, que l’on s’imagine, que la féminité, la féminité, c’est cette mascarade telle que Joan Rivière [29] nous l’a décrite, cette mascarade qui fait que la rivalité avec un homme demeure, ce qui fait que, en fait, ce qui est de la privation de pénis n’a pas été accepté mais on veut donner le change et vous savez combien, en fait, elle est malheureuse cette patiente dont nous parle Joan Rivière et je crois que ce que Lacan a essayé d’apporter à la fin de son enseignement, le fait que une femme puisse être le symptôme d’un homme, c’est bien là le point sur lequel il nous faut véritablement nous arrêter.
Quand on dit qu’elle est que de ce côté-là, de son côté où doivent tomber les objets a, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’elle doit pouvoir s’identifier à ces objets qui sont hors-corps. Ces objets qui sont hors-corps sont des objets du désir, désir de l’Autre, des objets de la demande, et c’est bien là que les choses sont difficiles puisqu’on y voit vraiment uniquement ce qui est de l’ordre du déchet alors que ce n’est pas ça. Je crois que c’est important d’accepter ce jeu de mots que Lacan fait, le fait que on doit être une âme, âme pour l’homme, semblant de ces objets, mais en même temps on n’est pas identifié à ces objets, et c’est ce que beaucoup ont du mal à accepter. Si on est cette âme, si on est de ce côté de ce qui permet que fantasme soit pour l’homme, alors, il ne peut pas y avoir masochisme du côté d’une dit-femme, je crois que pour bien saisir ce que Lacan essaie de nous apporter, à partir d’aujourd’hui, lorsque nous en parlons nous, c’est pas tellement de parler d’une femme, c’est de parler d’une dit-femme et on peut comprendre, à ce moment-là, que, acceptant que cet objet, on en soit le semblant, ça veut dire que, ce n’est pas du masochisme, ce n’est pas du masochisme pourquoi ? Parce que là, on permet à un homme de trouver satisfaction, de trouver satisfaction par son fantasme. Pour le moment, je ne parle pas de ce qui se passe à la fin d’une cure analytique, ce qui fait que tous ces objets vont tomber. Je parle de ce qui pourrait se passer si effectivement, une dit-femme s’accepte pour soutenir le fantasme de l’homme en sachant que c’est ainsi que ce qui est de l’intolérable du monde peut être vécu, je reprends les mots de Lacan et je pense que comme il nous l’a dit, il voulait nous écrire une lettre, et pas n’importe quelle lettre, une lettre d’âmour, s’il a pris soin de nous dire ceci, ça veut dire que les mots qu’il apporte, ce sont les mots qu’il a choisis. C’est accepter que puisse être supporté pour l’homme l’intolérable du monde. Si c’était du masochisme, qu’est ce que ça serait ? Si c’était du masochisme, si elle y était là identifiée à un objet de rebut, à un de ces objets hors-corps mais vécu comme rebut, qu’est-ce qui se passerait ? Ce n’est pas de la satisfaction qu’il y aurait du côté homme, ce serait l’angoisse, car ce serait véritablement se mettre dans une position de perversion, et quand on est dans une position de perversion, ce que l’on suscite chez l’autre, c’est l’angoisse. Ça ne veut pas dire qu’une certaine jouissance ne sera pas connue de qui suscite cette angoisse. Prenez l’exhibitionniste, l’exhibitionniste et la petite fille qui rencontre cet objet en érection, il y a de l’angoisse chez cette victime innocente comme nous dit Lacan, il y a de l’angoisse, c’est vrai mais il y a aussi une jouissance, et vous savez que bien des petites filles lorsqu’elles ont été confrontées à ceci, lorsqu’elles ont eu à rencontrer un exhibitionniste, elles recherchent comme ça, au bas de je ne sais quel escalier, peut-être que à nouveau cela pourra se présenter à elles. Il y a une jouissance n’empêche que ce qui est là en premier c’est l’angoisse. Si une femme y était en tant que masochiste, et,ça arrive, ce qu’elle susciterait chez l’homme, c’est l’angoisse, ce n’est nullement de quoi lui permettre de satisfaire ce qui est de son fantasme. J’entends une femme qui s’y met en tant que identifiée à l’objet petit a, à cet objet de rebut. Ça arrive vous savez, vous savez bien qu’il y a certains hommes qui rentrant dans une chambre à coucher pour trouver une femme, et quand ils se trouvent devant je ne sais qui, je ne sais quoi, c’est l’angoisse, c’est le recul, et certains quittent la chambre. Donc, elle peut très bien se présenter comme quelque chose de masochiste. Mais le masochisme ne va pas... n’égale pas féminité.
Ça, je crois que c’est très important, c’est très important si on se souvient de ce que Lacan, dans ce séminaire où il a apporté les formules de la sexuation, il s’est efforcé de nous dire, il s’est efforcé de nous mettre vraiment en tout premier c’est que si on y est en tant que ce qui est âme, en tant que ce qui fait que l’homme fantasme et donc peut supporter ce qui a d’intolérable dans son monde, c’est une satisfaction qu’il trouvera auprès d’une femme et non pas quelque chose qui sera de l’ordre de l’angoisse.
J’essayais d’illustrer la différence avec ce qui est arrivé à Wanda [30] mais je ne le ferai pas ou je ne continuerai pas à le faire, parce qu’il me semble que ça n’a pas éclairé pour beaucoup dans la mesure où Wanda était femme et Sacher Masoch, l’homme, mais en fait c’était Masoch qui était ce rebut, qui voulait être ce rebut, non, ce qui s’est passé en tout premier pour Wanda, alors que elle ne s’y attendait pas, alors qu’elle était revêtue, elle avait chaussé les bottes, elle avait pris le fouet, elle était sûre, mais quand elle s’est trouvée là, ça a été l’angoisse, même si une jouissance est venue secondairement, ça a été l’angoisse, elle n’a pas pu exécuter cet acte que lui demandait Masoch. Je ne prendrai plus cet exemple parce que je me suis aperçue que, parce que Wanda était une femme, ça prêtait à confusion.
Donc, être une dit-femme, c’est être celle qui a accepté d’être privée de pénis, moyennant quoi elle peut être à son insu, elle peut être objet désirable, objet aimable et j’avais entendu une histoire, il y a là comme cela quelques jours, contée je crois par Pierre Bellemare, qui illustre bien certaines choses. C’était un homme presque à la fin de sa vie et une de ses parentes, une jeune parente, une nièce, peu importe, s’occupait de lui mais il était difficile enfin comme on peut l’être quand on se trouve à un âge avancé et, pour occuper son temps, enfin ses journées, et comme il aimait bien qu’on lui fasse la lecture, elle s’était dit qu’elle allait choisir quelqu’un et là une femme qui pourrait venir lui faire la lecture et elle avait pris soin, parmi toutes celles qui se présentaient, de la choisir, apparemment pas du tout désirable, à peine aimable, mais il s’est trouvé que sa lecture convenait à ce vieil homme et elle s’était dit que, de toute façon, elle pouvait être tranquille avec une figure comme celle qu’avait cette personne et donc, jour après jour, semaine après semaine, enfin le temps que dura la vie de cet homme, elle lui faisait la lecture et il prenait plaisir à l’écouter et donc… sa nièce, sa parente, était tranquille et elle avait la paix, bon, était sans inquiétude jusqu’à la mort de cet homme et, à la mort de cet homme, elle dit à la dame lectrice : « Faites vos bagages et dégagez ! », l’autre lui dit : « Mais, c’est à vous de dégager car, depuis, je suis devenue la femme de votre oncle régulièrement ». Ce qui avait attiré cet homme, c’était bien la voix, cet objet petit a ce qui a retenu cet homme ce qui sûrement a fait qu’il lui a trouvé à cette dame que d’autres ne trouvaient pas belle… eh bien, c’est ça.
Alors si cette histoire m’a retenue, c’était pour essayer de bien montrer cette voix qu’est cet objet, cette âme qui fait fantasmer et qui fait que un homme peut trouver charme, peut trouver amabilité, désir chez une femme, quelle que soit l’apparence qu’elle peut présenter pour tel ou tel. Enfin cette histoire m’a beaucoup amusée et j’ai trouvé qu’après tout, ça illustrait assez bien ce que Lacan autour de ce qu’est l’objet a, autour de ce qui est… qui pourrait apparaître comme rebut si on tient compte que c’est en fait, l’âme, si on tient compte que si on peut y être en tant que semblant avec un de ces objets on peut alors soutenir le fantasme d’un homme et faire que bien des choses qui ne pouvaient pas être prévues se réalisent.
Je ne sais pas si je vais ce soir revenir, mais de toute façon il me faudra le faire, sur ce qui se joue lorsqu’une cure analytique a pu être menée à une fin, à une fin telle que tout ce qui est signifiant, signifiant représentant le sujet pour l’autre signifiant, le S2, lorsque tout ceci, tous ces signifiants sont tombés, et je l’ai écrit ainsi pour que vous puissiez vous rendre compte que c’est uniquement les signifiants qui ont à voir avec l’autre signifiant qui vont choir, chemin faisant au cours d’une cure, lorsque ces signifiants sont tombés, il y a 1 qui reste et Lacan, dans ce séminaire Encore, mais pas à ce même passage, nous dit que ce signifiant a à voir avec la jouissance. C’est la lettre [31]. C’est un signifiant qui n’est pas, qui n’a rien à voir avec le S2, ce signifiant-là ne va pas choir, et c’est à cette lettre qui fait partie du symptôme, mais pas de la partie du symptôme qui peut trouver signification, sens, au cours d’une cure, c’est à cela que le sujet s’identifiera. Mais il s’y identifie parce que, non seulement ces S1 vont choir, ont chu mais aussi parce que, du fait de ces chutes de S1, il y aura sur le plan des identifications, souvenez-vous, l’identification primordiale, le grand I, lorsque l’année dernière, nous l’avons détaillée, c’est ce qui fait du S1, du S1 qui a à voir avec le grand Autre et, en même temps, ce qui est prélevé pour cette identification primordiale l’est avec une partie du corps, souvenez-vous de la toux de Dora, donc avec ce qui, s’appuyant sur cette identification primordiale, formera des identifications imaginaires, des identifications narcissiques, et avec le franchissement du plan des identifications pour reprendre ce que Lacan nous dit, c’est-à-dire au moment où ces S1 vont choir, il y aura ce franchissement du plan des identifications et Lacan nous dit dans ce séminaire XI, le dernier chapitre, que devient le fantasme pour qui a fait l’expérience du fantasme fondamental ? [32]. L’expérience du fantasme fondamental, l’année dernière, j’en ai pas parlé, je vais revenir sur tous ces points cette année-ci mais je tiens quand même à vous dire que c’est ce qui fait que le sujet est, c’est ce qu’est cet objet que toutes ces fantasmagories viennent cacher. L’expérience du fantasme fondamental, c’est que, à ce moment-là, le sujet va faire avec la pulsion, c’est-à-dire avec la jouissance. Je vais revenir sur tout ceci, je vais le reprendre parce je crois que c’est important, c’est ce qui va nous permettre de saisir pourquoi lorsqu’une cure a pu être menée jusqu’à la fin, ce que Lacan appelle la fin, que tous les S1 ont pu choir, où effectivement ce qui était jusque là le partenaire du sujet, c’est-à-dire cet objet a, n’est plus masqué par toutes les fantasmagories, et que le sujet, face à ce qu’est pour lui cet objet a, alors c’est avec la pulsion qu’il va se débrouiller et là, Lacan dit certains pourront effectivement en jouir, d’autres ne pourront pas, mais enfin n’allons pas trop vite, essayons petit à petit de comprendre pourquoi, à la fin d’une cure, lorsque reste ce qu’est cet objet, ce qui a à voir avec le S1 de la jouissance, c’est à cela que le sujet va s’identifier et, pour ce qui est de l’homme, il pourra mettre à cette place de a une dit-femme, c’est-à-dire une qui acceptera d’être à la fois objet de jouissance et objet aimé, parfois les deux vont de pair.
Je n’irai pas plus loin ce soir. C’est un rappel dans certains cas, c’est une réponse que j’ai essayé d’apporter pour ce qui est de la féminité, car la féminité, une dit-femme n’est pas du côté du masochisme, et en même temps dans ce qu’elle peut présenter pour plaire à un homme, c’est forcément du côté de la mascarade, mais ce n’est pas pour cacher ce qui est pour elle de l’insupportable, c’est-à-dire qu’elle a accepté sa castration, c’est-à-dire la privation de pénis.
Bien, nous nous verrons le 14 novembre et je pense que c’est autour de tout ceci que nous avons… C’est un peu ramassé ce soir. C’est une façon de travailler. C’est une illustration. On reprendra ça petit à petit. Mais je tenais absolument à ce que, pour ce qui est du côté femme, on puisse savoir que c’est dans la mesure où acceptant ce jeu de mots de Lacan, être une dit-femme que c’est dans cette mesure-là que elle pourra être une âme pour un homme, et cela n’a rien à voir avec quelque masochisme que ce soit puisqu’elle sera semblant de l’objet, mais elle ne sera pas identifiée à ces objets qui peuvent être vécus comme objets de rebut.
Questions
Question :
A propos de ce que vous avez dit ce soir et ce que vous avez dit à Tours, c’était cette expression là que vous n’utilisez pas ce soir qui était se prêter à.
Solange Faladé :
Se prêter à la perversion.
Question :
J’ai trouvé un peu différent ce que vous dîtes ce soir…
Solange Faladé :
Oui mais non. Lacan le dit aussi, c’est parce que j’ai pas voulu détailler, j’ai détaillé la dernière fois, et j’ai fait allusion très rapidement à propos de Marie d’Égypte qui permet à des pervers de vivre leur perversion mais Lacan dit bien, et on peut le comprendre, ce qu’il peut y avoir de perversion entre deux partenaires sexuels, ce qu‘il peut y avoir de perversion ou ce qui est de la perversion polymorphe peut être vécu, joué, c’est une chose qui est possible.
Je ne suis pas revenue sur ce point parce que j’y reviendrai. Ce n’est pas uniquement parce qu’on le trouve dans ce séminaire Encore un peu plus loin dans le passage que je vous ai donné, mais, dans ce jeu amoureux, il doit bien y avoir quelque chose qui est de l’ordre de la perversion, Le solde cynique, nous dit Lacan, c’est-à-dire ce qui reste à la fin d’une analyse, petit a, avec quoi on a affaire, ce semblant, eh bien peut faire que quelque chose tenu pour pervers puisse se jouer entre un homme et une dit-femme.
Mais j’y reviendrai, j’y reviendrai. Je n’ai pas voulu ce soir parce que ne développant pas, je n’ai pas voulu parler de cela parce que je voulais que soit bien compris ce qu’est ce petit a que Lacan met du côté femme. Il l’y met non pas en tant que ce qui l’identifie mais si elle accepte d’être ce semblant d’objet petit a, si elle accepte de soutenir le fantasme et si on arrive à ce point où tombe ce qui du petit a est masqué, vous ne pensez pas que dans ces ébats amoureux il peut y avoir quelque chose qui peut être tenu pour pervers ? Il faut bien qu’elle s’y prête, si elle y est en tant que ce qui est âme pour le partenaire sexuel.
J’ai pensé que cela valait la peine vu ce qui arrêtait de reprendre au pas à pas dans l’enseignement de Lacan ce qui l’amenait à dire ça et ce qui en fait, fait que il revoit ce que Freud dit au départ de cette perversion polymorphe que l’on trouve chez l’enfant qui sera refoulée dont on ne voudra plus rien savoir mais, si le refoulement est levé, et le refoulement levé, c’est ce qui permet que la pulsion puisse être vécue il y aura ce qui est de l’ordre de cette perversion polymorphe.
C’est pour ça que étant une dit-femme, acceptant donc d’être semblant de petit a, d’être âme, elle se prêtera à cette perversion si du côté de son partenaire quelque chose est là qui fait que… enfin il dit beaucoup de choses dans ce séminaire en quelques mots… un lien social nouveau peut être entre ces deux-là… je ne sais pas si ceci vous éclaire mieux sur ce que j’ai dit d’une façon abrupte peut-être, mais que j’essaie de reprendre et de reprendre avec les mots de Lacan et aussi ce que l’expérience nous montre, il n’y a pas que cette vie romancée que Jacques Lacarrière nous a apportée et qui fait que jouant la perversion mais, n’étant pas elle, Marie, ce qui fait qu’elle accepte d’être objet soutenant le fantasme, mais dans un lien autre que ce qu’elle a toujours connu, eh bien de sa féminité, ce que nous appelons sa féminité, eh bien, il n’y en a plus. Elle qu’on disait féminine jusqu’aux bouts des ongles, à la fin elle était devenue comme une espèce de bête.
Enfin, vous verrez, vous verrez dans ce roman, se prêter à la perversion, je crois que il ne faut pas nous y voir quoi que ce soit de moral. Il faut penser à cette perversion polymorphe qui était le fait du petit enfant que nous avons été, et que nous pouvons retrouver autrement lorsque le refoulement a été levé. Nous y reviendrons, c’était un peu un ramassis. Surtout je voulais, comme je vous l’ai dit, bien mettre l’accent sur ce que c’est que être semblant d’objet.
Bon, écoutez, nous nous reverrons le 14 novembre 1995.
[16] Journées provinciales de L’école freudienne à Tours, 7 octobre 1995.
[17] Lacan J. Encore, page 73. Seuil.
[18] Lacan J. Encore, page 79. Seuil
[19] Séminaire Encore
[20] Ibid. Page 75
[21] Ibid. Page 78
[22] Ibid. Page 79
[23] Ibid. Page 79
[24] Ibid.
[25] Lacan J. Du Trieb de Freud, in : Écrits, page 851. Seuil.
[26] Lacarrière J. Marie d’Égypte. Édition J. C. Lattès.
[27] Lacarrière J. Marie d’Égypte. Page 59. Édition J. C. Lattès.
[28] Lacarrière J. Marie d’Égypte. Page 139. Édition J. C. Lattès.
[29] Rivière J. La féminité en tant que mascarade, in : La Psychanalyse, n° 7. 1929.
[30] Deleuze Gilles. Présentation de Sacher Masoch, 10 / 18, Éditions de Minuit. 1967.
[31] Lacan J. Encore, page 130. Seuil.
[32] Lacan J. Lituraterre in : D’un discours qui ne serait pas du semblant, 12 mai 1971, page 152.
1 Lacan, J. Séminaire XIX : Ou Pire, 8 décembre 1971.
Lacan, J. Séminaire Encore, 13 février et 13 mars 1973, Seuil.
2 Freud. S. La sexualité féminine, in : La vie sexuelle. 1931. P.U.F.
3 Ruth Mac Brunswick. L’analyse d’un cas de paranoïa. (délire de jalousie), in : The journal of nervous and mental diseases. Volume 10, Juillet 1929. In : American journal of Neuropsychiatry. La documentation psychanalytique. École freudienne. Traduction de l’anglais par Marie-Lise Lauth.