Lecture du texte de Freud « À propos de la psychanalyse dite “sauvage” »
Ses crises sont survenues suite à son divorce. S’inscrivant dans une démarche médicale classique, le médecin fait un diagnostic, que Freud sera amené, nous le verrons, à contester. Il cherche dans son savoir médical, celui qui est à sa disposition, avec toutes les nouveautés scientifiques. Il pense trouver dans cette science toute nouvelle, la psychanalyse, la réponse à ce cas. L’explication et la solution se trouve dans la théorie de Freud, et il en informe aussitôt sa patiente : elle souffre d’abstinence sexuelle, le traitement est simple, reprendre une activité sexuelle. Il lui conseille donc : "de retourner chez son époux, prendre un amant ou se satisfaire elle-même".
Ne pouvant souscrire à ces "solutions", la dame se sent dans une impasse, se croit "incurable". Ses symptômes deviennent de plus en plus importants.
Heureusement pour elle, le médecin s’inscrit bien dans la tradition universitaire de la médecine. Ce savoir n’est pas le sien, mais celui du "professeur" Freud. Libre à elle d’aller le questionner, questionner la vérité de ce savoir. C’est ce qu’il lui conseille.
L’article de Freud s’ouvre donc sur cette rencontre. Mais la dame n’est pas venue seule, une amie l’accompagne. Cette amie représente la preuve que la théorie freudienne, telle que le médecin l’utilise, est fausse : en effet cette dame, dans la même situation de privation que la patiente, ne se plaint pas d’anxiétés.
Le projet de Freud, dans ce court article , est "d’expliquer le comportement du médecin".
Mais auparavant il prend soin de faire une mise en garde : soyons toujours prudent vis-à-vis des propos rapportés. Ils sont toujours marqués par le lien subjectif du patient à son médecin. De plus, les patients ne sont pas sans savoir que la confraternité est souvent ambivalente.
Tout en reconnaissant la possible déformation des propos du médecin par la dame, il prend le parti de croire sa parole et donc d’expliquer le comportement du médecin.
Celui-ci n’a pas respecté les règles techniques de la psychanalyse, mais aussi a fait une mauvaise lecture de la théorie, du texte freudien.
Il a commis des erreurs "scientifiques" que Freud examine en premier lieu.
La première erreur porte sur la conception de ce que l’on nomme sexualité. La clinique a appris à Freud que la sexualité est un champ bien plus vaste que ce que le sens populaire lui attribue :" Nous considérons comme appartenant au domaine de la sexualité toutes les manifestations de sentiments tendres découlant de la source des émois sexuels primitifs, même lorsque ces émois ont été détournés de leur but sexuel originel ou qu’un autre but non sexuel est venu remplacer le premier. C’est pourquoi nous préférons parler de psycho-sexualité , soulignant ainsi qu’il ne faut ni négliger, ni sous-estimer le facteur psychique".P.37 in La technique psychanalytique ed du PUF.
La deuxième erreur est de méconnaître l’aspect conflictuel de la sexualité.
L’écoute des patients a enseigné Freud sur la complexité des rapports qu’un être humain entretient avec elle. Certes ce qui se dit est de l’ordre de l’insatisfaction, mais ce dire recouvre un conflit, qui est en cause dans les symptômes névrotiques.
Non seulement le jeune médecin avait une conception fausse de la sexualité, mais il semble ne pas avoir su faire le bon diagnostic.
La seule évocation par la patiente de troubles anxieux ne suffit pas à affirmer qu’il s’agit d’une névrose actuelle.
C’est par facilité qu’il a agit, en faisant l’économie de l’écoute du dire de la dame : économie de temps, d’énergie, mais aussi de formation.
C’est bien en acceptant de se soumettre à une discipline exigeante, qu’il aurait pu recueillir de sa bouche le savoir en cause dans sa plainte.
Quant aux erreurs techniques, elles portent justement sur la nature du savoir en question.
Le patient n’est pas simplement "ignorant"de la cause de ses symptômes, et la lui révéler"sauvagement" ne tient pas compte de ce rapport particulier qu’un sujet entretient avec elle. Là est l’essence même de la découverte de Freud : le refoulement. Le patient résiste à son dévoilement.
La technique analytique est au service de ce dévoilement.
Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place certaines conditions, ce que le médecin a négligé.
Freud use d’une image, qui illustre bien l’indispensable prise en compte d’un réel, celui du corps, celui de la pulsion : révéler trop tôt au patient le savoir qu’il refoule "ont sur les symptômes névrotiques autant d’action qu’en auraient, par exemple, en période de famine, une distribution de menus aux affamés."
Il précise que la mise en place de ces conditions obéissent à "des règles techniques", et non à une qualité "insaisissable " du praticien.
Comment savoir si le patient a à faire à un psychanalyste, ou bien à un praticien qui se sert de l’apport freudien d’une manière "sauvage" ?
La réponse de Freud a été de créer une association, dont chaque membre, reconnaissant son appartenance à celle-ci, laisse publier son nom.
Laisser publier son nom est l’acte par lequel le psychanalyste fait savoir qu’il prend la responsabilité de mener une psychanalyse freudienne, avec toutes ses exigences. Il prend cette responsabilité devant son patient, mais aussi devant ses pairs.
Pour Freud, il ne s’agit pas de monopoliser l’exercise d’une pratique, mais d’en assurer la transmission et le tranchant.
A la fin de son article, Freud tempère les effets néfastes de l’interprétation sauvage. Celle-ci est plus nuisible à la cause de la psychanalyse qu’au patient.
Il décrit alors les trois temps qui suivent la révélation sauvage.
1- aggravation des troubles et identification du "pseudo-analyste a à un Autre non barré, persécuteur.
2-la patient se déprend de cet Autre, "se dégage de son influence", peut le barrer.
3-"il finit par "prendre une décision capable de hâter sa guérison".
Peux-t-on y lire les étapes du temps logique ?
En conclusion, Freud affirme qu’il vaut mieux une intervention sauvage, prématurée, voire fausse, qu’un diagnostic médical, au sens de la classification classique, asséné par un "pontif notoire".
On peut penser, en effet, que l’interprétation sauvage porte sur un savoir qui a un lien à la vérité, et que le patient, même s’il n’est pas prêt à l’entendre, se sent concerné. Ajoutons que la théorie freudienne étant portée par le texte de Freud, un retour à ce texte est nécessaire. C’est lui qui touche à ce lien entre vérité et savoir. C’est le sens du retour à Freud de Lacan.