14 juin 1994
Document de travail
Je me suis rendue compte que, peut-être, il y aurait pour nous à revenir un peu, peut-être plus qu’un peu, sur cette notion de division du sujet. Savoir ce que Lacan a voulu nous apporter avec ce sujet de l’inconscient - du fait de la parole, il ne peut être que barré, divisé – nous y reviendrons, peut-être l’année prochaine, car c’est tout à fait important pour la compréhension que nous devons avoir de notre objet que toutes ces notions soient éclairées.
J’y suis revenue, sur ce qui nous a intéressés cette année, entre autres parce que, parmi les nombreux papiers que je reçois, papiers venant d’autres groupes qui se recommandent de l’enseignement de Lacan, il y a un travail, une journée qui se prépare sur les sublimations. J’étais intéressée, j’ai lu, j’ai vu que l’on parlait de la sublimation du peintre, de l’écrivain, du poète et que sais-je encore… et on finissait par la sublimation du psychanalyste. Alors je me suis dit que là, il y avait quelque chose de l’enseignement de Lacan qui n’avait pas passé. La sublimation, quelle qu’elle soit, est là pour masquer la béance de la Chose, du vide de la Chose quelle qu’elle soit. Et Lacan dit bien, je ne vois pas comment cela pourrait être autrement, qu’à la fin d’une analyse qui a pu être menée jusqu’à ce point où l’on peut dire « qu’il y a de l’analyste » parce que le fantasme sera disjoint de ce qui lie le sujet à cet objet cause de désir, le fantasme qui, vous le savez, est aussi une façon de se couvrir de ce vide de la Chose, parce que ce fantasme, à ce point de la cure, aura subi ce sort, eh bien, il ne peut pas y avoir pour le psychanalyste de sublimation. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas continuer à peindre, ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas continue à écrire de la poésie, mais il s’y place différemment et là, j’avais pensé pour Vaucresson apporter quelque chose autour de la fin de l’analyse en m’appuyant sur ce que Lacan, dans le dernier séminaire, dernière leçon du séminaire XI où il nous dit que ce qui se joue justement, une fois le fantasme traversé, il pose la question « que devient la pulsion ? », et je pense qu’il ne peut que poser la question de cette façon-là, donnant à chacun le soin d’y répondre puisque ce que deviendra la pulsion, eh bien c’est en fonction de ce qui a été la cure pour chacun, c’est-à-dire de ce qui a fait variante de la cure-type pour chacun, donc on ne peut pas donner une réponse univoque puisque il n’y a pas de cure-type, il n’y en a que des variantes. Et alors, la façon de se faire voir, de se faire sucer, de se faire chier, de se faire tout ce que vous voulez, n’aura plus rien à voir avec ce qui faisait que ce vide central, ce vide de la Chose était couvert. Lacan avait fait un jeu de mots autour de la sphère, c’était du temps où il pensait que la sphère était une figure topologique (s’fère) qui permettait de… alors se faire sucer, se faire tout ce que vous voulez, qui permettait de rendre compte des relations du sujet avec ce qui cause son désir. Donc, ce que nous avons, ce qui nous a intéressés cette année, que ce soit autour des différentes formes de sublimation, là j’avais pris l’exemple de Miss France - qui était portée à la dignité de la Chose, tout comme la Dame de l’amour courtois - que ce soit tout ce qui nous a intéressés cette année, c’était des façons de faire saisir comment on vient à couvrir la béance, la béance de ce vide.
Alors, une chose m’a retenue, je me suis dit pourquoi ne pas terminer l’année en en parlant, pour le travail, depuis que nous nous intéressons à « l’Esquisse », et à la traduction et à la lecture que Lacan en a faite dans son séminaire sur l’Éthique, c’était de m’arrêter sur le déroulement de l’enseignement de Lacan. C’est une chose à bien marquer. Lacan s’interrogeait sur ce sujet, le sujet de l’inconscient, il l’a formulé d’une façon claire dans « Subversion du sujet », je m’y suis reportée, lorsque j’ai pensé qu’on avait à nous intéresser à l’émergence du sujet puisque il ne nous était pas possible de continuer à travailler le texte de Freud sur la pulsion et ce qui suivait, c’est-à-dire « le Moi et le Ça », si nous ne faisions pas une halte, si nous ne nous intéressions pas au sujet, c’est ce que nous trouvons dans l’enseignement de Lacan.
Alors, Lacan commence avec sa question sur le sujet, il part de Saussure, du signifié et du signifiant, il pense, et il en a fait la démonstration dans « l’Instance de la lettre », que le schéma de Saussure ne peut pas permettre de répondre aux questions qui se posent à l’analyste puisque, pour nous, c’est le signifiant, c’est la primauté du signifiant qui est à mettre en premier et le signifié vient en dessous. Alors donc, ces choses de Saussure, signifiant / signifié, et Lacan, continuant son enseignement, nous dit : « tout ça, c’est très bien, mais il y a quelque chose que je ne peux pas faire figurer véritablement sur ce schéma » et c’est à ce moment-là que la question du graphe est venue, la question du graphe est venue et il a commencé à parler de ce Sujet barré. Et avec la reprise de « L’esquisse », car il en avait fait un début de lecture dans le séminaire sur le Moi, avec la reprise de « L’esquisse » donc, à partir de l’Éthique, il tient compte de ce noyau, de ce vide qui est central, il en tient compte et il essaie de voir, avec les trois registres qu’il avait mis en exergue en 53, l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel, comment faire figurer ce qui est là et intéresse le sujet de l’inconscient, vous savez cette relation muette, cette relation qui se met en place avant tout refoulement, cette relation qui fait que, au cœur du sujet et de l’Autre, il y aura ce vide, cette Chose qui n’est ni bonne ni mauvaise, mais qui peut être à l’origine de l’extrême bon et de l’extrême mauvais, et on peut dire que, à partir de ce moment-là, véritablement à partir de l’Éthique, tout l’enseignement de Lacan est de s’efforcer de rendre compte - et je crois que c’est quelque chose qu’il dit souvent - rendre compte de ceci, de ce qu’est la découverte de Freud, rendre compte de ce qu’est ce sujet de l’inconscient, rendre compte de … et à partir de ce moment-là, c’est comment, par rapport à ce vide central, rendre compte de ce que, avec le sujet de l’inconscient, Freud a apporté. Je vous ai donné, au début de l’année, la modification que Lacan a fait autour de cette deuxième topique, le Moi, le Surmoi et le Ça, alors que, pour Freud, l’emplacement n’était pas tout à fait le même que pour Lacan. Plus exactement, Lacan a montré qu’il y avait nécessité, si l’on veut absolument rendre compte de ce vide, d’inverser - enfin vous retrouverez ça dans les premiers cours que j’ai apportés cette année-ci - de renverser le Moi, le Surmoi, le Ça. Donc et ensuite, parce qu’il y a ce vide, parce que le sujet de l’inconscient, celui qui parle, a affaire à ce vide, eh bien la question de la cure et de ce qui s’y joue, est reprise par Lacan, est reprise dans le séminaire sur le Transfert et va trouver dans cet écrit « Subversion du sujet », un début de réponse, mais je crois que c’est ça que nous devons avoir bien à l’esprit notre objet, l’objet de la psychanalyse, il en fera un séminaire un peu plus tardivement, quand il sera plus avancé dans son enseignement, cet objet ne peut pas être saisi dans sa totalité et en une fois. Et souvenez-vous, lorsque nous avons fait l’étude du texte de Freud sur la pulsion, je vous ai fait remarquer que, dans ce texte, Freud nous parlait de l’asymptote, le fait qu’on ne peut qu’approcher, et parce qu’on ne peut qu’approcher, il y a toujours à reprendre pour aller plus avant, pour essayer de rendre compte, d’être plus près, mais il y aura toujours quelque chose qui fera qu’on n’y sera jamais vraiment mais, en même temps, on reprend, on va plus loin, et c’est ce que vraiment Lacan, tout au long de ses vingt années d’enseignement, nous a apporté. Donc, la question de la direction de la cure, de la relation de l’analyste et de l’analysant, même s’il ne dit pas encore analysant à cette époque, il continuait à dire analysé, comme ça se faisait couramment dans le cadre du mouvement analytique, ceci est repris différemment parce que Lacan tient compte de cet apport de Freud dans « L’esquisse », de l’importance de ce vide et, chemin faisant, nous verrons que c’est toujours pour rendre compte de ceci, pour rendre compte du mouvement du sujet vers l’Autre par rapport à ce vide que Lacan, année après année, construit ses séminaires. Il y a ce reste de jouissance, il y a cette relation entre cet objet qui est à la fois intime et, en même temps, ne peut être qu’à l’extérieur - souvenez-vous de comment la Chose se met en place - parce que la Chose se met en place comme je vous l’ai rappelé il y a un instant, c’est à la fois ce qui est le plus intime, le plus en dedans de moi et, en même temps, ce qui a une relation extérieure.
Alors là, je m’arrête un instant pour souligner une chose : on le trouve dans son écrit, la « Question préliminaire… » et, en particulier, dans le post-scriptum, Lacan commence là à nous montrer l’importance du déplacement - je pense qu’à Vaucresson, je reprendrai ce problème, et à propos de la symbolisation - il faut que, à un moment, le sujet, parce que il parle, soit en relation avec des signifiants qu’il transporte dans ce champ du symbolique et, ensuite, ce qui va se jouer, va se jouer dans ce champ, où il y aura un mouvement qui fait que certains de ces signifiants se trouveront dans le Réel, mais ce n’est pas ce Réel du début, c’est le Réel qui s’est mis en place du fait de la parole, mis en fonction de la parole. Ceci est une chose importante et ça se retrouve, tous ces mouvements de déplacement, l’importance que Lacan donnera à ça, de plus en plus, se retrouve aussi dans la relation du sujet et de l’Autre par rapport à cet objet, cet objet extime, cet objet qui est à la fois à l’intérieur et, en même temps, qui a cette relation particulière avec l’extérieur, et il y aura là des mouvements, si je puis dire, de va-et-vient qui changera ce qui se joue pour le sujet. J’y reviendrai plus à fond l’année prochaine, mais je voulais quand même, déjà, montrer comment, à cause de la place qu’il donne à ce vide, à cause de l’importance qu’il donne à ce qui est porté au cœur de l’Autre, et qui est aussi ce qui intéresse le sujet dans tout ce qu’il a de plus intime, de plus intérieur à lui, Lacan va, chemin faisant, reprendre, modifier, proposer des objets topologiques qui ne seront plus le graphe, mais des objets topologiques avec au centre le vide, que ce soit le vide extérieur ou le vide intérieur, et s’efforcer d’y placer cet objet, ce qui a à voir avec l’extime, c’est pas toujours d’une façon aisée pour nous à comprendre et les différentes figures topologiques qui vont suivre à partir du séminaire sur le Transfert, c’est-à-dire l’Identification essentiellement, l’Angoisse, avec la relation justement du sujet avec ce qui est en dedans de lui, la barrière qu’il fait pour se protéger de ce qui pourrait se passer là, si cette chose n’était pas contenue, donc tous ces objets topologiques, c’est l’effort de Lacan de rendre compte de ce que dans la clinique nous trouvons, de rendre compte de la relation du sujet avec ce vide central, avec ce qui est porté au cœur de l’Autre et tout ceci dans ces trois registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire – on peut le prendre maintenant dans ce sens RSI - c’est ce qui l’a amené à proposer ces objets topologiques tel que la bouteille de Klein. Il en gardera, il en laissera mais il continue toujours avec cet effort et je crois que c’est ainsi qu’il faut prendre l’enseignement de Lacan et c’est ce qui l’a amené à trouver le nœud borroméen, c’est-à-dire ce qui respecte là, avec ces trois registres, le vide, ce qui fait que ces trois registres, donc avec les anneaux noués d’une certaine façon vont permettre qu’une place soit donnée à cet objet puisqu’il arrivera à le coincer, et c’est véritablement pour pouvoir rendre compte de ce que la clinique apporte et qui est lié à la découverte de Freud, à cet inconscient, à ce sujet de l’inconscient qu’on approche mais il n’y a pas un tout qui permette de saisir dans sa totalité ce qu’est ce sujet de l’inconscient.
On verra aussi - mais je crois que c’est surtout à Vaucresson que j’en dirai quelque chose - comment, par rapport à ce qui sera introduit en dedans, et ce qui n’en sera pas gardé, après cette opération du tasten. Je me souviens que, lorsque j’ai commencé à parler de la Verneinung, j’ai retenu ce verbe employé par Freud pour essayer de rendre compte de ce qu’il venait de saisir là par rapport à celui-là qui devient sujet, il emploie ce terme de tasten, le signifiant apporté sous quelque forme que ce soit, s’il est signifiant, il sera d’abord goûté - je crois que j’avais même parlé de ce taste-vin – il sera goûté, il sera accepté ou il sera craché. J’en parlerai à Vaucresson, et j’en parlerai en essayant de mettre l’accent sur ce… sous la forme que ce signifiant peut être introduit, c’est important, il me semble, en tout cas, ça m’a permis, moi, de comprendre ce que Lacan a tenté d’apporter sur la psychosomatique. J’ai eu à rencontrer des étudiants en médecine et une des questions qui les tracassait, c’était autour de la maladie psychosomatique, des questions avaient été posées, je me suis efforcée d’apporter quelques éléments, malheureusement j’ai pas pu m’en servir et, réflexion faite, je me suis dit que c’était à vous que j’avais à en parler. Alors donc, je reviendrai sur ces signifiants et je crois qu’en reprenant l’enseignement de Lacan et en donnant une place à ce qu’il a tenté de nous dire dans son séminaire Encore, où il revient sur les signifiants 1 et les jeux de mots qu’il fait autour de ce signifiant 1 devraient nous permettre de comprendre ce qu’il nous dit autour de cette collapse entre ce signifiant 1 qui est d’un autre genre et l’autre signifiant qu’il ne trouve pas, et il ne peut pas le trouver. Je vous dirai, à mon avis, pourquoi. Mais tout simplement parce que, c’est dans le texte de Lacan, il faut reprendre ce qu’il a dit plus loin dans son enseignement et le reporter à un moment où il commence à en parler… enfin, je ne vais pas commencer à vous parler de ce que j’apporterai à Vaucresson.
Donc, on ne peut pas, dans notre pratique, si c’est véritablement l’objet de la psychanalyse qui est notre objet, on ne peut pas faire sans s’occuper de ce qui nous a retenus cette année, c’est-à-dire ce vide central, cette Chose, muette certes - c’est une relation muette, nous dit Lacan, que le sujet a avec ce qui se met en place au moment où il va parler - on ne peut pas faire sans en tenir compte tout du long. Pourquoi ? Mais parce que, lorsqu’il s’agit de la relation avec l’objet, ça ne peut être que relation avec l’objet perdu, définitivement perdu, toujours perdu mais dès le départ. D’ailleurs, dans son séminaire sur la Relation d’objet, Lacan en avait dit un mot rapide, mais quand même, ça nous avait frappé et nous l’avions retenu, donc parce que l’objet qui intéresse le psychanalyste est un objet perdu dès le départ et toujours perdu, notre clinique est marquée de cela, que ce soit la clinique de l’hystérique, avec ce qui fait que l’hystérique, parce que l’objet est perdu - l’objet est là et toujours perdu - l’hystérique s’arrange d’une façon telle qu’elle ne peut pas savoir. Je crois que c’était l’année dernière, c’était autour de Lucy R. et à propos de ce savoir qui est en elle et, en même temps, dont elle n’en sait rien. Ceci peut s’expliquer si on a à l’esprit que ce que l’hystérique, comme tout être parlant, cherche, c’est cet objet, cet objet qui est perdu, mais l’hystérique va s’arranger pour vivre grâce au mensonge. Regardez Lucy R., elle aime son patron et, en même temps, elle n’en sait rien, mais sous un mode particulier qui fait que Freud lui nous le dit : « mais enfin, comment… » et quand elle lui dit « mais oui, tant que vous n’aviez pas posé la question, je ne le savais pas », c’était sa façon à elle de faire avec cet objet perdu et qu’elle ne peut pas accepter comme perdu et ne pouvant pas être retrouvé, elle surtout qui en a été peu satisfaite, de cet objet perdu. Les autres cliniques aussi ont à voir avec ce vide, c’est bien ce que Freud nous dit, mais chaque structure s’en débrouille différemment. Mais enfin, je pense que c’est sous cette forme, je ne sais pas exactement comment je centrerai ce que je compte apporter l’année prochaine, mais ce sera véritablement autour de ce vide, véritablement autour de cette relation du sujet avec cet objet, ce qui est là à la fois intime, en dedans et en dehors de lui, et qui tient une place primordiale parce que c’est quand même la première relation, c’est ça qui se met en place, avant même qu’il ne parle, au moment où il va parler, ceci est tout à fait primordial dans tout ce qui nous intéresse, nous psychanalystes, et c’est parce que ce qui nous intéresse, c’est cet objet à tout jamais perdu, que Lacan quelque part fait certes, du sujet de l’inconscient, sujet de la science, mais il s’est immédiatement efforcé de montrer que notre objet, même si on s’y adresse en tant que sujet de la science, parce que cet objet est perdu, on ne peut pas avoir la même position, la même relation que celui-là, que ce soit le biologiste ou qui sais-je… qui a affaire à un objet qui, peut-être, sera dans le réel, et qui pourra se trouver, se calculer, se mathématiser, etc. Ça ne peut pas être la même chose et, en même temps, il y a quelque chose de l’objet de la science… en insistant, en mettant l’accent sur le vide, car c’est avec le vide que Lacan a fait jusqu’au bout. Á partir de l’Éthique, reprenez les séminaires de Lacan, vous verrez que la relation du sujet avec les trois registres, avec le vide central, et l’objet, qui est là, l’objet cause de désir, c’est ce qui fait l’arête de l’enseignement de Lacan jusqu’à ce que la plume lui tombe des mains, très exactement, jusqu’au séminaire qu’il a intitulé Le moment de conclure, puisque après vous savez bien qu’il se présentait… qu’il ne pouvait plus nous parler et, mon Dieu, ce n’était pas un silence analytique comme on a essayé de nous faire croire.
Je suis tentée bien sûr, parce que je l’ai beaucoup plus présent à l’esprit, je commence à l’ordonner, je suis tentée de vous parler de ce que je vous dirai à Vaucresson, mais je ne veux pas le faire… Si vous avez des questions, posez-les.
Questions
Question :
Est-ce que vous pourriez nous dire quelque chose à propos de ce premier Réel et du Réel modifié dont vous parlez ?
Solange Faladé :
Le premier Réel, c’est dans quoi baigne le sujet, enfin non celui qui n’est pas encore sujet, c’est le petit d’homme, puisqu’il ne parle pas, pour lui, tout est réel, il est dans le champ du langage, quand il choît, quand il vient au monde, il vient dans un monde de langage, mais pour lui tout est Réel, même si ce qui l’entoure l’intéresse, Lacan revient sur ça dans son séminaire Encore, mais pour lui c’est réel tant qu’il ne parle pas, c’est réel, et quand il commence à parler, à ce moment-là il a à sa disposition des signifiants, des signifiants qui viennent du champ de l’Autre. Donc se met en place pour lui un symbolique, mais dans ce qui est là, dans ce symbolique, il y aura du réel, du fait que ceci que tout ce dans quoi il était plongé, et qui était Réel, tout ne sera pas symbolisé mais ceci aura une relation pour le sujet. Enfin cette symbolisation primordiale dont parle Lacan et dont il parle, je crois, pour mettre à notre portée ce que Freud nous dit dans la Verneinung, au cours de cette symbolisation, parce que tout ne peut pas être symbolisé, il y aura du Réel. Dans un premier temps, le temps où Lacan était optimiste, et c’est ce que j’ai relaté dans ce court article que j’avais apporté à Rome, Lacan espérait que, à nouveau, le sujet pourrait symboliser ce qu’il n’avait pas pu symboliser et il espérait que, du fait du travail analytique, cela pourrait se faire. Enfin, ceci intéressait surtout la psychose. Mais, chemin faisant, il a dû se rendre compte que c’était trop d’optimisme. Le réel du sujet ne peut être pris en considération qu’à partir de la symbolisation. J’en dirai un mot, plus qu’un mot je crois, à Vaucresson parce que c’est important rapport à la psychosomatique, à cause de l’impact de la jouissance, de la jouissance qui est du côté du Réel.
Elisabeth Boisson :
Je ne comprends pas très bien pourquoi ce Réel qui n’est pas symbolisé, qui ne le sera pas, pourquoi cette distinction entre deux réels ?
Solange Faladé :
Pour le sujet, à partir du moment où il parle, il a une autre relation avec ça, c’est pas le réel global. Il y a ce que Lacan a essayé d’appeler le Réel du sujet, qui n’est pas tout ce qui est réel. Écoutez, tout ce qui est réel ne peut pas être le Réel du sujet. Prenons Pluton, qu’on a pas encore découvert, c’est réel. Jusqu’à ce qu’on le découvre, ça reste réel. Donc, ce qui va être le Réel du sujet, ça ne peut pas être tout ce qui est réel.
Elisabeth Boisson :
Oui, si on parle de Réel du sujet…
Solange Faladé :
Forcément… à partir du moment où il parle, ça ne peut pas être autre chose que le réel du sujet, c’est celui-là qui nous intéresse, c’est celui-là qui fait partie des trois registres, c’est pas tout ce qui est Réel. Tout ce qui est Réel, l’exemple facile qui était pris, c’était l’exemple des planètes. Et d’autres choses qui n’étaient pas les planètes sont réelles, ont une existence - une ex-sistence, puisqu’il s’est efforcé d’insister sur cette forme pour bien montrer… - mais ça ne veut pas dire que c’est ça ce Réel du sujet, le Réel auquel le sujet a affaire et qui forme l’anneau qui l’intéresse, qui va se lier au symbolique et ce qu’il sera fait d’imaginaire. Il est plongé dans le réel mais, à partir du moment où il parle, il y a là quelque chose qui sera propre à lui, du Réel.
Marguerite Bonnet Bidaud :
Il y a un réel qui ne peut pas être symbolisé… c’est une des tentations qui peut habiter l’analyste, un espoir qui peut habiter l’analyste, au cours des séances successives, au cours des mois et des années, on entend très bien ce réel qui revient…
Solange Faladé :
Bien ça, vous avez de la chance, à ce moment-là vous avez affaire à qui… ça avait été l’espoir de Lacan, essentiellement avec les psychotiques, où il avait espéré que ce qui était là qui revenait, ce qui, du symbolique, revenait dans le Réel pourrait être symbolisé. Mais il s’est rendu compte que cela ne pouvait pas être. Ce qui est revenu dans le Réel reste Réel. Ce qui est Réel, ce qui fait partie du réel, ce qui est le Réel du sujet, aucune analyse ne peut permettre que ce soit symbolisé. Mais ça a une influence dans ce qui a structuré le sujet et qui le poursuit toute la vie. C’était l’espoir des années, jusqu’en 58, jusqu’à la « Question préliminaire… », puisqu’il y avait des groupes d’internes, des chefs de clinique de Saint-Anne qui travaillaient les choses avec Lacan.
Question :
Le travail de la cure, c’est plutôt dans le registre de l’imaginaire ?
Solange Faladé :
Imaginaire, symbolique et avec aussi ce qui du Réel s’est noué là. Il ne faut pas espérer que ce sera symbolisé, non. Je pense que c’est ainsi ça qui l’a amené à dire certaines choses dans son écrit sur l’Étourdit, d’apporter, après avoir fait RSI, d’apporter le séminaire sur le symptôme. C’est un fol espoir.
Question :
Je voudrais revenir sur le Réel… Comment ça peut se faire et que ça n’est pas symbolisé ?
Solange Faladé :
Je pense qu’il y a des moments dans la clinique où ça peut se savoir. Si on reprend ce que Freud a dit autour du déjà vu, du déjà entendu, c’est bien quelque chose qui est de l’ordre du Réel, je ne sais pas si ces textes de Freud autour du déjà vu, du déjà entendu vous sont familiers. Donc, il y a là comme ça des flashes, si je puis dire, et ce n’est pas repris, bon.
Question :
Oui, mais, déjà entendu, ça rejoint ce que Freud disait dans je ne sais plus quelle lettre. De ce qui est entendu dont on ne comprend que bien plus tard ce que c’est. A ce moment-là, il y aura une symbolisation.
Solange Faladé :
Et non, justement, ce sont ces signifiants qui restent dans le Réel. Ce n’est pas une symbolisation. Il n’y a pas de symbolisation puisqu’il est plongé dans le langage, on parle autour de lui, il y a des choses qui sont entendues et qui ne feront pas partie de la symbolisation. Dans Totem et tabou, je crois que c’est au chapitre IV, il en dit quelque chose, et qui revient à ce que Lacan dit être du Réel. Il y a eu des exemples cliniques, des personnes, des enfants qui ont entendu certaines choses et des choses qui se sont passées pendant la guerre et ça revenait comme ça. C’était pas des psychotiques. C’était des choses, de l’entendu qui se faisait jour, à un moment, et c’était pas à ranger dans le Symbolique. Il y a des signifiants dans le Réel.
Question :
Qui ne prennent jamais sens ultérieurement ?
Solange Faladé :
Non. J’ai un exemple clinique, c’était une chose étonnante parce que quelqu’un pouvait témoigner que, effectivement, à un âge tendre, ceci, c’était un cas, on était étonné de s’apercevoir qu’à un certain moment, ça apparaissait, avec ce que ça pouvait avoir d’erratique, et ça, non, c’était pas à ranger dans le champ du symbolique pour ce sujet, pour cette personne.
Question :
Ça doit pouvoir apparaître dans le rêve.
Solange Faladé :
Oui. Dans le déjà vu, dans le déjà entendu de Freud, c’est quand même dans l’Interprétation des rêves qu’il en parle essentiellement, et puis il y a un autre chapitre dans un autre texte qui m’échappe.
C’est tout à fait curieux, enfin si j’avais pas eu connaissance de ceci, et le fait que quelqu’un pouvait témoigner de ce qui là se disait, et qui n’avait pas de sens pour celui-là qui parlait. Et c’était de l’entendu, de l’entendu à un moment précis puisque ça avait à voir avec la guerre, avec les évènements de la guerre.
Question :
Françoise Dolto a rapporté des choses d’enfants adoptés qui avaient entendu des choses dites par la sage-femme dans les premiers jours de la naissance et il y avait aussi des témoignages, ça avait été retrouvé. C’était effectivement vrai que c’était des paroles entendues, jamais symbolisées.
Solange Faladé :
Moi, ce dont je parle là, c’est quelque chose, l’enfant était plus âgé, c’était pas dans les premières heures de la naissance – naturellement quand commence la symbolisation. Mais enfin, c’était quelque chose qui était revenu et qui tenait.
Je pense que nous allons reprendre tout ceci, je ne sais pas sous quelle forme, l’année prochaine, en mettant l’accent sur ce que Lacan met en place entre ces trois registres et ce vide central que nous portons en nous. J’ai été intéressée avec ce que Lacan a dit dans l’Angoisse à propos de ces barrières et puis ensuite, j’ai eu l’occasion, plusieurs années après, de voir effectivement, c’était ce que la clinique pouvait nous apporter. Bon.
Après tout, en terminer de cette façon cette année-ci, pourquoi pas ?
Il n’y aura pas eu de titre, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu une ligne directrice. Je pense que vous avez pu vous en apercevoir, semaine après semaine, et que tout ce que je me suis efforcée d’apporter cette année, c’était autour de l’Éthique, par le biais de l’Esquisse … le nouveau départ, si je puis dire, qu’il y a eu dans l’enseignement de Lacan. Donc, cette ligne directrice peut se retrouver. De titre, je n’en ai pas trouvé, et je n’ai pas cherché à en trouver et, mon Dieu, puisqu’il n’y a pas eu de titre, ça permet de ne pas se poser la question de savoir si on a bien fait le tour, ce qui fait que on peut se quitter comme cela, et se revoir au mois de novembre et, entre-temps, on se sera vus à Vaucresson, et vous savez déjà autour de quoi je parlerai.
J’avais en tête de parler de la fin de l’analyse, je vous en ai dit l’essentiel, tout du moins pour ce qui peut intéresser chacun d’entre nous, et le fait que il ne peut pas y avoir un type de fin, puisqu’il n’y a que des variantes de la cure-type.
Bien.