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Y-a-t-il encore une place pour la psychanalyse dans la pratique clinique ?

Contexte actuel : Les organisations où l’on fait appel à la clinique.
Santé : FPH, hôpitaux et secteurs psychiatriques
Secteur sanitaire et social
Judiciaire

Robert Samacher
Intervention d’Angers

La psychanalyse est la seule méthode à revendiquer l’inconscient et la sexualité comme les deux grands universaux de la subjectivité humaine. Sur le plan clinique, elle est la seule à situer le transfert comme faisant partie de cette même universalité et à proposer qu’il soit analysé à l’intérieur même de la cure en tant que processus de répétition des relations d’amour, de haine, d’ignorance et aussi d’enjeux de savoir et de pouvoir tels que le sujet les a rencontrés dans sa vie, fondant les symptômes dont il souffre. C’est l’inconscient qui fonde l’autonomie épistémologique de la psychanalyse.

Pour Freud, la psychanalyse est une métapsychologie, sa visée première n’est pas de soigner mais de faire en sorte qu’un sujet puisse trouver la voie de son désir, cette démarche ne vise pas un idéal ou une complétude, elle confronte le sujet au manque et à son incomplétude ; de ce fait, elle est une éthique du Réel. Pour la psychanalyse, le symptôme est une formation de l’inconscient qui cache une jouissance, celle-ci recouvrant une vérité spécifique au sujet dont elle provoque l’émergence.

Ne peut devenir psychanalyste que celui qui a accepté d’entrer dans une démarche personnelle avec un psychanalyste où il confronte son savoir conscient aux soubassements d’une vérité qui lui est propre et qui en même temps lui échappe. Dans un temps propre au sujet, elle peut être suivie d’une analyse didactique ou, dans la perspective de formation proposée par Lacan, s’avérer didactique. Celui que son désir porte à devenir psychanalyste, sera amené à participer à des séminaires qui l’inscriront dans une réflexion théorico-clinique, à demander des contrôles auprès d’un analyste pouvant assumer cette place, s’il est amené à suivre lui-même des patients ou analysants.

L’articulation entre sa propre cure, les séminaires et les contrôles s’avèrent fondamentale dans la formation du futur psychanalyste,

Cette conception oppose la psychanalyse qui est une métapsychologie et aussi une conception de l’homme en tant que sujet désirant, à toute psychothérapie qui pourrait être suggestive ou adaptative visant à l’éradication du symptôme pour répondre à la norme sociale. Pour la psychanalyse, le symptôme est une formation de l’inconscient qui cache une jouissance, celle-ci recouvrant une vérité spécifique au sujet dont elle provoque l’émergence.

Peut-on appliquer la psychanalyse aux institutions ?

La psychanalyse est une pratique au un par un et comme l’a souligné Lacan elle « ne s’applique au sens propre, que comme traitement, et donc à un sujet qui parle et qui entende », indiquant par là que toute autre forme d’application ne pouvait l’être qu’au sens figuré, c’est-à-dire imaginaire, fondée sur l’analogique et, comme telle, sans efficacité immédiate.

Dès 1948, Daniel Lagache a proposé aux psychologues un enseignement universitaire de psychanalyse (ultra-clinique) coexistant avec une clinique « armée », c’est-à-dire utilisant les tests ainsi que les méthodes dites cognitives, mais cette coexistence n’a pas toujours été pacifique puisque dans leur fondement même, ces deux disciplines renvoient à des conceptions opposées de l’homme. Daniel Lagache n’avait pas perçu que la psychologie reposait sur le postulat que l’inconscient est une erreur cognitive de jugement. On retrouvera ce même conflit entre l’ego-psychology à visée adaptative magnifiant la complétude et l’idéal du self-made man et la psychanalyse reconnaissant l’incomplétude, la dimension du manque et du désir.

En tant que clinique, théorie et méthode la psychanalyse a apporté aussi bien aux psychiatres, qu’aux psychologues et à tous les cliniciens, un outil sans précédent qui leur a permis de développer dans les institutions une clinique du sujet et a inspiré la psychothérapie institutionnelle mise en place par Tosquelles, Daumezon, Oury.

Notre expérience nous a permis de saisir qu’il n’était pas possible d’intervenir comme psychanalyste en institution, les conditions de la cure type n’étant pas réunies : s’installer dans un bureau et attendre que le patient vienne parler de son désir, c’est, lorsqu’on travaille en H.P., méconnaître la lourdeur du fonctionnement institutionnel avec ses transferts latéraux ainsi que la spécificité de la structure psychotique et cela se pose de la même façon dans les structures d’accueil et de soin pour enfants et adolescents.

En institution, il s’agit souvent de bricolages psychothérapiques qui, même s’ils se réfèrent à la psychothérapie psychanalytique, sont amenés à mêler à « l’or pur » de la psychanalyse, le « vil plomb » de la quête d’adaptation, comme le dit Freud dans La technique psychanalytique . Pourtant, ceci s’avère parfois utile, car ces prises en charge individuelles qui ne sont pas des psychanalyses, sont des temps d’écoute d’un sujet à respecter dans sa structure et dans ce qu’il peut manifester de son désir. Ces temps participent à la reconnaissance des effets de l’inconscient et facilitent le maniement du transfert institutionnel quand, ces facteurs sont acceptés et reconnus par le collectif soignant. Cette reconnaissance a alors des effets bénéfiques pour tout le monde. Ces outils transférentiels sont à la disposition des cliniciens lorsqu’ils les ont acquis par un travail personnel. Ces cliniciens peuvent participer à l’analyse des pratiques des soignants, en référence à la psychothérapie institutionnelle, ils sont alors en mesure de prendre en charge individuellement des sujets en CMP ou CMPP.

Les jeunes cliniciens psychologues ou psychiatres auxquels l’employeur demande d’assumer ce type de prise en charge, ont tout intérêt à s’adresser à un psychanalyste pour superviser les cas qu’ils suivent de façon à analyser ce qui est opaque et constitue leur contre-transfert, c’est-à-dire ce qu’ils mettent d’eux-mêmes sans le reconnaître, passant par leurs propres enjeux identificatoires et narcissiques, ce qui les pousse parfois à se mettre au travail sur le plan psychanalytique.

J’insiste sur l’importance du temps du sujet - le temps de voir, le temps de comprendre, le temps de conclure – c’est-à-dire qu’un temps logique devrait aussi s’appliquer en institution tant au niveau des prises en charge individuelles qu’au niveau du travail collectif.

La logique de la transparence et du résultat

Ce temps a parfois été reconnu et admis par les autorités comme temps de travail interstitiel, mais, dans la mesure où il ne se voit pas et ne peut être additionné comme acte évaluable, il ne peut entrer dans aucune grille. En effet, celle-ci se réfère à une « transparence » imaginaire qui ne tient compte que de ce qui est mesurable et finançable. Cette logique du résultat ne saurait coïncider avec une clinique respectueuse du temps du sujet puisque dans un souci de rentabilité, elle vise à faire sortir le rapidement possible le patient.

Cette logique du résultat répond totalement à la récente mise en place des Agences Régionales de Santé (loi du 21 juillet 2009) considérées comme les piliers de la réforme de santé de même qu’à la logique de tarification à l’activité depuis 2007. S’inscrivant dans une logique essentiellement financière, cette réforme provoque un véritable bouleversement dans la conception humaniste de la santé et du soin : les moyens envisagés en fonction de la qualité des soins ne sont plus déterminants, car dans une logique du résultat, les dépenses dépendent des recettes. E substitue à une approche qualitative, une approche entièrement quantitative du soin.

Cette nouvelle conception idéologique du soin concerne l’ensemble du secteur santé : l’hôpital général, toutes les structures de soin, le secteur sanitaire et social ainsi que le secteur psychiatrique. Autrefois hôpitaux généraux et cliniques privées fonctionnaient en complémentarité, aujourd’hui cette logique veut qu’ils fonctionnent en concurrence. Une certaine logique managériale s’est imposée, accompagnée par les impératifs d’encadrement, d’évaluation et de contrôle des pratiques, logique suspicieuse par définition, puisque élaborée par d’autres que les praticiens eux-mêmes, et non appropriée puisque fonctionnant selon des critères de gestion financière appliqués aux entreprises.

Depuis quelques années, la délocalisation, la fermeture de structures ainsi que le redéploiement et la suppression des personnels dans toutes les catégories professionnelles sont à l’origine du travail à flux tendu, provoquant de nombreux arrêts de travail et des « burn-out ». Dans un tel contexte que devient la clinique référée à la psychanalyse ? Quelle est alors la signification du soin ?

Dans le champ de la psychiatrie, la transmission des signifiants de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle n’est plus assurée. Ce bouleversement participe d’un refoulement ou pire d’une forclusion de signifiants, particulièrement ceux de la psychothérapie institutionnelle, qui, s’ils subsistent, tendent à perdre leur sens (Pierrick Brient, psychologie clinicien, fut surpris de constater dans son expérience : récemment, il était surpris de voir que les nouveaux infirmier(e)s ne connaissaient même pas l’expression de « psychothérapie institutionnelle ! » ).Quel sens peuvent avoir des « réunions soignants/soignés » quand la pratique de « porte tournante », ne permet plus de prendre le temps de parler des patients puisqu’on n’a pas le temps de les observer ni de leur parler c’est-à-dire de prendre soin d’eux, ce ne sont plus des réunions pour réfléchir, mais des réunions pour décider. Il en découle la disparition des Collectifs soignants et des réunions avec les soignés. Les redéploiements, les suppressions de poste, l’appel à des personnels en intérim, font qu’il n’y a plus d’équipe et que l’on répond au coup par coup.

Qu’est-ce qui peut alors s’élaborer du côté du transfert institutionnel dès lors qu’on ne peut plus se réunir pour analyser les enjeux transférentiels, à partir de la place de chaque soignant dans la prise en charge de chaque patient ? (Donner un exemple).

Si la question de la reconnaissance des signifiants propre à la psychothérapie institutionnelle se pose, il en est de même pour les signifiants de la psychanalyse, avec les conséquences dues à la perte de ce savoir clinique : par exemple P. Brient rappelle que le mot « transfert » veut dire dans son service, « changement d’unité ». Pour sa part, dans le cadre du travail auprès des équipes, il dit mieux travailler auprès d’une équipe d’appartements collectifs, il apprend beaucoup sur ce qu’il appelle une clinique du logement : De quelle façon un sujet psychotique peut-il habiter l’espace, qui renvoie à son espace corporel ? Cette notion d’habitation n’est pas sans poser question car elle est soutenue par l’administration principalement parce que cela coûte moins cher à l’hôpital... Néanmoins, il n’y a pas le choix, il faut donc profiter de ce malentendu pour « tirer » du côté d’une démarche clinique dans l’intérêt des patients.

Toutes ces questions essentielles auxquelles sont confrontés aujourd’hui les cliniciens, les obligent à trouver des réponses à partir de ce qui échappe à l’administratif et à la politique du résultat immédiat qui se voit.

Comment les cliniciens peuvent-ils se situer face à cette mutation ? Vont-ils accepter de devenir l’un des vestiges de la psychothérapie institutionnelle et de la clinique psychopathologique ? Du fait que pour le moment, leurs actes ne sont pas tarifés, ils conservent une part d’extra-territorialité essentielle à leur fonction, particulièrement dans une référence à la psychanalyse. D’autre part, ils ne sont pas sans être appelés à exercer une certaine fonction de régulation, voire de formation, y compris auprès des jeunes psychiatres. Dans l’imbroglio actuel, ils doivent faire reconnaître leurs compétences, leurs qualifications ; elles devraient leur permettre d’affirmer leur statut de clinicien prenant appui sur une clinique du transfert psychanalytique. Leur capacité d’innovation en matière clinique et théorique se subordonne à leur indépendance professionnelle.

Nous sommes confrontés, de nos jours, à une pénurie de psychiatres, les psychologues cliniciens titulaires reviennent trop cher, dans certains CMP, les listes d’attente sont de plus en plus longues.

Depuis le rapport « Piel-Roelandt » publié en 2001, il est question de créer des « bassins de vie » distincts des CMP, qui seraient placés sous la responsabilité du chef de secteur, et qui emploieraient de nouveaux professionnels. Parmi ceux-ci, les psychothérapeutes fonctionnant comme paramédicaux auxquels on confierait des patients pour des prises en charge courtes, à visée adaptative. Le rapport Cléry-Melin « Plan d’actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale », remis en septembre 2003 au ministre de la Santé, prévoit aussi l’organisation d’un véritable réseau de santé mentale sous la responsabilité d’un psychiatre coordinateur. Selon ce plan, l’ « offre de soins de première ligne » est effectuée par le généraliste prescripteur et le psychothérapeute (sic). Le dernier rapport en date, le rapport Couty remis en janvier 2009 au président de la République, donne le pouvoir non plus à un médecin mais aux Directeurs régionaux de l’Agence régionale de santé (ARS) ! Par ailleurs, il indique que les prescriptions seront encadrées et hiérarchisées selon leur coût et leur durée. Or, on a vu comment aux Etats-Unis et en Allemagne, par le jeu des remboursements et des agréments sélectifs, l’exercice des psychanalystes a été contraint et limité.

Un titre de psychothérapeute, pour quoi faire ?

On peut se demander ce que signifie du point de vue des psychanalystes le terme de psychothérapeute ? Est- ce une reconnaissance par les pouvoirs publics qui jouerait comme garantie pour ceux qui le demandent, alors que les autres auraient à subir une mise à l’écart, dans le no man s’land où étaient parqués jusque là les psychothérapeutes ? Ne s’agit-il pas d’un pas insidieux vers l’intégration de la psychanalyse dans le champ des psychothérapies puisque cette dernière se trouve investie du statut de psychothérapie ? Ne risque-t-on pas d’aboutir à un contrôle étatique exercé sur la psychanalyse et les psychanalystes, en leur imposant des orientations qui ne peuvent être les siennes ?

L’acte psychanalytique sera alors conçu comme acte purement juridique, dans la méconnaissance complète de la relation entre la cure et la culture (selon Freud la psychanalyse est intégrée à tout un champ de savoirs). Est-il pensable qu’une quelconque autorité extérieure au processus de la cure, soit en mesure de l’évaluer et de l’authentifier ? Dans le processus de mise sous tutelle par la loi de Santé mentale en vigueur, c’est l’Etat qui ferait le tri entre ceux qui sont psychanalystes et ceux qui ne le sont pas. La psychanalyse dépendrait ainsi d’instances institutionnelles et de savoirs extérieurs à elle-même. De tout temps, les psychanalystes pratiquant l’analyse laïque se sont battus pour refuser tout lien de subordination, tout lien juridique ou théorique avec toute autre profession, en particulier la profession médicale. N’auraient-ils pas intérêt à interroger la demande de sécurité et de contrôle que le lien social actuel produit plutôt que de s’inscrire dans ce symptôme ? Cet engrenage infernal est présent dans l’application de la loi actuelle qui donne le pouvoir aux juristes.

La réglementation de l’exercice des psychothérapies va avoir une incidence directe sur la psychanalyse qui en fera les frais en perdant son autonomie au regard des pouvoirs publics et par conséquent, sa spécificité. Un acte analytique garanti par l’Etat, ne peut être un acte analytique. On peut en déduire l’absence de pertinence d’un Ordre des psychanalystes statuant et ayant pout tâche d’évaluer les bonnes pratiques !

L’article 52 de la loi du 9 août 2004 et ses suites réglementaires (décret du 20 mai 2010), prévoient que le candidat psychothérapeute ait un diplôme de « niveau master »- peu importe le master et qu’entend-on par « niveau » ?- et en complément une acquisition de connaissances permettant validation du titre. Ces connaissances sont énumérées selon les quatre catégories suivantes :

1° Développement, fonctionnement des processus psychiques ;

2° Critères de discernement des grandes pathologies psychiatriques ;

3° Les différentes théories se rapportant à la psychopathologie ;

4° Principales approches utilisées en psychothérapie.

Ceci doit être complété par un stage pratique s’effectuant à temps plein ou à temps fractionné dans un établissement public ou privé agréé.

Donc, il s’agit de former des techniciens du psychique ayant reçu un saupoudrage de connaissances avec en point de mire les méthodes cognitivo-comportementales donnant des résultats rapides jugés plus efficaces par l’AERES et répondant au concept d’une « santé mentale positive ». Conception que l’on retrouve dans l’ American way of life se traduisant par le coaching, l’optimisation des ressources personnelles amenant au self-estim, au mastery, au copying, aboutissant au recyclage et à la remise en forme. Cette idéologie qu’elle sous-tend ouvre une expansion prometteuse aux thérapies cognitivo-comportementales qui ne s’embarrassent pas du manque et du désir inhérents au sujet humain.

Le recentrage actuel se fait donc sur la notion de « psychothérapie » devenue la méthode miracle apportant le maximum d’adaptation et de bonheur dans une société automatisée ayant perdu ses repères. Les demandeurs ou non-demandeurs de psychothérapie n’entrant pas dans le paysage d’une normalité normée, pourraient être envoyés chez le psychothérapeute par un médecin ou un psychiatre, ce qui permettrait d’écarter dans un premier temps, les affections somatiques à expression « psycho-comportementale » (Rapport Piel-Roelandt). Dans un tel contexte politique, il est donc justifié que des « psychothérapeutes » de toute obédience théorique, en position d’auxiliaires médicaux ou de paramédicaux reçoivent des patients pour des thérapies courtes financées par la sécurité sociale ou les mutuelles d’assurances afin de faire rentrer dans le rang ces personnes non adaptées à la société environnante.

Ces méthodes répondent bien aux critères de rentabilité et d’efficacité dans une perspective de gommage du symptôme, ignorant ainsi que, sur le plan psychique, ce symptôme est en lien avec la vérité du sujet.

Les hommes sont-ils des automates pour qu’on les soigne comme des machines ? Que devient alors le concept d’inconscient freudien ?

Que peuvent maintenir les cliniciens de l’éthique de la psychanalyse au sein des institutions dans lesquelles ils travaillent ? Et Comment ? C’est autour de ces questions que les psychologues cliniciens sont amenés à débattre aujourd’hui.