Accueil / Espace membres / Archives / Solange Faladé / Le symptôme / Le symptôme XVII

Le symptôme XVII

11 décembre 1990
Document de travail

Un rectificatif à l’écriture que je vous ai donnée la dernière fois du sujet de la science et du sujet de l’inconscient. Au moment où je l’écrivais je savais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je crois que c’était en fin de parcours. Le sujet de la science est barré également puisque Lacan en fait l’équivalent du sujet hystérique, mais le sujet de la science s’efforce de suturer l’objet petit a qui divise le sujet et vous savez que dans l’écriture, dans le discours de l’hystérique cet objet petit a se trouve ici en position de vérité, donc caché.

Nous passons à ce qui est l’objet de notre rencontre de ce soir. J’aurai voulu pouvoir l’intituler – un conte de fée – mais il n’en sera rien. J’ai du passer deux soirées au coin du feu, du feu des cheminées, puisque j’étais dans la partie de l’arrondissement qui s’est trouvée sans électricité et donc, ces deux soirées m’ont manqué pour que je puisse faire de ce que je vais vous dire ce soir quelque chose qui pourrait être intitulé – un conte de fée - ça nous porte au manuscrit K (1) de Freud qui vous le savez a été intitulé par lui – un conte de fée – manuscrit qu’il a envoyé à son ami Fliess. Et ce manuscrit K où il est question des névroses de défense a, vous le savez, une place tout à fait importante dans ce que Freud est en train de découvrir. Donc, ce ne sera pas un conte de fée ce soir.


Le sujet de la Chose

Je vais revenir sur un certain nombre de points qui ont arrêté certains d’entre vous, un certain nombre de points qui méritent d’être repris.

J’ai fait pour cela ce graphe que j’aime particulièrement qui ne se trouve pas dans les Écrits, dans Subversion, c’est le graphe de l’infans de celui-là qui ne parle pas encore, ce vivant qui ne parle pas encore, mais qui, parce qu’il est vivant, rencontre par son cri, par ses gestes, rencontre l’Autre. Et vous savez qu’il va recevoir une réponse de cet Autre, une réponse qui est toujours une réponse à coté, une réponse mensongère, car l’Autre fait comme s’il savait à quoi correspondent le geste de l’enfant, le cri de l’enfant, le mouvement de l’enfant. Il n’en sait rien. Si j’y reviens ce soir sur ce graphe, c’est parce que la dernière fois je vous ai parlé du sujet, de ce sujet qui émerge des signifiants qui le recouvrent et Lacan dit que c’est le sujet de la Chose.

C’est l’occasion pour moi de reprendre ce que l’année dernière et déjà l’année qui a précédé, ce que j’ai pu vous dire concernant ce qui va se jouer pour cet infans.

Ce qui va se jouer pour cet infans, puisque là on est dans le réel, que ce qui l’entoure ex-siste, je vous avais dit, et ce n’était pas bien dire les choses, que lorsque le signifiant vient à rencontrer ce réel, ce S1, lorsque le signifiant vient à rencontrer ce réel, il se passe quelque chose qui fait que ce qui a ex-sisté, ce qui est là ex-sistant va venir à l’existence. Ceci a arrêté certains d’entre vous, et j’ai essayé de voir pourquoi cette façon de dire les arrêtait. Cette façon de dire les arrêtait parce que ça fait allusion au jugement d’existence dont parle Freud dans son article de la Bejahung, jugement d’existence qui fait suite au jugement d’attribution.

En reprenant ce que Lacan dit dans sa réponse au commentaire de Hippolyte – parce que je voulais revenir sur ce problème de l’Austossung et de la Verwerfung, j’ai trouvé, et c’est effectivement comme ça que les choses se disaient puisque la question de l’être était tout à fait à l’ordre du jour à cette époque-là, Heidegger ayant une place non négligeable dans ce que Lacan apportait – Lacan dit qu’il faut que quelque chose du réel s’offre à la réalisation de l’être (12). C’est un peu ce que la dernière fois autour du wo es war soll ich werden je vous ai dit : Il faut que quelque chose s’offre à la réalisation de l’être. Ce quelque chose se laisse être pour que lorsque le signifiant va venir à la rencontre du réel, il puisse y avoir ce oui au signifiant.

Ce oui au signifiant c’est cette Bejahung, mais lorsque cette Bejahung se dit, ce oui au signifiant, il se passe quelque chose qui est que cet infans qui a cru rencontrer ici l’Autre lorsqu’il commence à parler, croit s’adresser à l’Autre, croit trouver à cette place où il pensait avoir rencontré l’Autre, croit que là il va rencontrer l’Autre. C’est à dire que il pense que cet objet, cet objet qui ici se trouvait cet objet il va le retrouver.

Or cet objet, la mère, n’est pas son objet. Cet objet est l’objet du père. Cet objet est l’objet du père d’une part, et d’autre part elle est occupée par autre chose. Elle est occupée par ce qui est son propre manque. Et vous savez que dans l’écriture que Lacan donne des formules de la sexuation, pour ce qui est du coté Femme – je le fais très rapidement - il y a cette relation ici à ce S(A barré), nous sommes ici du coté Femme, La Femme n’existe pas, et ici nous avons le grand PHI. Du coté Homme je ne l’inscrit pas. Ce qui est intéressant pour ce soir c’est que lorsque l’enfant pense pouvoir trouver à cet endroit cet objet, il trouve un vide, il trouve un rien parce que là, la mère, l’objet ne s’y trouve pas. Et se référant à ce que Heidegger dit de la Chose, Lacan nous dit que l’enfant va autour de ce vide, autour de ce rien, avec ce signifiant qui vient de faire son entrée, si je puis dire, dans son monde, va graviter autour de ce vide, va faire que se mette en place quelque chose de l’ordre de ce que fait le potier. Et ce quelque chose qui se met en place, cette Chose c’est ce Das Ding, ce Nebenmensch, ce prochain plus prochain que quiconque mais qui est un vide. Et donc, étant en relation, fabriquant si je puis dire avec le signifiant ce vide, il met aussi en place l’Autre, le grand Autre, l’Autre qui est ainsi une place évidée de jouissance.

En effet au cœur de ce qui vient là d’être mis en place par le sujet par celui-la qui a la parole, il y a cette place vide et au cœur de cette place vide il y a cette jouissance interdite. Au cœur de la Chose il y a cette jouissance interdite. Nous en avons parlé la dernière fois. Cette jouissance interdite c’est, comme je vous ai dit, le corps de la mère ; mais c’est aussi tous les dits du sujet, c’est à dire toute cette gravitation que fait le sujet avec ce signifiant, ce signifiant qui permet de mettre une barrière, de faire un renforcement autour de la Chose. Et croyez moi, c’est une réalité. Ce réel qu’est la Chose, c’est une réalité. Et la clinique nous permet parfois d’avoir à en savoir quelque chose. Et lorsque vous avez à faire à une personne, à un sujet qui est, si je puis dire, malade de la Chose, qui est aux prises avec la Chose, la vie est difficile à vivre surtout lorsqu’il a le sentiment qu’il n’y plus aucune barrière entre lui et ce vide. Et croyez moi, le vide peut se rencontrer à tout instant : ça peut être le vide de la cage d’escalier, ça peut être ce vide qui dans la rue vous poursuit et ne s’arrête nulle part, et croyez moi, dans les dits du sujet, ce que Lacan nous dit de cette jouissance interdite à qui parle, vous l’entendez. C’est à dire que, entre les dits du sujet, c’est véritablement de la jouissance dont il est question.

Donc, l’infans, lorsqu’il parle lorsqu’il a pour instrument ce signifiant, va faire cette expérience de ceci, de ce Das Ding, de ce prochain plus proche que n’importe quoi, mais qui est un vide. Et c’est autour de ce vide que va se mettre en place ce grand Autre qui est un lieu, une place évidée de jouissance.

Donc, il y avait ce point que je voulais reprendre. Et vous pouvez comprendre ainsi que lorsque le sujet émerge des signifiants qui le recouvrent, de tous ces signifiants S1, c’est à dire ces signifiants qui forment le corps du grand Autre, ces signifiants qui forment ce – ça parle de lui -, vous pouvez comprendre ainsi que le sujet qui vient de se mettre en place est aussi le sujet de la Chose. Il est le sujet de la Chose, et ça se retrouve dans toutes les structures. Et c’était ce que je voulais retrouver chez Freud lorsqu’il en parle dans ses premières lettres, ses lettres autour de 45- 46 - je vous donne le numérotage - lorsqu’il en parle à Fliess et que Lacan, immédiatement lors de ses premiers séminaires sur l’Éthique, reprend lorsqu’il nous parle de Das Ding, le sujet et la Chose, aura une relation différente selon qu’il est sujet hystérique, la Chose se monter alors insatisfaisante, qu’il est obsessionnel, et d’avoir trop jouit de la Chose ne rend pas la vie plus aisée. Quant au psychotique, il a aussi à faire avec la Chose. Il ne faut pas oublier que le psychotique est un sujet, un sujet barré, barré par le signifiant, mais lui le psychotique, ne va pas croire à ce qui est là, au cœur de cette place. Donc, sujet du signifiant mais aussi sujet de la Chose.

Alors, j’ai mis en place ce oui au signifiant, cette Bejahung qui suit la réalisation de l’être, cette Bejahung qui va avoir un sort différent, si je puis dire, selon les structures.

Mais tout d’abord, parlons du névrosé, parce que lorsqu’on relit la réponse de Lacan au commentaire d’Hyppolite, (2) si on s’en tient à ce qu’il dit là à propos de cette Bejahung - si on s’en tient à ce qu’il a dit à cette époque - et de ce qui va suivre cette Bejahung, alors il ne peut y avoir que confusion, parce qu’on lit que il y a Bejahung, il y a à propos de cette Bejahung, de ce jugement d’attribution, il y a l’introduction dans le moi, c’est l’Einbezieung ins Ich, et il y a aussi l’Ausstossung hors du moi. Et à propos de cet Ausstossung que Lacan traduit par expulsé, traduction qu’il gardera toujours, il en fait pratiquement,- prenons le thème de l’Homme aux loups - il en fait pratiquement l’équivalent de la verwerfung, très exactement il dit que cet Ausstossung, ce qui est là expulsé, c’est en fait le réel. C’est ce qu’il dit à cette date.

Et reprenant ce texte, j’ai mieux compris ce qui avait pu embarrasser certains d’entre vous, car moi, j’étais avec les discussions qui ont suivit autour de cet Ausstossung, discussions qui ont mené Lacan à dire dans le séminaire Les quatre concepts fondamentaux, qu’en fait, cet Ausstossung, cet Unlust, il n’en fait plus le réel. Déjà dans le séminaire sur l’angoisse, à propos de ce Unlust, l’Unlust c’est l’équivalent de l’Ausstossung. Souvenez vous. Il y a cette Bejahung. Il y a cette admission de signifiants, ce qui est jugé bon est introduit à l’intérieur du moi, introduit dans le sujet – je traduis Lacan - et ce qui n’est pas jugé bon, ce qui est mauvais pour moi est expulsé, c’est cet Ausstossung. Cet Ausstossung fait parti donc de l’Unlust. Et dans le séminaire sur les quatre concepts Lacan dit que cet Unlust c’est le champ de ce qui sera bon à connaître pour moi (3).

Naturellement on ne trouve pas toujours trace dans les textes de Lacan, ou plus exactement si on n’y prête pas suffisamment attention, on peut ne pas remarquer les rectifications, car il lui arrive de rectifier le tir premier, les rectifications qu’il a apporté. Et donc penser que cet Ausstossung il y a à en faire véritablement le réel ? Non. S’il a dit les choses ainsi dans un premier temps, il ne le maintiendra pas. Et d’ailleurs, lorsqu’on relit cette réponse au commentaire d’Hippolyte on voit bien à propos de l’Homme aux loups lorsqu’il prend cette verwerfung où il fait cette traduction autour de cette phrase – un refoulement est autre chose qu’une verwerfung - (4) on voit bien qu’il y a quand même quelque embarras à en faire véritablement l’Ausstossung même s’il dit que l’Ausstossung c’est là le réel.

J’y reviens ce soir parce que ayant repris ce commentaire d’Hippolyte, la réponse de Lacan, pour tout à fait autre chose, pour retrouver ce passage autour de l’être, j’ai retrouvé ce qui n’était plus pour moi aussi présent dans la mesure où j’ai suivi les remaniements, les modifications que Lacan a apportés autour de ce réel, et vous savez qu’il en a apporté beaucoup. Alors, c’est un point important. Et vous savez que, aussi, pour le désir, il y a eut ces modifications qui ont été difficultés pour les élèves que nous étions à cette époque là, puisque c’est au congrès de Royaumont en juillet 58 qu’il a, en fait, fait savoir, fait comprendre que le désir n’était plus désir de reconnaissance. C’est une chose qui a arrêté certains d’entre nous, et c’était une façon pour lui d’annoncer le séminaire qu’il allait faire quelques semaines après, puisque ce séminaire il l’a intitulé le désir et son interprétation.

Donc avec le oui au signifiant, avec cette Bejahung, si on est dans la névrose, il y a certes le refoulement - je ne vais pas revenir sur le développement que j’ai fait ces derniers temps, j’entends l’année dernière et l’année qui a précédée – et sur ce refoulement, parce qu’on est dans la névrose, il va y avoir une négation, négation sur la négation du refoulement : il y aura cette Verneinung. Et c’est cette Verneinung qui est ce qui caractérise la névrosé.

Le difficile, c’est toujours le psychotique, parce qu’il y a suivant cette Bejahung – et il faut qu’il y ait cette Bejahung, il y a ce oui au signifiant, il faut qu’il y ait ce oui au signifiant puisque le sujet est un sujet barré par le signifiant, c’est un sujet qui est aussi dans le langage, il faut qu’il y ait ce oui au signifiant mais il n’y a pas l’inscription du deuxième signifiant – (Solange Faladé note au tableau) - donc il y a ce oui au signifiant qui fait que le sujet vient ici. Il n’y aura pas ce S2. Et c’est parce qu’il n’y a pas ce S2, c’est parce qu’il va y avoir dans la chaine signifiante de celui-là qui devient psychotique, retranchement de ce S2 - c’est la première traduction que Lacan donne de cette Verwerfung – parce qu’il y a retranchement de ce S2, il y aura, dit-il, opposition à la Bejahung. Il y aura cette verwerfung qui viendra là prendre opposition à la Bejahung.

Je crois que ça aussi a pendant quelques temps, en tout cas dans ce que nous avons pu faire ici, troublé certains au point de penser que chez le psychotique, ce qui serait primordial, ce serait la forclusion. Ce qui est primordial c’est toujours la Bejahung puisqu’il s’agit de parle-être - c’est ce que Lacan a forgé pour parler et de l’être parlant le névrosé, et de l’être parlé celui qui est habité par le langage le psychotique, donc il forge le parle-être -. Donc ce qui va se nouer pour le psychotique, c’est qu’il y aura ce retranchement, ce quelque chose qui ne se trouve pas dans la chaine signifiante, qui fait que le sens qui devrait être apporté du fait de ce S2 dans la chaine signifiante et la possibilité qu’il y ait de Nom du Père, ceci ne s’y trouvant pas, vous savez bien que dans certains cas on trouve chez les psychotiques cette possibilité que le signifiant puisse prendre tous les sens puisqu’il n’y a pas ce signifiant primordial, ce Nom du Père qui vient là arrêter le sens. C’est ce point de capiton dont parle Lacan très tôt dans son enseignement et donc on a là des signifiants qui peuvent être ouverts à tous les sens. Il y a forclusion, mais il y a forcement Bejahung au départ.


La relation du psychotique à l’objet du désir de la mère

Un point qui je crois aussi a arrêté certains d’entre vous, c’est la relation du psychotique au désir de la mère, à l’objet du désir de la mère. Cet objet du désir de la mère ; vous le savez, c’est le phallus, c’est ce qui lui manque et certains se posent la question de savoir comment lui, le psychotique, peut avoir cette relation au désir de la mère.

Alors, je reprend à partir de ce séminaire sur le transfert,dont je vous ai beaucoup parlé où Lacan dit que le sujet dès qu’il parle, il est en proie au symbole et dit-il ce symbole il n’y a pas à le mettre au pluriel, il n’y en a qu’un. Il est en proie donc à ce grand phi, au phallus, mais, ce qui va s’en écrire c’est un moins phi. C’est à dire que tout de suite Lacan met l’accent sur le statut imaginaire du phallus. Et c’est avec ce statut imaginaire du phallus que lui le psychotique comme les autres, aura à faire.

Alors pour ça je vais remettre au tableau le triangle familial que Lacan avait apporté lors de ses premiers séminaires : la mère, le père, l’enfant. Et l’enfant aura une relation toute particulière à mère. Il aura une relation sans médiation et parce qu’il a cette relation sans médiation, quel qu’il soit, dès qu’il parle il va avoir une relation avec l’objet qui est l’objet du désir de la mère, avec ce phallus, mais c’est en tant qu’imaginaire, c’est en tant que moins phi. C’est le statut imaginaire du phallus. Donc, le psychotique, comme les autres, a cette relation à l’objet du désir de la mère. Plus exactement, je crois qu’il faut dire le paranoïaque. Le paranoïaque, en particulier lui, a cette relation à l’objet du désir de la mère.

Ça a été pour nous un grand sujet de discussions pour savoir ce qu’il en est pour le schizophrène. Et on nous posait la question, c’était ainsi que les choses se disaient : « Est-ce que la mère du schizophrène est désirante ? » Je crois que vous en trouverez plus que des traces de ces discussions dans ce que Piera Aulagnier a pu décrire à cette époque, même dans ce que Lacan dit et lorsqu’il renvoie au travail que Green a fait sur les vers du schizophrène. La question était de savoir si pour le schizophrène la mère pouvait être vécue comme désirante, quel était le sort du schizophrène par rapport à l’objet du désir de la mère. Si je l’introduis ici tout de suite, je crois que nous n’en avons pour ainsi dire jamais parlé, nous avons toujours parlé du psychotique, si je l’introduis ici ce soir c’est pour vous rendre beaucoup plus sensibles à ce qui se joue pour le paranoïaque.

Pour le paranoïaque je crois que ce problème, en tout cas c’est ce que la clinique nous permet de saisir, se pose tout à fait différemment. (Je crois) que la mère il y a son désir, cet objet du désir, le psychotique paranoïaque aura une relation avec cet objet du désir, avec le statut imaginaire du phallus, mais comme le Nom du Père ne vient pas s’inscrire, dans la chaine signifiante, puisqu’il n’y a pas d’inscription de ce S2, le Nom du Père et le phallus symbolique, disons les choses comme ça, ça éclaire, ne se trouvera pas dans la chaine signifiante du psychotique, du paranoïaque, et donc, le sens de cet objet du désir de la mère, le sens de ce qui manque à la mère, il ne l’aura pas. Cela lui sera signifié, mais le sens lui échappera. Alors, la question était de savoir comment, prenons le cas de Schreber, comment il pouvait se faire que Schreber puisse se déguiser en femme, s’efforcer d’être au plus près de la femme, au plus prés de la féminité et que ceci puisse être l’équivalent du phallus. C’est la question qui se pose à certains d’entre vous. Je crois qu’en reprenant la question préliminaire(5) de Lacan et tout particulièrement ce passage où il nous parle de cette identification du sujet à cet objet du manque de la mère, cette identification phallique, il dit que pour Schreber il y a cette divination de l’inconscient qui lui permet de saisir que ne pouvant être cet objet du manque de la mère, c’est à dire venir à cette place où l’enfant se met pour satisfaire au désir de la mère, ne pouvant pas venir à cette place, il sera la femme qui manque au monde. Et ceci est possible, justement parce qu’il y a une identification, il nous dit, cette identification quelle qu’elle soit, cette identification c’est bien à cet objet, à ce manque de la mère. Ça lui est signifié. Ce qu’il n’aura pas c’est le sens. Et donc, ça lui est signifié et la traduction c’est de se déguiser, d’être au plus prés de la femme. Et Lacan dit que se vérifie cette équation : Girl = Phallus.

C’est à dire, il ne faut pas oublier que le psychotique est lui aussi sujet de l’inconscient, que le psychotique a une chaine signifiante et que ce n’est pas parce que le signifiant qui permet que sens soit donné aux autres signifiants, ce n’est pas parce que ce signifiant manque, fait défaut, ce n’est pas pour cela qu’il n’en a pas moins un inconscient, mais un inconscient avec ce qui caractérise cet inconscient c’est à dire qu’il y a cette ouverture à tous les sens, moyennant quoi le sens, si je puis dire, va à tout jamais lui faire défaut. Ça peut prendre tous les sens mais le sens, celui qu’apporte le Nom du Père, le fait qu’il puisse y avoir là un sens à la castration, un sens à ce qui manque à la mère, le fait que ceci ne puisse pas se trouver dans la chaine ne veut pas dire que la signification du manque de la mère, il ne l’a pas eu.

Sachez que pour le psychotique, lorsqu’on fait ce graphe (Solange Faladé fait au tableau le graphe du psychotique) lui aussi, il aura ici (en s(A)) cet effet de signification. Il y aura ce s(A), même si ensuite on inverse les choses. Il l’a parce qu’il est sujet de la parole parce qu’il est dans le langage même s’il n’habite pas le langage. Il est dans le langage. Il a cette signification, donc il aura cette possibilité, d’une façon qui peut parfois étonner, de faire saisir que le manque de la mère a avoir avec le phallus. Et la façon de le faire savoir c’est ce – déguisé en femme – s’efforcer d’être au plus prés la femme que Dieu lui demande, attend de lui, demande de lui.

Alors pour le schizophrène, je ne vais pas développer ce soir dans la mesure où il y a encore beaucoup de questions. Mais il semble qu’on ne puisse pas dire qu’il y ait ce désir, que la mère se présente à son produit à ce qu’elle porte en elle, à ce qui sera ce reste de jouissance, on ne peut pas dire que quelque chose de ce qui pourrait être pour elle objet de désir on ne peut pas dire que ceci soit signifié au schizophrène. En tout cas on a à le reprendre et le discuter. Et je pense que le travail que Bernard Mary a apporté (6), justement, autour du schizophrène à propos de l’inconscient pourrait nous éclairer. Bon, mais je ne vais pas m’aventurer plus longtemps dans ce qui est du schizophrène, mais je tenais quand même à apporter ceci dans la mesure où se pose la question de ce qui serait cette relation sans médiation avec l’enfant mais où l’enfant saurât... la mère, l’enfant, (Solange Faladé écrit le triangle familial au tableau en le commentant) et qu’au delà de lui il y a un objet qui intéresse la mère, cet objet c’est le phallus.

Donc, parce qu’il est sujet de l’inconscient et qu’il a une relation avec ce qui manque à la mère, le paranoïaque, disons les choses comme cela, le paranoïaque tout du moins et Schreber en particulier peut traduire ceci par le fait qu’il se déguise en femme.

Il y a un statut imaginaire du phallus et le statut symbolique du phallus et pour que sens puisse être donné au statut imaginaire il faut que le statut symbolique puisse être pris en compte par l’inconscient du sujet qui parle.


la question du fantasme dans la psychose : de ce qui pourrait soutenir la réalité du psychotique

J’avais commencé à parler et j’espérais ce soir pouvoir le reprendre, c’était le premier samedi du mois (7), mais ça ne fait rien, puisqu’il est bien difficile de s’intéresser au symptôme, de voir ce qui fait question chez le sujet, il est bien difficile de s’intéresser au symptôme sans que quelque chose du fantasme soit pris en compte. (Il y avait cette phrase) « C’est parce que je ne sais pas qui je suis que je m’interroge et que j’interroge l’Autre ». Il y avait toujours aussi cette phrase : « C’est parce que je ne sais pas qui je suis que je fantasme. » et à partir de là j’ai essayé de reprendre ce qu’il en était du fantasme dans les différentes structures et j’étais arrivée à la structure du psychotique. Je fais ceci très schématiquement et je reprend ce schéma I avec ces deux hyperboles.(Solange Faladé fait le schéma I au tableau en le commentant) Alors je vais vous dire tout de suite que je ne me suis pas souciée de la forme de la surface topologique qui sera obtenue, l’un de vous m’en a fait la remarque et m’a dit que ça ne pouvait être que la bouteille de Klein. Ceci n’est pas pour m’étonner puisque je vous ai dis que une des façons de figurer le sujet a été pour Lacan de nous proposer la bouteille de Klein. Alors donc, ici c’est l’Autre, là devrait venir le sujet (8). Chez le psychotique Lacan a marqué Po et Phi o, Po puisque le Nom du Père ne vient pas s’inscrire. Mais lorsque Schreber s’habille en femme, Freud a remarqué et c’est une chose que l’on sait maintenant, il peut y avoir une stabilisation de la psychose. j’avais ici marqué – La Femme – on ne la barre pas là, et j’avais fait là - la ligature - pour bien montrer que ce qui se met en place là, ce qui va stabiliser le sujet c’est quelque chose qui est transitoire la plus part du temps, en tout chez Schreber ça n’a pas été une stabilisation définitive. Il aurait fallu que ça puisse être une suture pour que quelque chose de définitif puisse s’établir.

Et la question, c’était ce qui se passe ici - forcément puisque nous avons à faire au sujet de l’inconscient, le psychotique est sujet de l’inconscient - lorsque vient en opposition au sujet, reprenons ce que Lacan nous dit dans la question préliminaire, lorsque vient en opposition La Femme, ici aussi quelque chose va se jouer. Ce quelque chose qui se joue m’a-t-on dit, c’est que au niveau de la bande de Moebius, ça va se raccorder de telle façon que il y aura cette bouteille de Klein.

La question que je me posais et je ne peux pas vraiment vous en dire quelque chose qui me donne satisfaction, c’était : qu’est-ce qui se joue au niveau du sujet lorsqu’il y a cette stabilisation parce qu’il est transformé en femme ? Je me suis demandée si à ce moment là quelque chose qui serait le fantasme – je n’ose dire – mais quelque chose qui prendrait en compte ce sujet barré qu’il est, lui le psychotique, et l’objet petit a. Est-ce que ce ne serait pas à ce moment là qu’on pourrait avoir ce quelque chose d’équivalent, puisque la question du fantasme, dès le départ la question du fantasme chez le psychotique a été pour Lacan pas si simple que ça, à donner comme réponse. Il ne nous a pas donné une véritable réponse. Et la dernière fois, je vous disais qu’en fait lorsqu’il nous quittait au moment des vacances de Pâques 56, nous disant qu’il allait apporter quelque chose qui nous éclaire pour le psychotique, lorsqu’il nous a quitté à ce moment là, il mettait en place, année après année, ce qui permettrait de donner une réponse au moins, prenons simplement le fantasme, à cette question du fantasme chez le psychotique, même si au premier abord, lors de nos lectures ou des différents séminaires ceci ne nous apparaît pas comme tel. Mais lorsqu’en 72 dans son écrit L’Etourdit, il nous dit que en fait si on prend, je ne sais plus quel séminaire de 56, c’est à dire très exactement la période où il a dit qu’il allait apporter quelque chose, si on prend ce séminaire, on peut déjà trouver la réponse qu’il nous donne en 72 dans L’Etourdit. Cette réponse qu’il nous donne dans l’Etourdit c’est pour le fantasme. Certes il commence par dire que chez le névrosé il y a ce masque il y a cette signification de la castration et le sens de la castration pourra être trouvée à la fin d’une analyse. Mais il met très vite l’accent sur la réalité et dit que en fait ce qui permet que la réalité soit soutenue, ce qui soutient la réalité, ça a voir avec le fantasme. Mais pour le psychotique il nous parle d’une réalisation. Et je me demande, malheureusement je n’ai pas pu faire plus que de sortir les mémoires d’un névropathe, je voulais me reporter à certains passages que Lacan lui-même nous indiquait.

Je n’ai pas pu faire beaucoup plus que de me dire que à ce moment là il faudrait saisir ce qu’il en est de l’être du sujet de ce sujet qui... et en cela il montre bien qu’il est sujet de l’inconscient, il ne peut pas ne pas penser, il a ce (9) Denkzwang, enfin, cette contrainte à penser que Lacan relève. C’est à dire que véritablement l’accent est mis sur le fait que sujet de l’inconscient - mais à ce moment là ce qui le traduit c’est ce que Lacan a commencé par dire autour du cogito – il y a toute cette pensée, ces chaines signifiantes qui véritablement le contraignent. Il faudrait voir quelle relation l’être du sujet, ce sujet qui est contraint de penser qui véritablement là montre qu’il est sujet de l’inconscient qu’il est aux prises avec la chaine des signifiants qui se trouve dans son inconscient, quelle relation y a -t-il à ce moment avec un de ses objets petit a, avec ses objets restes de jouissance. Je me demande si ce n’est pas en reprenant cela qu’on pourra trouver ce qui permet, ce qui soutient la réalité du psychotique, en sachant que dans cette réalité il y a toujours, au fond, du réel, il y a toujours cet objet petit a.

Alors quel rapport y a-t-il pour le sujet avec l’objet regard, lorsqu’il est déguisé en femme, lorsqu’il est au plus prés de l’image de ce que … de la transformation que Dieu lui demande ? Quelle relation y a-t-il à ce moment là entre ce sujet contraint à la pensée et l’objet regard ? Je ne peux pas...Il faudrait reprendre le texte et être au plus prés...Je n’ai pas une phrase que je pourrai vous dire, voilà c’est ça. Mais il me semble que c’est autour de cela qu’il faut poser cette question du fantasme, savoir que c’est la relation d’un sujet barré, sujet de l’inconscient, sujet du cogito, avec ce qui est cet objet de l’ordre du réel, qu’on pourra peut-être donner une réponse. Il a une relation tout à fait particulière à la défécation, Schreber, Freud le relève. Qu’est-ce que ce plaisir ? Freud met l’accent sur le principe de plaisir. Est-ce que nous pouvons nous arrêter uniquement à ce principe de plaisir ? Quelle relation ce sujet a-t-il avec cet objet, ce reste de jouissance qu’est l’objet excrément ? C’est aussi je crois des questions à se poser et voir comment y répondre parce que nous savons bien que certains psychotiques et certains maintenant qui sont aussi célèbres, et en tout cas dont on parle beaucoup aujourd’hui, ont une relation toute particulière avec leur excrément. Qu’est-ce qui est réalisé là, si on reprend ce terme que Lacan a employé dans l’Etourdit pour nous parler du psychotique et de ce qui soutient sa réalité ? C’est peut-être ainsi me semble-t-il qu’on pourra trouver une réponse ou pas à ce qu’est le fantasme chez le psychotique, en tout cas chez le paranoïaque. Je crois que nous sommes obligés de séparer paranoïaque et schizophrène.

Donc, parce que de dire que cette transformation du psychotique, le fait d’être une femme, d’avoir une relation, ce rapport qu’il a avec Dieu, certes ça nous met sur la voie du rapport sexuel qui pourrait exister dans son délire, mais je ne crois pas que là on puisse dire que c’est le fantasme qui est ainsi vécu.

Une question m’avait été posée autour justement de ce moment de transformation - je crois qu’il vaut mieux dire transformation, je crois que c’est le mot qu’emploie Lacan plutôt que déguisement, de transformation car il se vit vraiment comme transformé en femme - ce moment de transformation, la question était que il y aurait là quelque chose qui est réalisé : ce signifiant La Femme qui vient en ce lieu combler, enfin être au niveau de ce trou, de cette béance, béance au fond de laquelle, nous dit Lacan, il n’y a pas de signifiant, le fait que La Femme vienne là permette qu’il y ait stabilisation, est-ce qu’on peut dire qu’il y a véritablement quelque chose d’un ordre d’un achèvement ? Je ne le crois pas car lui-même Schreber nous dit qu’il s’efforce chaque jour d’être au plus prés de ce ce Femme que Dieu lui demande d’être. Ça veut dire que c’est quelque chose de l’ordre de l’asymptote quelque chose qui ne peut pas vraiment être obtenu. Il tend à l’être mais il ne l’est pas vraiment. Donc, ça doit aussi nous questionner et ne pas penser qu’il y a là véritablement ce signifiant La Femme qui va venir combler ce qui manque au fond du trou de la psychose.

Donc, le fantasme est à considérer avec, lorsque nous nous intéressons au symptôme – je ne vais pas ce soir reprendre ce qui est le fantasme dans les deux autres structures la névrosée et la perverse, j’en ai longuement parlé lors des derniers premiers samedis (10) - Mais pour terminer, toujours à propos du psychotique et du fantasme - je crois qu’on ne peut pas séparer d’un coté la symptomatologie ce qui est du symptôme, de l’autre ce qui est du fantasme pour le psychotique - revenons à ce qui pourrait être le fantasme. Si le fantasme est ce qui masque la castration, lui le psychotique n’est pas confronté de la même façon à la castration que le névrosé, ni encore moins à la façon du pervers puisque le pervers sait très bien que la mère ne l’a pas et en même temps il le dément, pour ce qui est de la castration de la mère. Le psychotique a une divination, a une relation avec le statut imaginaire du phallus, mais puisque ça ne peut pas s’écrire ce moins phi, parce que le statut symbolique lui échappe, que dire du fantasme si on dit que le fantasme contient le moins phi ? C’est bien ce que Lacan dit dans subversion du sujet (11). C’est ce qu’il maintient plusieurs années après. Alors, que dire pour le psychotique, si ce qui caractérise le fantasme c’est que le fantasme contient le moins phi ?

Vous voyez que je ne vous apporte aucune réponse. Ce sont des questions que je me pose donc que je pose à partir de ce que Lacan en fait nous dit en 72. Et il n’est pas revenu là dessus. Il a joué sur le mot de réalisation, de ce qui soutient la réalité : chez le névrosé c’est ce qui va masquer la castration, et chez le psychotique c’est ce qui va se jouer autour de cette transformation possible en femme.

Je vais m’arrêter là ce soir et aussi pour cette année.


Discussion

(à propos du transsexualisme)

Intervenant :
à propos des transsexuels, certains qui demandant une intervention et se transformant en femme ; ils prétendent, enfin pour certains, avoir une amélioration ensuite de leurs symptômes.

Solange Faladé :
Vous en avez connu ?

Intervenant :
Malheureusement non

Solange Faladé :
Moi j’en ai connu et leur vie n’est pas du tout facile après. Quelle question vouliez vous poser ?

Intervenant :
C’est une forme de réalisation

Solange Faladé :
Écoutez, la question est ceci : On se demande pourquoi quand on l’a on veut qu’on vous l’enlève. Quand on a cet appendice, disons les choses comme ça, c’est ça la question : c’est du coté de celui qui l’a et qui veut qu’on le lui enlève. Lui Schreber n’a jamais demandé qu’on le lui enlève. Il va l’halluciner, il y aura le délire, mais jamais il n’a demandé qu’on le débarrasse de son pénis. Lacan a fait des présentations de transsexuels qui étaient venus après mutilation. La question c’est : quand on l’a pourquoi vouloir qu’on vous l’enlève ? C’est tout de suite pour mettre l’accent sur la dissymétrie qu’il y a du coté de l’homme et du coté de la femme. C’est presque moins pathologique qu’une femme veut qu’on lui en fabrique un. Par contre, celui qui l’a et qui demande qu’on le lui enlève c’est là qu’est la question et croyez moi, j’ai eu l’occasion d’en rencontrer qui avaient étés opérés et ne croyez pas que leur vie était facile, pas du tout, mais pas du tout. Mais on n’en parle pas beaucoup. Il y a quelques personnes qui suivent après. C’est très difficile à vivre.

Avant, il faut absolument qu’on le leur enlève, ils ne peuvent pas le garder ils vont se mutiler eux-mêmes, mais une fois que c’est enlevé, ne croyez pas que ce soit plus intéressant. Je crois malheureusement, j’avais des documents, il y avait eut tout un travail qui avait été fait par un petit groupe de la présentation de Lacan autour des transsexuels, et autour de personnes que nous avons côtoyé.

Intervenant :
Par rapport au délire ?

Solange Faladé :
Ce sont des psychotiques. Je ne sais pas s’il faut l’appeler délire, ils n’ont rien, d’autre à la bouche, que ils veulent qu’on leur enlève. J’ai encore au moins deux des personnes que Lacan avait présenté. Tout ce qu’ils pouvaient leur être demandé, leur dire, ils n’en voulaient pas. Ils voulaient qu’on lui enlève. Il n’y avait véritablement pas autre chose. Je pourrai peut-être retrouver des notes, puisqu’il y a du en avoir qui ont été prises au moins pour l’un d’eux

Intervenant :
donc ils n’élaborent pas un délire

Solange Faladé :
Non c’est d’un autre ordre mais c’est quand même...On a envie de dire que c’est délirant de ne rien entendre d’autre que cette histoire. Et ils se donnent souvent beaucoup de mal pour arriver à leur fin.

JD :
Le fait de devenir femme pour Schreber c’est sa façon à lui... Se déguiser en femme serait quelque chose qui serait au plus prés d’une éventuelle castration.

Solange Faladé :
Schreber a une relation avec le manque de la mère mais ce qu’il demande ce n’est pas d’être comme sa mère. Il s’habille en femme... je crois que c’est le statut imaginaire de ce qui manque à la mère qu’il faut prendre en compte. En fait il essaie de se transformer en femme mais il ne cherche pas à aucun moment à ne plus avoir son pénis, même s’il y a eut des tentatives de suicide. Je crois qu’il y a eut quelque chose de l’ordre d’une mutilation, mais à lire Schreber, ça ne prend pas l’accent de ce que j’ai entendu et vu chez les transsexuels. C’est tout à fait d’un autre ordre, c’est d’une autre qualité.

Intervenant :
Ce n’est plus de l’imaginaire

Solange Faladé :
Non non, ce n’est plus de l’imaginaire puisque il faut que ça devienne effectif. Les tentatives de suicide et même de mutilation de Schreber, à mon avis n’ont rien avoir avec ce que j’ai pu entendre chez les transsexuels ? Même un s’habillait parfois en femme, là c’était quelque chose d’un commerce éhonté, ce n’était pas lui, car en fait ce qu’il voulait ce n’était pas tellement d’être habillé en femme, celui-là, que véritablement de ne plus avoir son pénis.

Lorsqu’il a fait un séminaire ou deux à propos du transsexualisme, Lacan n’a jamais mis Schreber dans ce lot.

JT :
Dans ce statut imaginaire du phallus, le père n’intervient pas, le père comme ayant l’objet qui peut intéresser la mère, n’intervient pas.

Solange Faladé :
Pas du tout, c’est pour ça que dans ce triangle familial c’est la relation entre mère enfant, c’est sans médiation.

JT :
C’est ni le père de la loi, ni le père en tant qu’ayant l’objet qui intéresse la mère.

Solange Faladé :
Non non, c’est sans médiation, et dans la question préliminaire il sépare l’Autre de la loi et l’Autre du signifiant. Le sens, le statut symbolique du phallus ne viendra s’inscrire. Il y a le statut imaginaire et ceci, il peut y avoir identification à ce phallus imaginaire sans que le sens qu’en donnera le statut symbolique apparaisse. Et si on prend subversion du sujet, lorsque Lacan dit que le désir est antérieur à la loi, ce désir de la mère peut être appréhendé par l’enfant sans la médiation du père et le père n’a pas, n’intervient pas toujours. Ce qui marque que la mère est intéressée ailleurs, il y a ces va et viens, il y a son absence est sa présence, il y a le fait que l’enfant ne comble pas la mère, il y a toutes ces choses que Lacan a bien décrite pour montrer que c’est dans cette relation à la mère et dans ce que la mère fait savoir de son manque que l’enfant appréhende ce qui est l’objet de ce manque. Il y mettra un nom, lorsque du coté du père le statut symbolique lui sera apporté.

MBB :
Il le sera par le truchement de la mère ?

Solange Faladé :
Dans le discours de la mère, oui. La mère renverra l’enfant en ce lieu où elle peut recevoir cet objet qui l’intéresse.

MBB :
Oui alors que le psychotique reste confronté au phallus imaginaire et seulement au phallus imaginaire, le Nom du Père ne peut pas s’inscrire chez lui. C’est dans le discours de la mère que le Nom du Père n’apparait pas aussi. Il ne peut pas venir s’inscrire dans la chaine signifiante de l’enfant.

Solange Faladé :
Exactement

JT :
C’est la structure de la mère, à ce moment là, qui se fait sentir. La mère de part sa structure a un rapport au phallus,

Solange Faladé :
Il faut bien qu’elle reporte l’enfant à celui-là, au père,

(Il faut trois générations...Schreber)

JT :
Est-ce que c’est de l’imaginaire de la mère au niveau de sa propre structure à elle venant de son propre triangle familial à elle

Solange Faladé :
Venant de son propre triangle familial et de ce qui fait que elle en peut pas faire passer dans son discours la loi du père. S’il faut trois générations, on peut penser que déjà dans la génération de la mère il y a ce défaut. Ce grand père pour Schreber, il semble que on ai remonté jusqu’au Linné (13), ils sont apparentés aux Linnés. Déjà il semblait que ça ne tournait plus très rond dans cette lignée. Du coté de la mère je ne peux plus vous dire ce qui s’est passé. Ça s’était fait dans le groupe que j’animais. Il y avait quelque chose qui ressortait, c’était Bernard Thys qui l’avait fait dans le groupe, c’était ce groupe qu’Irène Roublev et moi-même animaient, qui avions fait ce travail. Le travail que nous avions fait à cette époque -là, donc dans ce groupe, permettait de saisir quelque chose aussi du coté de la mère. Nous avions fait ce travail en 70, c’était un groupe de l’Ecole Freudienne de Paris. Le Coq Héron a du en faire paraître quelque chose. Il était dans le groupe et Thys a du en parler. Ce n’est pas que du coté du père, le travail que nous avions fait à cette époque là.

Intervenante :
Quand on dit qu’il faut trois générations pour faire un psychotique on a pas précisé de quel coté il s’agissait.

Solange Faladé :
De toute façon le fait d’épouser telle a quand même une certaine importance. En fait on ne voit pas pourquoi la femme qui a été épousée ne serait pas d’importance, on n’épouse pas …

(...le tore trique)

Intervenante :
Ligne paternelle ou ligne maternelle ?

Solange Faladé :
Je pense que les deux entrent en ligne de compte. Si la structure imaginaire de la mère répond de ce qui va se jouer pour l’enfant, forcement de son coté à elle aussi …

Pour moi, ça a toujours été les deux. Je ne l’ai pas entendu autrement. En fait on n’épouse pas n’importe qui ….Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce séminaire de l’une bevue (14), l’avant dernier, où il parle de la trique et de ce qui se joue entre ces deux tores, l’un dans l’autre, et c’est du coté de la mère que ça se joue. Donc, deux tores, l’un dans l’autre, pour que la trique puisse jouer, c’est à dire qu’il y ait trois tores qui vont...lorsque la mère va permettre au tore qu’elle contient, qu’elle a de sortir, elle peut immédiatement le reprendre, elle peut faire qu’il n’y ait que 2, elle et l’enfant, et dans les cas les meilleurs il y aura quelque chose qui se mettra aussi en place, qui fera que avec ces deux anneaux, trois seront ensembles. Alors, il avait expliqué que en faisant des coutures, des choses comme ça... donc forcement c’était à partir de la mère ce qu’il nous en disait là, forcément. Et lorsqu’on parlait des trois générations... Il n’y avait pas seulement le père, il y avait aussi la mère. Quand ça se discutait, il y avait les deux...

En tout cas, ça ne peut pas être uniquement la lignée du père. Ce n’est pas possible que ce qu’il dit de la relation mère-enfant, ce n’est pas possible qu’il n’y ait à considérer que la lignée du père....

La mère n’est pas la même avec chaque enfant de la fratrie. Le désir porté sur chacun des enfants est différent. J’avais parlé de cette observation qu’il y avait eu chez madame Aubry : cette famille où tout allait très bien si je puis dire, et bien la mère voulait avoir un dernier enfant. Le père lui a dit non mais elle a eut l’enfant. Le père a dit : « moi je t’ai dit que je n’en veut pas, je ne m’en occupe pas. » Cet enfant, ce dernier enfant est devenu psychotique. Nous l’avons vu autour de douze ans, alors que les autres, non. C’était une très belle observation, la personne qui était venue consulter dans le service de madame Aubry, c’était à Bichât, à l’époque, donc il y a là quelque chose qui se joue entre la mère et l’enfant, et le père ne s’est jamais occupé de cette petite fille. C’est bien entre la mère et l’enfant que ça se joue. Ce tore et l’autre tore qui est à l’intérieur d’elle, comment va-t-elle accepter tout ce qui pourra se faire comme nouage, comme couture, et qui fera que se mettra en place effectivement trois anneaux, ou de nouveau un seul anneau, ou simplement deux anneaux, c’était autour de cela que avec la trique Lacan avait essayé de nous rendre sensibles, le rôle primordial que la mère apporte là dans le devenir de son enfant.

Bon.


note (1) manuscrit K in Sur les traces du savoir insu traduction de l’Ecole

note (2) Les Écrits page 388 « ...ce qui n’est pas venu au jour du symbolique , apparaît dans le réel. Car c’est ainsi qu’il faut comprendre l’Einbezieung ins Ich, l’introduction dans le sujet , et l’Ausstossung aus dem Ich, l’expulsion hors du sujet . C’est cette dernière qui constitue le réel... »

note (3) les quatre concepts page 174 « L’autoerotisch … est le critère du surgissement et de la répartition des objets. Ici se constitue donc le Lust-Ich , et aussi le champ de l’Unlust, de l’objet comme reste, comme étranger. L’objet bon à connaître, et pour cause, est celui qui se définit dans le champ de l’Unlust tandis que les objets du champ du Lust-Ich sont aimables. »

note (4) Les Écrits page 387 « Eine Verdrängung ist etwas anderes als eine Verwerfung »

note (5) Les Écrits page 565 « ... faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère, il lui reste la solution d’être la femme qui manque aux hommes »

« l’identification quelle qu’elle soit, par quoi le sujet a assumé le désir de la mère,.. »

note (6) Bernard Mary – Inconscient et schizophrénie - bulletin N° 18 - mai 1988

note (7) Séminaire du premier samedi 01 décembre 1990

note (8) voir schéma I

note (9) Les Écrits page 560 « le jeu forcé de la pensée »

note (10) Séminaire des premiers samedis 03 novembre 1990 et 01 décembre 1990

note (11) Les Écrits page 825 « ... Le fantasme, dans sa structure par nous définie, contient le moins petit phi, fonction imaginaire de la castration sous une forme cachée et réversible d’un de ses termes à l’autre... il imaginarise alternativement l’un de ses termes par rapport à l’autre. Inclus dans l’objet petit a , c’est l’agalma... Chez le névrosé moins petit phi se glisse sous le S barré du fantasme, favorisant l’imagination qui lui est propre, celle du moi. Car la castration imaginaire, le névrosé l’a subie au départ... »

note (12) Écrits page 388 « La Verwerfung donc a coupé court à toute manifestation de l’ordre symbolique, c’est à dire à la Bejahung que Freud pose comme le procès primaire où le jugement attributif prend sa racine, et qui n’est rien d’autre que la condition primordiale pour que du réel quelque chose vienne à s’offrir à la réalisation de l’être, ou, pour employer le langage de Heidegger, soit laissé être .

Note (13) Carl von Linné : Né en 1707, mort en 1778, Carl von Linné, scientifique suédois, s’est rendu célèbre par la réforme qu’il a introduite dans l’appellation et la classification des êtres vivants. Ses prises de position sont au croisement des sciences et de la philosophie. Après son voyage en Laponie (1732), il séjourne en Hollande où il obtient un doctorat en médecine (1735), en Angleterre (1736) et en France (1738). Rentré en Suède, il exerce la médecine à Stockholm, avant d’être nommé professeur à l’université d’Uppsala (1740), où il se consacre essentiellement à la botanique.

Note (14) L’insu que sait de l’une bevue s’aile à mourre leçon du 16 nov 1976