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Autour de la Chose VIII

22 février 1994
Document de travail

Dans le séminaire sur « La lettre volée », Lacan nous dit, écrit, puisqu’on peut le trouver dans les Écrits que, à propos de la nouvelle topique, « le Moi, le Ça et le Surmoi », et ce que Freud a dû dire concernant la répétition et la réaction thérapeutique négative, Lacan nous dit que il n’y a pas à prendre ça comme un simple rajout, que, si on se reporte à l’Entwurf, on peut se rendre compte de ce qu’a été la divination - c’est le mot qu’il emploie - la divination de Freud dans cet essai, le projet, c’était la traduction que Lacan donnait à l’Entwurf enfin « l’esquisse pour une psychologie scientifique », donc cette divination, qui a été celle de Freud, avait déjà tracé les avenues qu’il allait parcourir au cours de sa recherche. Je reviens là-dessus, je vous n’avais pas donné cette référence de Lacan, je reviens sur ce point pour dire, pour insister sur ceci que la découverte freudienne n’intéresse pas uniquement ce qui est de la parole, de l’inconscient mais que, avec cette parole, cet inconscient, il y a à faire place à la jouissance ; c’est ce qui nous intéresse cette année-ci, cette année-ci, cette année où il n’y a pas un titre, mais qui essaie de faire le tour, en tout cas le premier tour de ce qui est cette découverte, cette découverte de Freud, et ce qui m’amène à vous redire souvent la même chose, mais en essayant de prendre ce qu’il y a à en retenir sur différentes facettes.

Alors donc, ce qui intéresse le psychanalyste, concerne ce petit d’homme ; pour bien le saisir, je pense qu’il faut partir de ce schéma de Lacan qu’il nous a proposé dans Le désir et son interprétation, qui est un schéma dont je me sers très fréquemment, à partir de ce cri, de ce cri assignifiant, de ce cri qui est ce que l’infans, le nouveau-né, celui qui vient là de choir dans le monde, ce cri qu’il fait entendre, et ce cri qu’il fait entendre, il l’émet au moment, ou peu après, avoir quitté ce vide qui le logeait, c’est-à-dire l’utérus de la mère. Il se loge dans ce vide. Ce qui sera pris comme ça, au hasard, le monde qui l’entoure en fera ce qu’il peut, mais à un moment, à un moment que l’on peut dire inaugural, initial pour celui-là qui va devenir sujet, un autre cri mais qui, lui, n’est pas assignifiant, un cri qui véhicule du signifiant, qui est parole, et qui s’adresse à l’Autre ; et c’est à ce moment-là qu’il sera aux prises avec un autre vide, ce vide qui va l’accompagner, lui, sujet, ce vide que Lacan a nommé la Chose en se référant justement sur ce qui a pu être écrit par Freud, dans cette « Entwurf », dans ce projet, cette « Esquisse pour une psychologie scientifique », ce vide qui est là et qui l’affecte et qui a à voir avec la jouissance, mais avec ce qui, de la jouissance, lui est interdit, ce vide se met en place, avant tout refoulement, comme je vous ai dit la dernière fois et, avec ce vide, si nous sommes dans ce cas de la névrose, celui qui nous intéresse, celui qui nous sert de base à la réflexion, avec l’Autre, il saisira, il appréhendera que l’Autre manque de quelque chose ; et ce sujet qu’il devient, ce sujet, lui même, bien qu’ayant décomplété l’Autre d’un signifiant, ce sujet manque de signifiant qui puisse être le signifiant du sujet.

Avant de parler de cette Chose, ce das Ding, ce vide, ce vide qui est en fait le Réel - le Réel auquel nous nous cognons, c’est ce vide - avant de nous y attarder, je vais rappeler, ce que d’ailleurs vous trouverez dans le séminaire de Lacan, le séminaire sur l’Éthique, je vais rappeler les échanges que Lacan et ses élèves ont eu, autour de cette chose, de ce das Ding. Un de ses élèves, et non des moindres, qui a apporté toujours du travail sérieux et je pense qu’il doit en être encore de même, Lefebvre Pontalis, pour ne pas le nommer, avait … enfin questionné, interrogé Lacan, sur ce qu’il était en train de dire et sur ces nuances qu’il voulait apporter autour de das Ding et, comme il le faisait avec beaucoup de sérieux, il s’était reporté à l’article de Freud sur l’inconscient, pour faire remarquer à Lacan que, dans cet article, Freud n’emploie nullement ce terme de Ding mais de Sachvorstellung, et ce Sachvorstellung qui était là avec les Wortvorstellungen, Sachvorstellung représentant les choses et Wortvorstellungen les mots. Et ceci est venu conforter Lacan que, dans ce texte sur l’inconscient, ce texte où essentiellement il était là question de ce qui est refoulé, où l’on trouve ce qui intéresse la chaîne signifiante, Freud emploie pour parler des représentations de choses, emploie le mot Sache et non pas le mot Ding. Ding est certes chose mais chose qui n’a pas à voir avec l’activité humaine, intellectuelle, enfin ce qui peut être là fabriqué. La Chose, das Ding, c’est ce vide et, pour que on puisse en saisir quelque chose, il faut mettre autour de ce vide une forme. Mais, c’est pas cette forme qui est mise autour de ce vide, que ce soit un vase, que ce soit ce qui, dans cette pièce, encercle et enserre le vide, ce n’est pas le vase qui est la Chose, c’est ce que ce vase contient, c’est-à-dire ce qui permet de saisir qu’il y a là un vide. Et c’est avec ce vide, c’est ce vide, ce vide qui n’est pas dans ce que, de la chaîne signifiante, de ce qui sera refoulé, on trouve, c’est cela que Lacan reprend, de Freud certes, Freud n’en a pas longuement parlé de ce Ding mais, s’appuyant sur ce que, par ailleurs, Heidegger venait de faire paraître, Lacan s’est efforcé de mettre en place ce que, dans Freud, nous trouvons et qui n’a pas eu ce développement que Lacan lui a donné. Il y a les représentations : représentations de choses, représentations de mots, et ceci intéresse le signifiant. Pour ce qui est de la Chose, de das Ding, eh bien, il n’y a pas de représentation, le réel, le vide, il n’y a pas de représentation.

Alors ce soir, nous allons nous intéresser de plus près à la Chose, à ce qui affecte le sujet naissant, qui est ce vide qui l’affecte au moment où il s’adresse à l’Autre et au moment où il négative la jouissance dans laquelle il baigne. Alors, j’ai fait là un petit graphe où j’ai mis en haut cette jouissance négativée, à partir du moment où le cri devient parole, où ce sujet du pur besoin, le sujet qui fait cette demande à l’Autre, va devenir sujet du signifiant, , il y a cette jouissance négativée, mais il y a ce rapport à ce vide. Alors, ce vide va être habité, tout l’effort, tout le travail du sujet va être de faire habiter ce vide, d’y loger quelque chose. Et ce qu’il va loger dans ce vide, c’est l’image du corps, ce n’est pas le corps. Souvenez-vous, l’année dernière, lorsque nous nous sommes intéressés à la relation qu’une femme, et particulièrement une mère, peut avoir avec ce vide à certains moments de sa vie, selon les épreuves qui lui ont été réservées, peut effectivement mettre dans ce vide un corps, et souvent c’est le corps de son enfant, mais là il faut entendre le mot corpse, c’est-à-dire le corps mort, le cadavre, et c’est ce qui est arrivé, en tout cas ce qu’on nous dit de Marie, au pied de la Croix, recevant dans ses bras son enfant mort, on en fera plus tard des tableaux, l’artiste y mettra son empreinte, mais enfin, ce qui vient là dans ce vide, dans le vide de cette femme, c’est ce qui ne s’y trouve pas d’une façon ordinaire, c’est ce corps, mais ce corps mort. Ce que le sujet vient mettre à cette place vide, c’est bien du corps, et c’est à partir de cette image que sera construit ce qui va permettre à ce sujet de faire avec la jouissance, jouissance interdite. Dans cette zone, dans cette zone de la Chose, la jouissance est interdite mais on y loge, à partir de l’image du corps, différentes choses. En fait, c’est cette image que l’on va habiller, c’est à partir de cette image que l’on va créer, et c’est tout à fait important de bien saisir que là, ce qui vient dans un premier temps habiller ce vide, c’est ce qui a à voir avec le narcissisme. L’image du corps, c’est cela.

Alors, pour vous en faire toucher quelque chose, eh bien, je vais reprendre, je vais reparler de mes chapeaux, je vais vous reparler de ce que les créations artistiques et que l’on fait autour de cette image du corps. Je vais reparler d’une chose qui m’a beaucoup frappée. Le hasard a fait que, cherchant je ne sais quoi sur le poste de télévision, à la fin de l’année, il y a deux ans, je suis tombée sur quelque chose qui avait commencé et qui était l’élection de Miss France. Ça m’a amusée, je m’y suis arrêtée, et j’ai regardé ce qui se passait autour de cette élection, autour de ces Miss, puisque c’est ainsi qu’on les appelle, qui viennent là dans un premier temps défiler. Défiler, je ne dirai pas dans leur nudité, m’enfin, il faut quand même qu’on prenne la mesure, de leurs mesures, et donc, on les voit là défiler en maillot, enfin tout ce que vous voulez, et puis le tableau change, alors - elles étaient quarante au départ, il n’en reste plus que douze, vous pensez que s’il fallait que les quarante restent, ça deviendrait compliqué - pour ces tableaux, qui vont défiler devant nous, et là, on les habille, et ce sont des créations artistiques, on les habille, on les coiffe, elles se présentent selon, non seulement composition de ce qu’on vêt, de ce qui est image du corps, mais aussi des tableaux qu’elles doivent refléter, elles sont chapeautées et, mon Dieu, à un moment… tout ça, ça dure un certain temps, c’est vécu sous une certaine forme et on fait participer le public qui vote, qui donne son opinion, les techniques permettent tellement de choses, alors il y a plusieurs tableaux et enfin, à un moment, on est quant même plongé, reporté dans ce qui est du passé puisque il faut dire que maintenant, avec les ombrelles, avec les ceci et les cela, on ne voit plus beaucoup… m’enfin, pour le regard, ça accroche et, mon Dieu, on est dans la sublimation. La sublimation, c’est savoir comment faire avec cette jouissance, cette jouissance qui est là dans cette zone interdite. Croyez-moi, à partir de ce moment-là, à partir de ce moment où on a créé, puisque c’est création d’art, il ne faut pas ajouter une illusion à l’illusion qui est portée au cœur de cette zone interdite. Il ne faut pas se faire croire que la sublimation n’intéresse que les tableaux, que les je-ne-sais-trop-quoi créations artistiques, ça aussi, c’est la sublimation et ce qui est là mis en place, avec tout ce qui défile, est mis en place pour que celui-là qui regarde, celle-là qui regarde, puisse venir mettre en place ce qui est de ce fantasme, de ce ◊ a. C’est-à-dire que, grâce à cette image du corps, cette image du corps qui est revêtue avec beaucoup d’art, va pouvoir être apporté tout ce qui est du fantasme, et qui a à voir avec l’imaginaire. Une personne m’avait posé la question autour de ce petit a, autour de ce qui était là fantasme, il faut savoir que dans ce que Lacan a apporté, même à la fin, même lorsqu’il nous parle de l’objet a comme réel, il n’a jamais pour cela dit qu’il n’y avait plus aucune fonction imaginaire de cet objet a, et c’est ce qui, devant ce tableau, ce tableau vivant qui est là, qui nous est présenté, c’est bien ce qui est mis en jeu et ce qui est mis en jeu est tout à fait du même ordre que ce qui se passe avec telle production, telle création artistique venant du peintre, du sculpteur, … tout ce que vous voulez, c’est autant de leurre, autant d’illusion qui est là mis en ce lieu de la Chose et qui est toujours là pour habiller l’image du corps, qui est toujours là pour faire avec le narcissisme. Et croyez-moi, lorsque l’on voit la transformation faite autour de ces personnes, quels que soient les tableaux, puisque j’ai voulu imaginer ce qui a suivi et me rendre compte de ce qui se passait à nouveau pour cette élection de Miss France, alors les tableaux n’étaient plus les mêmes, on était parti cette fois-ci des contes de Perrault, c’étaient des tableaux qui devaient être réalisés autour des contes de Perrault… c’est pour vous dire que on est là dans l’illusion, dans le leurre, et ceci venait confirmer, si j’en avais besoin, j’étais convaincue que ce que je voyais pour la première fois, qui se passait, et qui se rapportait à ce que Lacan a pu nous dire dans l’Éthique et dans la sublimation avec ce que nous faisons avec ce vide. Mais, lorsque ces transformations se sont faites et qu’on les voit, eh bien, on comprend bien qu’une barrière vient d’être mise là et que ces personnes, on ne peut pas y toucher comme cela. Habillées, chapeautées, marchant d’une certaine façon, enfin tout ce que … eh bien, c’est une barrière que l’on vient de mettre : on ne les approche pas comme cela. Ce n’est plus du tout ce qui défilait devant nous dans les tout premiers temps où il y avait offert ces demoiselles, ces Miss, avec toute leur mensuration, c’était autre chose.

Avec la mise en place du narcissisme et ce qui se fait autour de ce narcissisme, c’est une barrière, et une barrière qui fait que l’objet qui est là, habillé, c’est-à-dire c’est toujours l’image du corps qui est habillée, eh bien, on ne la touche pas comme ça, c’est porté à la dignité de la Chose. C’est ça, la sublimation. Lacan nous en a donné un exemple avec l’amour courtois. Les dames de l’amour courtois, lorsqu’elles sont mises en cette place, eh bien, c’est la même chose que ces demoiselles que l’on voit là défiler habillées et véritablement, on n’y touche pas comme ça, la barrière est mise et on ne peut pas en jouir, c’est la même chose que la dame de l’amour courtois, ça ne veut pas dire qu’on ne jouit pas, à un autre moment, de ces femmes, mais lorsqu’elles sont là portées, comme Lacan a dit, à la dignité de la Chose, eh bien, la barrière est mise. Et je crois que c’est tout à fait important, enfin il m’a semblé que, peut-être, ce serait plus parlant, ça permettrait mieux de saisir ce qu’il en est du rapport avec cette zone, cette zone où la jouissance est interdite, où on y met ce qui va permettre que le fantasme puisse là aussi venir faire barrière, que le fantasme puisse là aussi venir, devant ces créatures, quelque soit ce qui a été créé, que ce soit tel tableau ou quoi d’autre que l’on dit être objet de sublimation, c’est la même démarche, c’est toujours par rapport à l’image du corps que ceci se passe, et c’est toujours ce qui va permettre qu’une barrière soit mise, qu’une barrière soit mise entre ce qui permet que le fantasme puisse se donner libre cours, et le sujet, sujet du signifiant bien sûr, qui ne peut pas ainsi franchir cette zone. En somme, la sublimation, c’est ce qui fait que du leurre peut exister, enfin est construit, ce n’est pas du tout fait pour enlever quelque illusion que ce soit. C’est comment faire pour faire avec cette jouissance en cette zone interdite.

À cela s’ajoute le beau. Ça à voir avec du beau, ce qui défilait devant nous, et chacun peut trouver à son goût ce qui permettra, ce qui va nous permettre de maintenir son illusion. Alors la question du beau, nous y reviendrons, nous y reviendrons parce que Lacan en a parlé avec quelque chose qui a aussi à voir avec le tragique, puisque c’est par le biais d’Antigone qu’il nous a parlé de ce beau. Puisque Antigone arrivait dans cette zone, dans cette zone où, mon Dieu, pour elle, elle sait bien que tout ce qui faisait le leurre, ce qui faisait qu’elle pouvait être la femme de etc. et que, dans la cité, elle aurait tel ou tel rang et que … tout ça, elle le perd mais, nous dit-on, le beau, la beauté, elle l’a sur elle, peint sur elle, d’une façon tout à fait remarquable, ce qui nous est rapporté par les différents auteurs qui nous parlent d’Antigone. Je ne sais pas si, pour ces Miss qui défilaient devant nous qui étaient là à ce spectacle, s’il y avait là toujours quelque chose de tragique, mais enfin quand même, pour affronter cela, ça ne se fait pas toujours … et ce qu’elles vivent pendant ce temps, ce serait curieux de pouvoir en entendre quelque chose d’elles. Naturellement, ça peut surprendre, mais enfin, vous savez, l’art, ce n’est pas la peine de se faire des illusions, l’art, ce n’est pas toujours, ce n’est pas uniquement ce que nous voulons mettre derrière ce mot, la création artistique, ce qui fait que l’image, cette image qu’on vient mettre là, va nous rendre supportable ce qui est de ce vide, eh bien, ça a à voir avec l’art, c’est ce qui permet que du fantasme puisse se développer et qui permet donc que ce sujet, celui-là qui a négativé cette jouissance, celui-là qui, de ce fait, est aux prises avec la castration, et je vous ai dit que la castration, c’est ne pas trouver, en un lieu où l’on pensait rencontrer l’objet, l’objet primordial, mais comme cet objet n’a jamais existé, et la castration, c’est ça, c’est être aux prises avec ce vide. Et comment on va s’en arranger, eh bien, on s’en arrange avec le fantasme.

Alors, lorsque cette question de la sublimation a été travaillée l’année dernière, travail sérieux, on en a discuté, la question de la sublimation que devrait apporter à l’analysant en fin de parcours d’analyse, la question de la sublimation que devrait lui apporter sa psychanalyse a été posée. Mon Dieu, si la sublimation, c’est de faire en sorte que du leurre soit là en ce lieu du vide, si la sublimation est ce qui permet que le fantasme puisse se développer, alors comment penser qu’une psychanalyse qui a pu être menée jusqu’à ce qui serait son terme, c’est-à-dire que le fantasme puisse s’ouvrir, que ce fantasme ait été traversé, c’est-à-dire qu’il y ait cette disjonction entre ce et ce a, comment penser qu’une psychanalyse qui a pu mener jusqu’à ce terme va faire qu’il y ait quelque chose qui soit de l’ordre de la sublimation, quelque chose qui permette qu’il y ait du leurre, enfin je ne sais pas comment Lacan dit encore, que les marchands de je-ne-sais-quoi soient là, comment penser cela ? Je n’ai pas besoin de vous donner la réponse, vous l’avez vous-même. Si c’est là où la psychanalyse doit mener celui qui a décidé de faire cette analyse et de la mener jusqu’à son terme, vous pensez bien que la sublimation, c’est quand même pas ça qu’il faut lui laisser espérer. Reprenez, et c’était ce que j’avais essayé de dire lorsque nous avions tentés de faire un premier tour autour de la sublimation, reprenez ce que Freud dit dans Malaise dans la civilisation, dans l’Avenir d’une illusion, c’est quand même pas ça que nous avons à entretenir. Oui… Il y avait eu aussi une autre discussion autour d’un passage de Freud dans « Pour introduire le narcissisme », où il mettait en comparaison ce qu’il en était de la sublimation et ce qu’il en était de l’Idéal du Moi, par rapport à la pulsion et au refoulement.

En reprenant le graphe de Lacan, et en suivant ce graphe, donc ce sujet, sujet barré, sujet qui est aux prises avec sa castration, c’est vrai, qui a négativé sa jouissance, sujet qui, de l’Autre, reçoit ce signifié de l’Autre, qui est le symptôme, mais ce symptôme, ce s(A), on ne peut pas le prendre en considération sans tenir compte de ce qui est là au bout du trajet, du parcours du graphe, sans tenir compte de ce qui est l’Idéal du Moi ; d’ailleurs il suffit de se rappeler ce que Freud nous dit de cet Idéal du Moi, ce qu’il nous en dit dans les identifications, et il nous dit que c’est le symptôme, la toux de Dora, ce qu’elle a prélevé sur l’Autre, ce qui est cette identification idéale, Freud nous dit que c’est le symptôme. Alors, ce qu’il nous dit, cette comparaison qu’il fait entre sublimation et Idéal du Moi, il faut quand même se rappeler ce qu’il a pu enseigner auparavant et sur lequel il n’est jamais revenu, c’est que, mais c’est le symptôme. Alors qu’en est-il de la sublimation et du symptôme ?

Alors le symptôme, c’est quoi ? Le symptôme, c’est une substitution, reprenons ce que Lacan après Freud, à propos du petit Hans, nous dit de cette phobie qui vient là de se mettre en place. Et Freud y revient dans « Inhibition, Symptôme et Angoisse », il y revient pour nous dire que le symptôme, c’est une substitution métaphorique, cette métaphore qui fait qu’à la place du père vient le cheval, en substitut le cheval et, à partir de ce moment-là, la phobie éclate mais c’est quand même le symptôme qui est derrière. Pour ce symptôme, pour cet I(A), pour ce qui fait que le refoulement sera mis en jeu… l’I(A), le refoulement va jouer parce qu’on est dans le symptôme. C’est par rapport aux vicissitudes de la pulsion que Freud a avancé ce terme de sublimation, même si on n’a pas pu trouver l’article qu’il y a consacré au même titre que « l’Inconscient », le « Refoulement », m’enfin, on a quand même des passages cliniques qui font qu’on ne peut que se souvenir de cela, c’est par rapport à la pulsion que ce que Freud nous dit, autour de cet Idéal du Moi et de la sublimation, qu’il y a à comprendre. L’idéal du Moi, eh bien, le refoulement va jouer, ça joue parce qu’on est dans le symptôme, on est dans le symptôme. Pour la sublimation, la question du symptôme ne se pose pas, alors on va pouvoir satisfaire une pulsion, mais une pulsion qui comme toute pulsion, reprenez le schéma de Lacan, son graphe, qui est là en ◊ D, une pulsion qui est refoulée, mais qui va trouver satisfaction par la sublimation sans que quelque chose d’un refoulement soit mis en place, mais quand même cette satisfaction suppose la pulsion qui, elle-même, est refoulée.

Alors, la différence essentielle entre cette sublimation et cette satisfaction que l’on peut avoir, rappelez-vous ce que je vous ai dit avec, j’allais dire ces créatures de rêve, que l’on fait défiler devant nous, mais il y a de la jouissance qui est éprouvée, mais avec ceci, c’est qu’on ne touche pas. Le fantasme peut prendre cours, de la pulsion, satisfaction il y aura, mais ce sera quelque chose de différent par rapport à cet Idéal du Moi, puisque cet Idéal du Moi va de pair avec le symptôme.

Donc la sublimation, c’est quand même pas ce qu’on essaie de nous faire croire et, dans nos milieux. La sublimation, c’est ce qui nous permet de jouir de la Chose tout en maintenant une barrière, ce qui nous permet de jouir tout en faisant que cette zone reste une zone interdite. Et cette sublimation se fait autour de notre narcissisme, le narcissisme du sujet, et de l’image qui est mise là, au cœur de la Chose, et c’est autour de cette image du corps bien sûr, que l’on va fabriquer tout ce qu’on voudra. Si on a du talent, tant mieux, on peut ne pas en avoir, et il y aura sublimation, ce qui compte, c’est quand même cette illusion qui est là sous l’oeil, ça n’est pas la peine j’allais dire de se voiler la face et qui permet que l’on puisse jouir ainsi de ces choses. C’est peut-être une des meilleures façons pour en jouir, mais il faut bien savoir que, avec la psychanalyse, des illusions tombent, ça ne veut pas dire que si on a quelques talents, on ne s’en servira pas, ça ne veut pas dire que si, effectivement, peindre ou écrire, ce n’est pas ce qu’on fera, mais enfin ça aura été remis en question et à ce moment-là, on peut se poser la question : qu’est-ce qui fait qu’on reste dans la psychanalyse, mais ça ne veut pas dire que si on a du talent, on ne fait pas de la peinture, on ne fait pas de la sculpture, c’est pas ça du tout que je dis. Je ne voudrais pas qu’on me fasse dire ce que je ne dis pas, mais la psychanalyse n’est pas là pour faire sublimer.

Je vois que ce sont les vacances, pourquoi ne pas s’arrêter sur ce point qui est quand même un point important de la découverte de Freud.


Questions

Elisabeth Boisson :
Les illusions tombent. Qu’est-ce qui fait qu’on reste dans la psychanalyse ? Je ne comprends pas comment vous amenez cela.

Solange Faladé :
Qu’est-ce qui fait qu’on reste dans la psychanalyse ? Je crois qu’on a toujours à s’interroger sur cela. Je dis que, une fois les illusions tombées, qu’est ce qui fait qu’on reste dans la psychanalyse ? Qu’est-ce que vous aviez cru entendre ?

Elisabeth Boisson :
Je voulais être sûre que ce soit ça.

Solange Faladé :
On a toujours à se poser cette question. Bien sûr, Lacan nous ouvre la voie en disant : que devient la pulsion, une fois le fantasme traversé ? Bon, il faut dire qu’on tourne beaucoup autour de cette phrase de Lacan. On peut aussi prendre les choses par le biais de ces illusions et de ce qu’on voudrait faire penser que, de ce côté là, il pourrait y avoir sublimation au bout du compte, alors que le fantasme est traversé. Que faisons-nous de tout cela ? Comment nous arrangeons-nous après tout avec le réel, quoi, avec la Chose, avec ce qui se dit là ? C’est là-dessus que j’ai voulu m’arrêter en ayant pris soin de vous dire qu’il ne faut pas attendre quoi que ce soit qui serait de l’ordre d’une sublimation, ça veut pas dire que, si quelque talent on a, ce sera … il y aura à y renoncer, c’est pas ça.

M. Glicenstein :
Je ne sais pas si j’ai bien compris mais il me semble qu’on aboutit finalement au fait que le symptôme et la sublimation, c’est du même ordre.

Solange Faladé :
Non ! Ça, j’ai pas dit ça. Ah ça, vraiment non ! Je me suis très mal fait comprendre… Je vous ai simplement reportés au passage de Freud dans « Pour introduire le narcissisme », où il fait la comparaison entre le rapport de l’Idéal du Moi avec la pulsion et le rapport de la sublimation avec la pulsion. Je vous ai jamais dit ça, il me semblait même que j’ai été assez claire pour dire que, d’un côté, il y a la sublimation, et pour dire que cette sublimation et je ne vois pas où, sur le graphe, si on part du fait que, la chose est là, j’ai bien pris soin de dire que, pour ce qui est de l’Idéal du Moi dont parle Freud, pour saisir me semble-t-il quelque chose de la différence qu’il fait entre la relation de la pulsion avec la sublimation et la relation de l’Idéal du Moi avec la pulsion, en partant du graphe de Lacan, on s’aperçoit que, pour qu’il y ait Idéal du Moi - d’ailleurs, c’est ce qui est dans Freud - l’Idéal du Moi suppose symptôme. Mais, la sublimation, je n’ai pas dit ça, j’ai dit que pour la sublimation, justement, la question du symptôme, de ce qui est à substituer, n’existe pas. Où alors, je me suis très mal fait comprendre, mais je ne crois quant même pas que ce que j’ai dit, on pouvait entendre ça.

M. Glicenstein :
C’était une question parce que j’ai trouvé difficile de comprendre ce que c’était que la sublimation puisque, finalement, c’est le summum du leurre.

Solange Faladé :
Ah, oui, oui, c’est ça, oui. Oui mais, le symptôme n’est pas forcément le summum du leurre puisque c’est quant même avec cela que, dès le départ, nous avons affaire et que, dès que nous nous adressons à l’Autre, que nous faisons notre demande à l’Autre, et que de l’Autre, on prélève ce qui nous permet de tenir… le symptôme est là, quoi. L’Idéal du Moi, Freud nous dit, c’est le symptôme. Reprenez ce qu’il nous dit dans les identifications, la toux de Dora, il nous dit que c’est ça le symptôme de Dora et cette toux, c’est ce qui est découpé sur le père. On n’habille rien là avec le symptôme. Le symptôme, c’est quand même ce qui crie la vérité, c’est la vérité qui est là, criée. Maintenant, qu’est-ce que le sujet voudra en entendre, ça c’est autre chose, et c’est bien par ce travail que nous avons commencé ici, j’entends dans le groupe, pas seulement le mardi, c’est par cela que nous avons commencé, avec ce qui du savoir pourra se nouer à la vérité, c’est-à-dire ce que le sujet avec son symptôme, acceptera de savoir, c’est-à-dire ce que, du savoir, pourra venir se nouer à cette vérité qui est le symptôme. Alors que la sublimation, c’est pas ça.

Question :
Je vois assez bien, me semble-t-il, comment la sublimation s’articule avec la Chose, mais je vois moins bien comment le symptôme s’articule avec la Chose.

Solange Faladé :
Écoutez : je ne vous ai pas dit que … Le symptôme, c’est ce qui est du côté du signifiant. Nous avons affaire au sujet du signifiant. Le symptôme, c’est ce s(A), c’est ce qui, de l’Autre, est signifié au sujet. Et ce qui, de l’Autre, est signifié au sujet, a à voir avec cette identification, ce que le sujet a prélevé aussi sur l’Autre. Alors, le sujet du signifiant fait avec cette vérité, c’est ça le symptôme, avec cette vérité qu’il porte mais dont il ne veut pas en savoir quelque chose. Tandis que la sublimation, ce n’est pas ça, il y a cette zone interdite et cette zone interdite, on s’en débrouille, on s’en débrouille pour pouvoir en jouir d’une certaine façon et, nous dit Freud, d’une façon qui fait que la pulsion trouvera satisfaction sans qu’il y ait refoulement. Or, la pulsion, c’est déjà quelque chose qui est refoulé. Le symptôme, l’Idéal du Moi, c’est pour ça que j’ai pris l’exemple du petit Hans, pour que le symptôme puisse se mettre en place, il faut qu’il y ait métaphore, il faut que un signifiant vienne à la place du signifiant majeur qu’est le Père et c’est à partir du petit Hans que Freud en a parlé et que Lacan l’a repris. Je ne vois pas … D’un côté, nous avons ce qui a à voir avec le signifiant, d’un autre, nous avons à voir avec le vide, avec la Chose, avec le Réel et comment on s’en débrouille. Et ce Réel, on va s’efforcer de l’habiller et pour s’efforcer de l’habiller, on l’habille à partir de ce qui est notre narcissisme. Quant au symptôme, pour que quelque chose puisse s’en dénouer, il faut que du savoir puisse venir s’accrocher à la vérité qu’est le symptôme, et vous savez bien que le névrosé, tout son travail, c’est de s’efforcer de n’en rien savoir de cette vérité qu’il porte. Je reprenais un peu les discussions de l’année dernière sur la sublimation, qui avait fait l’objet d’un travail dans le groupe du samedi, cette question de la sublimation avait été travaillée : il restait certains points et j’avais dit que j’y reviendrai. Et, pour y revenir, j’ai trouvé plus aisé de partir de ce que Lacan nous dit autour de l’Éthique et de ce das Ding et de comment nous faisons avec cette jouissance interdite. On y reviendra.

Alors à dans quinze jours.