24 mai 1994
Document de travail
La science politique ou le sujet de la science
Je vais revenir sur ce que je vous ai dit la dernière fois parce que c’est tout à fait dans le droit fil de ce qui nous intéresse cette année et c’est sur ces notions de « même », de grand Autre, de sujet que je voulais terminer.
Tout d’abord ce que j’ai dit à propos de ces anthropologues, sociologues, éthnologues et autres qui s’occupent de sciences dites humaines… Ce que je voulais faire remarquer, c’était que la découverte de Freud tombait de plus en plus dans l’oubli. Je ne voulais nullement critiquer l’intérêt que ces personnes portent aux sociétés « autres » puisque c’est ainsi que j’ai présenté la chose parce que c’est pas forcément dans le « même » qu’il est possible de travailler. En tout cas, pour ces personnes qui sont spécialistes des sciences humaines, ce n’est pas forcément dans la société même qu’elles peuvent trouver réponse à leurs questions. Le même, l’Autre, c’est ce qui nous intéresse, ce qui nous intéresse parce que, à propos de ce vide qui nous a retenu cette année, à propos de ce vide Lacan quelque part pose la question de savoir si le vide qu’enserrent les parois, disons ce qui va faire un pot de moutarde, si ce vide est le même que celui qui est enserré par les parois d’un autre pot. Et je crois qu’on peut se poser la question même si on a affaire à ces fabrications qui semblent toujours donner le même pot. Nous aurons à y revenir, nous aurons à y revenir à cause de l’identification.
Ce soir, je reviens sur ce que j’ai dit la dernière fois, et tout particulièrement sur ce que j’ai dit autour de ces deux entités - le pauvre et le riche - et je dois dire que c’est vraiment l’enseignement de Lacan qui m’a conduite à ces conclusions. Il se trouve que, depuis l’année dernière, le séminaire sur le Transfert nous intéresse, qu’on y travaille, et que je m’y suis reportée pour une ou deux choses, et je me suis arrêtée sur ce qu’il en était du pauvre et du riche, d’autant plus que déjà, l’année dernière, avec ce qui intéressait la femme, « la femme pauvre », c’était ce que Lacan nous indiquait dans ce séminaire à propos du livre de Léon Bloy, je me suis dit que je ne m’éloignais pas de ce qui fait l’objet de nos réflexions.
Alors, je reviens sur le pauvre, Mandela - je crois que là, il n’y a pas beaucoup de discussion - et un point que j’ai retrouvé à propos de la femme, de la femme pauvre, et de l’anecdote que donne Lacan, enfin le commentaire qu’il donne autour du Banquet, précisément à propos de Poros et de Poenia. Vous savez, Poenia, c’est celle qui n’est pas admise au banquet des Dieux, pauvre parmi les pauvres, sans ressource. Donc Poenia, pour arriver à ses fins, s’active énormément et Lacan fait remarquer que c’est ce que une femme, à sa place de femme, fait aussi puisque, si elle se reconnaît et s’accepte femme, ça veut dire qu’elle s’accepte « ne pas avoir ».
Alors Mandela, le pauvre – il n’est pas si pauvre, même s’il est du côté du pauvre - c’est bien ce qui s’est passé, lui d’abord, tous ceux qui étaient avec lui, il faut dire que, pendant des années, ils se sont activés, activés à un point tel que, prenant les autres nations, les autres états, les prenant là à témoins de ce qui se passait sur ce sol qui était le leur, ils ont contraint les états à l’embargo. Donc cette activité, cette activité qui est le fait du pauvre, eh bien, on la trouve de leur côté, et vous savez que De Klerk qui est manifestement le riche - en tout cas il l’était dans sa plénitude jusqu’à ce jour du 10 mai - lui, le riche, a dû renoncer à de la jouissance.
Alors, j’ai continué mon travail, j’ai continué mon travail et, en tenant compte des éléments qui m’étaient apportés, coupures de journaux ou ce que j’entendais, et je me suis dit que pour que ces deux-là arrivent à faire ce qu’ils ont fait, c’est non seulement parce qu’ils ont supporté ce qui était leur position subjective mais encore quelque chose de plus s’est passé, et je dois dire que ce qui m’en a donné l’idée, c’est ce que j’ai lu sur la famille De Klerk. De pères en fils, et depuis un certain nombre de générations, on s’intéresse à la politique et, dans ce que l’on peut lire, dans ce qu’on peut entendre, rien au premier abord ne destinait Frederik à faire ce qu’il a fait, rien ne le destinait et même, dans ses premiers pas, mon Dieu, il s’est beaucoup plus tourné du côté de celui qui se présentait pas comme pauvre, c’est-à-dire l’autre prince, le prince …inaudible...
Alors si Frederik De Klerk à un moment de sa vie a pu faire ce qu’il a fait, c’est par rapport à ce qui le lie depuis toujours à la politique, mais il a fait, il l’a porté au rang de la science, et c’est la même chose que Mandela a fait. Mandela aussi à ce tournant de sa vie, devant cette main tendue, eh bien, il est devenu, tout comme De Klerk, sujet de la science. Si vous vous reportez au séminaire de Lacan sur l’objet de la psychanalyse, tout particulièrement dans ce qu’il nous dit lors de la leçon du 15 décembre 1965, et même déjà le 1er et le 8 décembre, si on se rapporte à ceux-ci, eh bien, il explique ce qu’il en est du sujet de la science.
Avant d’y venir, je vais rappeler ce qu’est le sujet, le sujet de l’inconscient, ce sujet effet du signifiant, c’est, vous vous souvenez, celui-là qui, parce que pas de substance, sera représenté par ces signifiants, l’articulation signifiante, représenté donc pour un autre signifiant, ce qui met en place cette articulation signifiante, ce qui fait que il y a là du sujet, du sujet barré avec ce qui va choir au cours de cette opération qui est ce a.
Peut-être que certains s’en souviennent, dans les premiers temps du travail que nous faisions ici, dans ce groupe, à l’École freudienne, on s’était arrêté un moment sur ce sujet, ce sujet que Lacan représentait par cette bande de Moebius, ce sujet divisé, et Lacan disait, insistait et montrait – nous ne pourrons pas entrer dans tous ces développements ce soir, il a même fait un schéma que je voulais recopier mais je ne l’ai pas eu à portée de main à temps - ce , il est divisé par ce a, ce reste de jouissance, et il est continuellement dans le sillage du sujet. C’est important, nous y reviendrons. C’est important parce que c’est justement avec ce reste de jouissance qu’il va y avoir toutes les différences que l’on pourra noter, tout ce qui fait particularité pour chaque être parlant. Alors le sujet de la science, nous dit Lacan, il insiste sur le rapport entre savoir et vérité, enfin celui qui veut sauver la vérité, mais enfin là ce soir, je ne vais m’arrêter sur cela, le sujet de la science suture ce qui fait sa division, suture cet objet a. Donc, il va se présenter comme ça : (S) puisqu’on ne verra plus rien de ce qui fait sa division. La suture, c’est quelque chose qui fait qu’on ne peut plus voir ce qui fait la coupure. Mandela et De Klerk sont devenus sujets de la science politique, ça veut dire qu’ils ont mis de côté ce qui faisait leurs particularités, qu’ils ont mis de côté ce qui, dans leur mode de jouissance, pouvait dans ce travail qu’ils s’étaient imposés, pouvait les séparer.
Je crois que c’est véritablement important, j’en parle parce qu’il se trouve que nous avons cela et que cela me donne l’occasion de vous parler d’une façon un peu différente de ce que j’aurai fait autour du grand Autre, autour du sujet, autour du « même », ce qui fait que, entre eux, on peut dire qu’il y a intersubjectivité. Certains peut-être s’en souviennent ici, de mon embarras de cette réflexion de Lacan autour de…, à propos de nous, que nous étions avec nos oreilles « matelas » et puis ce qui suivait. Ce qui suivait, c’est que, à cette époque-là à propos de l’intersubjectivité il ne pouvait pas faire autrement que parler d’intersubjectivité. Eh bien, j’ai compris que ce n’était pas à cause de nos oreilles « matelas », j’ai compris cela justement par ce qu’il vient de se passer entre ces deux sujets, sujets de la science, sujets qui se présentent non divisés, avec la suture de cet objet a et ça m’a fait me reporter à un autre passage du séminaire de Lacan, la fin du séminaire sur l’Angoisse où, à propos du miroir, il insiste en disant que là c’était le miroir du stade, eh bien le miroir du stade, ce grand Autre, c’est un grand Autre sujet. C’est-à-dire qu’à cette époque-là, où il nous parlait du grand Autre, il parlait du grand Autre sujet, de l’intersubjectivité, c’était une époque où les sujets dont il nous parlait n’étaient pas divisés. Parce que sujets de la science, l’un et l’autre, et Mandela et De Klerk, parce que, pour faire ce travail autour de la politique, qui n’est pas là, vraiment… ce n’était pas les sciences politiques - malheureusement, je n’ai pas pu retrouver ce que l’un et l’autre avait dit en recevant le prix Nobel - ils n’ont pas tenu le même discours, donc il pouvait y avoir entre eux ce qui leur permettait, tout comme avec ce miroir du stade, tout comme avec le grand Autre sujet, d’être, de pouvoir dire qu’il y avait une image de l’autre semblable. C’est pas du même, c’est une image de l’autre semblable, c’est ainsi que Lacan nous parle de cette relation qu’il y a autour du sujet et du grand Autre sujet. Mais sujet de la science politique, les choses ne se passeront pas tout à fait comme avec le sujet de la science biologique mais enfin je ne rentrerai pas dans ce détail, quoi que ça nous intéresse, nous autres, puisque tout ce qui est de la bioéthique a à voir avec le sujet de la science, de la science biologique. Ce soir, je n’entrerai pas dans ceci puisque nous aurons de toute façon à y revenir. Donc, sujets de la politique portés au rang de la science, mettant de côté ce qui pouvait faire leur particularité et qui avait à voir avec leur jouissance, il leur a été possible, à l’un et à l’autre, de s’intéresser aux Droits de l’Homme. Nous retombons dans ce que Lacan nous enseigne, et nous enseigne autour de l’Éthique et il reprend dans « Kant avec Sade »… Bon, alors les Droits de l’Homme, c’est sur quoi ils travaillent actuellement, le droit au savoir, le droit à la santé, le droit à ceci … et quelque soit le coût, c’est accepté - ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discussion. M’enfin là, quand on est dans ce domaine où le grand Autre est un grand Autre sujet, où la question de la jouissance au cœur du grand Autre ne se pose pas, eh bien, les problèmes des Droits de l’Homme peuvent être envisagés, envisagés sous un certain angle. Nous aurons à détailler ce problème des Droits de l’Homme et ce que, dans « Kant avec Sade », Lacan nous dit, ce qui, lorsque la jouissance est mêlée, fait que c’est un tout autre son qui est entendu.
Restons au plus près de cet exemple : sujets de la science, oui, pour ces deux… ça ne veut pas dire que leur particularité est mise de côté toujours, et il y a eu une petite phrase dans cette coupure du Monde qui m’a été apportée, une petite phrase qui dit ceci que, en définitive, dans ses initiatives qui pouvaient surprendre, eh bien, sa famille ne le prenait pas tellement au sérieux. C’est-à-dire que ça ne les dérangeait pas ; en fait, quand il retrouvait sa femme, quand il retrouvait son frère aîné, quand etc… pour ce qui avait à voir avec sa particularité, avec sa jouissance, eh bien là, ça pouvait jouer, c’est-à-dire qu’elle n’a jamais été dérangée, elle - ça m’avait beaucoup frappée quand je l’ai vue aux côtés de son mari lorsque celui-ci prêtait serment, j’entends la femme de De Klerk, prenant les choses assez sereinement - cette petite phrase du Monde m’a beaucoup interrogée et m’a fait un peu reprendre ce que nous apprenons par ailleurs : certes sujets de la science pour ce qui est de l’œuvre à faire en commun, mais pour ce qui est de leur particularité, ils ont su préserver cela, c’est-à-dire qu’ils sont restés ce sujet barré, ce sujet qui traîne derrière lui, qui a dans son sillage cet objet a, cet objet cause de désir, et c’est là un point important, parce que, en définitive, tout ça, on le retrouve dans l’enseignement de Lacan et je pense que c’est pour cela que cet État qu’ils ont mis en place, ils ont pu dire que c’est un État multiracial. Nous aurons à parler de la race, parce qu’on aurait pu dire que ce serait un « État noir », mais non. Je crois que s’ils avaient fait cela, ou si Mandela avait absolument voulu dire que ce serait un État noir, eh bien ils n’auraient pas été au service de la science politique, il fallait que ce soit multiracial. Et il fallait que ce soit multiracial pourquoi ? Parce que toutes ces personnes qui vivent sur ce territoire, ce sont des sujets divisés avec ce qui est leur particularité, avec ce qui est leur mode de jouissance et nous sommes confrontés à ces choses-là, ces personnes qui chaque jour viennent nous parler, c’est bien de ce qui fait leur particularité, de comment ils se débrouillent avec ce reste de jouissance, cet objet a, ce reste, ce qui sera mis, ce qui sera porté au cœur du grand Autre et là, nous n’avons plus affaire au grand Autre sujet, le problème de l’intersubjectivité là ne marche plus, et bien nous avons à nous intéresser à ces particularités, à ce qui fait leur jouissance. Et la dernière fois, j’ai déjà dit que ce qui va nous intéresser l’année prochaine, c’est bien le mode que chaque structure, enfin ce qui caractérise chaque structure avec sa façon de porter la jouissance au cœur de l’Autre, ça c’est la particularité, ça c’est ce qui a été préservé dans cet État multiracial. Alors la race, quelque part Lacan dit que ça n’a rien à voir avec on ne sait quelle biologie, ce travail fait par les anthropologues qui essaient de trouver des différences… On va chercher le pli palmaire, on mesure les fronts, on recherche dans les gênes, que sais-je encore… C’est pas ça qui fait la race. On a connu, il y a pas encore très longtemps, c’était bien la même race qui se battait, qui était là à pourchasser l’autre, qui pourtant était de race blanche, souvenons-nous de la dernière guerre. Ce qui se passe en Afrique actuellement avec ces deux populations de même race. La race, c’est pas la couleur de la peau, la race, c’est ce qui fait que, du fait du discours qui a porté chaque sujet, il occupera une certaine place, et c’est de là que viendra la différence.
Revenons-en toujours à cet État multiracial. Si on prend les blancs de cet État, on ne peut pas dire qu’ils sont tous de la même race, les partis politiques sont là pour en faire savoir quelque chose, si on prend ceux de race noire, on ne peut pas non plus dire qu’ils sont tous de même race, si on accepte ce que Lacan nous dit à propos de la race, que ça n’a rien à voir avec ce que l’anthropologie, la biologie, tout ce que l’on veut… essaient de mettre en place, c’est pas ça qui fait la race. Parce qu’autrement, on se demande pourquoi à ce moment-là, parmi les sémites, il y aurait cette guerre, on pourrait reprendre bien des points de l’histoire de l’humanité, c’est que ce n’est pas le même discours qui soutient chaque sujet, c’est à un point tel que, dans cet État multiracial, s’il y a des noirs, s’il y a des blancs, s’il y a des hindous, s’il y a des … je crois qu’ils ont raison de dire multiracial parce que, justement, c’est pas autour de la couleur de peau qu’il y a race, c’est autour de ce qui est un discours qui fait que le sujet est à une certaine place et qui fait que, à cause de la tradition, on vit d’une certaine façon et non pas d’une autre façon, et de vouloir obliger celui qui jouit d’une certaine façon à jouir comme l’autre, à se présenter comme l’autre, c’est là que le racisme se fait.
Donc, le grand Autre sujet, on peut se mettre à faire des recherches, les biologistes, les chercheurs, sur ce plan-là, ça va … Eh bien, il n’y a pas que cela. Je maintiens ce que j’avance à propos de la science politique, je pense que, parce qu’ils sont arrivés à cela qu’ils ont pu faire ce qu’ils ont fait et puis, en même temps, ils sont restés sujets divisés avec ce qui est leur particularité et même, c’était amusant, le jour de la prestation, au moment de prêter serment, De Klerk a prêté serment en Afrikaans, ça avait frappé beaucoup de monde, j’ai écouté, j’étais curieuse de voir comment les choses allaient se passer, et je me suis dit, tiens, pourquoi, lui qui est anglophone, vient marquer de cette façon - par sa langue - cette particularité. Mandela, lui, a prêté serment en anglais - il aurait peut-être pu parler bantou, enfin, bref, c’est en anglais - mais un point, ce qui marque, ce qui fait le chef lorsqu’il prend son commandement - en tout cas, chez moi, et je pense que là-bas aussi - c’est cette danse, cette danse qui se fait à partir des épaules et il l’a fait très simplement, marquant par là que, lui aussi, il prenait son pouvoir. Je crois que quelque chose s’est passé là, en tous cas, moi, ça m’a éclairée dans ce qui me semblait difficile parfois, dans l’enseignement de Lacan autour du sujet, du grand Autre, de l’intersubjectivité, de la question de l’identification, ce qui s’est joué là m’a beaucoup éclairée et c’est pourquoi je me suis dit que cela valait la peine, plutôt que de vous apporter ce que, de l’enseignement de Lacan, j’ai retenu et qui devait faire la fin de nos rencontres cette année, il se trouvait que là, ceci était possible.
Donc, pour ce qui est du même, ce n’est pas à partir du même que la question de l’identification pourra être réglée. Pour ce qui est donc de cette identification, il faut tenir compte de ce qui fait le sujet, de ce qui est dans le sillage du sujet. Je dois dire que, lorsque j’ai travaillé l’Objet de la psychanalyse, j’en avais parlé. Lorsque j’ai travaillé cet objet de la psychanalyse, ce a qui était là dans le sillage du sujet m’avait retenue mais pas au point de ce que je viens là de comprendre.
Ce qui est important, c’est de savoir que s’intéresser à un sujet, sujet de la parole, sujet de l’inconscient, effet du signifiant, ce qui compte, c’est cet objet de jouissance et j’ai pris toute la mesure de ce que Lacan nous disait et qui nous faisait sourire lorsqu’il avançait ceci que Freud, ça a été le champ du désir, et que lui, Lacan, il va mettre l’accent sur le champ de la jouissance, sur la jouissance. Et je crois que c’est vraiment un pas important, je l’ai mesuré maintenant, c’est un pas important que de tenir compte de ce qui fait la jouissance des sujets car, en fait, si ceci n’est pas accepté, alors il y aura différence, on ne pourra pas s’entendre parce que on trouvera toujours - je pourrai donner des exemples - c’est toujours, si vous faites attention, autour de la façon de jouir que les différences commencent.
Alors avec ce vide, puisque c’est de là que je suis partie, du vide, et de ce qui était autour de ces séminaires sur le vide, avec toute l’importance qu’il y a à donner à la jouissance, à ce reste de jouissance et je comprends mieux pourquoi, à propos de cet objet a, quand on reprend le parcours qui a été le sien, et toutes les discussions qui ont eu lieu entre Françoise Dolto, Lagache, Favez Boutonnier, enfin je saisis mieux pourquoi, comment, en tenant compte de la clinique, et ce ne sont pas des vues de l’esprit, c’est en tenant compte de la clinique que Lacan a, petit à petit, mis en relief cet objet a jusqu’à ce point (en 74, dans son séminaire du 9 avril) que c’était ça son apport à la psychanalyse et si nous y réfléchissons, si nous essayons de voir quel est le rapport du sujet à l’Autre, c’est quand même ce qu’il en est de cet objet, de ce reste, qu’il porte au cœur de l’Autre - l’Autre grand Autre, bien sûr. Alors, on peut comprendre que, lorsqu’on approche de ce vide, de ce vide - souvenez-vous, je crois que, dès notre première rencontre, je l’ai souligné - on ne sait pas si c’est bon, si c’est mauvais, le jugement d’attribution bon et mauvais ne fonctionne pas, donc ce qui est porté là au cœur de l’Autre, comprenez bien que ça peut être l’extrême jouissance comme ça peut être ce qui rend la vie impossible, et vous comprenez bien aussi que la question de la haine est à reconsidérer à propos de ce vide, de ce qui est porté là au cœur de l’Autre.
Parce que j’y reviens toujours, je m’en excuse, après tout, puisque ça m’a permis de comprendre quelque chose, tout du moins je le crois, ce qui est quand même notable dans ce qui s’est joué, c’est véritablement de l’ordre d’une révolution, ce qui est notable, c’est que la question de la haine n’a pas été mise au premier plan. Cela aurait pu être… Ça commençait ainsi, quarante-huit heures encore avant les élections, c’était ça. Or, qu’est ce qui se passe, on ne voit quand même pas ce qu’on a pu voir dans d’autres pays, à d’autres moments de la vie, on n’a pas dit « les émigrés à la mer ! », les émigrés, c’est ceux-là qui sont venus de l’extérieur, on n’a pas dit « à la mer ! », on ne s’est pas rué sur leur bien. Je crois que là, vraiment, je n’irai peut-être pas plus loin avec cette éthique, avec ce qu’il en est de l’Autre, de ce qui est porté au cœur de l’Autre, de ce que Lacan nous dit de la jouissance, de ce qu’il nous dit de la haine, vraiment pour notre clinique, il sert au plus près ce à quoi nous sommes confrontés quotidiennement.
La haine a été, on peut dire d’une façon générale, soustraite. C’est véritablement par rapport à ce qui c’est joué avec le grand Autre, ce qui s’est joué avec le grand Autre qui permet aux populations les plus déshéritées de ne pas se précipiter sur ceux-là qui possèdent. J’ai entendu des interviews qui m’ont frappée, ils disent bien, on ne pourra pas avoir tout de suite, mais il y a quand même quelque chose qui fait que, si on est dans les mines de charbon, les mines d’or, on doit quand même pouvoir mieux vivre… Reprenez les séminaires de Lacan, les séminaires de Lacan et en particulier autour du désir, en particulier avec l’Éthique - c’est ça l’Éthique, le tournant - ce qui va suivre avec l’Identification, ce qui va suivre avec les différents séminaires, par exemple ce séminaire sur l’Objet de la psychanalyse qui m’avait beaucoup retenue en son temps, sur lequel je suis revenue tant et tant, je dois dire que c’est ce qui vient de se passer là qui m’a éclairée, qui a fait que je ne peux plus… jusque-là, je répétais ce séminaire, je répétais beaucoup de choses que j’avais saisies, parce que la clinique etc… mais là, une compréhension pour moi s’est faite autour du grand Autre qui peut être sujet. J’ai repris la question de l’intersubjectivité et, avec le sujet de la science, je l’ai même retrouvé tout à l’heure avant de venir, je crois que c’est le 15 ou le 8 décembre, où la question des Droits de l’Homme, Lacan le reprend là - je ne l’avais pas remarqué comme je l’ai remarqué tout à l’heure - où la question du grand Autre, du grand Autre qui a à voir avec le sujet, sujet barré, sujet avec cet objet qui est toujours dans le sillage du sujet et qui sera porté au cœur de l’Autre et si on se souvient que ça a à voir avec le vide de la Chose, alors on peut reprendre bien des points de l’enseignement de Lacan et de la clinique psychanalytique, car ceci vient véritablement de m’éclairer : la haine que nous avons en nous, sujets, c’est bien celle que nous portons au cœur de l’Autre.
C’est quand même extraordinaire : quand on voit que, mille kilomètres plus haut, on se décapite, on ne permet même pas aux enfants de vivre et que, un peu plus bas, on arrive à pouvoir trouver une solution, je ne dis pas que ce soit toujours parfait, j’ai entendu quelques discussions, mais enfin ça mérite réflexion, en tout cas, moi, ça m’a obligée à reprendre des chapitres de l’enseignement de Lacan, et bien, ne serait-ce que ça, je pense qu’il fallait que je vous l’apporte.