6 juillet 1996
"Bonjour à vous pour ces deux journées que nous allons passer ensemble, non seulement à travailler mais à nous connaître, échanger, ces deux journées intéressant aussi ceux qui pour la première fois viennent à ces journées, je leur souhaite la bienvenue.
Cette année, contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant le programme qui nous est proposé pour ces Journées de Vaucresson 1996, cette année avec des travaux tout à fait intéressants qui ont été apportés dans différents groupes de l’Ecole Freudienne et en particulier du travail qui mériterait d’être plus connu, du travail qui s’est fait dans le groupe qui a pris en charge l’étude de l’Ethique de la psychanalyse. J’espère qu’à l’avenir, il nous sera possible quand nous nous retrouverons tous de savoir, de prendre, de vraiment pouvoir savoir ce qui s’est fait dans l’Ecole pendant l’année.
Je dois dire que ce que je vais vous apporter ce matin, je ne lui ai pas trouvé de titre, d’abord parce que je l’ai mis en chantier il y a peu de jours, que je pourrais dire que c’est quelque chose qui vient en marge d’un travail commencé après mon retour des Antilles, travail qui est en train de se mettre en place à propos des maîtres et des esclaves. Il m’a été demandé là-bas de parler de la dialectique du maître et de l’esclave, je n’ai pas besoin de vous dire que pour cette société des Caraïbes, maître et esclave tiennent une place de toute grande importance et aujourd’hui encore. J’en étais arrivée à me demander comment rendre compte de la part de l’imaginaire dans cette relation entre maître et esclave et je me reportais à Prospero et Caliban , je me disais que, là, cette forme humaine qui se présentait à celui qui arrivait sur cette île, qui était, à coup sûr, quelque chose de plus consistant en tout cas à faire saisir toute la part de l’imaginaire dans cette relation, lorsque j’ai reçu d’un ami la coupure d’un journal relatant le récit que le geôlier de Nelson Mandela faisait des 24 années qu’il a eu à vivre auprès de Mandela, lui geôlier, Mandela prisonnier.
Si cette coupure m’a retenu au point de me plonger dans le livre, dans le récit de cet homme, de James Gregory, c’est parce qu’il était fait mention immédiatement de ce qui s’est joué pour ce geôlier de 24 ans, qui était venu là vraiment, non pas pour assister Mandela, mais au contraire pour faire son travail de geôlier.
Ce qui s’est produit pour lui, ce qui s’est passé : il voit dans cette cour où étaient ces réfugiés politiques, lorsqu’il entre, lorsqu’on lui présente ces hommes, ces hommes qu’il prenait pour des fauves, il est d’abord étonné de voir l’atmosphère qui régnait dans cette île et puis il y a un tableau devant lui, un tableau d’un homme grand et d’autres autour de lui, et ces hommes sont en train de discuter, d’échanger, enfin c’était tout à fait ce qu’il ne pouvait jamais penser trouver là.
Il va les saluer : « Good morning » et, lorsqu’il vient saluer cet homme, il ne le regarde pas particulièrement, lorsqu’il vient le saluer, qu’il dit ce « good morning », il lui ajoute immédiatement le salut, ceci en langue africaine, le salut que l’on adresse aux chefs. Donc ce tableau, la vision de ce tableau, sans qu’il l’ait voulu, c’était presque à son insu, nous dit-il, fait qu’il se comporte d’une façon tout à fait autre avec ces personnes.
Alors, qui est ce geôlier de 24 ans ? Il a décidé d’être dans l’Administration Pénitentiaire pour différentes raisons de famille, enfin il est jeune, il a besoin de gagner sa vie, il n’a pas voulu être à la ferme comme fermier comme ses parents. Il a été choisi parce qu’il était un des rares blancs à parler deux langues africaines et ces deux langues africaines étaient les langues parlées par ces prisonniers politiques. Il accepte, il accepte parce qu’il s’est laissé entraîner par la propagande qui faisait de ces noirs, de ces noirs qui réclamaient leur bien , qui faisait de ces noirs des fauves, des sous humanités, des personnes qui mettaient en péril la civilisation blanche et, quand il était au lycée, il était tellement pris par cette propagande qu’il s’est engagé et qu’il était prêt aller faire le coup de feu puisqu’on disait que tout autour de ces villes il y avait des hordes sauvages qui, comme les hordes Mau-Mau du Kenya étaient prêtes à tuer tout le monde, à éventrer tout le monde.
Et vraiment, lorsqu’il y a eu le procès de Mandela et de ses compagnons, il était, comme toute la population, révolté parce que ce Mandela n’avait pas été pendu. C’était la peine capitale qu’il aurait dû avoir mais sa plaidoirie, la propre plaidoirie que Mandela avait faite, a obligé les juges à reculer et ça a été commué en perpétuité et il a été envoyé dans cette île du diable.
Donc il n’était pas venu du tout avec l’idée, avec quoi que ce soit comme sentiment pour sympathiser avec ces hommes qui mettaient tout en péril et son étonnement était grand de voir que ces hommes n’étaient pas ce qu’on lui avait décrit, que ces hommes, non seulement ne manifestaient pas d’agressivité à son endroit comme il avait pu rencontrer chez d’autres prisonniers, mais lorsqu’ils s’étaient trouvés tous ensemble, il était étonné de les voir qui échangeaient sur la philosophie, les mathématiques, la religion, la politique, enfin, bref, choses qu’il ne pensait pas trouver chez les prisonniers.
Alors ce geôlier, c’était un geôlier parmi d’autres geôliers, mais un geôlier qui pouvait les comprendre, plus exactement « entendre » ce qu’ils disaient, car il n’était nullement question qu’il puisse les comprendre et ce qui avait été demandé, ce qui lui était, précisément, demandé, c’était de s’occuper de la censure, c’est-à-dire de lire toutes les lettres qu’ils pouvaient recevoir, qu’ils pouvaient envoyer et ils étaient vraiment au régime, à la portion congrue, puisqu’ils ne pouvaient envoyer de lettres que tous les six mois, ça variait selon la permission qu’ils recevaient.
Et il lui avait été demandé de tout faire pour les démoraliser, c’est-à-dire de toujours trouver quelque chose dans ces lettres qui ferait qu’ils ne recevraient pas de lettres, ils pourraient penser qu’ils étaient oubliés de leur famille. C’est dans cet état d’esprit qu’il vient prendre ses fonctions de geôlier qui n’est pas, si vous voulez, le maître. Il est dans le discours de Maître, il est là pour appliquer le règlement, mais « que » le règlement et c’est un point important. Contrairement aux autres geôliers qui maltraitaient ces hommes à cause des différentes corvées qui leur étaient imposées, lui, avait été tellement impressionné par le tableau qu’il avait devant lui, qu’il s’est dit qu’il devait d’abord essayer de saisir ce qui se passait là chez ces hommes et qui, en fait, n’avait rien à voir avec le tableau dressé jusqu’à ce jour. Très vite, on peut dire qu’il y a quelque chose d’une neutralité. Il se défend du sentiment qu’il pourrait avoir à leur endroit mais il est quand même bien obligé de reconnaître que la vie, qu’il a mené tous les jours ou tous les deux jours, enfin peu importe, selon ce qui lui était imposé, lorsqu’il était avec ces hommes, c’était autre chose que ce qu’il vivait avec ses frères de race, avec les autres geôliers.
C’était un homme de devoir, donc tout de suite c’est le règlement, il fait son travail de censeur, mais il s’est dit que peut-être il pourrait trouver un moyen, un moyen qui lui permettrait de leur venir en aide, sans lui nuire à lui, bien sûr, et là, il les aide à présenter différemment les lettres qu’ils envoient, il est avec eux lorsqu’il les surveille d’une façon telle que, petit à petit, certains viennent à lui, parlent avec lui. Mais, jusqu’à présent Mandela était celui qui était le plus neutre, celui qui ne s’occupait pas particulièrement de lui, celui qui était courtois mais sans plus. Donc il était intrigué par cette stature et, les jours passant, les mois passant, il peut rentrer en contact avec Mandela, mais Mandela reste toujours à sa place de prisonnier, ce qui l’a beaucoup étonné : lorsqu’il l’a invité à venir dans son bureau pour échanger quelques paroles, Mandela reste le prisonnier debout, ne s’assoit pas, marquant là la distance qui devait être celle qui lui était imposée par sa position, sa situation de prisonnier. Ils arrivent à parler, et Mandela, lorsqu’il accepte d’échanger avec cet homme, essaie de lui expliquer le pourquoi de leur action, ce qui a fait que, ayant demandé l’égalité des droits, ayant demandé de jouir de cette terre qui était leur terre puisqu’on leur refusait, et ceci depuis des années, ils ont pris les armes. Mais il était toujours, ce geôlier, sur la réserve et il ne voulait pas se laisser embarquer dans je ne sais quoi qui pourtant, saisissait-il, n’était pas de l’ordre d’une séduction, Mandela essayait de lui faire comprendre simplement ce qui les avait poussés eux à agir ainsi et donc ce James Gregory décide d’en connaître un peu plus et au cours de ses moments de liberté, lorsqu’il revient sur le continent, c’est pour aller dans les bibliothèques et connaître le programme de l’ANC et là, effectivement, il se rend compte que depuis longtemps, depuis 1902, ce que ces hommes réclamaient n’avait rien à voir avec ce qui se passait là.
Donc ce geôlier qui suit les règlements, (je passe sur beaucoup de détails), qui est ouvert à ces hommes, se pose des questions, et ces questions, il les échange avec Mandela et chacun arrive à parler de sa famille, et Mandela apprend que ce James Gregory, en fait, dans les premières années, jusqu’à ce qu’il aille à l’école, a vécu comme un petit africain, comme un petit zoulou, que dans la ferme de ses parents, les zoulous qui habitaient dans cette ferme étaient assez proches, en tout cas de lui, son petit copain, celui avec qui il a commencé à faire les premiers pas, à aller à la chasse, qui lui a appris à vivre comme vivent les africains, à savoir se servir d’une fourmilière pour faire chauffer les aliments, enfin la pêche, la chasse, c’était vraiment son ami... cet ami qu’il perdra mais c’est parce qu’il avait vécu proche comme ça de ces africains, qu’il parlait cette langue zoulou et la langue de Mandela et Mandela de lui dire : « Mais, peut-être qu’il y avait là chez vous quelque chose qui vous échappait mais qui a fait que vous avez accepté de venir ici ». D’autant plus que ça n’allait pas avec la famille de ce James Gregory, bref, il y a là, à ce moment, quelque chose qui change. Il y a ce signifiant quelconque qui était ce geôlier, quelconque, mais marqué de ceci qu’il était un des rares à parler deux langues africaines, ce geôlier qui était comme d’autres geôliers soumis et qui a toujours essayé de respecter la loi de Pretoria, des règlements, quelque chose est là en train de se mettre en place entre Gregory et Mandela, entre d’abord Grégory et tout le groupe des prisonniers politiques.
Cet homme, ce geôlier, avait décidé de venir dans cette île pour suivre de près les agissements des prisonniers, mais il avait décidé, lorsque ses enfants seraient suffisamment grands, de ne pas les envoyer en pension, de quitter l’île car lui-même a souffert de la pension, donc il y avait ceci qui le travaillait et en même temps il hésitait à laisser ces hommes sachant ce qui allait se passer.
Je passe sur beaucoup de détails parce que ce que je vise dans ces quelques paroles d’aujourd’hui, c’est de montrer comment se met en place ces deux signifiants, donc : un geôlier, signifiant X, lambda, parmi tous les geôliers, marqué de quelque chose qui est « parle deux langues » et puis cette masse qu’il a à surveiller. Au moment où il demande aux autorités de se délier pour s’occuper de l’éducation de ses enfants, il essuie le refus de Pretoria, du gouvernement central, on lui dit - de les mettre en pension - et voilà et, comme il était décidé à n’en rien faire, il dit : bon, je vais donner ma démission.
Les autorités étaient très ennuyées parce que quelque chose s’était mis en place qui faisait que ces prisonniers, tout en défendant leurs droits, c’est-à-dire toutes les fois qu’ils étaient maltraités, ils faisaient des réclamations, depuis que cet homme était là, ça se passait différemment, non pas que les autres geôliers les traitaient mieux, mais la façon d’apporter leurs revendications se faisait d’une façon autre et l’administration centrale, le gouvernement, étaient en paix. Donc, on ne voulait pas le laisser partir et il avait donné sa démission mais devant cela le gouvernement s’est dit : « non », il y a là quand même quelque chose qui est propre, qui est particulier à cet homme, nous ne savons pas ce qui pourra arriver quand d’autres viendront à sa place, nous allons simplement lui demander de former d’autres geôliers qui pourront se comporter comme lui se comporte avec les prisonniers. Il s’est efforcé pendant quelques mois d’instruire ces personnes, de leur montrer ce qu’ils pouvaient faire tout en respectant les règlements mais sans démolir ces hommes, c’est ce qui lui avait été demandé.
Bref, au bout de quelques mois, il pense que la chose est faite, il retourne, il va sur le continent, laisse ces nouveaux geôliers se débrouiller, mais très vite on s’aperçoit que quelque chose ne va pas et on lui demande de revenir. – « Non, il n’en est pas question, moi je ne laisse pas ma famille, je ne veux pas que mes enfants connaissent ce que j’ai connu ».
Et alors, c’est à ce moment-là que l’administration va s’efforcer de trouver une solution qui permette que ce soit Grégory qui s’occupe à nouveau de ces prisonniers tout en lui laissant mener la vie qu’il pensait devoir mener auprès des siens. Donc ce geôlier, qui n’est plus tout à fait un geôlier lambda, qui se place différemment parmi les autres geôliers par rapport à ces prisonniers politiques, non pas revient sur l’île d’une façon permanente, mais de temps à autre. C’est lui qui est chargé à nouveau de la censure pour ses maîtres ; et lorsqu’il revient sur l’île, ces prisonniers politiques lui disent : « On savait bien que tu reviendrais parce qu’avec toi les choses marchent bien et que les autres, ce n’était pas possible ». Donc l’administration a dû reconnaître que là, il y avait quelque chose et qu’il fallait en tenir compte.
Je vais très vite pour arriver à ceci : La politique avançant, on a changé Mandela et quelques hommes, de l’île ils sont venus sur le continent. Mais, avant qu’ils ne reviennent sur le continent, on a demandé à Grégory, on l’a changé de prison, on l’a envoyé dans une autre prison proche, il s’est demandé pourquoi, mais vraisemblablement c’est par rapport aux prisonniers politiques et, à ce moment-là, peu après, c’est Mandela et quelques-uns arrivent et c’est là vraiment le tournant. On ne peut pas dire encore que lui, Gregory...mais Mandela a une place de signifiant maître, a une place telle qu’on pourrait, on devrait dire qu’il est ce signifiant maître pour lui, mais ce qu’il admet, c’est qu’il y a là quelque chose qui diffère, lui, Gregory admet qu’il y a quelque chose qui diffère non seulement avec Mandela mais autour de Mandela et des autres prisonniers et, à partir de ce moment-là, ce n’est pas uniquement le règlement, c’est-à-dire la censure, toutes ces choses qu’il va avoir à cœur de bien mener, il va faire en sorte que leur vie soit, non pas une vie que tout le monde aimerait mener, mais autre chose qu’une vie de prisonniers et, en particulier, il va s’efforcer de leur apporter ce qui pourrait rendre leur vie possible et intéressante ; c’est-à-dire qu’il installe une bibliothèque, il surveille l’alimentation qui leur sera apportée alors qu’il avait vu ce qui leur était donné quand il était sur l’île, bref, à partir de ce moment-là, lui, James Grégory, on peut dire qu’il commence à se mettre au service de ces prisonniers et tout particulièrement de Mandela et il va s’efforcer de leur apporter des biens, de ce qui pourrait être considéré comme de la jouissance, des produits qui vont permettent que la vie soit possible et en même temps une liaison va se faire avec les familles lors des visites. Enfin je vais très vite, ce qui fait que non pas une familiarité s’établit entre lui et ces prisonniers mais une proximité plus grande, tant et si bien que, lorsque Mandela deviendra malade, il a fallu l’opérer, il a fallu l’envoyer à l’hôpital etc. Il semble que, d’une façon tout à fait particulière, véritablement je ne dirais pas que c’est l’esclave qui apporte au maître les biens de jouissance parce que on ne peut pas dire encore que, pour lui, Mandela est un maître à cette place, mais il lui reconnaît quelque chose qu’il n’a pas trouvé chez d’autres hommes.
Donc, il s’en occupe tout particulièrement pendant ces temps où il a dû être hospitalisé et, au retour de la dernière hospitalisation, la dernière intervention, Mandela est tout à fait séparé de ses compagnons et c’est à ce moment-là que, vraiment, il va y avoir quelque chose d’un tournant qui s’établit entre ces deux hommes...Les choses étaient déjà, ils se connaissaient, ils se parlaient, ils se demandaient des nouvelles de la famille, mais lui, le geôlier, faisait en sorte que la famille de Mandela soit tenue au courant d’une certaine façon avant que la presse ne fasse savoir que Mandela était dans un état, qu’il était malade, puisque chaque fois on noircissait les choses à un point tel, après tout pourquoi pas ? La famille ne pouvait en être que démolie !
Il y là quelque chose et puis ils ont à vivre ensemble, lui, le geôlier, qui n’est plus un geôlier lambda, pas du tout, Pretoria, lui a fait savoir que le gouvernement central avait besoin de lui parce que, quand Mandela va se retrouver à être seul, ce geôlier leur fait comprendre, fait comprendre à l’Administration :« Qu’est-ce vous voulez, moi j’ai ma famille, tout ça c’est très bien, mais je ne vais pas encore une fois déménager ! »
On lui a fait comprendre qu’il fallait qu’il en soit ainsi, on lui a fait comprendre, mais lui-même a accepté qu’effectivement il ne pouvait pas y avoir un autre auprès de Mandela, alors c’est à ce moment-là qu’il est devenu ce signifiant qu’on ne peut pas remplacer, lui, James Gregory, le geôlier, ce geôlier qui était non plus geôlier lambda, devient tout à fait autre chose, c’est ce signifiant qu’on ne peut pas remplacer et je crois qu’on peut dire à ce moment-là, c’est en tant que S2 qu’il est dans cette nouvelle position parce qu’il y est indispensable.
Il a accepté d’être là, d’être celui qui ne peut pas être remplacé auprès de Mandela, que, les jours passant, les soirées passant, il s’est occupé de lui, il s’est efforcé de lui apporter effectivement tous les biens qui sont en sa possession pour celui-là et c’est à ce moment-là que Mandela va devenir pour lui ce Signifiant Maître. Ça m’a semblé intéressant parce que nous avons toujours le sentiment, c’est vrai que le S1 précède le S2 mais quand même Lacan nous rappelle qu’il y a cet effet rétroactif et c’est bien parce que ce James Gregory a accepté d’être là en tant que S2, en tant que celui qui accepte d’être au service de ce Mandela, que sur ce signifiant de celui que les autres prenaient pour le responsable de l’ANC, celui qui faisait que la lutte pouvait continuer, lui, faisait de Mandela à ce moment-là un S1 et la relation va tout à fait changer, non pas qu’il y aura plus de distance, ce n’est pas du tout qu’il y aura plus de distance entre ces deux hommes, mais il y a là quelque chose d’une fonction qui se met en place d’une façon tout à fait différente de l’ouverture que ce geôlier avait pu avoir pour ces prisonniers.
Il est en train de reconnaître qu’il a affaire à quelqu’un qui est à mettre à une place particulière et, à ce moment-là véritablement il est à son service, à son service non pas comme on pourrait l’exiger de l’esclave, mais il est à son service pour que ce que lui, Mandela, a à réaliser, qu’il puisse déjà s’y consacrer pendant sa vie de prisonnier. Il faut dire que ça fait déjà 20 ans que ces deux hommes se côtoient, les premiers temps c’étaient quelques jours par semaine et là, depuis que Mandela est revenu sur le continent, c’est presque tous les jours et les dernières années, c’est véritablement tous les jours et c’est uniquement de Mandela dont il doit s’occuper.
Si ceci m’a retenue, c’est que, en fait, ce n’est pas uniquement parce qu’il parlait ces deux langues, c’est quelque chose qui, dès l’enfance, l’avait marqué, puisqu’il n’avait jamais eu d’autre vrai compagnon que le petit Zoulou, ce Grégory, c’est que, lorsqu’il est arrivé sur cette île, ce qu’il a vu, ces hommes qui étaient pour lui objets de haine véritablement, ça il ne s’en cache pas, puisqu’ils étaient danger public, mais ce qu’il a vu a fait qu’il a vu, sans se le dire vraiment, d’une façon inconsciente, s’arrêter un instant et les traiter comme il traitait d’autres hommes tout en étant à distance, c’est-à-dire que déjà, dès ce premier pas, l’image qui lui était donnée à voir l’a retenu pourquoi, à son insu, quelque chose se mettait en place qui pourrait faire de ce groupe un sujet.
Vous savez, Lacan nous dit que si on ne prend pas l’autre pour objet, objet d’amour ou objet de haine, on ne pourra jamais le mettre à la place de sujet, donc ce qu’il a vu ce n’était pas des fauves, ce n’était pas cette sous-humanité qu’on lui laissait croire. Tout de suite il a eu un arrêt et dans ce coup d’œil, de là il se voyait être vu et de là où lui voyait, il y avait déjà possibilité qu’un certain cheminement puisse se faire et ce cheminement a été tel, chemin faisant, qu’il a pu faire de ces hommes d’autres humains comme lui, il a pu reconnaître qui était Mandela, à un point tel que, étant à son service et de la façon dont il y était, il a permis que les relations entre Mandela et le gouvernement puissent se faire au mieux lorsque les ministres se déplaçaient pour le voir ou même lorsqu’il devait l’accompagner voir le Président de la République au moment où les choses se mettaient en place.
Donc c’est quand lui, Gregory, n’est plus ce geôlier lambda, marqué de ce que vous voulez parce qu’il parle etc. C’est quand il devient vraiment ce signifiant qui ne peut pas être remplacé, mais il y est en tant que signifiant, il n’y est plus James Gregory, il est celui qui accepte d’être à cette place et, acceptant d’être à cette place comme il y est, fait en sorte que ce Mandela qui au départ était pris pour quelqu’un qui méritait la corde, fait en sorte qu’il va y avoir une rétroaction, ce qui fait que Mandela sera aussi pour lui, et non pas uniquement pour ses compagnons de lutte, pour les autres prisonniers politiques, un S1. Et puis, les choses allant plus avant, il le reconnaît comme Maitre. Il lui dit à deux reprises : « Vous êtes l’homme qu’il faut pour l’Afrique du Sud, vous êtes celui qui va nous permettre de sortir de cela ». Vous savez, c’est un certain chemin parce qu’il était menacé aussi ce geôlier, les autres geôliers le traitaient de celui qui est proche de ces « Kafirs » dans leur langue, mais ce sont des lâches, enfin, il a tellement risqué qu’il se demande si la mort de son fils qui est soi-disant mort accidentellement, n’a pas été une mort provoquée. Donc, il y a là quelque chose, une véritable mutation qui s’est passée et on peut dire que, ce que Lacan nous dit autour du maître et de l’esclave, mais, en tant que l’esclave c’est un signifiant...parce qu’on oublie, lorsqu’on parle avec cette dialectique du maître et de l’esclave, que ce que Lacan met en place puisqu’il en fait quelque chose qui a à voir avec le discours du Maître certes, mais le S1 ne peut pas être sans qu’il y ait un S2, il faut que le S2 se mette en place pour que l’effet rétroactif, pour que sur ce signifiant, le S1 puisse tenir, c’est-à-dire en fait l’esclave, ce n’est pas, comme certains pourraient le penser, une pierre, c’est quand même celui qui doit être là pour que du S1 puisse se faire mais dans ce cas particulier, ça n’a rien à voir avec ce qu’on connaît dans certaines sociétés des Caraïbes par exemple, c’est le cheminement de la mutation, les transformations d’un homme qui se met et qui assume d’être à cette place-là pour que l’autre puisse être dans la place véritable du Maître, qui est la place qui lui revient.
Et à la fin de leur parcours commun, au moment où Mandela va être libéré, ce James Gregory se demande ce qu’il va devenir lui-même, et il dit : « Je ne peux plus être un garde-chiourme comme j’étais au départ, je ne peux plus être dans ce métier de garde-chiourme ». Donc, il y a là quelque chose qui, pour lui aussi, s’est modifié et Mandela avant de le quitter lui pose la question de ce qu’il va devenir. C’est-à-dire que ce couple S1- S2 a fonctionné, sans qu’il se fasse aucune théorie bien sûr, mais ce qui a permis que les choses arrivent là où ça devait arriver et de la bonne façon. Et chacun, Mandela lui dit, chacun a assumé son destin c’est vrai, mais reconnaissant, de part et d’autre, ce que l’un doit à l’autre et ce que l’autre doit à l’un et l’autre étant vraiment le Gregory, celui qui est venu à cette place de S2 et qui a permis que Mandela soit à cette place de S1. Telles étaient les choses.
Je passe sur beaucoup de choses vous savez, parce que, pour pouvoir être au service de ces prisonniers politiques, ce James Gregory, qu’est-ce qu’il fait ? Il apprend par cœur les lettres qu’il ne peut pas leur remettre, il les laisse dans leurs dossiers et quand il va les voir, il leur récite, si bien qu’il est en règle avec l’administration puisqu’il ne passe pas les lettres, mais tout de même récite les lettres qu’il a apprises par cœur. Les autres sont tout à fait au courant de ce qu’on veut leur faire savoir du continent ou de la société et tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, si on peut dire….
Bref, je passe sur beaucoup de choses mais ce sur quoi je veux insister, c’est comment, assumant, après tout, ce qui était son destin, remplissant ce qu’il a à remplir mais d’une façon tout à fait autre que ce qu’on pensait, il a, à sa place, favorisé ce qui est arrivé aujourd’hui, ce qui a fait que Mandela, jour après jour, semaine après semaine, malgré tout ce qu’il a eu avant : il a perdu sa mère, on n’a pas voulu qu’il aille aux funérailles, son fils est mort accidentellement, lui-même se demande pourquoi, tout ce qu’il a pu avoir comme vexations lorsqu’il avait à recevoir sa femme ou ses enfants, puisqu’il ne pouvait pas être seul. Heureusement qu’il y avait ce Gregory qui avait compris qu’il valait mieux que ce soit lui qui soit de faction toutes les fois que ces personnes venaient voir Mandela. Bref, il a du faire autour de Mandela qui avait un caractère, une force que lui-même, Gregory reconnaît exceptionnelle, mais il a fait que quelque chose d’une humanité puisse se créer autour de cet homme et qui a fait que, jour après jour, il a pu tenir aussi le coup.
Et quand, le jour de son investiture, Mandela lui fait savoir qu’il y tient particulièrement, il lui demande de lui faire cette faveur de venir à cette cérémonie, ça a été mal traduit car le « to solicit » anglais apporte plus que de solliciter, c’était une faveur qu’il lui demandait, d’être là, lui ce geôlier, d’être là, auprès de ces grands du monde qui étaient venus pour son investiture et Mandela de marquer ainsi sa gratitude en le faisant venir et en lui faisant savoir que vraiment c’était lui faire une faveur et ensuite il l’a reçu.
Mais enfin, comme je vous dis, c’est quelque chose qui est en place, simplement un travail commencé depuis peu, mais ce qui m’a intéressé et ce que j’ai pensé que ce que nous retenons de cette dialectique du Maître et de l’esclave, il y a tout ce côté de l’imaginaire et on n’en tient pas assez compte qui joue dans le coup d’oeil. Il y a ensuite le fait que pour qu’il y ait véritablement cette relation, il faut qu’il y ait un signifiant, quelque chose qui vienne d’irremplaçable et c’est ce que Grégory a accepté, ce qui fait qu’il n’est pas un geôlier lambda. Quand Lacan dit que la jouissance du maître dépend de l’esclave, ça veut dire que si rien ne vient à cette place de S2, de maître il n’y aura pas. La mise en place de S2 par effet rétroactif permettra que se mette véritablement en place le S1, le signifiant Maître qui va représenter le sujet. Là, où S2 n’est pas, il n’y aura pas de S1.
Alors pour ce qui est du sujet, de ce qui s’est joué là, j’en parlerai une autre fois parce que ça vaut la peine aussi. Là, c’est véritablement le jeu entre ces deux hommes qui nous permet de saisir, ceci m’a permis de comprendre ce que Lacan nous dit de ce S1- S2, ce S2 qui doit être pour que rétroactivement le 1 se mette sous le S1 et nous savons très bien que dans certaines structures, lorsque ceci n’a pas pu se faire, c’est une difficulté dans l’inscription de signifiants pour le sujet. Voilà.
Questions
Solange Faladé :
Je n’ai pas mis au tableau le S1, le S2 que nous avons à différentes reprises travaillés.
A.Biton :
Dans cette affaire il y a quelque chose qui apparaît avec constance, c’est l’importance du tiers parce que Gregory est toujours préoccupé de rester auprès de sa famille, c’est même ce qui le guide dans son action et il y a son rapport à l’Administration...ce n’est pas cette relation duelle qu’il y a entre le maître et l’esclave.....
Solange Faladé :
Oui, mais dans la relation duelle entre le maître et l’esclave, est-ce que vous croyez qu’il n’y a que dualité ? Lacan nous apprend quand même qu’il n’y a pas que dualité, il n’y a jamais dualité, mais vous faîtes bien de parler de ce tiers, ça me permets de vous dire que j’avais d’abord hésité à présenter les choses ainsi ce matin et que je m’étais demandé si je n’allais pas plutôt le centrer sur l’amour et je vais vous dire pourquoi.
C’est parce que, aux Antilles, à la Guadeloupe, une des personnes présentes avait lancé comme cela : « Ah ! entre Mandela et Declerk, ça n’était qu’homosexualité », et moi de lui répondre que non et on peut voir dans ce qu’est l’amour de ce Gregory pour sa femme, ses enfants, enfin cette femme est vraiment à une place où on peut repérer ce que Lacan nous dit de l’amour et du particulier et du fait qu’il faut qu’il y ait là, chez ce sujet aimé, cet objet, et qu’il n’a rien à voir avec le trait que l’on peut trouver chez différents partenaires qui fait qu’il peut y avoir du Don Juan par exemple, non. Il y avait là quelque chose de particulier et puis, ce qui s’est installé entre ces deux hommes, c’était... bien sûr il y avait de l’affection, il y avait des marques de tendresse que Mandela a pu manifester à Gregory quand il a perdu ce fils qui avait déjà 25 ans, je ne sais plus, aussi brutalement, mais ça n’avait rien à voir avec cet amour, enfin ce qu’on pourrait dire de l’amour. Il y avait une certaine proximité, du côté de Mandela c’était plus paternel, la place donnée à Gregory, mais ça n’avait rien à voir.
J’ai été tentée, à cause de cette réflexion qui m’avait été faite aux Antilles, à Pointe à Pitre, j’ai été tentée de reprendre ce qui était de l’amour dans la vie de cet homme, vous avez raison puisqu’en fait, s’il a changé plusieurs fois de travail, c’était par rapport à cette femme qu’il a rencontrée, avec qui il est resté, avec qui il a eu des enfants, etc. Pourtant c’était un homme comme les autres, mais il a rencontré ce « particulier » comme nous dit Lacan, qui fait qu’il peut y avoir de l’amour, puis il y a d’autres liens qui se forment et qui ne sont pas, et qui permettent de différencier ce que l’on peut avoir d’affection, d’amour fraternel si vous voulez, et de l’amour.
Mais dans la dialectique du maître et de l’esclave justement, je ne pense pas qu’il n’y ait que dualité et si je me suis arrêtée à cet imaginaire, parce que nous n’en tenons pas assez compte, je n’ai pas plus développé ce qu’il fait de ce tableau, il y a quand même déjà là ce IA (grand I de grand A), de là où lui se voit être regardé, on est vraiment dans ce que Lacan nous dit du miroir, non ce n’est pas … du stade du miroir, ce qu’il nous dit entre ce grand Autre, celui-là qui est sujet et ce qu’il donne à voir, c’est quand même là, c’est-à-dire qu’on n’est pas du tout dans la dualité même dans le maître et l’esclave.
Et je crois qu’on a trop tendance à négliger ce point-là. Je pensais développer beaucoup plus mais enfin, comme je vous ai dit, je n’ai pas pu bien reprendre tout cela car ça ne fait véritablement que quelques jours que j’ai fait ce travail.
XXXX :
Madame Faladé, quand vous dîtes, en même temps… que pour lui, prendre sa fonction de geôlier, ça semblait pour lui une source d’humanité, ce n’est pas tout à fait vrai puisque vous dîtes aussi qu’il avait eu un ami d’enfance
Solange Faladé :
Justement ce Bafana était complètement oublié, parce que Bafana, il n’a jamais pu le revoir, en revenant de pension, ses parents avaient décidé de déménager, de prendre une ferme plus grande et ce Bafana, il l’avait oublié. Puisque ce garçon qui a couru dans les champs, les forêts etc., qui s’est fait mordre par une vipère, qui a été sauvé par ce Bafana, ce garçon quand il est arrivé au collège, il a changé deux fois de collège, trois fois de collège, il était tellement pris par la propagande qu‘il s’est engagé, il n’était pas obligé, il s’est engagé, il a pris les armes, il était prêt à casser la figure de ces Kafirs. C’est-à-dire qu’il y a le refoulement, et puis, il n’était pas du tout venu pour avoir de la compréhension pour ces gens puisqu’il était parmi les personnes qui regrettaient que Mandela n’ait pas été pendu et quand il a mis les pieds sur l’île, c’était dans cet état d’esprit et d’autre part, d’ailleurs lui-même dans sa préface le dit, il pensait trouver parce que la propagande était telle et les gens marchaient à fond… Alors il lutte avec les autres qui avaient couru avec le petit zoulou de son âge, etc. Vraiment il pensait que la civilisation était en danger à cause de ces hommes et tels qu’on les décrivait, il fallait les éliminer, lui-même le dit qu’il pensait trouver une sous-humanité, qu’il pensait trouver des gens qui vivaient comme des fauves.
XXXX :
C’est la question du refoulement qui m’avait échappé.
Solange Faladé :
Oui c’est ça. C’est pour ça qu’à un moment, oui tout ça n’était peut-être pas bien ordonné, c’est pour ça qu’à un moment je vous ai dit que dans l’échange qu’il y a eu avec Mandela, Mandela a fini au bout de X temps, parce que même s’ils se voyaient tous les jours ils n’avaient pas la possibilité de parler et puis il a fallu du temps, il a fini par lui dire : mais il y a eu Bafana, il y a eu ce petit zoulou avec qui tu as vécu, avec qui tu as couru les forêts, mangé les chenilles, qui t’a appris à manger les chenilles grillées etc. C’était vraiment cet horizon qui lui apportait joie, sa famille, c’était tout à fait autre chose, il y avait la ferme.
Le refoulement avait joué puisque lui était prêt à aller leur casser la gueule quoi, tout simplement, lui-même le reconnaît, il s’était engagé à aller etc.
XXXX :
La question de la séduction. Quand vous dîtes que du côté de Mandela il n’y avait pas de séduction
Solange Faladé :
Non
XXXX :
Comment pouvez-vous dire cela parce que, par exemple, il devait admirer sa culture, sa force morale, ça a dû jouer.
Solange Faladé :
Mais ce n’était pas Mandela qui faisait que, il ne mettait pas ça en avant, pas du tout. Mandela était à sa place, c’est pour cela que j’ai tenu parce que, lui même le dit dans ce livre, quand il a invité Mandela à venir parler avec lui, Mandela est resté à sa place de prisonnier, il est resté debout et il a fallu un certain temps pour qu’il accepte de s’asseoir. Il n’a jamais rien fait, les autres non plus d’ailleurs, même quand ils allaient lui parler, même quand ils allaient lui dire : « Ah ! tu sais on te connais, on savait qu’il allait y avoir un nouveau et on savait que quand tu étais sur le continent, telle chose s’était passée, alors ce pauvre Gregory se demandait comment. Alors forcément, le tam tam africain etc. fonctionnait dans l’île, alors qu’on les croyait isolés de tout, sans qu’on sache vraiment jamais pourquoi, ils étaient au courant de beaucoup de choses même avant l’arrivée de Gregory c’est-à-dire que, leurs lettres ils ne les avaient pas, mais ils savaient beaucoup de choses, donc ils savaient qui allait être ce nouveau gardien mais ils sont toujours restés, ils ont toujours gardé une certaine distance avec cet homme, c’est lui qui a reconnu qui ils étaient, ils n’ont pas essayé de le séduire, ou alors la séduction pour vous, c’est le fait qu’il ait pu les mettre à une autre place que ce qu’il pensait au départ ?
XXXX :
Oui peut-être.
Solange Faladé :
Il a été séduit, lui, Gregory, mais ce n’est pas Mandela qui a joué de la séduction. Mais ce n’est pas tellement qu’il a été séduit parce qu’il s’est méfié, il le dit, il n’a pas voulu se laisser embobiner et quand il avait ses permissions, quand il revenait sur le continent, il allait dans des bibliothèques se renseigner, savoir quelle était la charte, parce qu’ en définitive eux, la population ne connaissait rien de la charte de l’ANC, il savait ce que la propagande faisait connaître. D’ailleurs c’était à un point tel, que sa femme était inquiète parce qu’il avait à peine mis les pieds sur le continent pour leur repos qu’il filait et elle se demandait où il allait. Il allait se documenter, lui-même était sur ses gardes, il ne voulait pas se laisser entraîner... Il y avait d’autres points sur lesquels je me demandais si je m’arrêterais....justement qui est le prochain etc.
Non vraiment, cet homme était sur ses gardes et ne pensait vraiment pas : 1°, trouver ce qu’il a trouvé, 2°, qu’il y aurait une pareille transformation mais c’était un homme, il était pour le règlement, rien que pour le règlement, ça, les premiers temps il lisait ces lettres et il essayait de comprendre qu’est-ce qui faisait que la lettre ne pouvait pas être envoyée ou que la lettre ne pouvait pas être donnée et, petit à petit il leur a dit : « Rédigez plutôt votre lettre sous cette forme pour qu’on puisse l’envoyer ». Il ne jetait plus au panier les lettres comme les autres faisaient, mais s’efforçait de leur faire comprendre que quelque chose était arrivé mais que...etc. C’est-à-dire ne pas les démoraliser comme on l’a voulu mais ne rien faire pour être contre le règlement. Il leur faisait savoir que quelque chose était arrivé mais que etc. Je ne crois pas que du côté de ces prisonniers, lui même le reconnaît, ni du côté de Mandela il n’y ait jamais eu tentative de séduction.
E. Boisson :
Pour continuer dans le sens de ce qui vient d’être dit, ce n’était peut-être pas une séduction, mais il y avait quand même un savoir supposé en Mandela par ce Gregory. Quand il a commencé à lui expliquer pourquoi il avait pris les armes et tout ça, il s’est quand même présenté comme supposé savoir.
Solange Faladé :
Je ne sais pas si Mandela s’est d’abord présenté comme supposé savoir.
E. Boisson :
Pas d’abord, mais assez vite quand même ça a été un prisonnier pas comme les autres.
Solange Faladé :
Ce prisonnier pas comme les autres, non pas tellement parce que sujet supposé savoir, mais à cause de ce qui se passait entre lui et les autres prisonniers et la place que les autres prisonniers politiques, qui n’étaient pas non plus n’importe qui...Est-ce que c’est le sujet supposé savoir qui est là, je ne crois pas tout de suite. C’est, si quelque chose d’un savoir s’est imposé à ce Gregory, c’est lorsque Mandela, une fois qu’il a mieux connu la vie de Grégory, lui a dit : mais c’est Bafana, c’est parce que tu as vécu avec Bafana que quelque chose là, sans que tu le saches a été possible. Est-ce que c’est sujet supposé savoir ? Parce que le sujet supposé savoir, c’est immédiatement sujet supposé savoir, là je ne crois pas que c’était le cas.
Solange Faladé :
Justement parlons-en !
E. Boisson :
Quand vous dîtes…
Solange Faladé :
Je crois que ce qu’il y avait, ces hommes qui étaient objets de haine, c’est à ce moment-là que, immédiatement, quelque chose s’est ébranlé ce n’est pas qu’il soit, il n’a pas couru vers eux, il s’est vraiment tenu à l’écart c’est à ce moment-là, mais je ne sais pas si c’est le sujet supposé savoir parce que quand on nomme ? Le sujet supposé savoir que nous propose Lacan pour l’analyste, quand on vient à lui, c’est qu’on lui suppose un savoir, tandis que là, ce n’était pas le cas.
E. Boisson :
Je pense que ce n’était pas le cas, bien sûr d’emblée, parce qu’il s’attendait peut-être à autre chose, il n’allait pas dans cette prison pour trouver un homme comme Mandela.
Solange Faladé :
Il savait qu’il allait trouver Mandela et il était prêt à ne pas composer, enfin à vraiment être comme un geôlier doit être avec un prisonnier, et avec ces prisonniers qui mettaient en péril la nation sud-Africaine, la nation blanche.
Ce qui était de toute façon, avant même qu’il ne mette le pied dans l’île, c’est qu’il savait que Mandela était pour ceux de l’ANC un homme qui était vraiment un chef, Mandela s’était signalé à tous lors de ce fameux procès où lui, Mandela n’a pas pris d’avocat, a plaidé et la façon dont il a plaidé les a beaucoup frappés. Donc la personne de Mandela était déjà connue comme celui qui menait cette bande de copains néanmoins il n’était pas en position de chef.
E. Boisson :
Un chef au niveau d’un savoir.
Solange Faladé :
Il n’était pas un chef pour Gregory
E. Boisson :
Il n’était pas venu avant, comme on va chez l’analyste bien sûr, mais il est typique de voir son état d’esprit, de voir son étonnement dont vous avez parlé au début. Ils parlaient autour d’un homme, ils devaient déjà être face à face. Il était déjà vis à vis de quelqu’un par rapport aux prisonniers politiques et, en fait, quand il parlait avec lui, ça l’a intrigué, quand il commence à parler avec lui, il se rend compte que ce n’est pas du tout ce qu’on a raconté, c’est vrai qu’il sait plein de choses. Après pendant ses permissions, il va dans les bibliothèques pour voir ce qu’on lui raconte et puis quand il arrive à lui dire qu’effectivement il y a un petit zoulou qui a pris une part importante, enfin vraiment j’ai l’impression qu’il est quand même un peu dans cette position mais pas d’emblée…
XXXX :
Il y avait le miroir médiatique qui reprenait cette propagande avec un double effet, l’effet de présenter Mandela vis à vis de Gregory en négatif donc en ennemi, mais aussi qu’il soit un chef pour quelqu’un, pour d’autres. Est-ce que le fait donc de ce miroir médiatique qui avait renvoyé à Gregory cette image ne préparait pas le terrain de mettre Mandela en position de S1 après un basculement ?
Solange Faladé :
C’est-à-dire que de toutes façons, moi je crois que c’est ce qu’il a « vu ». Il ne s’attendait pas à ce tableau, il ne s’attendait pas à voir ce qu’il a vu, il ne s’attendait donc pas à ce qui lui était projeté. Ces hommes pour lui et pour toute la nation blanche étaient vraiment...mais c’est ce tableau : il a vu des gens qui n’étaient pas agressifs et lui qui avait fait d’autres prisons, qui avait vu d’autres prisonniers et comment ils étaient avec les geôliers, il pensait que véritablement ça allait être là un climat impossible. Ce n’est pas uniquement Mandela.
XXXX :
J’entends bien, c’est ce qui a permis le basculement, mais avant, il savait quand même que Mandela était le leader, il y avait déjà, c’est ce point-là qui peut-être préparait le fait qu’il a pu mettre Mandela en position de S1.
Solange Faladé :
Oui, mais enfin je pense que ça n’a pas été, s’il reconnaissait qu’il était chef pour les autres, mais pour que lui puisse le mettre en position de S1, il a véritablement fallu qu’il y soit en tant que « celui qui ne peut pas être remplacé auprès de Mandela »
Jean Triol :
C’est la question de la castration liée au S2, quand vous faîtes intervenir S2 vous dîtes –Gregory- ce signifiant qu’on ne peut remplacer, il est dans une nouvelle position, on a l’impression qu’il est presque un frère pour Mandela.
Solange Faladé :
Jamais, il n’a jamais été un frère pour Mandela.
Jean Triol :
Je veux dire que c’est peut-être au moment où il se met à son service…
Solange Faladé :
Il n’a jamais été un frère pour Mandela
Jean Triol :
Ce que je veux dire c’est qu’il y a le stade d’avant où ils sont ensemble les prisonniers, et Gregory se met au service des prisonniers. C’est à ce moment-là où il accepte cette position d’esclave parce que, quant au moment où ils sont séparés, où le gouvernement lui demande de prendre cette place par rapport à Mandela, il a récupéré une position phallique, il est quelqu’un qui est dans le jeu, qui s’installe dans la partie, il est en place, il a un rôle à jouer, il n’est pas le futur président de la République, mais il a un rôle à jouer. Alors pourquoi vous ne faîtes pas intervenir plus tôt justement quand il accepte d’être au service, il accepte quelque chose…Il accepte de se mettre au service de la communauté, au service des prisonniers.
Solange Faladé :
Au service, c’est-à-dire qu’il ne les contraint pas, il ne les brutalise pas, il ne les chasse pas, mais moi, je crois, j’ai peut-être dit ça et dit trop vite, il applique le règlement, on ne peut pas le mettre en défaut, parce que s’il avait été mis en défaut, d’abord il a bien fait savoir qu’il ne fallait pas qu’il se nuise à lui-même, il ne pouvait pas être mis en défaut par rapport au règlement parce qu’il suivait le règlement, il a toujours suivi le règlement partout où il est allé, mais, j’ai dit au service c’est-à-dire... il s’est efforcé de ne pas appliquer sur ce point-là le règlement, c’est-à-dire démoraliser ces gens et ensuite, lorsqu’ils ont quitté ou une partie a quitté l’île, il s’est efforcé de faire en sorte que leur vie soit possible.
Jean Triol :
Au moment où vous faites intervenir le S2 comment on entend la barre de la castration, le « non » qui à ce moment-là est posé ?
Solange Faladé :
La barre de la castration, je crois que cet homme, ce Gregory n’était pas tout à Mandela,
Jean Triol :
Oui, ça a été souligné
Solange Faladé :
Il n’était pas tout à ces prisonniers, ni même à son travail, il y avait sa famille et puis il y avait aussi sa vie par ailleurs, il n’était pas tout à ses prisonniers.
Jean Triol :
C’est de cette relation du S2 qui génère ce S1, c’est parce qu’il y a cette barre de la castration qui est posée à ce moment-là…
Solange Faladé :
Oui, sinon ça n’aurait pas pu s’écrire, mais ce n’était possible que dans la mesure où il avait par ailleurs sa vie, il était content de retrouver sa femme, ses enfants, de suivre leur progression, leur travail en classe etc.
Jean Triol :
Le S1 c’est Mandela
Solange Faladé :
Ah oui, alors je ne me suis pas bien expliquée
Jean Triol :
Si, si, fort bien. C’est là où je ne comprends pas très bien comment vous mettez la barre de la castration, puisque c’est vis à vis du S1 qu’elle se met en place.
Solange Faladé :
Lui aussi, Grégory, s’il n’avait pas été marqué de la castration…
Jean Triol :
Mais elle est un peu exogène au système…
Solange Faladé :
Ah non ! Pour que le S2 puisse se mettre en place, il faut qu’il y ait la castration.
Jean Triol :
Oui, mais c’est le S1 qui la porte…
Solange Faladé :
Et non, et non, je crois que l’effet rétroactif, je crois que là on oublie que le 1 ne peut se mettre sur le S, le signifiant qui représentera le sujet, le signifiant Un, Lacan commence par dire c’est le S1, le 1 ne peut se mettre sur ce signifiant que quand le 2 …
Jean Triol :
Oui, le S1 porte la barre de la castration, les S1 viennent du grand Autre.
Solange Faladé :
Oui mais en même temps si le S2 ne peut pas s’écrire, il n’y aura pas de... ce S1, le 1 ne viendra pas là jouer son rôle, l’effet rétroactif...
Jean Triol :
Le problème n’est pas là....
Solange Faladé :
Où est-il ?
Jean Triol :
C’est sur ce point effectivement dans ce rapport à Mandela qui fait que Mandela devient maître et Gregory dans cette position d’esclave, cette barre de la castration qui devrait être posée dans ce rapport au maître, il accepte finalement une position d’esclave châtré par son maître.
Solange Faladé :
Oui, mais il ne fait pas tout parce qu’il a quand même connu Mandela, avec ces moments difficiles, Mandela, comment il était lorsqu’il avait à rencontrer sa femme derrière cette espèce de vitre, Gregory derrière, suivant toute la conversation, il se mettait loin, il a vu Mandela lorsqu’il a vu sa mère la dernière fois, l’enfant qui a été coller sa joue près de sa mère, c’est-à-dire Mandela n’était pas le tout puissant non plus.
M. Bon :
Justement donnons la parole à Robert Samacher.
Robert Samacher
A propos de la rétroaction du S2 sur le S1, l’articulation des deux, il ne pas peut y avoir de signifiant maître sans cette rétroaction, alors comment situez-vous dans ces conditions le S1 dès lors qu’ il n’ y a pas le signifiant maître dans certaines structures puisque vous parliez de certaines structures et donc le S2 ne joue pas, il n’a pas de signifiant maître la castration ne jouant pas, est-ce qu’on peut situer ce S1 ?
Solange Faladé :
C’est-à-dire qu’ on dit que ce sont des S1 qui viennent du réel et retournent au réel, mais ça ne peut pas s’accrocher au S2, cette articulation langagière, cette articulation absolument nécessaire pour qu’on puisse écrire S1 ; s’il n’y a pas de S2, on ne peut pas….
Robert Samacher
Que sont ces S1 ?
Solange Faladé :
Ce sont des S1 qui ne sont pas des S1, disons pour rester dans ce qui nous intéresse, permettant une articulation langagière.
Robert Samacher
Qui resteraient ainsi dans le réel.
Solange Faladé :
Qui resteraient dans le réel ou même s’il y a eu ce virement dont nous parle, ce virage dont nous parle Lacan qui fait que de la jouissance du S1 pourra venir, mais ce S1 ne sera jamais dans le lot des S1 qui s’accrochent au S2 parce que il l’a bien montré, surtout dans le Séminaire Encore, il avait commencé à en parler avant, mais quand il y a ce qui est là, ce qui vire à la comptabilité, qui fait, qui marque le S1, ce n’est pas des S1 qui vont se trouver dans le lot des S1 s’articulant à S2.
XXXXX :
Moi j’ai encore un étonnement, finalement Madame Faladé, vous nous présentez le rapport maître esclave comme quelque chose renvoyant au rapport sado-masochiste ?
Solange Faladé :
Non, non, je n’ai pas dit ça, j’ai dit qu’il y avait des choses qu’on oubliait dans cette dialectique, lui, Gregory n’a jamais été l’esclave de Mandela
XXXX :
Voilà c’est ça, c’est la nuance, ce n’est pas la même chose qu’aux Caraïbes où on a une autre vision de l’esclavage.
Solange Faladé :
Je ne vous dis pas que c’est la même chose et loin de moi de dire que c’est ce qu’il y a de souhaitable, quand même j’en fais suffisamment partie pour savoir que ça n’a rien de souhaitable, mais il y a bien quelque chose qui est oublié et, lorsque j’aurai fini le travail que je suis en train de faire, je montrerai cette place que ceux qui ont été mis en esclavage, cette place que ces personnes ont, et qu’il y a là quelque chose à reconnaître et une gratitude à avoir à leur endroit, mais je ne vais pas aller plus vite pour ce que je suis en train de mettre en place. Je ne dis pas ça, et j’ai toujours pris soin de vous dire que lui, Gregory, n’était pas esclave. S’il s’est mis particulièrement à faire en sorte que Mandela puisse avoir les biens nécessaires pour qu’il accomplisse ce qu’il a à accomplir et déjà en présence lorsqu’il lui a reconnu ceci, non pas uniquement pour lui, il a dit pour la nation sud-africaine. C’est autre chose.
Non, non, je ne dis pas, loin de moi ceci, n’empêche que l’esclave dans la société grecque a beaucoup apporté, Esope et compagnie, ils étaient quand même des esclaves !
M. Bonnet-Bidaud :
Je trouve que justement Gregory est un exemple parfait de la liberté du sujet.
Solange Faladé :
C’est vrai, vous avez raison, tout à fait.
M. Bonnet-Bidaud :
Voilà. Quand vous avez expliqué comment il reconnaît, il reconnaît la castration, mais il a sa liberté de sujet qui lui permet de vivre avec cette loi.
Solange Faladé :
Oui, justement la question du sujet, j’ai dit que je la laissais en suspens parce que ça mérite qu’on s’y arrête vraiment. C’est vrai, cet homme, par rapport à la réglementation, à ce à quoi il a à se soumettre, il le sait, la marge de liberté qu’il peut avoir il se l’approprie, face aux autres geôliers parce que je n’ai pas du tout parlé de ce qu’il a eu à vivre avec les autres geôliers qui l’ont traité de tous les noms, d’enculé et j’en passe...
Il a quand même pu tenir et, véritablement, il a montré cette liberté qu’il avait puisqu’il était prêt, il avait donné sa démission, donc il allait repartir à zéro, marqué d’une façon qui n’était pas favorable puisqu’on ne voulait pas le laisser quitter l’île. Donc c’est vrai, cet homme...d’ailleurs il n’aurait pas pu être à cette place s’il n’avait pas eu cette liberté.
M. Gajewska :
Je voudrais revenir sur la question de la transgression parce que là, dans ce cas-là, vous dîtes que c’était quelqu’un qui était fonctionnaire, qui respectait la loi. Il y a un moment, il y a quand même une transgression extraordinaire puisque vous dîtes qu’il récitait les lettres et est-ce qu’il ne faut pas replacer ça, quand même, parce que maintenant on dit que Mandela c’est un chef d’état etc. Mais, à l’époque pour cette personne, Gregory, c’est quand même se mettre dans une situation extrêmement grave par rapport à la loi. Il n’y avait pas de pouvoir noir, il y avait des gens qui étaient toujours en danger de mort, Mandela était extrêmement isolé, il y avait quand même l’apartheid, c’était un système extrêmement violent. Donc, Gregory à un moment il y a une transgression et il y a quelque chose, le mot a été employé d’un basculement.
Est-ce que vous, ce basculement, comment est-ce que vous le reliez justement à l’enfant Bafana ? Qu’est-ce qui a pu se passer, il y a quelque chose qui a été inscrit ?
Solange Faladé :
C’est-à-dire que lui, Gregory, a toujours dit qu’il ne devait pas se nuire. Le règlement, il l’appliquait alors que les autres geôliers ne l’appliquaient pas forcément puisqu’ ils allaient dans le sens d’une cruauté qui ne leur était pas forcément demandée. Lui, Gregory, l’appliquait mais comment maintenant tourner la chose, c’est vrai, et ceci, il ne l’a trouvé que très tardivement, les premiers temps, comme je vous ai dit, les premiers temps, il leur disait : il faut rédiger la lettre de telle façon pour que ça puisse être accepté. C’est vrai, il a tourné la chose, il a tourné le règlement qui lui était imposé mais je pense, déjà à cette époque-là, il avait dû se rendre compte que pour la nation sud-africaine il y avait quelque chose qui devait se faire et qui devait permettre que toutes les races de ce pays puissent se parler. C’est vrai, il a tourné la loi d’une façon intelligente, mais il l’a tourné quand même, c’est vrai.
Alain Jamain :
Très vite alors, pour reprendre les choses au point où on dit : jamais Gregory ne devient l’esclave de Mandela, est-ce qu’on ne peut pas dire que, dans ce que vous nous avez apporté, vous nous montrez bien en quoi cette histoire peut illustrer la mise en place du discours du maître d’une certaine façon, mais ça, c’est la mise en place qui au début de l’histoire se fait, mais l’histoire ne se termine pas dans le discours du maître, c’est-à-dire est-ce qu’on ne pourrait pas dire qu’il y a changement de discours même entre ces deux hommes, entre la rencontre, la mise en place du discours du maître et puis ça n’en reste pas là et le signe c’est bien de l’amour dans cette histoire ? Quand il y a de l’amour, il paraît que c’est le signe que ça change de discours.
Solange Faladé :
Ecoutez, Gregory n’était pas l’esclave de Mandela parce que Mandela ne lui a jamais rien commandé, Mandela ne lui a jamais dit : « Viens ici, va là-bas, jamais. Mandela est resté le prisonnier, c’était celui qui le matin faisait son lit alors qu’on aurait pu le faire pour lui, qui se proposait d’aller faire la vaisselle avec le geôlier qui était chargé de sa nourriture. Mandela n’a jamais traité Gregory comme un esclave, Gregory s’est mis au service, Gregory a fait en sorte qu’il puisse avoir ce dont il avait besoin, les livres dont il avait besoin, le calme qui lui était nécessaire à partir du moment où il s’est trouvé seul et qu’il commençait à y avoir les négociations et que le pouvoir politique était contraint d’être pour....mais il n’a jamais, jamais été l’esclave de Mandela. Mandela ne lui a jamais demandé de faire ceci ou cela, jamais, jamais. Mandela ne lui a jamais commandé de faire ceci ou cela, Non, je crois qu’il faut l’avoir bien à l’esprit. C’est dans l’Evangile qu’on dit : quand je dis à mon serviteur viens ici, il vient, va là-bas, il va. .Jamais, donc en cela il n’était pas l’esclave de Mandela.
Qu’un certain amour ait pu s’établir entre ces deux hommes, pourquoi pas, il y en a bien un entre un père et son fils. Il n’a jamais été à une autre place, ce serait beaucoup plus quelque chose de paternel avec ceci quand même que lui, Gregory, a été témoin de ce qui avait pu faire souffrir cet homme, donc aussi de la faille qu’il y avait chez Mandela.
J’ai dit tout cela un peu trop vite pour pouvoir mettre l’accent sur certains points, c’est pour ça que je n’ai pas voulu parler de la dialectique du maître et de l’esclave mais je vous ai dit d’où je suis partie, du travail que je suis en train de faire actuellement. Mais, encore une fois, Gregory n’a jamais été l’esclave de Mandela.
D.Chouraqui :
Je voudrais simplement revenir sur un terme de vocabulaire : quand vous dites, Madame, qu’il a appliqué la loi, moi, je penserais plus facilement qu’il l’a interprétée et à propos de la loi, je crois qu’on voit tous les jours qu’une loi, y compris le code civil et le code pénal, ça s’interprète.
Solange Faladé :
Non, c’est le règlement, ce n’est pas la loi de l’Etat, c’est le règlement qui est celui imposé aux geôliers et comment appliquer ce règlement sans démoraliser ces hommes. Ca a été ça le premier temps, tout en ne se nuisant pas, puisqu’il était...on l’avait à l’œil, cette espèce de geôlier qui ne ressemblait pas aux autres, d’ailleurs il a failli se faire matraquer, on l’avait à l’œil, donc il était sur ses gardes. C’est le règlement, la loi, ça, il n’y pouvait rien, si c’était venu en haut lieu qu’on devait pendre haut et court Mandela, il ne pouvait rien faire, il n’aurait pas pu tourner, mais c’est le règlement. Et le règlement, ce n’était pas de l’interpréter, c’était de voir comment il pouvait l’appliquer, et puis, à la fin, comment il pouvait le tourner. Parce que, vous savez, aller jusqu’à apprendre les lettres par cœur, les laisser dans le dossier et puis ensuite aller les réciter là-bas, non ce n’est pas la loi, c’est avec le règlement qu’il jouait, d’ailleurs il insiste beaucoup sur ça et quand il était, avant d’être dans l’administration pénitentiaire, il avait à s’occuper du maintien de la circulation, il traitait de même façon les noirs et les blancs, ça avait été connu, ses chefs le lui avaient reproché en disant…etc.
Non c’est au niveau du règlement que jouait Gregory"