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Autour de la Chose VII

8 février 1994
Document de travail

Nous allons continuer à tourner autour de la Chose et faire un pas de plus.

Je reviens sur ce que j’ai dit les deux dernières fois, sur ce symbolique déjà-là, ce monde de langage dans lequel le petit d’homme choit. Lui est infans, il ne parle pas, mais il n’en est pas moins un vivant et, comme vivant, il réagit, et ce qui l’entoure, l’adulte, l’adulte va donc à son tour imprimer quelque chose sur ce vivant, et ce quelque chose, c’est ce que Lacan dans un de ses séminaires a appelé cette matrice de l’Idéal du Moi. Et vous savez que dans les réponses, ou plus exactement dans la critique qu’il a faite du « Rapport de Daniel Lagache », il revient, il revient sur cet Idéal du Moi, sur cette matrice, sur ce qui est là imprimé, marqué sur ce vivant et récemment certains d’entre vous m’ont parlé d’un travail qu’ils font autour de Schreber et de ce que Schreber, dans un moment, je ne sais pas si l’on doit dire d’illumination mais enfin, tout du moins, nous devons être intéressés par cela, et que tout ce qui lui reste, c’est ce trait unique, et il m’a été dit que le terme allemand, c’était bien einziger Nerv, on trouve einziger Nerv, c’est ce qui est là marqué sur ce vivant avant qu’il ne parle, et c’est bien ce qui va faire la structure, qui est gardée, c’est bien ce que Lacan dans la « Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » nous met en évidence avec le schéma I puisque ce qui reste, ce qui demeure, ce qui est là dans le champ du réel, c’est bien cet idéal, cet Idéal du Moi, ce trait qui l’unit à la mère.

Chez le psychotique, il n’y aura pas de renforcement de cette marque puisque, au temps de la subjectivation, il n’y aura pas de réponse à son appel, de réponse de l’Autre. C’est de la forclusion du Nom-du-Père, de ce qui permet qu’il y ait ce prélèvement fait par le sujet, ce prélèvement qui vient renforcer cette marque, cette marque de départ.

Donc cet infans qui est là, qui est dans ce champ, dans ce champ qui est réel, dans ce champ où il baigne, la jouissance n’en est pas moins marquée par ce qui lui vient de ce monde de langage et, dans ce qui va suivre pour lui, quelque chose se passe, et ce quelque chose a une importance capitale, puisque c’est autour de cela que va se mettre en place la structure pour le sujet, le sujet à venir. Et ce quelque chose, c’est son rapport à une zone, une zone où la jouissance demeure même s’il y a négativation de la jouissance. Cette zone, c’est la Chose, c’est ce das Ding et ce das Ding va nous intéresser très spécialement aujourd’hui, ce das Ding qui est, vous ai-je dit la dernière fois, une réalité, une réalité à laquelle le sujet naît ; c’est pourquoi j’ai mis ce S, ce S qui veut dire, si on se réfère à la « Question préliminaire sur les psychoses », qu’on est encore dans le réel. Donc, celui-là qui est sur le point de devenir sujet, ce sujet naissant va avoir un rapport avec cette réalité, cette réalité muette et qui conditionne ce qui sera sa structure.

Alors cette réalité, cette zone, cette zone qui se met en place, on peut dire alors que, pourquoi pas ne pas se reporter à Saint Augustin, on peut dire qu’il n’est plus infans mais, nous dit Saint Augustin, il ne parle pas encore. Et je vous ai dit que je m’étais intéressée aux deux termes latins, pour cet infans, ce fans et puis ce loquor. Je crois sans rien forcer qu’on peut dire que Saint-Augustin, l’homme qui fait référence à ce temps, à ce moment de sa vie, il n’est plus infans, il ne parle pas encore mais il est déjà aux prises avec cette zone, cette zone où il a affaire avec le manque. Et cette zone, c’est une zone où la jouissance est là présente. Lacan fait remarquer que ce qui va là se mettre en place pour le sujet, se met en place avant tout refoulement, c’est important. Avant tout refoulement, qu’est-ce que ça veut dire pour nous ?

Vous savez que lorsque nous nous sommes intéressés à la naissance du sujet nous avons passé un temps, je crois assez long, que nous sommes revenus à différents moments dans ce qui se faisait ici, nous avons passé un temps autour de ce qui se joue avec la Verneinung, avec le refoulement. Et ce qui se joue avec le refoulement, c’est ce que dans son texte « die Verneinung », la dénégation, Freud met en évidence, ce temps du jugement. Ce temps du jugement où ce qui sera admis, ce sera jugé bon, bon pour moi et ce que je jugerai pas bon, mauvais, sera expulsé. C’est cette Ausstossung. Alors, c’est important d’avoir ceci bien présent à l’esprit puisque ça va de pair avec la Verdrängung, et vous savez que, quand il y a Verwerfung, toute la question de ce jugement d’admission, de ce temps, du bon et du mauvais est à penser différemment que pour celui-là pour qui le refoulement, la Verdrängung, joue.

Alors, c’est donc avant ce refoulement, avant qu’il y ait Verdrängung que ce sujet naissant est en rapport avec cette zone. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que justement là, ni le bon, ni le mauvais n’existent. Il n’y a aucun jugement porté sur cette zone, elle est ni bonne ni mauvaise. Et croyez-moi, ça a de l’importance, la clinique nous permet d’en prendre compte. Nous avons affaire à cela beaucoup plus souvent que nous le pensons. Et, dans son « Kant avec Sade », il y a tout un passage où Lacan nous parle du droit à la jouissance avec les répercussions que ça peut avoir pour le principe de plaisir. Et là, dans cette zone, en ce temps, eh bien le principe de plaisir n’entre pas encore en ligne de compte puisque c’est avant tout refoulement, ça veut dire avant qu’il n’y ait quelque symbolisation, c’est-à-dire avant que le signifiant ne soit là en marche, si je puis dire. Alors cette zone, cette zone a de l’importance et toujours dans cette page où Lacan nous parle de cette jouissance, où il nous reporte à Sade, il dit quelque part, il dit quelque part que lorsque l’amour/haine, cet atome vient à l’approche, aux approches de la zone, la zone de la Chose, il peut y avoir des retours imprévisibles. Il peut y avoir des retours imprévisibles, et vous savez on le rencontre, on le rencontre plus fréquemment qu’on ne le croit. Tel couple, telle personne qui se met, qui s’unit, qui s’unit parce que l’amour est là si je puis dire, mais qui se trouvant aux approches de cette zone, alors cet amour/haine, cet atome amour/haine va être, enfin, va devenir réalité avec tout ce qu’il y a d’imprévisible, et avec tout ce qu’il y a d’imprévisible, c’est le mot qu’emploie Lacan, eh bien c’est aussi imprévisible dans ce qu’on aura à saisir, dans ce qui se joue pour certains sujets, et ce qui se joue est tel, a une force telle que ceux-là qui ont à vivre ce qui se passe autour de cette zone et qui a à voir avec ce qui les unit et qui est, je crois que, véritablement, on peut garder ce terme de Lacan, cet atome amour/haine. C’est de l’ordre de l’insupportable souvent. Mais cet insupportable dont ils ne peuvent se détacher et dont ils ne peuvent se détacher pourquoi ? Parce que justement ce qu’ils ont à vivre au delà, près de cette zone, eh bien ne peut pas être marqué de mauvais puisque la chose n’est ni bonne ni mauvaise, aucun jugement de mauvais n’a été porté, et pour s’en détacher il est bien difficile, puisque on ne peut pas dire qu’il y a là du mauvais. Et pourtant, c’est de l’insupportable à vivre. On y est ramené, on y est ramené parce que justement il y a la jouissance, il y a la jouissance qui joue, si je puis dire, qui joue, sans que quoi que ce soit de l’inconscient en soit marqué. Ce sont véritablement des choses importantes et ce sont des points de l’enseignement de Lacan qui peuvent n’être pas remarqués, qui peuvent n’être pas remarqués jusqu’à ce que la clinique nous oblige à y réfléchir et lorsqu’on retrouve ceci dans tel écrit comme certains passages de Freud dans « Le Moi et le Ça ». Et j’en profite pour dire que nous avons une traduction à la disposition des personnes qui veulent reprendre le texte « Le Moi et le Ça » dans la traduction que nous avons faite. Samacher a ceci avec lui ce soir.

Donc, on trouve dans les Écrits de Lacan, dans les séminaires de Lacan, certains points que l’expérience clinique nous aide à éclairer. Ce n’est pas vain de savoir qu’il peut y voir là, pour certains, qui à un moment défini parce que amour il y a, et qui sont confrontés avec, mon dieu pourquoi ne pas garder le terme de Lacan, cet atome amour/haine qui fait que de l’insupportable, et croyez-moi, quand Lacan dit que c’est de l’imprévisible, c’est véritablement de l’imprévisible. C’est de l’imprévisible pour ceux-là qui se trouvent confrontés à vivre ce quelque chose d’insupportable, et qui en même temps ne peuvent pas dire ce n’est pas bon pour moi, c’est mauvais pour moi et qui y restent attachés. Oui, heureusement les choses ne se passent pas toujours ainsi et il peut y avoir un certain confort à être auprès de cette chose, et là encore ce confort ne sera pas marqué, dénoté par celui là qui a à le vivre.

La Chose n’est ni bonne ni mauvaise. Aucun jugement n’a été porté sur ce rapport que le sujet naissant a avec cette zone au moment où il va prendre la parole, au moment où il va y avoir cette symbolisation, c’est-à-dire où ce réel préalable, ce dans quoi il vivait jusque-là, que le réel va être symbolisé parce que la jouissance est négativée.

Donc, cette zone, la Chose qui ne peut être dit qu’elle peut être ni mauvaise, ni bonne, qui est là avant ce jugement, cette zone, puisqu’elle est là avant ce jugement, c’est-à-dire ce rapport que le sujet au départ, lorsqu’il va devenir sujet, a avec une partie de la jouissance du fait que l’objet manque d’une façon radicale, définitivement. Et vous savez que lorsque nous avons commencé, plus particulièrement cette année, mais je crois que déjà l’année dernière, en terminant, je vous en avais dit quelque chose. Freud, lui reste avec cet espoir que, certes, l’objet manque, mais que quelque chose peut en être retrouvé et que avec un peu de chance, il pourrait y avoir quelque retrouvaille, alors que Lacan insiste bien sur le fait que l’objet manque et que cet objet qui manque est réel et donc, ce qui pourra venir là à cette place ne sera pas de l’ordre de la retrouvaille. Nous y reviendrons, c’est-à-dire que cet espoir que Freud continue à maintenir et je vous ai fait remarquer que dans son article « Le Moi et le Ça », pour ce qui est du moi, il en fait une image de l’Autre, de l’Autre d’amour, alors que Lacan pour ce qui est du moi, à partir de l’observation du miroir, certes, c’est sur l’Autre que le petit d’homme s’appuie. C’est-à-dire que c’est bien sûr de l’image de l’Autre que va se former ce moi et vous savez que, chemin faisant, il nous dira que le moi n’existe pas, plus exactement que l’Autre n’existe pas et donc Lacan aura, pour ce qui est du moi, une relation différente car il tient compte de ce réel, de ce réel qui fait que cet objet qui manque, manque d’une façon radicale.

Alors, je reviens à la Chose, je reviens à cette Chose qui se met en place, qui a un rapport capital, essentiel avec celui-là qui va devenir sujet, cette Chose qui est là avant tout jugement, donc qui est là avant le refoulement. Cette Chose, elle est en rapport avec le fantasme, puisque la clinique le dit quand même, que le fantasme, la Chose a à voir… Et nous avons l’occasion d’en recueillir quelque chose mais se pose à nous, et nous avons à le faire, qu’est-ce qu’il en est du fantasme avec ce qui s’est mis là en place avant tout jugement, c’est-à-dire avant le refoulement ?

Je ne vais pas passer en revue tout ce que nous avons pu lire lorsque nous travaillions le fantasme, nous y avons passé du temps. Les premiers textes de Freud, mais le texte essentiel et qui nous a tenus à différents moments du travail qui se fait ici depuis quelques années, le texte de Freud « Un enfant est battu », ce texte qui est le fantasme fondamental, vous vous souvenez que le fantasme fondamental est corollaire du refoulement originaire. Le je suis battu par mon père, le je suis ne se dit pas, est refoulé. C’est ce refoulement originaire et ce fantasme est là en même temps que le refoulement originaire, c’est ce que Freud avec la deuxième phase de ce fantasme « on bat un enfant » a mis en évidence. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, avec das Ding, la question du fantasme est difficile à saisir et c’est pourquoi quand tout ce qui s’est dit ici, je n’ai jamais, j’ai insisté pour vous dire que du fantasme, je n’en parlerai pas, je n’en parlerai pas jusqu’à ce soir parce que je voulais vous faire remarquer que lorsque ce sujet naissant est aux prises avec la Chose, la question du fantasme est difficile à saisir et c’est bien parce que c’est difficile à saisir, et pourtant la Chose sera concernée par le fantasme, nous en saurons quelque chose avec la clinique, c’est parce que ceci est difficile à saisir qu’il était pour moi, enfin j’ai jugé préférable de faire ainsi, d’attendre ce temps pour mieux épingler comment Lacan s’est efforcé de trouver, de rendre compte, de ce que la clinique nous fait connaître, de rendre compte de cela et je crois que c’est dans ce qui va dans la foulée de L’Éthique, dans la foulée de ce das Ding qu’il reprend dans ce séminaire de L’Éthique avec cette lecture de « l’Esquisse ». C’est à ce moment-là que ce fantasme, ce ◊ a va être écrit certes de la même façon mais les termes qu’il propose ◊ a ne sont plus dans le même registre et en particulier le petit a qui, jusque là, était de l’ordre de l’imaginaire, vous vous souvenez je crois que c’est l’année dernière ou il y a deux ans plus exactement, avec l’obsessionnel, avec les fantasmes de l’obsessionnel, et les années qui ont succédé, c’était bien quelque chose d’imaginaire qui était là mis en évidence, mais pour pouvoir rendre compte du rapport de la Chose avec le fantasme, de ce qui là n’est marqué d’aucun jugement, Lacan n’a plus fait de cet objet a quelque chose d’imaginaire mais bien quelque chose de réel, c’est-à-dire que c’est d’après ceci que véritablement il se détache, il fait autre chose de cet objet a, il en fait autre chose que quelque chose de partiel, de l’objet partiel car pour rendre compte de ce que la clinique nous donne, il lui faut, il faut faire de cet objet une relation avec le das Ding, avec cette zone sur laquelle le jugement n’est pas porté, quelque chose qui soit de l’ordre du réel.

Mais enfin, avec le fantasme, que dans un premier temps Freud a pensé qu’il était conscient, et puis il s’est rendu compte que c’était pas du tout conscient. Nous n’allons pas reprendre tous ces textes que nous avons travaillés ligne par ligne dans les premiers temps de l’enseignement qui se faisait ici. Mais enfin très vite ce qui a précédé le symptôme Freud en fait quelque chose d’inconscient. Alors se pose la question de ce fantasme qui a à voir avec cette zone et qui ne peut pas être de l’imaginaire même s’il y a les fantasmagories, même s’il y a tout ce déploiement. Souvenez-vous du fantasme fondamental, en fait pour ce qui est de l’inconscient, Lacan nous dit que c’est le sujet, le sujet barré qui est refoulé dans cet algorithme du ◊ a et qui rend compte du fantasme.

Enfin, ce que je voudrais, c’est que véritablement vous vous rendiez compte, c’est la clinique, vous verrez, à tel tournant, vous aurez affaire à cela, vous aurez affaire à cette zone, avec tout ce que ça peut avoir de déroutant, le rapport à la Chose. Peut-être là, ça ne suffit pas de dire qu’on est attiré ou qu’on est repoussé, on est souvent là confronté avec quelque chose qui peut nous dérouter parce que, le mot de Lacan est à retenir, parce que il y a de l’imprévisible, de l’imprévisible qui se joue avec cette Chose, surtout quand ce qui est là est de l’ordre de l’atome amour/haine.

Bien, alors j’essaie d’aller très vite, et une première fois pour centrer cela, de ce temps où de la jouissance, il faut que ce soit négativé, pour que de ce réel préalable soit symbolisé et je vous ai dit que, dès qu’il y avait cette négativation de la jouissance, se met en place ce qui forme la deuxième ligne du graphe, cette ligne jouissance/castration - je ne l’ai pas marqué cette fois-ci - ce S() et ce qui est en face de l’autre côté, la pulsion ce ◊ D. Alors, avec la symbolisation, c’est-à-dire quand le sujet, ce sujet barré, celui qui sera représenté par un des S1 de ce temps de la symbolisation qui est déjà là. Ce qui est donc en relation avec cette zone, avec la Chose, il faut savoir que autour de cette zone et ceci nous avons déjà eu l’occasion d’en parler, va graviter tous ces signifiants. Autour de cette zone il y aura tous ces signifiants qui vont graviter, c’est-à-dire toute cette symbolisation qui se fait, qui existe du fait de la parole, tout ceci va graviter autour de la Chose.

Alors la Chose, je vous ai dit que le sujet, le sujet qui va naître, qui est naissant, ce sujet qui s’est mis en place, en fait, s’organise autour de la Chose, c’est ce que Freud très vite a fait connaître à son ami Fliess, et qui demeure, et que chemin faisant, de-ci de-là, il a pu nous le faire, nous en reparler. La Chose, lorsqu’il s’agit d’une hystérique, la Chose est vécue comme quelque chose qui porte avec elle le dégoût, qui porte avec elle disons…, l’hystérique s’en détourne puisqu’il n’y a pas eu satisfaction. Il y a eu insatisfaction, et c’est autour de cette insatisfaction que l’hystérique se structure.

Pour ce qui est de l’obsessionnel, la Chose a apporté trop de jouissance et l’obsessionnel va s’efforcer de l’éviter. Donc, ce qui va se structurer pour l’obsessionnel, se structure à partir de cette relation de départ (comme pour l’hystérique d’ailleurs) avec la Chose. Le sujet qui a été en relation au départ avec cette réalité s’organise autour de cette réalité, de cette réalité qui est la Chose, et va s’organiser selon ce qui a été le rapport de départ, ce qui a été vécu primitivement. Alors, c’est important d’avoir toujours présent à l’esprit que la Chose s’est mise en place avant tout jugement. La Chose s’est mise en place avant tout jugement, ça veut dire que la question du refoulement n’est pas encore posée. Et donc pour le psychotique aussi, il aura une relation de départ avec cette Chose mais, avec cette Chose, il y aura, nous dit Freud l’Unglauben, c’est de l’incroyance et si vous vous souvenez une des dernières fois de l’année dernière - en fait, les deux dernières séances de l’année dernière préparaient ce qui allait se faire cette année - le psychotique, disons le paranoïaque puisque c’est avec lui que Freud nous parle de cette incroyance, va construire quelque chose autour de ce vide, autour de cette zone, mais ce quelque chose qu’il construit autour de cette zone, ce quelque chose… il attachera plus d’importance à ce qu’il a construit là sur cette zone qu’à la zone même, c’est-à-dire qu’il ne croira pas à la zone mais croira à tout ce qu’il a construit autour de cette zone.

Et pourquoi donc ? Et pourquoi donc ? C’est parce que, lorsque le sujet se met en place, lorsqu’il y a cette subjectivation qui fait que non seulement le sujet sera barré, mais sera divisé avec ce deuxième signifiant, si ce deuxième signifiant vient à pouvoir s’inscrire dans la chaîne signifiante, c’est-à-dire si cette articulation S1--- S2 peut se faire, cette articulation langagière, si cela peut être, cette zone pourra trouver un nom, pourra trouver un nom parce que du S() aura été appréhendé par le sujet qui se met en place, c’est-à-dire ce manque au cœur de l’Autre. Alors, le Nom-du-Père viendra là et permettra que nom soit donné à cette zone, ce qui se fait pour l’hystérique et pour l’obsessionnel alors que, pour le psychotique cette scène ne pouvant pas s’écrire, ce S2 ne pouvant pas venir s’articuler au premier signifiant, au S1, les effets de la zone seront vécus par ce sujet mais nom ne saura pas être donné à cette zone. Et, quand on reprend ce que essentiellement dans le séminaire sur Le Transfert, Lacan nous dit de cette incroyance, on peut comprendre que là aucun nom ne pouvant venir, le sujet ne peut pas donner créance à ce point, à cette zone qui pourtant se relie comme sur les autres structures.

Alors, avec le das Ding, avec la Chose, que Lacan a extrait d’un passage de Freud, il a pu, je crois, il a pu mettre en exergue ce point de l’enseignement de Freud, d’ailleurs ce qui était là essentiel dans « l’Esquisse » qu’il a … il s’est appuyé sur le travail de Heidegger et, mon Dieu on ne voit pas pourquoi il y aurait là à doter de je ne sais quel voile de Noé parce que Lacan a été conforté dans ce qu’il trouvait chez Freud par cet essai de Heidegger qui venait de paraître, Freud lui avait montré le chemin et, pour dire les choses qu’il a eues à apporter, il s’est appuyé sur ce que les scientifiques de son temps ou les philosophes de son temps avaient pu lui apporter. Donc, il s’appuie sur ce travail d’Heidegger pour bien montrer qu’autour de ce vide, de ce vide qui est tellement essentiel pour que ce vivant, et ce vivant qui parle, que se met en place tout ce qui est de sa structure et il faut remarquer – et, mon Dieu, ça nous a déroutés, encore une fois je vous rappelle que nous n’étions pas des lecteurs de Lacan - et dans ce qui venait une année après l’autre, c’était pas toujours facile de trouver le lien et pour ce principe de plaisir qui dans un temps avait un certain rapport avec ce que l’on pensait rendre compte de la symbolisation, il faut dire que, reprenant l’« Au-delà du Principe de Plaisir », avec « l’Esquisse » et non pas simplement avec le chapitre VII de la Science des rêves, et le chapitre VII que de fois nous a-t-il demandé de le travailler avec sérieux et avec cet « Au-delà du Principe de Plaisir », avec le fait que Freud, qui accordait tellement de place à ce Principe de Plaisir, lui-même a dû reprendre ce qu’il a appelé « l’Au-delà du Principe de Plaisir », eh bien, la relation au principe de plaisir se déplaçait, ne se mettait plus véritablement, je ne sais même pas de quel côté… lorsqu’on reprend les premiers séminaires, en tout cas avec l’Éthique, la limite est beaucoup mieux marquée, la limite est beaucoup mieux marquée avec cette zone et c’est quand même ce que Lacan va reprendre, va reprendre et là, toute l’importance du Malaise dans la Civilisation de Freud apparaît. Qu’en est-il de l’éthique qui est nôtre, qui a à voir avec la psychanalyse, à partir du moment où, mon Dieu, il y a une réalité et qui n’a rien à voir avec l’idéal, à partir du moment où c’est avec cette réalité-là que nous avons affaire et que c’est avec elle que nous devrons faire ? Ce qui fait que, dans la conduite de la cure, toute morale sera mise de côté puisqu’il y a un réel auquel nous sommes confrontés et que ce réel a à voir avec cette zone, cette zone de jouissance, cette zone sur laquelle aucun jugement ni bon, ni mauvais, a été porté.

Alors donc maintenant, que nous mettons en place cette fois-ci après tout ce qui est notre sujet, de cet être, de ce vivant qui parle, nous allons pouvoir reprendre ce qui est du sujet, ce qui est du A que nous avons barré et ce qui est de la Chose.

Alors, je vous avais dit quel était mon embarras pour donner un titre à ce que nous faisons cette année, je ne l’ai pas intitulé. Je ne l’ai pas intitulé parce que mon titre tournait autour de la Chose, autour de cette Chose. Il faut dire que ce que je voulais faire, il y a quelques années, c’est-à-dire immédiatement après avoir travaillé ici la subjectivation avec vous, c’était l’identification. Bon, ce séminaire de L’Identification, et ce que avant lui Freud avait pu nous dire de l’identification, n’était pas toujours facile à saisir pour moi, et donc il m’a fallu un certain temps, il m’a fallu un certain temps pour pouvoir commencer à en dire quelque chose, tout du moins, avant ce que je voulais faire. Et je crois que c’est important de bien saisir que cette Chose, ce vide, ce autour de quoi se construit l’objet, le vase, enfin ce vide que l’on va habiller de telle façon ou telle autre, eh bien, a une grande importance pour ce qui est de l’identification et c’est ce que, je crois, Lacan a tenté de nous montrer.

Alors le sujet et le A, nous verrons, ce petit d’homme, ce vivant, ce vivant qui est d’abord infans, qui à un moment parle, ce sujet qui a pris naissance et consistance, et qui reçoit, dès le début, de ce lieu où l’on parle, il va recevoir sa marque, eh bien, ce sujet n’est pas le même que l’autre. Et c’est quand même par ça qu’il commence dans l’Identification, vous savez avec son train de dix heures qui est le même parce que c’est ce train qui part à dix heures toujours composé des mêmes wagons, enfin bref etc… mais le sujet, c’est pas le même que l’autre, il y a quelque chose qui l’en diffère et ce quelque chose a à voir avec l’Autre, avec la réalité, ce avec quoi il est au départ en rapport à ce moment où il prendra la parole, où il dira ce oui au signifiant.

Alors donc, nous allons poursuivre ce travail en essayant de voir ce qu’il en est de ce plaisir, de ce qui, parce qu’il y a un au-delà du Principe de Plaisir, cet au-delà du Principe de Plaisir, c’est de l’ordre de la jouissance nous dit Lacan, parce qu’il y a cet au-delà du Principe de Plaisir, qu’en est-il du plaisir dans l’éthique qui est l’éthique de la psychanalyse ? Qu’en est-il du bien ? Qu’en est-il du beau ? Nous verrons tout cela, l’un après l’autre et, à ce moment-là, on verra aussi, pour ce qui est du beau, que la question de la sublimation n’est pas à prendre comme on aimerait tellement la prendre, que c’est de l’ordre du sublime, oui, pourquoi pas. Mais du sublime, c’est tout ce qui habille ce vide, tout ce qui… que ce soit tout ce qu’il peut y avoir comme habillement, il peut y avoir la collection de la couture, de la haute couture et on peut comprendre que là quelque chose du vide est habillé et il est habillé d’une façon telle que l’art est intéressé aussi. Et puis, quelque part Lacan nous parle des chapeaux, en tout cas, ça l’amusait beaucoup les chapeaux, énormément, mon Dieu, avec les chapeaux, j’entends les chapeaux, je n’entends pas les coiffants. Il y a quelque chose de sublime, les vrais chapeaux qui vous chapotent, la sublimation est de ce côté-là aussi. Oui, ça vaut la peine parfois de regarder ce qui défile comme ça, ce qui coiffe, ce qui habille le vide. Eh bien, c’est ça, la sublimation. Bien.


Questions

Michèle Aquien :
Dans la conduite de la cure, la morale est mise de côté, le pervers lui il est complètement du côté de la Chose ?

Solange Faladé :
Le pervers n’est pas véritablement uniquement du côté de la Chose, il a un pied d’un côté et de l’autre car avec la Chose, et ce qui va faire barrière à la Chose - car il faut qu’il y ait cette barrière à la Chose pour que la vie soit possible - alors le pervers, c’est celui qui s’efforce de transgresser la Chose, d’avoir ce pied d’un côté et de l’autre, c’est celui qui s’efforce de faire en sorte que les limites soient dépassées et c’est ce que Lacan reprenant Sade nous démontre. Le pervers, c’est celui qui connaît bien les barrières et qui ira au-delà de ceci, car le droit à la jouissance, j’ai dit ça très rapidement tout à l’heure, fait que le problème plaisir et Principe de Plaisir, lui va le vivre différemment. Il ne feindra pas d’aller au-delà de ces limites, Sade pour sa jouissance ne reculait pas à …inaudible… la mort… S’accommoder avec la Chose, ce n’est pas si aisé, dans certains cas effectivement, il peut y avoir cette espèce de paix mais, aux alentours de la Chose, c’est pas si facile de vivre. Mais transgresser la Chose, ça c’est autre chose mais à condition que les barrières soient mises, alors les barrières, nous aurons à en reparler. La barrière du narcissisme, qu’en est-il ? Il y a quand même la loi, il y a ce qui permet qu’un nom soit donné, et ça va avec la loi et c’est ça que le pervers va transgresser. Freud n’en parle pas dans ses lettres à Fliess. Et Lacan, lorsqu’il reprend ce passage de Freud dans l’Éthique, il ne parle que de ces trois structures. Mais chemin faisant, c’est pas pour rien qu’il y a ce qui couvre le séminaire de juillet, il y a Sade et en particulier dans son « Kant avec Sade ».

Question sur la différence entre la jouissance et la chose

Solange Faladé :
Qu’il y ait de la jouissance auprès de la Chose sûrement. Mais cette jouissance dans laquelle baigne le petit d’homme, cette jouissance doit être négativée. J’ai commencé par ça… il faut mettre déjà en place la nécessité pour qu’il y ait prise de parole, que la jouissance soit négativée. Mais le sujet sera en relation avec cette zone où la jouissance est. Mais c’est une zone bien délimitée, c’est une zone qui sera délimitée par tous les signifiants qui vont graviter autour d’elle. Mais c’est une zone, et cette zone du fait que là où on pensait trouver l’objet, là où on pensait, où on croyait qu’était venue la jouissance première, enfin ce qui avait porté satisfaction, eh bien, il y a rien, il y a un manque, il y a un vide et c’est autour de ce vide avec de ce que de jouissance sera accroché à ce vide qu’on aura affaire. C’est volontairement que j’ai voulu commencer par la négativation de la jouissance avec la mise en place de cette deuxième ligne, avec ce qu’il y aura des restes de jouissance. J’ai commencé par cela avant de parler de la Chose. C’est pas toujours facile de bien délimiter et pourtant du moment qu’il y a des noms, ce n’est pas tout à fait la même chose. Même si Lacan met en place l’objet a, la Chose reste la Chose et même si, à un moment, on retrouve quelque part l’a-chose écrit comme ça, la Chose, et la jouissance y est attachée, et la relation qu’on a avec cette jouissance peut être, nous dit Lacan, de l’ordre de la …inaudible… mais surtout quand amour/haine vient a être aux alentours.

C’est pas facile, je vais lentement, et pourtant il faut nous habituer à traiter avec cela puisque ce n’est pas uniquement de la théorie, croyez-moi nous avons affaire à cela quand les barrières qui délimitent ce vide viennent à tomber, croyez-moi que la vie est difficile à vivre pour celui-là qui a à supporter cela, quand cet atome amour/haine vient aux alentours, que les protagonistes, les deux sujets, se retrouvent là confrontés avec cette Chose, avec cette jouissance, mais d’une façon telle que ça devienne insupportable, ce n’est pas non plus facile… Surtout que on ne peut pas dire que c’est mauvais pour soi. L’amer, lorsqu’on porte de l’amer à sa bouche, on dit « pouah !, c’est pas bon pour moi » tandis que là, non, aucun jugement n’a été porté. Et les personnes sont confrontées avec ça, la vie est difficile mais, comme on ne dira pas que c’était mauvais, le mauvais ne peut pas se dire puisque aucun jugement n’a été porté. Il y a bien cette jouissance avec laquelle on vit et, en même temps, c’est une vie difficile. Si on pouvait dire « c’est mauvais » on laisserait, on ferait comme l’enfant, on l’expulserait et on n’y reviendrait pas. Si on y revenait, ce serait plus de la même façon, ce serait « c’est peut-être quelque chose de bon pour moi » comme dit Lacan du livre XI, mais là ça ne se dit pas, ça ne peut pas se dire que cet insupportable est là avec tout ce qu’il y a d’imprévisible.

Question sur la pulsion de mort

Solange Faladé :
Oui justement, c’est parce qu’il y a bien cette jouissance de la Chose, parce qu’il y a cet au-delà du Principe de Plaisir que Freud a été confronté avec cette jouissance et que la pulsion de mort, même s’il n’a pas su en parler autrement, c’est l’expérience clinique qui l’y a obligé. Mais nous parlerons de tout cela, je crois qu’il faut y aller très lentement dans ce travail.