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D’une question préliminaire

Une transcription de l’intervention de Solange Faladé de samedi 03 decembre 1983

12 mars 1983
Document de travail

"La séance d’aujourd’hui peut s’appeler : "En guise d’introduction".

Ce texte de Lacan, cet écrit, intitulé "d’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose" est un écrit unique de Lacan, unique en ceci que c’est le seul écrit de ses séminaires que nous ayons. Il se proposait de faire un écrit du séminaire sur "L’Ethique" mais ceci n’a pas été réalisé.

Cet écrit, Lacan l’avait annoncé dans la Société Française de Psychanalyse. Il nous avait dit qu’il préparait quelque chose qui nous permettrait de mieux saisir ce qu’il était entrain de nous enseigner chaque mercredi, dans ce séminaire intitulé " les structures Freudiennes dans la psychose" et qu’on appelle plus communément maintenant "les psychoses".

Comme il le dit dans sa présentation, ce séminaire comprend les deux premiers trimestres de son enseignement et s’y ajoute une partie de ce qu’il a dit l’année où il a enseigné " la relation d’objet" et le début des "formations de l’inconscient".

Il me semble important de resituer cet écrit en son temps, c’est-à-dire de bien montrer ce qui dans l’enseignement de Lacan en avait nécessité l’écriture. C’est vrai, l’étude du Pr. Schreber était annoncée depuis un certain temps. Dans chacun des séminaires qui ont précédé, il disait : je pense que maintenant nous en arrivons à un point où nous allons pouvoir étudier le cas du Pr, Schreber. Donc cette étude était attendue et devait faire suite au commentaire qu’il y avait eu des cinq psychanalyses, l’homme au rat, l’homme au loup, Dora et puis le petit Hans.

Il y avait ça, certes, mais il y avait aussi ce qui se passait chez les analystes et en particulier dans la S.F.P, où des psychiatres, jeunes à cette époque-là, certains étaient encore internes, s’intéressaient au traitement des psychoses - paranoïa, schizophrénie - qu’ils pouvaient rencontrer. Nos réunions étaient faites souvent autour du travail qu’ils faisaient. Alors on discutait pour savoir si la psychanalyse pourrait aider au traitement de la psychose, pourrait permettre d’en comprendre quelque chose. En ce temps, ce souci là n’était pas propre à notre groupe, puisque les autres sociétés aussi se demandaient si la psychanalyse avait apporté quelque chose à la psychose, et pensaient que Freud s’était essentiellement intéressé à la paranoïa. C’est en fonction de cela que ce que je vais dire aura un sens. Et je vais partir de ce qui se posait à nous et de comment nous posions la question à cette époque là, à savoir : Est-ce que l’appel qui nous vient du psychotique est à recevoir comme la demande que nous adresse le névrosé ?

Ceci est une première question et la réponse qu’on peut y faire est importante pour la suite puisque l’attitude qu’on adoptera en dépend.

Si cet appel du psychotique peut être reçu comme une demande du névrosé est-ce que ça suffit pour que la réponse qui sera donnée puisse être la même que ce qui est proposé au névrosé : est-ce que de ce fait on peut engager une psychanalyse ? C’est dans ces termes que nous nous posions ces questions à ce moment-là. Notre première question était donc : comment recevoir cet appel qui nous vient du psychotique. Car, pour engager une psychanalyse, il faut savoir d’où et comment apporter une réponse.

Les manifestations que nous pouvions observer chez le psychotique et qui souvent pouvaient dans certains cas être confondues avec des manifestations symptomatiques venant des névrosés, comment les interpréter ?

Si cet appel est reçu comme demande, que faire du transfert que l’on qualifie de massif chez le psychotique. Donc comment interpréter les manifestations symptomatiques, que faire du transfert ? C’était autant de questions que nous posions.

Je pense que lorsque nous en parlions, il y avait de la part de Lacan et un encouragement à nous intéresser à cette question et aussi, un frein qui était de nous dire qu’il y avait un parti à prendre, qu’il y avait à départager, à savoir si on avait à faire à une névrose ou à une psychose, que c’était là un point de départ tout à fait essentiel. C’est ainsi que la question de la structure s’est imposée dans ce que Lacan nous apportait à cette époque et avec cette notion de structure, il soulignait que se posait aussi la relation avec le signifiant.

Pour la structure j’ai retrouvé dans un passage des "psychoses" ce qu’il en dit : c’est un ensemble d’éléments co-variants et ce qui se passe dans la psychose qui intéresse tout principalement le signifiant, c’est que des signifiants primordiaux, un signifiant est rejeté.

A l’époque du séminaire, il insistait bien sur le fait que c’était de ce corps de signifiants primordiaux qu’il fallait partir, signifiants primordiaux que le Schéma R peut résumer, c’est-à-dire : la mère, le père, l’enfant et ce qui du fait de ce qu’est la mère, ce qu’il en est de son désir. Ce désir il le désignait alors par le petit phi, le phallus imaginaire, qu’ensuite il appellera le moins petit phi.

Donc, il y avait là à se poser cette question de la structure et pour la poser, il partait de ce qu’il a appelé les signifiants primordiaux. II insistait sur le fait que dans la psychose, un de ces signifiants était rejeté du corps des signifiants et ce rejet il l’appelait : "Ververfung".

C’est sûrement des points sur lesquels nous aurons à nous arrêter au cours du travail de ce texte puisque à propos de cette structure, de ce qui là se discutait, il y avait un certain nombre de questions qui étaient soulevées autour de ce qui nous semblait être des éléments symptomatiques. Entre autres, ce que Freud appelait l’homosexualité chez Schreber, est-ce que ça avait à voir avec l’homosexualité perversion ? et Lacan de nous montrer qu’il ne s’agissait absolument pas de la même chose. Chez le psychotique il y avait le rejet de ce signifiant primordial (et pas n’importe lequel) qui était celui qui devait venir à la place du père, celui que plus tard il a appelé le Nom-du-Père et que ce signifiant qui donnait sens aux autres signifiants, chez le pervers, on le retrouvait. Il était bien là en place pour le pervers. Je me souviens entre autre de ce que l’on discutait autour de Sade et de la fin de Sade : Etait-il devenu psychotique ou pas ?

Reprenant les traits structuraux, Lacan nous faisait remarquer que chez Schreber on ne pouvait pas retrouver ce qui pouvait être là, désir de la mère : ce phallus imaginaire. Chez le pervers non seulement on le retrouve mais comme vous le verrez à certains passages de ce texte, il y a une identification à ce phallus imaginaire. Il nous donnait l’exemple du fétichiste qui après avoir désavoué ce qu’il savait (qui était que la mère n’avait pas le pénis) il n’en déclarait pas moins par son symptôme qu’il était ce phallus qui manque à la mère et que de ce fait la mère l’avait.

C’était donc là un trait important qu’il nous signifiait en s’appuyant sur ces signifiants primordiaux. Voici pour la distinction entre le pervers et le psychotique.

Il y avait aussi un autre point qui était soulevé autour du mystique. Autour des délires mystiques et Lacan faisait remarquer que ce n’était pas parce qu’il y avait des délires mystiques que tous les mystiques étaient des psychotiques. Dans ce texte il montre comment les appels de Schreber à Dieu contrairement à ceux des mystiques sont confus et comment en tout cas ce Nom-du-Père qui est toujours appelé par Schreber ne viendra jamais là s’inscrire à la place où il devrait se trouver. Chez le mystique l’appel qu’il adresse à Dieu, c’est à un Dieu qui est là. Ça n’avait rien à voir avec cette forclusion chez Schreber. Plus tard lorsque Lacan a écrit les formules de la sexuation il nous a bien montré que la mystique s’inscrivait du côté du "pas tout", du côté où la femme se présente comme barrée. La femme n’existe pas ; chez Schreber là où ce « moins petit phi » devrait être et ne pouvait pas s’y trouver du fait de la forclusion, du rejet de ce signifiant : Nom-du-Père, il y avait là quelque chose qui faisait que lui Schreber dans l’évolution de sa maladie à un moment se sent devenir "La Femme". Il devient la Femme qui manque à tous les hommes. C’est là aussi une distinction importante, structurale, entre le mystique et le psychotique.

Ces questions de structure étaient abordées par Lacan à partir des signifiants primordiaux mis en place dans les triangles symboliques et imaginaires. Est-ce que la psychose guérissant l’obsessionnalité en est le témoin ?

Avant les vacances Bourdiau nous a présenté un travail sur ce schéma R et I. Il nous a montré comment ce Nom-du-Père toujours appelé et jamais venu à cette place, comment à cause de ceci on ne pouvait pas penser que cette hyperbole, même si on arrivait à la suturer, cette suture puisse rester. A cette époque nous n’avions pas remarqué ce qu’il en était de l’hyperbole mais ce que Lacan nous disait nous permettait de dire que si guérison il y avait, la cicatrisation ne pourrait jamais apporter quelque chose qui serait de l’ordre d’une névrose. De même pour l’obsessionnel l’aggravation ne pourrait jamais se faire vers la psychose du fait de l’inscription du Nom-du-Père (même si le père, selon la formulation d’alors, est le tiers exclu) et du désir de la mère.

Donc, Lacan reprenant ce que Freud avait apporté autour de l’Oedipe, sous ce terme de métaphore paternelle, autour de ces quatre signifiants primordiaux faisait qu’il n’y avait plus ces questions que posaient les premiers analystes à savoir s’il pouvait exister des névroses sans Oedipe.

L’importance de la structure sera reprise très longuement autour de ce que nous allons faire.

Le point essentiel était donc mis autour de la structure qui nous permettait de nous y retrouver, de ne pas espérer ce qui n’était pas possible : c’est-à-dire de faire de ce psychotique un névrosé.

Il nous a fallu reprendre le cheminement même de Freud. Dès 1894, s’adressant à Fliess, il avait eu ce cri triomphal : Il pouvait appliquer aux psychotiques ce qu’il appliquait aux autres, névrosés, hystériques et obsessionnels, et essentiellement quand il faisait de l’hypnose. Grâce à elle il avait conclu que l’on pouvait ranger au moins la paranoïa dans les psychonévroses. Tout au long de ce premier temps de son travail c’est toujours de ces trois formes cliniques qu’il parle. Donc Freud lui-même nous avait mis sur cette route de penser que ce qu’il trouvait, sa découverte pouvait s’appliquer au moins à un cas psychiatrique à la paranoïa.

Puis il y a eu la rencontre avec Jung, et par son intermédiaire correspondance avec Bleuler. C’est un point important pour la théorisation de Freud. Toutes ces discussions entre Freud, Jung, Bleuler ont amené à ce que Freud reprécise ce qu’il en était du moi (on verra que dans le Pr. Schreber ceci tient une place non négligeable). C’est repris également par Lacan autour du schéma Z du schéma L. Donc, il y a eu de par cet échange entre Freud Jung Bleuler, pour Freud une nécessité de reconsidérer le moi, le moi idéal et la question du narcissisme qu’il a dû introduire.

Les discussions entre ces trois hommes ont abouti à ceci que Freud ne s’est plus intéressé à la schizophrénie et ce cas qui l’intéressait, les mémoires de ce névropathe qu’il avait en main, ce cas il l’a appelé paraphrénie et il a essayé d’en faire une analyse à partir des mémoires. Tous ici se reporteront à ces mémoires de Schreber ne serait-ce que pour pouvoir suivre un certain nombre d’explications que Lacan fait dans ce texte autour de la psychose.

A propos de Schreber, j’ai relevé pour ce soir et pour introduire ce que sera notre travail, ce point qui concerne l’hallucination. Lacan nous dit que Schreber lui-même dit qu’il a une voix. Lacan insiste sur ce point que c’est à prendre comme cela ; Tout ce qui a pu se faire comme travaux autour des hallucinations verbales : Savoir d’où ça pouvait venir, savoir si le malade remuait ou pas effectivement les lèvres... Lacan estime qu’en fait : c’est à prendre au mot. Accepter qu’il dise qu’il entend une voix. Il entend une voix. Posant les choses de cette façon il souligne que dès qu’il y a un signifiant il y a voix. Ceci mérite que l’on s’y arrête, que l’on réfléchisse et qu’on essaie de voir par rapport au schéma Saussurien, en quoi là Lacan en diffère. Dans ce texte "d’une question préliminaire" à propos de l’hallucination et parlant des paradoxes de la perception de la parole il dit que le Sensorium n’a rien à voir avec la voix entendue. Cette voix est séparée et peut-être distribuée. C’est toute la question de la séparation et de l’objet (a) qui est posée. Il nous en donne un exemple avec son observation : "truie" entend-elle. C’est un signifiant, et lorsque au cours de son entretient, il parvient à lui faire préciser, elle dit "je viens de chez le charcutier". Donc autour de cette articulation de signifiant - et c’est important aussi dans l’hallucination - et de cette particularité de la voix qu’il nous signale, cette question de la séparation sera par nous travaillée.

De même ce qu’il nous dit autour des paradoxes de la perception de la parole que ce soit par rapport à ce qui nous vient de "l’A" ou par rapport à ce qui vient de soi-même on n’a pas besoin non plus de Freud. Avant Freud cela pouvait être analysé et on pouvait s’apercevoir de ces points. Pour ce qui est des paradoxes de la perception par rapport à autrui il insiste sur la suggestion qu’il y a lorsque l’on entend la parole de "l’A". Pour nous ici c’est un point qui doit nous retenir par rapport à l’expérience psychanalytique. Vous savez que si Freud a essayé de se dégager de la suggestion, on retrouve néanmoins tout au long de son enseignement - presque jusqu’à la fin - des questions concernant cette suggestion. Il essaie de nous montrer comment nous devons nous en défendre. La conduite thérapeutique avec le psychotique doit tenir compte de ce pouvoir de suggestion.

Pour terminer avec cette question de l’hallucination tout en faisant remarquer que pareille analyse pouvait se faire avant Freud, il n’en demeure pas moins que c’est par cette phrase que Lacan clôt ce chapitre : "Il n’est pas moins remarquable que ce soit l’expérience freudienne qui ait induit l’auteur de ces lignes dans la direction ici présentée. Venons-en donc à ce qu’apporte cette expérience dans notre question".

Un point que j’ai souligné et qui prendra également une place dans ce que nous allons faire est le rapport du sujet psychotique et du signifiant. Par ce départ à propos du psychotique ce sont bien les rapports de tout sujet avec le signifiant qui nous intéresseront.

Pour conclure, je vais reprendre de là où nous sommes partis et savoir si après avoir pu faire ce départ entre les différentes structures qui nous intéressent, après avoir pris la mesure de ce qui représente la difficulté du psychotique qui est cette forclusion du Nom-du-Père après avoir été mis en garde par ce fait que la parole de l’Autre a un pouvoir suggestif, qu’en est-il alors de ce traitement ? Ce qui est sûr c’est que Lacan termine en nous disant qu’il n’en dira rien. Et c’est important puisque lorsque nous attendions ce séminaire il nous avait été annoncé comme : Lacan va traiter cette année du traitement des psychoses. Il a rectifié dès la première réunion pour dire qu’il n’en était rien et qu’il parlerait des structures freudiennes dans la psychose.

Que dire du traitement des psychotiques ? Je vais évoquer une réunion que j’avais suscité fin 1973 autour des présentations que faisait Lacan - réunion qui s’était tenue dans le local de l’EFP à quelques uns et Lacan était venu participer à nos réflexions - et lorsqu’on lui parla du traitement, il nous dit simplement ceci : "Moi je ne peux pas vous dire grand chose. Certains continuent à venir me voir et je ne sais pas pourquoi. Tout ce que je sais c’est que ceux qui continuent à venir me voir, je continue à les suivre. Pour les autres je ne peux pas vous dire. Je ne sais pas pourquoi ils ne reviennent pas". Il nous parlait tout à fait sérieusement. Ici à Ste Anne, il lui est arrivé de nous dire qu’il lui était bien difficile d’en dire plus que : c’est mon expérience qui me dit que c’est comme cela. C’est sur ça que je voulais terminer en introduisant ce travail autour de ce texte "d’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose".

J’ai choisi cet abord parce que c’est ce que j’ai vécu qui m’a attachée à ce texte. J’ai voulu en aborder l’étude par rapport à ce qui était notre question et qui est peut-être encore la vôtre."