12 octobre 1996
Document de travail
Bonjour à tous. C’est toujours pour moi un plaisir de vous retrouver, ensemble pour travailler et aussi pour faire connaissance les uns avec les autres.
J’ai été empêchée et je n’ai pas pu préparer comme je l’aurais voulu ce dont je vais vous parler.
Je reviens sur ce livre Le regard de l’antilope (1) pour essayer de pointer ce qu’il en est de l’identification, puisque c’est le thème de nos journées, ce qu’il en est de l’identification pour ce James Grégory, celui qui allait devenir le geôlier de Mandela.
Il a vécu comme vous savez en pays Zoulou, et enfant il était intéressé par la chasse. Et il demandait à ses parents, il voulait aller chasser. De ce côté-là il ne recevait pas de réponse. Et un jour, un jeune Zoulou de son âge, Bafana, est venu le trouver, et lui demander s’il aimerait aller chasser, s’il aimerait apprendre à chasser. Et à partir de ce jour-là, il a vécu comme ce jeune Zoulou et même il a échangé ses habits, son habillement, son accoutrement. Il a vécu, en tout cas une partie de la journée, comme vivent les Zoulous, les jeunes Zoulous. Il allait à la chasse. Il a appris énormément de choses que l’on pouvait faire. Bafana était devenu son ami. Il y avait là un lien privilégié entre ce garçon et ce jeune Zoulou.
Avec eux, il y avait une petite bande. Mais ce qui est à noter, c’est que de part et d’autre, ils se sont considérés comme semblables, bien que différents et on ne peut pas dire qu’il y avait une véritable réciprocité. Lui, le James, le petit blanc, vivait quand cela se pouvait, comme les Zoulous, couchait sur le sol, mangeait comme eux, lorsque la nuit le surprenait quelque part. Il n’y a jamais eu de réciproque de la part des parents de James. Bafana n’a jamais vécu comme James lorsqu’il venait le chercher. Et ce James fait remarquer dans son livre qu’il a, à plusieurs reprises, demandé à Bafana pourquoi il restait au pied de son lit pendant qu’il dormait, alors qu’il aurait pu le réveiller. Ceci pour dire que si James a pris Bafana comme un autre semblable, s’il a été reçu par les Zoulous comme quelqu’un de leur appartenance, ce n’était pas tout à fait la même chose dans la famille de Grégory pour ce Bafana qui restait quand même le Zoulou, celui, qui avait été conquis.
Donc pendant quelque temps il a vécu cette vie qui lui a tout à fait convenu. Mais il savait qu’il irait à l’école, et qu’il devait donc quitter cette campagne pour aller à l’école. C’est arrivé un jour, et cette séparation d’avec Bafana, d’avec cette ferme, d’avec sa campagne, pour lui, marque un tournant, un changement radical dans sa vie. Dans ce livre qu’il nous a livré, il titre ce chapitre – solitude – et on peut être saisi par ce que Lacan nous a apporté autour de cette solitude du sujet de l’inconscient.
Effectivement, le sujet qu’il était devenu, lui James, ne pouvait que vivre dans la solitude. En effet les groupes qu’il va rencontrer, d’abord dans ces différentes écoles qu’il doit fréquenter, ces groupes ne l’acceptent pas et lui-même ne s’y intègre pas. Pour reprendre un mot tellement à la mode actuellement, il dit qu’il n’a aucun point commun avec les autres élèves, qui eux, étaient intéressés par le rugby, le cricket, alors que lui était beaucoup plus tourné vers cette vie qu’il avait vécue à la campagne. Et puis il n’a pas accepté les règles de vie de cette communauté, de ce groupe, et vraiment il a été à part.
Alors, je voudrais insister, en me référant à ce que Freud nous dit dans Malaise dans la civilisation (2) à la fin du chapitre V où il nous parle de la misère psychologique des masses, de la misère psychologique des groupes, misère psychologique lorsque ces groupes ne sont formés que par des mêmes, que par des moi(s) qui ne peuvent accepter comme semblable, quelqu’un de différent. Véritablement ce qui marque la vie de ce James, à partir du moment où il rentre à l’école, où il rentre dans ces différentes écoles, c’est qu’il est confronté à cette misère psychologique dont nous parle Freud. Et ce sera la même chose lorsqu’il deviendra gardien de prison, lorsqu’il deviendra geôlier de Mandela. Il ne trouvera aucune place dans ce groupe de geôliers. Il n’acceptait pas leur façon de vivre, leur façon de se comporter, et d’une façon générale, de traiter les prisonniers.
Alors, misère psychologique des masses, du groupe, pourquoi ?
Freud met l’accent sur ceci : par rapport à l’idéal du moi, il y a là quelque chose qui fait défaut. Et lorsque celui qui est en place d’idéal du moi ne remplit pas sa fonction, on a quelque chose…Il le dit de ce qui s’est passé dans ce pays qu’il a connu, l’Autriche-Hongrie, cet antisémitisme qui est devenu quelque chose qui a donné ce que nous avons connu.
Alors, idéal du moi, moi idéal, qu’en a-t-il été pour ce James Grégory ? Les parents n’ont pas tellement fait attention à ce que pouvaient être ses aspirations. Il y avait une chose qui était décidée, c’est qu’il devait aller à l’école. Et quand il est allé à l’école, lui, il n’a jamais pu faire entendre à ses parents qu’il était dans le désarroi. Tout le monde partait par exemple à la fin de la semaine, lui seul, restait. Les parents ne se souciaient pas de lui. Il était aux prises à des brimades. Il y répondait. Il ne se laissait pas faire. Mais les parents n’étaient pas là pour rectifier, pour défendre. C’est un point important dès le départ dans la vie de cet homme. Et on le retrouvera plus tard, lorsque jeune homme, il décide d’aller travailler. Il se détourne du programme prévu par les parents, c’est-à-dire continuer à aller dans cette ferme, à la nouvelle ferme que les parents avaient choisie, pour leur fils. Bref il décide de faire autre chose. Il rentre au Ministère de la justice. Et le doyen lui dit de travailler, puisqu’il avait eu de bons résultats, et il lui promettait une place à Pretoria. Lorsque le moment est venu, et bien cette place, il ne l’a pas eu pour des raisons x y.
En fait dans sa vie, ce garçon a eu à faire à ce que Lacan appelait le “ sans-foi ” du grand Autre, que ce soit du côté des parents, que ce soit du côté de ce doyen en qui il avait confiance. Donc, il y avait là pour lui une difficulté en tant que moi, moi idéal, de pouvoir s’intégrer aux autres groupes dans la mesure où ce qui en lui n’était pas du - même - que le groupe, faisait qu’il était rejeté.
J’insiste, parce que lorsque Lacan a voulu mettre en place son Ecole, c’est-à-dire faire une institution pour la psychanalyse - reprenant ce que Freud avait voulu - il a estimé qu’il fallait que les membres de cette association, de cette institution pour la psychanalyse puissent venir d’horizons divers pour que ce groupe ne succombe pas à cette misère psychologique dont parle Freud dans Malaise dans la civilisation. Il a beaucoup insisté là-dessus. C’est-à-dire que les mêmes, les psychanalystes, pouvaient accueillir d’autres qui ne l’étaient pas, et faire en sorte qu’une vie de groupe puisse être.
Plus tard, il nous expliquera que pour que cette vie de groupe puisse échapper à cette misère dont parle Freud, lorsqu’il ne peut y avoir que des mêmes et qu’on ne peut pas accepter des différents, des i (a) différents, pour qu’on puisse échapper à cela, Lacan a insisté sur la castration. C’est-à-dire que le – pour tous – dont il parlera plus tard avec la sexuation, n’est envisageable, ne peut vivre que si la castration est là, assumée.
Alors, je reviens à ce James Grégory, et ce qui était, ce qu’il avait à vivre du fait de cette misère que le groupe proposait. Car lorsqu’il est arrivé à l’école, lorsqu’il est arrivé sur le plan professionnel, en principe de par la couleur de sa peau, il aurait pu être vécu comme un même. Il n’en était rien. La question que je me pose est : Qu’est ce qui a fait que lui, James, a pu tenir ? Il y a son attachement à cette terre. Il y a l’expérience qu’il a eu à vivre avec Bafana. Et ce lien avec Bafana, il dit que ça ne s’est jamais retrouvé. Il a rencontré d’autres jeunes Zoulous quand ils ont changé de ferme, un en particulier avec qui il était bien : Dali, (3) mais ça n’avait rien à voir avec Bafana. Ce que ça m’a inspiré, c’était un peu ce que Virgile nous dit à propos de Nisus et Euryale. Ce Bafana était un peu la moitié de son âme " dimidium animae " dit Virgile, et c’est un point important dans sa vie. On le retrouvera au moment où il choisira une femme. Rien n’est venu être à la place de cet objet, de ce lien privilégié qu’il a eu avec Bafana.
Alors l’idéal du moi n’est pas tellement, m’a-t-il semblé, auprès des parents, puisqu’il s’est détourné de ses parents qui l’ont déçu à plusieurs reprises. Ils étaient venus l’accompagner au train et lui s’était mis à la portière pour leur dire au revoir, mais ils étaient déjà partis. Bref, de ce côté-là c’était vraiment le "sans foi" du grand Autre.
Mais il y avait pour lui un idéal, c’était celui-ci : cet aïeul qui était venu d’Écosse, bandit peut être. Qu’est-ce qui a fait qu’il a fui son pays ? Bref, il est venu en Afrique du Sud. Il s’y est installé. Il s’y est plu. Il a essayé de faire quelque chose là-bas. Et semble-t-il au niveau des grands-parents paternels, il y avait là une tradition qui le reliait à cet aïeul. Il avait une autre façon de prendre ce pays, une façon différente des autres blancs. D’abord, il n’était pas Afrikaner. Mais enfin il faudrait reprendre le livre. Encore une fois, c’est très rapide ce que je vous dis. Mais il y avait là, quelque chose de différent et ce quelque chose de différent c’est aussi ce qui va le rapprocher de ceux qui étaient véritablement différents, c’est-à-dire des noirs.
Une question m’a été posée à Vaucresson, c’était la suivante : “ lorsqu’il est arrivé pour être geôlier de Mandela, a-t-il pris Mandela pour un S1 ? ” Je ne crois pas. Même si au niveau de son inconscient, il y avait là quelque chose qui a pu attirer notre oreille, si je puis dire, et qui l’a surpris lui-même : c’est répondre au salut de Mandela dans une langue où il faisait savoir qu’il l’entendait. Il parlait la même langue mais surtout il employait une expression de déférence. (4) Mais jusque là on ne peut pas dire, à mon avis, que véritablement Mandela était à cette place de S1 pour lui, il y aura tout ce parcours qui se fera, et ce sera au moment où il sera assuré que Mandela avec son groupe, l’ANC, voulait, disait : “ Il n’y a aucune raison pour qu’on accepte la domination des blancs mais nous ne voulons pas non plus qu’il y ait une domination des noirs. Nous voulons retrouver nos terres. Mais nous ne pensons pas chasser ceux-là qui vivaient sur ces terres depuis un certain temps. ”
Cette parole de Mandela, puisqu’en fait ce trait qui est prélevé, ce trait signifiant, ça peut être une parole, c’est cela qui est venu à mon avis, redoubler ce qui était déjà cette première fente, de ce sujet, qui est venu redoubler et qui a fait qu’à la fin de son parcours Mandela a pu être mis à cette place de S1.
Et d’ailleurs on peut noter qu’effectivement il y a eu pour ce sujet, ce sujet James, il y a eu quelque chose de l’ordre d’une pacification. Lacan dit bien que le S1 peut être pacifiant. (5) Et c’est lorsque ce Mandela pour lui a pu être mis à cette place-là, que cette pacification s’est faite pour lui. Il y avait solitude du sujet, certes, mais il y avait là quelque chose qu’il pouvait assumer.
Je crois que ça vaut la peine avec ce livre, de reprendre ce qui est de l’idéal du moi, de reprendre ce qui est de l’objet qui peut venir au cœur de cet idéal du moi, et qui fait que ce qui sera choisi par exemple la femme qu’il va choisir, ce n’est pas tellement parce qu’il va retrouver sur elle tel trait, tel trait qu’il peut retrouver chez tant d’autres femmes, c’est bien parce qu’il y là cet objet, cet objet qui fait qu’un lien privilégié peut s’établir entre deux êtres. Il y a eu Bafana, et ensuite il y aura Gloria, sa femme.
Bien voilà. C’est une simple introduction, j’y reviendrai peut-être, mais je ne voulais pas, puisque nous parlions d’identification, je ne voulais pas, ne pas permettre que la question de l’identification puisse être retrouvée dans ce livre et en particulier ce que Freud dans Malaise dans la civilisation, vous le retrouverez dans ce chapitre V, nous dit de la misère psychologique des groupes qui ne peuvent admettre en leur sein que des mêmes, qui ne peuvent pas faire d’un semblable, quelqu’un qui vient avec sa différence.
Bon, je ne sais pas s’il y a des questions. Mais c’est vraiment une simple introduction.
Discussions
Alain Jamain :
Je voulais, ce n’est pas vraiment une question, je voulais vous remercier de tout ce que vous apportez, parce que je crois que ça va beaucoup aider dans une tâche, similaire, qui est celle, précisément de prévenir cette misère dans un lieu de soins médico-psychiatrique, parce qu’il y a cette tendance, effectivement, à accueillir des malades ou à ce que les malades soient accueillis par des personnes qui sont là au titre de “ tous les mêmes. ”
Solange Faladé :
Oui
Alain Jamain :
C’est même interchangeable, dans des mouvements de service, des choses comme ça. Ça a vraiment une importance considérable dans ce qui peut se faire… Merci.
Annie Dupuy :
Je n’ai pas très bien entendu ce qui l’avait amené à choisir Gloria.
Solange Faladé :
Ce qui l’a amené à choisir Gloria, ce n’est pas tellement un trait, ce trait unaire dont nous a parlé Lacan, qui peut se retrouver sur beaucoup d’autres personnes, et, ce qui fait qu’un homme peut être aussi bien avec une autre femme, une autre femme, une autre femme… Le fait de trouver un trait qui fait qu’immédiatement il y a un mouvement vers cette femme. Ce n’est pas ça chez Gloria.
Il semble qu’elle a joué ce rôle de l’objet qui vient au cœur de l’idéal du moi. Dans l’Identification (6) ou à un autre moment de son enseignement Lacan en parle. Ce n’est pas uniquement le trait unaire prélevé chez l’Autre, mais c’est cet objet qui pourra être porté au cœur de l’Autre, et cet objet en fait ne peut pas se retrouver sur tous. Ce qui peut se retrouver sur un certain nombre, c’est un trait. Il a rencontré l’objet, celui qui aura ce lien privilégié.
Laissons Gloria, puisque je ne l’ai pas développé. Prenons Bafana. James Gregory a rencontré d’autres jeunes Zoulous, lorsque ses parents ont changé de ferme. Il a rencontré un dénommé Dali. Il n’est jamais venu remplacer Bafana. Il a joué avec lui, ils sont allés à la chasse, ils ont péché, mais il n’a jamais remplacé Bafana. C’est-à-dire qu’il n’est jamais venu à cette place où l’objet peut être mis au cœur de l’idéal du moi.
J’y reviendrai, parce que c’est là toute la question de l’amour. Dans son séminaire Encore (7), je crois c’est une des premières fois, Lacan insiste sur ce qui fait qu’on peut tomber amoureux de tout un chacun, qui porte un certain trait, et ce qui fait qu’on est amoureux de qui peut être cet objet placé au cœur du grand Autre, si vous voulez, au cœur de l’idéal du moi. Donc ce n’est pas quelque chose qui peut forcément se répéter. On voit telle personne qui a telle allure, qui présente ceci, et on a une inclinaison vers cette personne. Ce n’est pas forcément ça, cet amour qui a à voir avec un objet qui est au cœur de l’idéal du moi, au cœur du grand Autre.
Gérald Racadot :
Est-ce qu’il s’agit là de l’objet petit a ?
Solange Faladé :
Voilà c’est ça, oui.
Je n’ai pas insisté sur l’idéal du moi, sur le fait que le moi idéal se construit à partir de l’idéal du moi. “ On peut rester dans le même”, nous dit Freud, “ si celui qui est à cette place d’idéal du moi, ne tient pas sa place d’idéal du moi. ” Il y a quelque chose d’altéré. C’est, par exemple, ce qui s’est passé lorsque nous avons connu le nazisme. Il y avait bien quelqu’un qui était à cette place de l’idéal du moi, mais on s’identifiait à un trait et, il était là, quand même, pour une certaine exclusion. Alors qu’avec Mandela, la différence, et c’est ce qui a fait que ce James a pu le mettre à cette place d’idéal du moi, c’est qu’il disait bien que certes ils revendiquaient leurs droits en tant que noirs qui étaient là dès le départ, mais en même temps, ils ne rejetaient pas ceux qui avaient pu venir. Il essayait de faire un état multiracial. Mais il s’y mettait en tant qu’assumant vraiment une place d’idéal du moi, de maître, de qui, peut faire que les personnes se rassemblent tout en vivant avec leurs différences, mais ne se sentant pas pour autant non semblables.
Jean Triol :
Dans la rencontre avec Bafana, il y a quand même eu une jouissance pour quelque chose qui lui était apporté, la chasse, la campagne, qui en même temps a été repris par ce trait qu’il a pu prélever. Il y avait peut-être quelque chose de l’objet petit a, qui a chu, tout n’a pas pu être repris.
Solange Faladé :
Il n’y a pas eu une réponse à sa demande. Il faisait savoir à ses parents qu’il serait intéressé par cela. Il n’a pas eu de réponse. Je crois que ça, ça a joué dans ses liens avec ses parents. Il n’a jamais eu véritablement de réponse. Et puis il y a eu ce petit garçon à peu près de son âge qui est venu lui dire : “ Tu veux chasser ? Je vais t’apprendre à chasser, on va chasser. ” Effectivement, ils ont ensemble joui, c’est vrai. Il a appris à faire des sagaies, à faire des boucliers, à attraper ceci, il y a eu incontestablement cela. Mais lui a eu une place telle, un lien tel que, même quand il a eu à vivre ceci avec d’autres, aucun autre objet n’est venu à cette place. Ce Dali n’est pas venu à cette place. Il a fait un certain deuil. Un beau jour il est revenu, il n’a plus vu Bafana. Il n’a jamais plus vu Bafana. Ses parents ne l’avaient pas prévenu. Il a eu tout un deuil à faire. Il l’a fait, mais aucun autre objet n’est venu à cette place, parce qu’effectivement la question de la jouissance était là.
Je compte parler de cette jouissance et de ce sujet de la jouissance telle que Lacan a essayé de le reprendre à partir de la pulsion. C’est vraisemblablement ce que j’essaierai de faire cette année. Il est vrai que la jouissance est à prendre en compte.
Intervenant :
Mais est-ce que le fait que Bafana lui ait sauvé la vie a son importance ?
Solange Faladé :
Oui, ça a eu son importance. Mais en fait c’est venu au milieu d’autres choses. Ils ont couru ensemble, il lui a appris à faire des tas de choses, il lui a appris à attraper des grenouilles, des grenouilles qu’ils allaient vendre, parce qu’elles leur rapportaient un peu d’argent. Et puis Bafana lui a sauvé la vie. Ça a encore ajouté à ce lien qui était déjà entre ces deux êtres. C’est sûr que ce n’est pas du tout à négliger.
Mais vraiment, je regrette de n’avoir pas pu véritablement asseoir ce que je voulais apporter. Je vous en ai donné les grandes lignes, et je crois, en étant proche de ce que la psychanalyse nous fait connaître, et d’abord de ce que Freud nous dit. On a tendance à ne plus savoir ce qui est dans ce Malaise dans la civilisation.
C’est un chapitre que nous avons travaillé cette année lors du premier samedi, avec ce qui est du moi idéal qui ne peut se mettre en place qu’autour de l’idéal du moi. La question de l’identification, et comment Lacan reprend cela en mettant l’accent sur la castration, c’est vraiment un point qu’il nous faut ne pas oublier. Il faut qu’il y en ait un qui échappe à la castration, mais il ne peut y échapper qu’en ayant été castré, c’est à dire à partir du moment où on l’a tué. Tous les autres, ils ne peuvent être rassemblés - pour tous - que dans la mesure où la castration est entrée en jeu. Mais ce - pour tous - ne veut pas dire qu’il faut être absolument les mêmes.
Si la castration est assumée, le terrorisme de ces groupes qui ne peuvent admettre en leur sein que des mêmes, ne peut pas être. Dans ce que Freud nous dit, il y a aussi cette misère psychologique des masses – Massen peut se traduire par masse, par groupe, par ce qui fait collectif. Cette misère psychologique dont il parle, a quand même à voir avec le fait que la castration est en question, qu’elle n’a pas été assumée. On n’a qu’à voir tout ce qui s’est passé pendant l’occupation, pendant toute cette période du nazisme, période qui ressemble à celle-ci. C’est vraiment de l’ordre de la perversion. A voir comment ces geôliers traitaient ces prisonniers, et en particulier, les prisonniers politiques, ceux d’Afrique du Sud, je pense que c’est véritablement de l’ordre de la perversion. Il y a bien là quelque chose de la castration qui n’est pas assumée. Il faut bien savoir que le – pour tous – de Lacan, n’est possible qu’en tenant compte de la castration. Il ne le met en place qu’en tenant compte de la castration.
Je reviendrai à ce travail. Ça nous intéresse puisque l’identification est au travail dans l’Ecole, ici à Besançon, à Biarritz, et des particuliers s’intéressent à des titres divers, à ce séminaire sur l’identification. Il se trouve que les textes de Freud étant travaillés, on y revient. Je reprendrai ce travail. (8) Ce récit est dans l’actualité, et peut être éclairé par ce que la psychanalyse nous apporte.
Maggy Tournade :
Je voudrais faire une remarque.
Vous faisiez allusion à la première rencontre entre James et Mandela où James parlant, a cette expression inattendue pour lui. Il ne s’attendait pas à utiliser cette formulation-là, et encore moins parler Zoulou. Je crois qu’il y a quelque chose de non-prémédité, la première rencontre.
Solange Faladé :
Oui, c’est ça
Maggy Tournade :
Il me semblait qu’à partir de ce moment, il se passait quelque chose du côté de Mandela, de ce qu’il avait pu entendre.
Solange Faladé :
Le seul moment où Gregory a été intégré au groupe des blancs, c’est quand il a voulu défendre le pays. Il était contre les noirs. Il était venu pour empêcher ces politiques, pour les empêcher de détruire leur pays.
Mandela l’a regardé. Le regard de Mandela – droit - sa façon de lui dire bonjour, a frappé cet homme. Mais ce qui l’a le plus surpris, c’est ce qui à son corps défendant, ce qui véritablement venait marquer quelque chose de son inconscient qui a fait qu’il a répondu en le saluant de cette façon. Mais, il fait remarquer qu’il a été sur sa réserve, il s’est méfié. Il était sur sa réserve, et il a été lui-même surpris. C’est bien plus tard qu’il a fait des confidences à Mandela.
Maggy Tournade :
Dès qu’il a pu entendre parler de Bafana, Mandela devançait toujours Grégory même quand Grégory disait : je m’en vais, Mandela lui disait : à bientôt on se reverra.
Solange Faladé :
Oui, Mandela, et tous les prisonniers politiques avaient saisi quelque chose de cet homme, mais les confidences de Mandela et de Grégory ont commencé plus tard.
Il a été intéressé, ils ont eu des échanges, il s’est méfié, il allait dans les bibliothèques pour lire la constitution de l’ANC pour voir si l’autre ne lui bourrait pas le crâne, et s’il ne se laissait pas fasciner.
Maggy Tournade :
C’était du côté de Mandela que je posais la question, dans l’identification de Mandela.
Solange Faladé :
Mandela a pris toute sa mesure, il s’est montré proche de cet homme, d’abord quand il s’est laissé aller à lui montrer sa souffrance, quand il a perdu sa mère, qu’il est venu demander de pouvoir aller aux funérailles, et surtout quand il a perdu son fils, son fils aîné et qu’il est resté là plusieurs jours sans manger, tournant le dos à tout le monde. Là il y a eu quelque chose du Mandela humain qui s’est imposé à Grégory. Et c’est à ce moment-là, c’est à partir de ce deuil avec la mère et avec ce fils que Mandela a commencé à lui parler de lui."
(1) Le regard de l’antilope, Mandela mon prisonnier mon ami. James Grégory. Robert Laffont
(2) Malaise dans la civilisation : Das Unbehagen in der Kultur. S.Freud. PUF page 70. “ Nous sommes obligés d’envisager aussi le danger suscité par un état particulier qu’on peut appeler – la misère psychologique de la masse -. Ce danger devient des plus menaçant quand le lien social est créé principalement par l’identification des membres d’une société les uns aux autres, alors que certaines personnalités à tempérament de chefs ne parviennent pas, d’autre part, à jouer ce rôle important qui doit leur revenir dans la formation d’une masse. ”
(3) Le regard de l’antilope, Mandela mon prisonnier mon ami. James Grégory. Robert Laffont page 66.
(4) Le regard de l’antilope, Mandela mon prisonnier mon ami. James Grégory. Robert Laffont page 128. “Bonjour Mandela. Je te vois. ”
(5) Les psychoses. J. Lacan. SEUIL. Page 157.
(6) l’Identification. J. Lacan. Inédit.
(7) Encore J. Lacan. SEUIL.
(8) Sur l’identification : James Grégory. Solange Faladé. Journées provinciales de l’Ecole Freudienne. Ouistreham. 02 octobre 1999.