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Autour de la Chose V

11 Janvier 1994
Document de travail

Quand le signifiant se met en place, ça sort du réel.

Avant d’en venir à ce que je compte vous dire ce soir, je vais revenir sur Winnicot. Ce que j’ai dit la dernière fois a posé question à certains d’entre vous, qui m’en ont fait part. C’est vrai, Lacan a rendu hommage à Winnicot à propos de l’objet transitionnel et, nous disait-il, il n’était pas seul à se rendre compte que la relation mère - enfant n’est pas duelle, qu’il y a entre mère - enfant un objet. La dernière fois, je vous ai dit, et à propos de Mélanie Klein et de Winnicot que, il y avait à se demander s’ils étaient freudiens pour ce point essentiel, de départ, qui est que l’objet est perdu. Il n’est pas question que la mère soit bonne, assez bonne ou mauvaise, ni même quelconque, puisqu’il y aurait des questions de traduction sur cette formulation de Winnicot. Ce que Freud nous dit, et Lacan après lui, ce que Freud nous dit, c’est que, au départ, l’objet est perdu ; ce qui a causé la première satisfaction, la satisfaction, eh bien, n’est jamais retrouvée. L’objet est perdu, et c’est de cela que je parlais la dernière fois. Ce qui fait que l’appareil psychique du petit d’homme se met en place, tel que la psychanalyse permet de le saisir, c’est que l’objet, l’objet est perdu, et dès le départ. Et donc, tout ce tracé, tous ces frayages, toutes ces barrières de contact, ce qui fait qu’il y aura cette recherche, cette quête, tout ce qui de la mémoire se met en place, et je vous renvoie à ce qui vous a déjà été dit ici à plusieurs reprises et ce que Freud lui-même nous dit dans « l’Esquisse », tout ceci n’est possible que parce que l’objet est perdu, et dès le départ. Donc qu’elle soit bonne, qu’elle soit mauvaise, qu’elle soit quelconque, là, la question n’est pas là. Et c’est Lacan, dans son séminaire sur l’Éthique, à propos de la Chose, ce n’est pas Lacan qui fait venir la mère en ce lieu de la Chose, en ce lieu du vide, c’est Mélanie Klein, et Lacan en fait la critique dans son séminaire sur l’Éthique. Je crois que c’est important pour nous que ces points soient bien précisés, puisque c’est quand même à propos de ce manque, de ce vide du départ, c’est à ce propos qu’il y a eu toutes ces scissions, ces malentendus dans le mouvement psychanalytique et, en particulier, ce que l’on a appelé l’égo-psychologie, ego psychology. Mais en fait, ce n’est pas de cela, ce soir, que je veux parler, mais je tenais quand même, puisque il y avait eu là difficulté pour certains d’entre vous, à revenir sur ce que, la dernière fois, j’ai voulu vous faire entendre.

Alors donc, je reviens sur ce qui nous occupe cette année-ci, sur ce qu’est la découverte freudienne et nous avons pu voir qu’il ne fallait pas en rester à l’inconscient, c’est-à-dire à ce savoir insu, mon Dieu s’il n’y avait eu que cela, il y aurait pas eu scandale. Ça pouvait même faire jeu de société, ah ! dis-moi tout de suite ce que tu penses, ah ! tu viens de faire tel lapsus, donc…ah ! tu as dit aliquis, ça veut dire que tu as quelque inquiétude du côté du flux menstruel, enfin ça pouvait faire jeu de société. Mais la découverte freudienne, ce n’est pas de ça et, très vite, avec ce savoir insu, Freud a fait entendre qu’il y avait là quelque chose de l’interdit, de l’interdit qui le concernait lui-même et qui a permis de permettre de savoir que, s’il y a désir, c’est parce que inceste, désir incestueux : on désire l’objet qui est défendu et l’objet qui est défendu, c’est la mère. Vous savez que ça a été un scandale, cet Œdipe, et ça n’a pas toujours été bien admis par les psychanalystes eux-mêmes. Il y a eu immédiatement la sexualité infantile. Qu’est-ce qu’il vient nous raconter là à propos de ces chérubins, de ces innocents… mais tout ceci, c’est pas uniquement parce qu’il a découvert l’inconscient, c’est parce que, avec l’inconscient, il y a ce manque, il y a cette quête, et c’est ça qui fait la découverte de Freud.

Ce soir, je vais, à propos de ce qui nous intéresse, de ce qui nous occupe cette année-ci, reprendre certains points de l’enseignement de Lacan. La dernière fois, nous avons vu que Freud, dans son article « Le Moi et le Ça », a dû faire savoir, et il a insisté sur ce point que ce n’était pas là spéculation de sa part, que cette expérience qui l’oblige à dire que la topique sur laquelle il avait à se baser, c’était ce qui mettait en place le Moi, du fait des excitations que reçoit le petit d’homme, de ce qui reste de ce qu’il a pu entendre avec ses représentations visuelles et, croyez-moi, ces représentations visuelles, c’est véritablement pas élucubrations, spéculations - élucubrations, c’est autre chose - et, croyez-moi, dans la conduite d’une cure, parfois ça vient prendre le devant de ce qui se dit. Donc, le Surmoi, mais Freud met, entre ce Surmoi et le Moi, le réservoir des pulsions, le Ça, qui a quelque chose à voir avec le Moi, nous dit Freud, qui est ceci que, de l’inconscient, le Ça aussi est frappé. Mais enfin, nous n’allons pas détailler ce soir ce qui est dans « le Moi et le Ça », et je vous ai montré que Lacan y est fidèle, mais la question de l’objet se pose différemment pour lui, se pose différemment pour lui parce que cet optimisme de Freud, ce qu’il espère, et il nous le dit dans les « Trois essais sur la théorie de la sexuation » que, peut-être, pourrait venir un jour un objet qui aurait quelque trait de cet objet à jamais perdu, et donc qu’on pourrait faire chemin avec lui, et son Moi qui est à l’image de quelque chose pour lui, serait à l’image de l’objet d’amour. Nous avons vu que, pour Lacan, le Moi, s’il est bien à l’image de quelque chose qui fait que ce Moi sera l’image de l’alter ego, de l’autre semblable, ceci n’est possible que parce qu’il y a cet appui sur le grand Autre. Sur celui-là qui viendra lui dire « c’est toi et tu es beau », « c’est toi et comme tu es vilain », peu importe, c’est quand même celui-là qui fait que, à l’image de l’autre, va se construire le Moi. C’est-à-dire, ce n’est pas forcément objet d’amour, en général on pense que cela l’est, vous verrez que cela l’est pas toujours. Le Surmoi, vous savez toute la place que Lacan donne à ce qu’il advient de ces restes entendus, du symbolique, puis il y a cet objet.

Alors, je parlais de l’optimisme de Freud, Lacan a eu aussi son moment d’optimisme. Et, dans les premiers temps de son enseignement, il espérait qu’une symbolisation pourrait encore se faire de ce qui, du réel, n’aurait pas été symbolisé. En tout cas, on pouvait l’entendre comme cela. C’était l’espoir qui, pendant un certain temps, flottait autour de Lacan et de certains de ses élèves, qui travaillaient à Sainte-Anne et, mon Dieu, Lacan a pensé quand même qu’il y avait à y réfléchir à deux fois, et nous avons cette « Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose ».

Bon. Alors, je vous ai, de nouveau, mis sur ce tableau ce fameux schéma, ce fameux graphe que Lacan a donné au début de son séminaire sur le Désir et son interprétation. Je ne sais pas si, dans les transcriptions que vous avez, ce graphe y figure. C’est le graphe de l’infans, de ce petit d’homme qui choit dans le monde et qui ne parle pas encore, de celui qui, à ce temps de sa vie, peut pousser des cris, mais Lacan nous dit que le cri, là, est assignifiant, ne véhicule aucun signifiant, je ne crois pas qu’il ait repris à nouveau ce terme qu’il a forgé, d’assignifiant, donc celui-là, ce petit d’homme, qui crie certes mais qui ne parle pas encore, ce petit d’homme est dans la jouissance. Alors, à propos de ce petit d’homme, chemin faisant dans son enseignement, il nous a dit que, après tout, c’était un objet a qui a chu, objet a parce que produit, reste de jouissance, nous en avons longuement parlé, je le rappelle mais je n’y insiste pas parce que ce n’était pas encore dans ce temps de son enseignement qu’il nous a apporté ceci.

Donc le début, c’est la jouissance qui vient là marquer le sujet - pas encore le sujet, le petit d’homme - celui-là qui ne parle pas encore, bref, il est réel, tout ceci est réel. Toute la question, c’était de savoir si ce réel était préalable au symbolique, il y a un symbolique qui est préalable, puisque l’enfant choit dans le champ du langage. Il ne parle pas, il choit dans le champ du langage et, lorsqu’il a construit son graphe, cette ligne transversale, c’est une ligne signifiante qui vient là faire savoir qu’il y a un discours qui préexiste à cet enfant, un langage qui lui préexiste, un symbolique préalable. Alors, reste cette question du réel, de ce réel dans lequel est cet enfant puisqu’il ne parle pas, et on peut trouver aussi dans Freud - j’ai pas pris le temps de le retrouver - dans Totem et Tabou, un passage qui dit quelque chose de proche de cela, ce qui peut être entendu à un moment où on ne parle pas encore - m’enfin, si je le retrouve, ce passage, je vous le redirai puisque j’ai déjà eu l’occasion de le signaler à certains d’entre vous, il y a déjà quelques années - alors donc, il y a cette jouissance, c’est du réel, et j’ai recherché dans le séminaire sur l’Angoisse, parce que je voulais retrouver un certain nombre de points dont parle Lacan autour de la jouissance, et donc cette jouissance, qu’il dit que c’est un moment mythique - mais enfin ce n’est pas tant ça qui m’a retenue - il parle de la jouissance, de cette béance, de ce qu’il y a entre jouissance et plaisir, c’est-à-dire l’angoisse qui est là et il faut dire que, cette année-là, c’était une année où l’I.P.A. lui demandait compte de son enseignement - et avec l’I.P.A., un certain nombre de ses élèves - et c’est, pour moi tout au moins, de retrouver comme ça dans la bouche de Lacan, références, de dire : « mais vous voyez, ce que je vous dis là mais c’est ce qui se trouve aussi dans Freud, prenez « On bat un enfant », cette deuxième phase, Freud nous dit ça, je ne vous dis rien d’autre que : il y a cette angoisse, entre jouissance qui peut être du temps mythique et ce qui va en sortir, si je puis dire, qui est ce désir ».

Bon alors, revenons à ce qui nous intéresse ce soir, cette jouissance dans laquelle baigne cet enfant, cet être vivant, ce petit d’homme, celui-là qui ne parle pas, donc, ce réel, et nous dit Lacan, lorsque son cri deviendra parole, c’est-à-dire qu’un signifiant sera émis par lui alors, c’est la symbolisation. C’est cette symbolisation primordiale, symbolisation qui négative la jouissance et, avec cette négativation de la jouissance, quelque chose se produit immédiatement, puisque il y a symbolisation, eh bien, va s’écrire, - et je l’ai fait comme je l’ai pu, d’autres sauront mieux représenter cela - va s’écrire cette ligne supérieure qui, en fait,… ce qui a à voir avec le sujet, la jouissance, est négativée, il y a le signifiant de la jouissance et Lacan l’apportera dans son graphe… ça m’échappe parce que j’ai le séminaire du Transfert qui vient là en premier… la dialectique du sujet, bon… vous avez reconnu ; en fait, dès qu’il parle, dès que le signifiant entre en jeu pour lui, il y a négativation de la jouissance. Ici, va s’écrire cette ligne du symbolique : jouissance et, avec la jouissance, la castration. Je dois dire que je me suis intéressée à cette ligne parce que certains d’entre nous qui préparent, qui travaillent tout particulièrement le complexe d’Œdipe et le complexe de castration, ont à réfléchir sur ce temps, sur ce moment de l’enseignement de Lacan où, avec la symbolisation, la symbolisation, la première symbolisation, le signifiant se met en place pour le sujet et, avec ce signifiant, parce que signifiant, apparaît pour lui le manque. C’est pourquoi la castration vient en bout. Si il y a une négativation de la jouissance, il y a donc symbolisation et il y a mise au jour du manque pour le sujet. Mais tout de la jouissance ne sera pas symbolisé, il y aura un reste, et nous allons, tout à l’heure, insister sur ce reste de la jouissance. Vous savez toute la place que, dans un deuxième temps, ceci prend dans l’enseignement de Lacan mais il ne faut pas croire que, parce qu’il ne nous parle pas de ce reste de la jouissance, la question de la première symbolisation, de ce qui sera retranché et qui fera que tout le réel ne sera pas symbolisé, n’est pas, dès le départ, dans son enseignement. Tout le réel n’est pas symbolisé, il y aura un reste, il y aura du réel non symbolisé et, dans un premier temps, on ne peut pas dire qu’il y avait pas quelque espoir de pouvoir, par la cure, permettre que quelque chose de ce réel non symbolisé puisse l’être. Alors, j’ai dit que, avec la symbolisation, avec l’émergence du signifiant pour le sujet, apparaît le manque et ça, Lacan y insiste surtout à partir du moment où il met en place ce qui est du signifiant pour nous analystes puisque, si on prend un signifiant, il doit s’articuler à un autre signifiant, qui doit s’articuler à un autre signifiant, il y aura toujours un vide, un manque, et dans la « Remarque à Daniel Lagache », je crois que c’est dans cette « remarque » où il parle du sac de loto, autant de signifiants qui se trouvent dans le sac de loto, quelque soit ce que l’on tirera, si c’est un deux et, ensuite, si c’est un cinq, pour aller de deux à cinq, il y aura trois, il y aura quatre, il y aura tous ces vides et, quelque soit ce que l’on pourra faire comme division, il y aura toujours un vide entre un signifiant. Alors on peut faire 21/2, 21/4, enfin bref, il y a toujours un vide. Avec la symbolisation, avec l’émergence du signifiant chez le petit d’homme, celui-là qui devient sujet, il y a mise à jour, il y a pour lui ce vide, ce manque, la castration. Je pense que vous vous souvenez, l’année dernière, lorsque nous terminions notre cycle et que je commençais à parler de « l’Esquisse », enfin de ce fonctionnement de l’appareil psychique, je vous avais dit que la castration, c’est de ne pas trouver à sa place l’objet que l’on cherche, c’est ce vide, c’est ça la castration. Donc, avec la négativation de la jouissance, avec l’émergence du signifiant, et ce signifiant qui émerge du fait de la négativation de la jouissance, c’est ce F, et il nous dit dans son séminaire sur le Transfert, dans la « Position de l’inconscient », il précise que ce S(

) a à voir aussi, mais ce n’est pas le signifiant de la jouissance, a à voir aussi avec ce manque. Avec cela il y a la castration, et il y a ce qui reste de la jouissance.

Alors, dans ce qui est retranché, la question était de savoir si ceci, ceci qui est hors de la symbolisation, si le sujet n’avait plus rien à voir avec ce qui est là retranché, ce qui est là hors du sujet, et vous savez que, tout au long de l’enseignement de Lacan et en tout cas dès le départ, il insiste, et tout particulièrement avec le texte de Freud de la Verneinung, les commentaires qu’il a pu en faire, soit en réponse à Hippolyte, soit ce que lui-même avait à nous apporter, ceci est là. Ceci est là, c’est-à-dire que déjà, à ce moment-là, certes il y a ce dedans, ce dehors que l’on trouve chez Freud, ce qui est ingéré alors est bon pour Moi et ce que j’expulse…, mais il y a aussi ce qui, hors du sujet, continue à intéresser le sujet. Alors le tout, c’est de voir comment le sujet est intéressé par ce qui est là, hors de lui. Alors, c’est important de reprendre ce qu’il nous dit du signifiant, ce qu’il nous dit de ce moment de la symbolisation. Vous savez, il y a eu énormément de discussions à cette époque, il y avait ce qu’on appelait ces réunions scientifiques où un certain nombre de personnes savantes étaient invitées par les quatre grands - puisque c’est ainsi qu’on les appelait - Lacan, Lagache, Dolto, Favez-Boutonnier - et donc on discutait, on discutait de ces choses. Mais enfin ce qui nous intéresse nous, ce que nous pouvons garder de ces échanges avec les personnes savantes de l’époque, et l’intérêt que Lacan pouvait porter à un certain nombre de philosophes, Heidegger et d’autres, ce qui nous intéresse, c’est quand même l’insistance que Lacan a apporté autour du signifiant et de ce qui fait que, parce qu’il y a symbolisation, parce que le signifiant se met en place, les places vont être marquées. Ce n’est pas pour rien qu’il se sert du sac de loto, tel signifiant tiré, tel numéro tiré, c’est une place bien marquée et ainsi de suite mais c’est ça ce qui se produit avec la symbolisation, avec cette mise en place des signifiants. Alors, ce qui a été retiré, retranché, lors de cette symbolisation, ce qui n’est pas ce réel symbolisé comme Lacan a pu nous dire un certain temps et, selon les structures, et même à tel moment d’une structure névrotique, ce qui a été là retranché peut de nouveau se faire connaître.

Alors prenons l’Homme aux loups. Je ne vais pas tellement parler du doigt coupé. Je vais parler de ce temps de l’histoire de l’Homme aux loups, de l’épisode psychotique, ce qu’on a appelé l’épisode psychotique. Alors, qu’est-ce qu’on voit, qu’est-ce qui nous est dit ? Et bien, il y a quelque chose qui n’est pas en place chez l’Homme aux loups, il y a cette espèce d’errance, de va-et-vient dans la ville avec ce qui le poursuit et qui est cet objet qui a à voir avec le regard, avec ce qui fait que ce qu’il a sur le nez aussi vient là lui signifier que quelque chose n’est pas en place, et c’est quand même tout à fait ahurissant de voir ce qu’a été ce va-et-vient, cette espèce d’errance de l’Homme aux loups dans Vienne, où il va de chez son coiffeur à un dentiste, du dentiste… il n’a jamais…, il ne trouve pas sa place. Alors, c’est ça ce qui est intéressant pour nous à connaître, dans ce qui du réel n’a pas été symbolisé, ce qui est là hors sujet, mais qui a, qui peut avoir une importance dans la vie d’un sujet. Le signifiant, c’est ce qui permet au sujet d’avoir sa place et de savoir ce qui est sa place. Mais il peut se faire qu’au cours d’une vie, pour des raisons qui diffèrent selon chaque sujet, il peut se faire que justement ce qui est là hors sujet, ce qui est ce reste de la jouissance, puisse avoir une place toute particulière, donc, au cours d’une vie. Et la chose vaut qu’on s’y arrête, la chose vaut qu’on s’y arrête parce que c’est quand même à partir de ce manque, de ce manque radical, de ce qui fait qu’au départ, le petit d’homme a affaire à un objet perdu, que les choses vont se présenter ainsi pour lui, lui qui baigne dans cette jouissance, jouissance qui est réelle, mythique, nous dit Lacan, mais n’empêche qu’il peut y avoir des retours de cette jouissance et que nous avons affaire avec.

Il y a la question de l’absence, mais avant, je voudrais revenir sur celui-là, sur cet infans, sur ce vivant, ce petit d’homme, et reparler de l’effet de la symbolisation, de l’émergence donc du signifiant sur lui, sur ce vivant, ce petit d’homme. Le signifiant, c’est ce qui mortifie, nous dit Lacan. Donc, avec la symbolisation, ce qu’on a appelé cette première symbolisation, l’entrée de ce vivant dans la parole, quelque chose va venir là le marquer et le mortifier, enfin je crois que, là, toute la question de la pulsion de mort, de la pulsion de mort pourra être évoquée en son temps. Mais il faut savoir que c’est parce qu’il parle, que c’est parce que le signifiant est là, vient le marquer à un moment de sa vie, que cette question de ce qui le mortifie se pose. Alors l’absence, la présence, peut-être que je n’en parlerai pas ce soir, parce que je voudrais revenir sur cette ligne. Cette ligne, et je crois que c’est important de bien s’en rendre compte, la première ligne transversale, c’est ce qui est du discours qui préexiste au sujet, avec la rencontre avec le grand Autre, mais, dès qu’il parle, ce qui se met en place, c’est cette ligne supérieure : jouissance négativée, castration de l’Autre. Alors Lacan là écrit ◊ D, la pulsion. Alors j’ai mis à côté, parce que je ne savais comment représenter tout ça - les schémas, c’est pas précisément mon fort - peut-être que ça permet de saisir ce qui nous intéresse, c’est-à-dire que ce reste de jouissance, ce reste de jouissance met en place la pulsion, c’est autour de cet objet que tourne cette pulsion… enfin, j’ai repris le schéma de Lacan dans Les quatre concepts, et pour nous imager la pulsion, ce qui là autour de quoi tourne cette pulsion, et c’est autour de cet objet, de cet objet qui est reste de jouissance, objet a, objet a qui est du côté du réel, c’est ce qui reste du réel quand il y a eu symbolisation.

Alors, vous avez pu voir que je n’ai pas marqué sur ce schéma - bien que dans mes différentes lectures de Lacan, il y avait à propos de la jouissance cette référence au fantasme : on bat un enfant - je n’ai pas marqué le fantasme, le ◊ a, puisqu’il a quand même une certaine histoire chez Lacan, l’objet, cet objet a, n’était pas dès le départ, réel. Cet objet, nous avons pu voir à propos de l’obsessionnel qu’à, un moment, ça pouvait être aussi un autre lui-même, ce qui lui permet d’avoir ce fantasme homosexuel, ces objets, cet objet peut être ce que, dans un premier temps, Lacan a nommé signifiant imaginaire, c’est-à-dire, ce que l’on peut trouver chez les premiers freudiens et qui est à garder, ce n’est pas du tout qu’il y a plus à tenir compte de ce qu’Abraham et d’autres ont apporté, mais l’objet partiel d’Abraham, et qui nous intéresse dans notre clinique, que l’on retrouve chez Mélanie Klein et d’autres, chez Lacan aussi, ce n’est pas l’objet a. Alors, puisque je ne pouvais pas m’étendre et que c’était pas du tout mon intention ce soir, par rapport à ce qui nous intéresse, qui est ce manque, ce vide, ce qui fait qu’il y aura du sujet, du sujet de l’inconscient, je ne l’ai pas marqué mais je voulais quand même le signaler…

Je voudrai insister, puisque c’était ça ce que je voulais apporter aujourd’hui, je voulais insister sur cette ligne qui se met en place, jouissance - castration, dès le départ, dès qu’il y a du sujet, dès que la symbolisation, cette première symbolisation existe, il parle et il parle parce que la jouissance est négativée.

Alors, dans ce travail que je faisais pour nous, alors il y a la question de l’autisme et de tout ce qu’on nous dit en ce moment, et de voir comment par rapport au grand Autre, si on reprend ce que Lacan dit, et qui a à voir avec la clinique… enfin là, je vous ai parlé de cet Homme aux loups et de ce temps, cet épisode psychotique, qui nous a posé question très longtemps, si on reprend ça avec ce qui s’est pas mis en place, et qui peut venir et errer, qu’est-ce que ça veut dire tout ce qu’on nous dit actuellement autour de l’autisme ? Celui-là qui n’a pas négativé la jouissance, qu’est-ce qu’on pense que, avec l’Autre, avec le grand Autre, qu’est-ce qu’on pense pouvoir éclairer pour nous, si on néglige ce temps primordial, cette symbolisation primordiale, ce qui fait que peut se mettre en place… et que le sujet peut se mettre en place, et que peut se mettre en place pour lui ce qui fera tout son monde ? Et je pensais à ce travail qui nous a été apporté à Vaucresson, un travail clinique qui laisse voir, comme tout travail clinique, quelque chose …changement de cassette… on ne peut ignorer que la question de la place se disait de ce travail à Vaucresson. Quelque chose alors m’a beaucoup frappée, c’était que ils n’arrivaient jamais à être une place, la question de la place se posait dans ce qui nous était dit. Je n’ai pas un souvenir suffisamment exact, précis, des cas que l’on nous a apportés, mais c’était quand même, on ne pouvait pas l’ignorer, que la question de la place était là posée. Je crois que c’est important pour nous de revenir à Freud, et de revenir à Lacan, à cet élémentaire que Lacan a essayé de nous apporter et, après tout, si j’emploie ce qualificatif d’élémentaire, c’est parce que, avec le signifiant, ce qu’il a pu nous dire du signifiant, et en particulier dans le séminaire qui a suivi le Transfert, c’est bien la question de l’élément, élément par élément, et de ce qui se met en place, qui est là.

Alors, j’ai parlé de l’Homme aux loups. Lacan nous dit, dans ce séminaire sur l’Angoisse et, à ma connaissance, c’est l’unique fois qu’il emploie ce mot de borderline et il l’emploie à propos de l’Homme aux loups. Il ne fait pas de l’Homme aux loups un psychotique, même s’il y a eu cet épisode psychotique. À propos de ce doigt coupé, de cette hallucination du doigt coupé, il nous dit jamais quelque part que c’est de l’ordre de l’hallucination psychotique, ça a à voir avec la castration. De comment lui se pose avec cette castration. Freud avait, lui, pointé de ce qu’il y avait là d’inversé chez l’Homme aux loups et que Lacan, reprenant, nous dit que c’est cette position féminine de l’Homme aux loups qui peut expliquer cette hallucination.

Ceci pour en venir au psychotique.

Ceci pour en venir au psychotique parce que lorsque l’on reprend le texte de Freud sur « l’Inconscient », ce chapitre VII m’avait beaucoup frappée, sur « l’Inconscient », et j’avais demandé à Bernard Mary de nous en faire un commentaire - je crois que ce commentaire fait référence - et que ceux qui ne l’ont pas entendu pourront le lire dans un de nos bulletins. Si j’y reviens, c’est toujours à propos de ce reste, de cet objet de ce qui est là hors sujet, mais qui a quand même…, qui joue dans la vie du sujet et, pour saisir l’inconscient, nous dit Freud, il faut s’intéresser au psychotique, il faut s’intéresser à ce que Lacan dans un de ses séminaires, je crois que c’est celui sur Le Désir et son Interprétation il me semble, je pourrai pas l’affirmer, ce qui fait que ça ne peut pas se joindre ici (Mme Faladé montre le haut du graphe au tableau) et donc la question de la castration, de ce qui de la jouissance est négativé, se pose chez le psychotique, c’est le « ne peut pas s’écrire », c’était ainsi que Lacan nous l’avait indiqué dans ses différents graphes, ça ne passe pas de là à là. Il y a symbolisation, certes, puisqu’il va parler mais, de la négativation de la jouissance, ça ne s’est pas mis en place… Son entrée dans la symbolisation, ce qu’il en est du signifiant et de ce qu’il vient marquer sa place, tout ceci est à penser chez le psychotique. Et alors, nous savons qu’il y a ces objets qui peuvent comme ça nous poursuivre. Voilà, c’était ma façon de commencer l’année et de commencer l’année d’abord avec ce qui continue notre réflexion depuis le mois d’octobre tout en m’arrêtant sur ce qui est à l’œuvre, est à l’ouvrage chez certains d’entre nous, et en particulier, cette ligne jouissance – castration, puisque certains doivent travailler ceci, c’est dire que c’est parti d’un manque, c’est parce que il y a un trajet, comme Triol l’a bien montré, il l’a montré autour de ce qu’il a intitulé l’Interdit, c’est à cause de cela que, lorsqu’il parle, le sujet de l’inconscient, dès qu’il se met en place, aura à faire avec la castration. L’objet n’est pas là et il y a un chemin qui est interdit et donc, jamais cet objet, il ne pourra le trouver, il faudra qu’il se débrouille autrement.

Bien, nous nous verrons dans quinze jours.


Questions

Jean Triol :
je n’ai pas noté : quand avez-vous parlé de la ligne que vous avez tracée entre A et F …

Solange Faladé :
c’est pas de A, c’est quand il commence à parler, je ne l’ai pas bien fait, c’est lors de la symbolisation, dès qu’il parle. Le A est là, bien sûr, mais immédiatement va se mettre en place … d’autres s’efforceront de mieux le représenter… Ce que je voulais dire, c’est que, dès que cette symbolisation se met en place, cette ligne de signifiant se met en place, cette jouissance, et que Lacan a marqué jouissance mais en fait, c’est le signifiant de la jouissance qui est là, le F. Et avec ce signifiant de la jouissance, il y a la castration, parce que dès qu’il y a signifiant, dès qu’il y a symbolisation, mise en place des signifiants, apparaît au jour… ce que je veux montrer, j’ai essayé de le faire passer comme ceci, je me suis dit que ça ne va pas traduire vraiment ce que je veux, ce soir, dire… dès qu’il n’est plus infans, dès que le cri devient parole, alors il y a négativation de la jouissance, alors c’est cette ligne-là qui se met en place, Lacan dit jouissance, il a dit castration mais il a mis signifiant de S() et puis ensuite, il nous a dit que le signifiant de la jouissance, puisque signifiant, ça veut dire que cette jouissance est négativée, c’est le F. Et puisque du signifiant il y a, le vide, le manque apparaît et ce manque, c’est la castration. Le reste de la jouissance, de ce qui n’a pas été symbolisé, cet objet vient, est là, c’est la pulsion, c’est ce qui d’une façon silencieuse se met en place, et immédiatement. Je ne sais pas si c’est clair ou pas ?

Jean Triol :
ça explique ce que vous aviez rajouté au graphe.

Solange Faladé :
ce que je voulais simplement dire, et je n’ai pas trouvé d’autres moyens, c’est que, dès qu’il parle, il y a négativation de la jouissance, il y a Moins et ça veut dire que du signifiant se met en place, il n’est plus dans ce réel dans lequel il baigne depuis le départ, il y a cette symbolisation, cette première symbolisation et, cette première symbolisation ne peut se faire que parce que la jouissance est négativée, que parce que, puisqu’il y a symbolisation, du signifiant est là, et du signifiant qui a à voir avec ce qui est du sujet, et donc il est confronté à la castration : cette ligne supérieure de Lacan, c’est ça.

Hélène Boursinhac :
je ne comprends pas très bien ce qui se passe pour le psychotique au niveau de cette ligne.

Solange Faladé :
c’est justement, ça ne peut pas se rejoindre, si bien que alors la jouissance n’est pas négativée, la castration… pour lui…

Hélène Boursinhac :
alors on n’écrit pas cette ligne pour le psychotique ?

Solange Faladé :
non, non, Lacan, pour bien nous le faire comprendre, il a fait son graphe et puis, il a effacé ça, donc ça veut dire que cette ligne … ça ne passera pas comme ça, c’est-à-dire que ce que j’ai écrit pour essayer de montrer, ça ne passera pas comme ça, ça va s’arrêter là, ça ne va pas redescendre, pour ce qui est de la jouissance et de la castration… c’est bien ce qui est questionné chez le psychotique.

Micheline Glicenstein :
je ne saisis pas bien comment on passe d’une jouissance négativée, qui est en bas du côté du cri, à un grand F, à la jouissance grand F.

Solange Faladé :
j’ai mis jouissance parce que Lacan, sur son graphe, a marqué jouissance.

Micheline Glicenstein :
est-ce que ce serait la même ?

Solange Faladé :
mais non, puisque quand on est en bas, ici, la jouissance dans laquelle baigne le petit d’homme, on est dans le réel, et lorsque la symbolisation se fait, c’est-à-dire lorsqu’il y a la parole, lorsque le signifiant se met en place pour ce sujet, ça ne peut se faire que si la jouissance est négativée, ce n’est que comme ça qu’il peut sortir du réel et qu’il entre dans le symbolique qui est ce qui a à voir avec lui.

Micheline Glicenstein :
c’est pas la même jouissance qui se trouve sur la ligne du haut ?

Solange Faladé :
je ne vois pas pourquoi vous dites que c’est pas la même jouissance. Elle est négativée ; ce qu’on va en connaître, c’est son signifiant, et le signifiant de la jouissance, c’est le F, nous dit Lacan… Là, je ne vois comment vous le dire autrement. Alors effaçons le graphe.

Micheline Glicenstein :
c’est cette jouissance du Réel et cette jouissance grand F.

Solange Faladé :
elle est négativée, et c’est parce qu’elle ne peut être négativée que parce qu’on parle, que parce qu’il y a du signifiant, et le signifiant de la jouissance, c’est le grand F et, comme tout signifiant, il y a le manque qui vient. Les signifiants, c’est tous ces S qui se suivent, il faut qu’il y ait une articulation d’un signifiant à un autre, ce qui fait que le manque, le vide se fait jour. Le manque, le vide, c’est la castration.

Micheline Glicenstein :
c’est pour ça que je demandais si ce n’était pas une autre jouissance, puisque elle est associée à la castration.

Solange Faladé :
je ne vois pas pourquoi vous dites une autre jouissance puisque la jouissance, elle est négativée. Lacan, dans le séminaire sur L’Angoisse, je voulais commencer par ce séminaire du 13 mars ou du 20 mars où il parle de ce qui est là mythique autour de la jouissance, mais j’ai préféré partir du Réel, je vous l’ai juste dit comme ça rapidement parce que Lacan nous dit « vous voyez, je dis la même chose que Freud », enfin bon, ce temps de l’infans où il ne parle pas, il est dans la jouissance, on jouit de lui, lui jouit, il est dans la jouissance. Pour en sortir, il n’en sort que lorsqu’il parle, pour cela il faut que la jouissance soit négativée. La première symbolisation, quand un signifiant vient à émerger avec lui, puisqu’il doit s’articuler à d’autres signifiants, il y aura les vides entre les signifiants. Bon, chemin faisant, autour de ce temps réel, Lacan dit qu’au cours de cette épreuve qu’il nous dit être la Befriedigung, la satisfaction, c’est la jouissance et le petit d’homme, lorsqu’il parle, va en sortir de cette jouissance, sinon il ne parlera pas, et parce qu’il en sort, il y a un signifiant qui est le signifiant de la jouissance.

Moi, j’ai marqué jouissance là-haut parce que j’ai voulu vous refaire le graphe de Lacan, parce que j’ai voulu vous faire saisir que cette ligne de Lacan, de ce graphe, c’est ce qui a à voir avec celui-là qui parle, alors que la ligne en dessous, c’est ce qui lui préexiste, c’est le discours commun. Lui, quand il se met à parler, ce qui se met en place, c’est ce qui de la jouissance a été négativé, donc, va être là saisi par le signifiant de la jouissance, puisque toutes les fois que c’est symbolisé, il y a un signifiant, et pour ce qui est de la jouissance, c’est le grand F, et avec le grand F, le signifiant, il y a la castration, il y a le vide, il y a le manque. J’aurais pas dû me servir du graphe… je me suis dit que c’était important d’abord parce que nous étions en train de travailler cette ligne jouissance - castration, que c’était important pour nous de le reporter immédiatement à ce qui nous intéresse cette année, qui est ce vide, ce manque, puisque l’année dernière j’ai commencé par vous dire : en fait la castration, c’est le manque, le vide. C’est rien trouver à cette place dont on commence à parler. Je ne vois pas pourquoi vous voulez que ce soit une autre jouissance. C’est la jouissance négativée, donc on ne peut plus dire que c’est la jouissance du réel, du départ. Si on met le signe moins devant la jouissance, Lacan a marqué jouissance - castration, je vous le refais, mais il nous met quand même au-dessus S(), il nous met un signifiant, il met en dessous jouissance mais il nous met un signifiant, d’abord pour nous dire que la jouissance de l’Autre n’existe pas, il nous met un signifiant au-dessus et puis, du côté de la castration, il nous met ce qui fait que ça va tourner autour du vide, c’est la pulsion,… parce que c’est ça qu’il a marqué sur son graphe, j’aurais dû simplement parler sans le graphe, c’était pour montrer, dès qu’on parle, en fait c’est ce qui se met en place, ce qui est en haut, ce que Lacan a marqué jouissance - castration. Alors, dire que ce n’est pas la même jouissance, à partir du moment où c’est négativé … on ne baigne plus là-dedans, c’est pour ça que le problème de l’autisme est à poser. Je ne sais pas si c’est plus clair.

C’est ce que Lacan dans le séminaire sur l’Angoisse avec la jouissance, avec le Moins phi, avec le a qui choit nous dit autrement, tout de la jouissance n’est pas négativé, tout de la jouissance ne passera pas dans le défilé du symbolique, il y a un reste, et vous savez que c’est avec ces restes que nous faisons… je reviendrai sur ceci.